Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France-Inter le 23 janvier 1997 et RTL le 31, sur la préparation des élections législatives de 1998, notamment l'accord conclu entre le PS et Les Verts et la proposition du PCF d'un référendum sur la monnaie unique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL

Texte intégral

France Inter : jeudi 23 janvier 1997

J. Dorville : Vous incarnez volontiers le renouveau du Parti communiste français. Vous avez entrepris de restaurer et de rajeunir son image. Est-ce que les nombreuses révélations sur son passé, sur son histoire, à travers plusieurs livres qui paraissent ces jours-ci et grâce à l'ouverture des archives de Moscou, vous éclairent, vous aident ou vous gênent ?

R. Hue : De pouvoir accéder aux archives est toujours un élément important pour la recherche historique, pour voir ce qu'a été effectivement la réalité de l'époque, du moment, et moi, je ne suis pas insensible au regard que l'on peut porter sur ces archives. Mais à condition qu'elles soient dépouillées avec un regard d'historien, pas pour essayer d'interpréter, de tirer d'une conjoncture politique immédiate des enseignements qu'il faut resituer dans le contexte de l'époque. Mais le Parti communiste par ailleurs, je profite de l'occasion qui m'est donnée pour le dire, a ouvert ses archives. Et donc, aujourd'hui, des historiens travaillent sur les archives du Parti communiste français. C'est également important.

J. Dorville : Et ces archives qui s'ouvrent dans les pays de l'ex-empire soviétique jettent parfois une lumière assez crue sur le Parti communiste français. Je pense à la biographie d'E. Fritz, ce révolutionnaire professionnel, finalement elle montre qu'il fût le véritable manipulateur du Parti communiste français pendant les années 30.

R. Hue : Je ne crois pas qu'elle révèle cela. Il y a des choses qui sont effectivement nouvelles et qu'apportent ces recherches. Mais en même temps, qu'est-ce que cela laisse apparaître avec force ? Eh bien, ce que l'on a déjà dit, à savoir que pendant toute une période, le Parti communiste français a été lié à un modèle de pensée, à un modèle de pensée soviétique avec l'Internationale. Il s'est dégagé, peut-être un peu tard, de ce modèle mais en tous les cas, je ne vois pas ce que cela retire à l'enracinement profond du Parti communiste dans la nation française. C'est d'ailleurs ce qui fait qu'après l'effondrement de ce qui a été une certaine caricature du communisme à l'Est, aujourd'hui le Parti communiste, à la fois, voit un regard nouveau porté sur lui et puis un regain d'intérêt, une remontée électorale. Je crois que tout cela est intéressant.

J. Dorville : Les socialistes et les Verts viennent de conclure un accord politique pour les élections de 1998. C'est une alliance rose-verte mais il n'y a pas beaucoup de rouge dans cet arc-en-ciel, non ?

R. Hue : Je crois que l'accord, que je n'ai pas encore vu et qui a été réalisé entre les Verts et le Parti socialiste, tient compte d'une chose sur laquelle j'ai déjà discuté moi aussi avec les Verts et d'ailleurs nous devons nous rencontrer de nouveau prochainement, à savoir qu'il y a un mode de scrutin dans ce pays qui empêche à des petites formations d'avoir des députés à l'Assemblée nationale. C'est quelque chose de très pervers et donc, cela oblige en quelque sorte les petites formations, qui n'ont pas de positions électorales au plan des circonscriptions législatives, à trouver dans des accords ce type de représentation. Je ne suis pas choqué du tout par cet accord. Il y a d'autres dispositions qui existent visant à ce que toutes les forces de gauche participent à la construction d'une alternative politique et là tout le monde est concerné : les communistes, les socialistes, les Verts, le Mouvement des citoyens.

J. Dorville : Pour l'instant, vous semblez être en marge de cet accord politique.

R. Hue : Mais nous ne souhaitons pas avoir d'accord politique de circonscription avec le Parti socialiste. Chacun le sait bien.

J. Dorville : Un accord politique sur un projet de gouvernement ?

R. Hue : Nous avons dit qu'il fallait trouver les conditions pour que les bases d'un engagement commun puissent se dégager, permettant de montrer aux Français que l'on est capable de mettre en œuvre une vraie politique de gauche. J'aspire à ce que cette base commune puisse voir le jour. Dans l'immédiat, ce n'est pas à l'ordre du jour dans la mesure où des obstacles importants restent posés dans nos rapports avec le Parti socialiste.

