Texte intégral
Q. Commençons par l’affaire Elf et ses conséquences. Dans le Figaro, R. Dumas commence en effet à s’expliquer. Il nie toute implication dans un dossier d’abus de biens sociaux. Il sera entendu par les deux juges le 18 Mars, ou avant. Peut-être refusera t-il de s’exprimer devant elles. En tout cas, il réclame sa comparution devant la Cour de justice de la République. Quel est votre avis ?
R. « Il faut s’exprimer, me dites-vous, je dirais hélas, parce que voilà un dossier dont je ne connais rien. Voilà une instruction qui est censée être secrète et qui est dévoilée jour après jour. Voilà une affaire qui abasourdit tous ceux qui regardent cela. On est abasourdi par les mises en cause et les pratiques rapportées. On est abasourdi d’apprendre par la presse et par le menu, les éléments d’une instruction censée être secrète. On est abasourdi d’apprendre les convocations avant même qu’elles ne soient parties. Jusqu’à présent, on savait que quelqu’un était entendu. Maintenant on sait la date à laquelle il va être entendu. Toutes choses sur lesquelles, théoriquement, en tant que responsable politique, n’ayant pas accès au dossier, et devant respecter la présomption d’innocence, je ne devrais faire aucun commentaire. »
Q. Et cependant ?
R. « Cependant, c’est étalé complaisamment. Alors je dirais qu’en conclusion, la théorie à laquelle je tiens, c’est le respect de la présomption d’innocence, parce que vous vous rendez compte, si jamais R. Dumas est innocent après tout, je n’en sais rien moi, c’est très grave. Et puis en même temps, il y a la pratique, et l’on voit bien que l’institution, le Conseil constitutionnel, aura du mal à être mise de côté de cette affaire. »
Q. R. Dumas a été reçu par le Président de la République, gardien supérieur des institutions. R. Dumas se sent autorisé à citer dans le Figaro, le Président de la République, attaché, dit-il, à la présomption d’innocence. La présomption d’innocence, lui a dit M. Chirac, vaut de la même manière du citoyen ordinaire au Président du Conseil constitutionnel, et il aurait ajouté : tout citoyen est présumé innocent tant qu’il n’est pas condamné.
R. « Je n’étais pas à leur rendez-vous ! Mais la présomption d’innocence, elle vaut par définition pour celui qui en a besoin. Or celui qui en a besoin, c’est celui qui est mis en cause dans une polémique. Il n’en reste pas moins que l’institution Conseil constitutionnel se serait bien passé de cette polémique. Et de ce niveau de polémique. J’ajoute que les déclarations de certains dirigeants socialistes sont très éloquentes sur leurs qualités humaines, et en même temps sur leur façon de faire de la politique. Elf, avant 1993, ce n’est pas les socialistes. M. Dumas, ce n’est pas un ami de M. Mitterrand. D’ailleurs M. Mitterrand n’a pas existé. M. Mitterrand n’a pas compté. Simplement deux septennats où il a permis à tous ces messieurs et dames d’être ministre, de parader, c’était à qui se précipiterait pour aller au pèlerinage avec lui. Maintenant c’est terminé. Mais cela en dit long sur la qualité de certains dirigeants socialistes. »
Q. Mais Elf a existé avant F. Mitterrand et R. Dumas ?
R. « Mais bien sûr, mais vous savez encore une fois, je ne connais rien sur le fond de cette affaire. Vous m’interrogez, je suis embarrassé, parce que, comme l’a très bien dit A. Duhamel ce matin, il y a deux principes qui s’entrechoquent. Celui que le président du Conseil constitutionnel qui aura à juger et décider, il vaut mieux qu’il soit au-dessus de toute polémique naturellement. Et puis la présomption d’innocence qui s’applique pour tout le monde. D’abord pour celui qui en a besoin. »
Q. Une dernière chose : il y avait une habitude sous MM. Bérégovoy et Balladur : tout mis en examen démissionne. Or là, on dit, une mise en examen ne vaut pas condamnation. C’est-à-dire qu’il faudrait attendre qu’éventuellement le président du Conseil constitutionnel soit condamné pour qu’il ait, sauf si sa conscience lui demande de partir, envie de démissionner ?
R. « Je ne veux pas en dire plus. Si vous me demandez simplement si j’étais d’accord avec les pratiques mises en œuvre dans les faits, par le gouvernement d’E. Balladur auquel j’ai eu l’honneur d’appartenir, je vous réponds bien sûr que oui. »
Q. Il faut une réforme de la justice vite, là maintenant ?
R. « Attention, il faut une réforme de la justice oui ; une réforme de la justice vite, non. Parce que c’est l’un des grands problèmes de la justice dans notre pays que de laisser à penser que les seuls problèmes que l’on s’apprête à résoudre sont ceux qui concernent telle ou telle personnalité. »
Q. Voici la ligne droite avant les régionales de dimanche, et la distance est courte. La gauche plurielle réclame pour les régions la majorité dont elle dispose par ailleurs. Est-ce que ce n’est pas logique de lui donner toute la majorité là aussi dans les régions pour qu’elle les gère, et finalement inévitable dans le climat d’aujourd’hui ?
