Interview de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, à RMC le 4 novembre 1999, sur l'affaire de la MNEF et la démission de M. Strauss-Kahn, la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature et les comptes de la Sécurité sociale.

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Texte intégral

Philippe Lapousterle : On a entendu et sous-entendu les appels de L. Jospin hier contre le chef de l’État. On a entendu aussi la réplique de J. Chirac. Vous qui êtes au cœur du système, est-ce que c’est une crise politique ou est-ce que c’est une crispation ?

Philippe Douste-Blazy : D’abord, un mot sur la forme. L’agressivité traduit, je crois, de la part du Premier ministre, un manque de sang-froid qui ne convient pas à un chef de gouvernement responsable et, comme l’a dit le Président de la République à juste titre, l’insinuation ne sert jamais la vérité. Maintenant sur le fond, le départ de D. Strauss-Kahn marque le coup d’envoi en fait, de l’affaire de la Mnef. Il souligne la gravité de cette affaire qui était judiciaire jusque-là et qui devient, vous avez raison, une affaire politique. Est-ce que les cotisations sociales payées par les salariés, par les Français et aussi par les étudiants ont servi à enrichir personnellement des membres du Parti Socialiste ? Et, deuxième question, et non des moindres, pourquoi le juge en charge de ce dossier de la Mnef, a brutalement été muté sans que l’on passe par les voies habituelles ?

Philippe Lapousterle : Est-ce que c’est donc une crise politique ou est-ce que c’est un mauvais moment à passer, l’échange entre le chef de l’Etat et le Premier ministre ?

Philippe Douste-Blazy : M. Jospin n’aurait jamais dû réagir comme ça. Il a construit sa popularité de son gouvernement en utilisant deux armes : la vertu et la morale. J’ai envie de dire au Premier ministre que la morale et la vertu ne sont ni des slogans, ni des instruments de communication mais des pratiques. Donc, il faut qu’il pratique lui aussi la vertu et la morale.

Philippe Lapousterle : Sur le fond, lorsque le Premier ministre a dit : s’il y a eu des problèmes à la Mnef, ce sont des défaillances individuelles, on va dire, alors que la mairie de Paris, et sous-entendu le Président à l’époque où il était maire de Paris, c’était un système organisé ?

Philippe Douste-Blazy : Citer la mairie de Paris pour se défendre, c’est pour le Premier ministre, un aveu de faiblesse. Maintenant, si en effet on le prend au mot, comme vous venez de la dire, il dit : « je n’y suis personnellement pour rien. » Cela veut dire que si l’affaire de la Mnef ne concerne en rien le Parti socialiste, parce que lui était premier secrétaire du Parti socialiste entre 1981 et 1988 et entre 1995 et 1997, et si lui n’y est pour rien, c’est que le Parti socialiste n’y est pour rien. Si le Parti socialiste n’y est pour rien, il s’agit alors d’une affaire encore plus grave puisque des fonds sociaux ont servi alors à des enrichissements personnels. C’est toute la question qui est posée.

Philippe Lapousterle : Ça peut durer deux ans et demi ?

Philippe Douste-Blazy : J’espère en tout cas que le climat délétère de politique politicienne ne durera pas deux et demi. Je crois en la justice de ce pays. Il y a ceux qui ont fait des malversations. Qu’ils soient d’ailleurs de gauche comme de droite, ils doivent payer, ils doivent être punis. Et puis, il y a ceux qui se sont enrichis personnellement et ceux-là doivent être très, très ouvertement punis.

Philippe Lapousterle : A propos de gauche et de droite, est-ce que, à Paris, M. Tiberi ne serait pas bien inspiré de s’inspirer de la jurisprudence de D. Strauss-Kahn ? C’est-à-dire que, avant la mise en examen, on quitte ses fonctions politiques, ses responsabilités politiques ? Est-ce que ce n’est pas une sage décision que de faire ça au lieu de rester à son poste ?

Philippe Douste-Blazy : J’ai écouté Radio Monte Carlo et j’ai écouté les télévisions et les radios, j’ai lu les journaux depuis quatre jours, on ne parlait plus que du faux. Alors, ça, c’est un problème d’éthique et des journalistes. J’ai envie de dire, on parlait de faux de M. Strauss-Kahn. Il ne pouvait manifestement pas faire autrement. Il a choisi en son âme et conscience. Personnellement, je reste persuadé que, dans cette affaire, il faut faire très attention. S’il y a eu des malversations, il faut les punir mais avant tout, que ce soit à droite comme à gauche, j’estime que la justice doit passer. Donc, vous ne pouvez pas dire à ce micro, ni pour les uns ni pour les autres, qui est innocent, qui est coupable.

Philippe Lapousterle : A propos d’affaires liées à des problèmes de justice, je n’ai toujours pas compris si votre groupe, l’UDF, allait voter ou non la réforme constitutionnelle nécessaire à la réforme de la justice ?

Philippe Douste-Blazy : Oui. Nous sommes pour le renforcement des pouvoirs du CSM dans une composition élargie.

Philippe Lapousterle : Du Conseil Supérieur de la Magistrature, qui est un organisme indépendant du pouvoir.