J. Dorville : Essentiellement la monnaie unique européenne ?

R. Hue : Oui. Nous pensons qu'avec la monnaie unique, il ne s'agit pas d'un projet seulement monétaire mais d'un projet politique ultralibéral ! Et nous disons au Parti socialiste dans un esprit d'ouverture, unitaire : attention, si vous restez accrochés à cette conception ultralibérale de la monnaie unique, vous ne pourrez pas mettre en œuvre un programme social tel qu'il est avancé aujourd'hui. D'ailleurs, quand on interroge les Français, le scepticisme qu'ils ont par rapport au programme du Parti socialiste tient certainement pour beaucoup, à mon avis, à l'expérience qu'ils ont eu du Parti socialiste au pouvoir mais également au fait qu'ils voient bien qu'il y a antinomie entre cette monnaie unique très dévastatrice, de super austérité pour les Français et, en même temps, les propositions sociales.

J. Dorville : En même temps, les Français plébiscitent cette monnaie unique.

R. Hue : Les Français sont beaucoup plus nuancés que cela ! Les Français, comme le Parti communiste, sont pour une construction européenne. C'est tout à fait évident, il faut une construction européenne. Mais les Français ne sont pas pour la super austérité qu'on leur inflige en ce moment. Regardez comment elle est condamnée dans le pays. Ils ne sont pas pour la disparition de leur souveraineté nationale dans une structure où la Banque centrale européenne dirigerait, au service des marchés financiers, l'essentiel de la politique. Les Français sont pour autre chose. Ce que disent les Français, je voudrais dire que mon sentiment là-dessus est que la monnaie unique est un projet politique trop sérieux pour ne pas être consulté. Et 64 % des Français souhaitent être consultés par voie de référendum sur la question de la monnaie unique. Je ne fais pas aujourd'hui campagne pour un type de réponse à cette consultation. Je dis, au nom de la démocratie, sur cette question qui est essentielle, majeure pour la fin de ce siècle : il faut que les Français soient consultés. Et c'est le sens d'un accord que les communistes ont réalisé également avec le Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement pour que l'on obtienne ce référendum. Le PC en ce qui me concerne, s'engage dans une campagne pour obtenir un million de signatures pour ce référendum.

J. Dorville : Au fond, ce que vous mettez en cause, c'est la conception de gouvernement de Lionel Jospin, ce réalisme de gauche qu'il veut promouvoir ?

R. Hue : Non, ce que je veux dire c'est : attention aux promesses que l'on fait aujourd'hui et qu'on ne pourrait pas tenir demain...

J. Dorville : C'est ce que dit Laurent Fabius aussi, mais dans un autre sens.

R. Hue : Peut-être mais, en tous les cas, ce qui est certain pour moi, c'est que le pire dans un pays comme le nôtre, c'est de promettre des choses que l'on ne tiendra pas au pouvoir. Or, faire des promesses sociales en restant accroché au carcan de la monnaie unique, c'est pratiquement s'engager à ne pas les tenir. Je ne peux pas accepter cela.

J. Dorville : On a l'impression de la part du PC depuis son XXIXe congrès, d'une certaine crispation. À l'époque, vous envisagiez la participation de ministres communistes à un gouvernement éventuel de gauche, aujourd'hui, cela paraît beaucoup plus difficile ?

R. Hue : Non, je reste complètement sur cette orientation choisie par le PC – la volonté des communistes de participer au gouvernement de la France mais pour faire une vraie politique de gauche. Les communistes ne veulent pas d'hégémonie, ils veulent simplement apporter du sang neuf qui va permettre effectivement à la gauche d'être bien à gauche. On voit bien que dans nos propositions, il y aura une certaine radicalité, une volonté de satisfaire de grandes revendications sociales dans ce pays. On pense qu'il faut s'attaquer profondément à cet argent spéculatif qui gêne terriblement les mouvements dans la société française. C'est l'apport des communistes dans cette bataille et ça sera tout le sens d'ailleurs des assises pour le changement en 1998 que nous proposons de lancer à partir de mars.


RTL : vendredi 31 janvier 1997

O. Mazerolle : Les dépenses de santé ont progressé de 2,3 % l'année dernière, une progression modérée. Est-ce que ça ne justifie pas a posteriori la pression exercée sur les médecins ?

R. Hue : Je vois bien cette progression effectivement, mais en même temps je vois la situation dans laquelle, d'une façon générale, se trouve notre système de santé en France. Les restrictions budgétaires qui ont été engagées, notamment au plan de la santé, se traduisent, je pense dans les hôpitaux, par... J'ai été la semaine dernière manifester dans mon département avec les hospitaliers d'Argenteuil, qui voient leur budget réduit, avec des mises en cause des conditions de travail dans les hôpitaux. Il n'y a pas amélioration à mon avis en la matière, mais au contraire il y a des difficultés supplémentaires.

O. Mazerolle : Il n'y a pas eu de désastre tout de même pour les patients, pour les malades ?

R. Hue : Écoutez, je pense qu'on ne peut pas imaginer ces questions, regarder ces questions, simplement sur un exercice. Il faut voir d'une façon générale. Mais, aujourd'hui, il y a beaucoup de Français qui ne peuvent pas se soigner, du fait d'une situation sociale très difficile.

O. Mazerolle : La grève d'hier à la SNCF a été moins suivie que les précédentes. N'est-ce pas le signe que quelque chose change dans les esprits ?

R. Hue : Non, je pense que la grève a été suivie...

O. Mazerolle : Moins que les précédentes.

R. Hue : Oui, mais ce n'est pas la même situation. Il y a un climat social qui peut à tout moment connaître de très vives tensions. Et chez les salariés – on le voit avec la SNCF – on note qu'il n'y a pas de repli, il n'y a pas de résignation, mais au contraire une forte volonté de riposte. Elle est d'autant plus évidente cette volonté de riposte que l'on voit les résultats. J'entendais tout à l'heure Jean-Yves Hollinger évoquer les progressions des résultats des entreprises. Les profits boursiers augmentent de 25,26 %. C'est énorme ! Et pendant ce temps-là, les salaires continuent de stagner, voire de régresser. Je pense que, d'ailleurs, dans cette situation, de tels résultats vont encourager les salariés à demander des augmentations de salaires, ce qui pourrait contribuer, s'ils étaient entendus, à une relance de la croissance dans ce pays.

O. Mazerolle : Vous ne croyez pas que – certes les choses grincent, il y a des protestations –, peu à peu, les réformes entrent en vigueur ?

R. Hue : Je crois qu'il y a beaucoup de résolutions à ne pas accepter les choses en l'état. Vous évoquiez la SNCF, je crois que cette réforme de la SNCF qui est une véritable remise en cause – si elle était appliquée – du service public ne passera pas. Les cheminots demandent à être consultés.

O. Mazerolle : Ils ne sont pas mobilisés comme en 1995.

R. Hue : Il y a une bonne mobilisation et je note, comme en 1995, qu'il y a un soutien de leur démarche par l'opinion.

O. Mazerolle : Vous croyez ? Vous croyez que mercredi prochain, jour de départ en vacances scolaires, les usagers seront satisfaits de la grève ?

R. Hue : On a beaucoup misé ces derniers temps, ces dernières années, sur un mécontentement de l'opinion par rapport à ces mouvements de grève. Mais l'opinion publique s'identifie à ces salariés en lutte et je crois qu'il y a, au contraire, une prise en compte des choses. On voit qu'on pourrait être dans celte situation. L'exemple du Crédit foncier de France est aussi probant en la matière. Nous avons là une détermination des personnels, face à un plan qui voulait les réduire. Et il y a beaucoup d'imagination, beaucoup de dynamisme. Je crois qu'il faut voir qu'aujourd'hui les salariés français, le monde du travail, et pas seulement, entendent riposter à ces mauvais coups.

O. Mazerolle : Quel objectif poursuivez-vous pour votre parti : être finalement le relais des luttes sociales ou bien gouverner ? On n'arrive pas bien à y voir clair.

R. Hue : Le PC a pour fonction politique, en quelque sorte, à la fois d'être porteur de la révolte, de la protestation populaire, mais pas seulement. Il s'inscrit aussi dans la volonté de mettre en œuvre, au gouvernement, avec d'autres, une politique différente.

O. Mazerolle : On peut porter des aspirations populaires, comme vous dites, et gouverner ?

R. Hue : Absolument. Je pense même qu'on peut être au gouvernement, les relais citoyens de ces luttes, de ces revendications. On est au gouvernement en fonction de ce que souhaitent les citoyens ; on n'est pas là pour gérer une carrière. Je crois donc, en effet, que la fonction du PC est à la fois protestataire, de soutien au mouvement social, mais en même temps, c'est aussi être porteur dans un pouvoir politique des choix nécessaires.

O. Mazerolle : Le terme « réalisme de gauche » de Lionel Jospin vous ne l'aimez pas alors ?

R. Hue : Mais « le réalisme de gauche » si c'est trouver toutes les conditions au pouvoir pour ne pas mettre en œuvre une politique de gauche, ça je ne suis pas d'accord.