Philippe Douste-Blazy : Oui, qui permet de renforcer l’indépendance de la justice. D’un côté, vous avez des instructions individuelles du Garde des Sceaux aux membres du Parquet, mais cela ne constitue qu’un faux problème dès lors que ces instructions sont écrites, elles sont versées au dossier et donc transparentes. Par ailleurs, vous avez, dans un système dominé par l’unité du corps judiciaire, le problème des nominations. Ce sont les garanties de carrière qui assurent véritablement l’indépendance de la justice. Autrement dit, si vous êtes procureur et que je suis ministre de la Justice, si c’est moi qui fais votre carrière, si c’est moi qui suis responsable de…

Philippe Lapousterle : Qui décide de mon avancement.

Philippe Douste-Blazy : De votre avancement, ce n’est pas vrai, vous ne serez pas indépendant. Vous ferez attention à ce que je pense. Eh bien, c’est ça qu’il faut couper sans tomber dans le piège du corporatisme.

Philippe Lapousterle : Est-ce que c'est dans le texte de loi ? Est-ce que le texte de loi vous convient de ce point de vue-là ?

Philippe Douste-Blazy : Justement, c'est le premier point. Deuxièmement, pour nous, il faut fonder la légitimité des juges sur leurs responsabilités effectives et préserver les missions fondamentales du pouvoir politique. Ça veut dire qu'il faut, pour le groupe UDF, pour qu'il vote ce texte, renforcer les mécanismes de la responsabilité des magistrats et il faut aussi garantir la capacité du politique à faire prévaloir l'intérêt général.

Philippe Lapousterle : Donc, ça veut dire que, tel que le texte est écrit aujourd'hui, vous ne le voteriez pas ? Il est
insuffisant ?

Philippe Douste-Blazy : Tout dépend des engagements précis de madame Guigou sur le contenu de la future loi organique relative au statut des magistrats. Pour nous, c'est fondamental. Sinon, si madame Guigou n'est pas capable de faire des ouvertures vers le Parlement, si elle n'est pas capable de faire un texte qui est accepté par trois-cinquièmes des parlementaires, comme vous le savez, pour changer la Constitution, il faut...

Philippe Lapousterle : Une majorité. Ça veut dire donc que, en l'état, je reviens à la question simple, le texte n'est pas votable par l’UDF ?

Philippe Douste-Blazy : J'ai été ministre pendant quatre ans. Avant de présenter un texte aux parlementaires, il faut faire des ouvertures et travailler avec eux. Alors, il faut qu'elle travaille avec eux, qu'elle fasse les ouvertures nécessaires pour avoir trois-cinquièmes mais, nous, évidemment, nous sommes pour l'indépendance de la justice.

Philippe Lapousterle : Mais vous attendez des modifications de texte avant de le voter ?

Philippe Douste-Blazy : Oui, c'est très important. .Je viens de vous en parler, en particulier sur le statut des magistrats.

Philippe Lapousterle : Budget de la Sécurité sociale. Vous êtes satisfait que les comptes soient équilibrés ? C'était inespéré de votre temps, je dirais.

Philippe Douste-Blazy : Oui, mais là aussi, c'est de la prestidigitation. Si vous regardez un peu mieux, vous avez 12,5 milliards de déficit pour l'assurance maladie et je ne vous cache pas que c'est évidemment le très grand problème. Je vois deux risques, si vous voulez, aujourd'hui dans l'assurance maladie. Ceux qui, comme madame Aubry, vont tout faire pour que l’État fasse tout, c'est l'étatisation de l'assurance maladie. Je suis contre parce qu'il faut que les partenaires sociaux, les syndicats, les patrons, puissent travailler sur la Sécurité sociale.

Philippe Lapousterle : Ça a été acté ça plus ou moins.

Philippe Douste-Blazy : Acté, mais madame Aubry étatise petit à petit la Sécurité sociale. Et puis, vous avez, à l'inverse, à l'autre bout de la chaîne politique, ceux qui veulent privatiser, mais moi, tant que je ferai de la politique, je ne voudrai pas non plus qu'on privatise parce que, que l'on soit riche ou pauvre, quelle que soit sa catégorie sociale, on doit être soigné de la même manière en France. Ça, c'est la première remarque. La deuxième, c'est que madame Aubry fait payer les 35 heures en partie par le fonds de solidarité vieillesse. Or, le fonds de solidarité vieillesse sert aujourd'hui à toutes les personnes âgées qui n'ont pas de revenu. Cela s'appelle le minimum vieillesse . « Eh bien, attention, madame Aubry, pour payer les 35 heures, il ne faut pas oublier les personnes âgées. »

Philippe Lapousterle : Vous êtes maire de Lourdes. On vous annonce à Toulouse si Dominique Baudis ne se représentait pas. On entend parler de vous à Paris. Vous serez où ?

Philippe Douste-Blazy : D. Baudis est aujourd'hui, si je lis toutes les revues spécialisées, le meilleur maire de France. Les impôts baissent, la dette est égale à zéro...

Philippe Lapousterle : S'il ne se représentait pas ?

Philippe Douste-Blazy : Ça, vous le lui demanderez. M. Baudis a l'air en pleine forme et a l'air d'être un excellent maire.