O. Mazerolle : Il dit : « Il ne faut pas promettre l'impossible. »

R. Hue : Mais bien sûr, je suis d'accord. Il ne faut pas promettre l'impossible, mais ce qu'on promet il faut le tenir. Donc, il faut avoir le courage de s'attaquer à des choix fondamentaux qui sont ceux de l'argent dans cette société, qui doivent, à mon avis, aussi prendre en compte la situation qu'engendre une politique allant à la monnaie unique. Autant d'éléments qui participent d'un réalisme, mais c'est le réalisme du courage. C'est celui de dire : on va au gouvernement pour faire une vraie politique de gauche. Les communistes entendent, du reste, dans cette démarche, être porteurs du sang neuf nécessaire à la gauche.

O. Mazerolle : Avant-hier, à ce micro, Lionel Jospin disait : « Malgré la divergence sur la monnaie unique, un terrain d'entente doit être possible entre le PS et le PC. » C'est aussi votre avis ?

R. Hue : Le PC s'inscrit dans une démarche constructive. Il fera tout ce qu'il est nécessaire de faire pour que la gauche puisse, au pouvoir, mettre en œuvre une politique de gauche. Ça veut dire qu'il fera tout pour que se construise une alternative progressiste. Cela dit, il faut bien voir que la question de l'Europe, notamment de la monnaie unique – pas l'Europe en soi car le PC est fondamentalement pour la construction européenne mais pas celle-là, pas l'Europe ultralibérale. Donc là, il y a un obstacle à surmonter.

O. Mazerolle : Est-ce un obstacle qui empêche tout autre accord ou bien, malgré cet obstacle vous y arriverez ?

R. Hue : Si on en reste aux simples discussions d'état-major, ça pourrait apparaître indépassable. Mais je crois à l'intervention des citoyens, au fait que si les citoyens s'en mêlent, bien des choses peuvent avancer. Regardez par exemple comment, au moment des mouvements de fin décembre 1995, il y a eu la poussée pour les 35 heures hebdomadaires sans diminution de salaire. C'est devenu aujourd'hui une revendication du PS, et elle ne l'était pas à l'époque. Ce mouvement fait avancer les choses.

O. Mazerolle : Vous souhaitez un référendum sur la monnaie unique et l'Humanité dimanche propose aujourd'hui le résultat d'un sondage CSA : 67 % des Français sont favorables au référendum sur la monnaie unique mais ils sont aussi 61 % à dire qu'ils sont aussi pour la monnaie unique, confirmant en cela d'autres sondages antérieurs. À quoi ça servirait un référendum dans ces conditions ?

R. Hue : Un référendum servirait à ceci : avec la monnaie unique, nous avons affaire à un des problèmes majeurs de la vie politique de cette fin de siècle, pour notre pays, pour l'Europe. Sur une telle question, on ne peut pas laisser les Français sans intervenir. Il faut que les Français soient consultés. D'abord, à 67 % ils souhaitent être consultés par référendum. Alors vous allez me dire : mais voyez, ils voteraient pour la monnaie unique. Eh bien moi ça ne me pose pas de problème. Je pense qu'un grand débat national permettant d'éclairer sur la monnaie unique, montrant que cette monnaie unique ne correspond pas à ce qu'il faut – mais qu'il faut un autre type d'instrument monétaire –, permettrait d'avancer. Et d'ailleurs, c'est ce que je dirai dans un meeting important que nous allons tenir avec Jean-Pierre Chevènement à la Mutualité le 19 février prochain, puisque nous sommes d'accord pour avancer dans ce sens.

O. Mazerolle : Un mot sur l'Algérie, la terreur, les morts. Croyez-vous que les islamistes doivent pouvoir participer aux élections en Algérie ?

R. Hue : Je pense qu'il faut vraiment réagir avec la plus grande fermeté à cette sauvagerie inouïe dans laquelle les intégristes se sont totalement engagés. Et je suis sans concession à leur égard.

O. Mazerolle : Donc, ils ne doivent pas participer ?

R. Hue : Je pense que renvoyer le pouvoir et les extrémistes dos à dos n'est pas une bonne politique. Il y a dans ce pouvoir, en Algérie, des choses qui ne vont pas du tout, comme la mise en cause des libertés. Mais ça ne doit pas conduire à aller dans le sens d'une présence des extrémistes et des intégristes. Oui, je pense qu'aujourd'hui il ne faut absolument pas laisser la possibilité à des formations politiques qui entraînent les tragédies que l'on connaît en Algérie participer aux élections. Je suis en désaccord avec ce qui a été annoncé hier par Valéry Giscard d'Estaing.