R. « Bien au contraire, moi je voudrais dire à ceux qui nous écoutent, faites bien attention, donner tous les pouvoirs à la gauche, à cette majorité plurielle, c’est prendre le risque de lui donner un blanc-seing, à cette majorité plurielle. Cela commence. Déjà R. Hue demande un grand coup de barre à gauche. Si on leur donne tous les pouvoirs, nous prenons le risque de voir appliquée à la France une politique d’ultra gauche qui est contraire à l’intérêt de la France. Je dis donc à nos électeurs, à tous ceux qui ne sont ni socialistes, ni communistes, ni Verts, et croyez-moi, cela fait du monde, qu’il est temps de se mobiliser pour éviter de donner un blanc-seing à M. Jospin et à sa majorité. Alors comme de surcroît, j’ai observé qu’un certain nombre de ministres avaient tendance à avoir des têtes qui gonflent, s’attribuant ainsi les bons résultats qui sont ceux de la majorité précédente, imaginez un peu s’ils avaient un succès aux régionales, et bien c’est le contribuable qui va déguster. »
Q. Alors vous dites aux vôtres, dimanche, il faut équilibrer.
R. « Je dix à ceux qui sont susceptibles de nous faire confiance, qu’il faut se mobiliser et qu’il faut voter. Et j’ajoute que 36 millions d’électeurs qui se déplacent aux urnes, c’est naturellement une décision politique. »
Q. Est-ce dimanche soir, l’éventuelle ou la probable défaite de la droite sera un coup d’arrêt à la refondation RPR engagée par P. Séguin et vous-même ?
R. « D’abord, je ne m’inscris pas du tout dans une probable défaite. Je respecte plus les électeurs que cela. »
Q. Vous attendez une victoire ?
R. « Oh, vous savez, j’ai tellement attendu avec d’autres un succès au mois de juin, celui-ci comme vous l’avez sans doute noté n’étant pas arrivé, après tout, le parallélisme des formes pourrait aboutir à un résultat inverse pour les socialistes. Simplement, ce que je sais, c’est que le travail de reconquête de l’opinion, de décrédibilisation de la parole politique, de refondation du projet politique de l’opposition prendra du temps, c’est ainsi. »
Q. Qu’est-ce qu’il faudra comme condition et principe pour une renaissance du RPR, et surtout de toute l’opposition ?
R. « Il faut simplement deux choses, c’est plus facile à dire qu’à faire d’ailleurs : que de nouveau, nos électeurs nous comprennent, sachent que nous sommes prêts à défendre les idées, les valeurs et les convictions pour lesquelles ils ont voté, et deuxième chose, plus difficile encore, qu’ils nous croient déterminés une fois revenus aux responsabilités de gouvernement, à faire ce que nous avons dit avant. »
Q. Des idées, un chef, ou des chefs…
R. « La priorité, ce sont des idées, un idéal, des convictions, et la volonté inébranlable de mettre ces convictions, ces idées, cet idéal en pratique une fois revenus au pouvoir. »
Q. On va être obligé de parler du Front national parce que c’est la blessure constante de la droite républicaine et libérale. J.F. Mancel, l’ex-secrétaire général, c’est-à-dire qui avait votre place autrefois, sollicite les voix des électeurs du Front national et des élus Front national. Il trouve le choix d’E. Balladur absurde et il est en contradiction avec la direction du RPR. Il la nargue. Qu’est-ce que l’on lui fait, qu’est-ce que vous lui faites ?
R. « La question n’est pas de savoir si nous sommes nargués ou pas. Il faut être très clair sur cette question, et puisqu’on m’interroge une fois de plus, je vais essayer d’être sans ambiguïté une fois de plus… »
Q. Attendez, « une fois de plus », moi, je m’en passerais, mais c’est parce que vous avez de plus en plus de gens au RPR ou à l’UDF qui ont la tentation d’une alliance avec le Front national ! C. Baur en Picardie, P. Vasseur, maintenant J. F. Mancel…
R. « Je voudrais simplement dire que j’en ai plus qu’assez que l’on nous pose cette question en permanence, car je vous rappelle que si nous avons perdu les élections au mois de juin dernier, c’est par la volonté déterminée des dirigeants du Front national et des dirigeants du Parti socialiste. Il n’y a pas un seul député de l’opposition qui soit élu par la volonté du Front national. Il y en a beaucoup du parti socialiste qui ont été élus, y compris Mme Guigou, par la volonté du Front national. Alors j’aimerais qu’on arrête de dire cela. Nous, nous sommes en quelque sorte plus les victimes que les coupables. »
Q. Alors les coupables, qu’est-ce que vous faîtes ? Vous les laissez faire ou est-ce que vous les sanctionnerez le moment venu ?
R. « Nous avons dit qu’il n’y aurait pas d’alliance avec les dirigeants du Front national pour plusieurs raisons. D’abord, parce que nous n’avons pas les mêmes valeurs. Si je suis pour une politique de l’immigration restrictive, c’est pour des raisons économiques, politiques et sociales, et en rien pour des raisons raciales. Deuxièmement, parce qu’il n’y aura pas d’alliance avec eux parce que nous avons tiré les leçons de juin dernier. Si nous sommes élus dans les régions, ce sera pour mettre en œuvre la politique pour laquelle nous avons été élus. Si nous n’avons pas la majorité relative dans ces régions, et que nous étions candidats à la présidence de ces régions, quelle politique mettrions-nous en œuvre ? Alors, ce serait parfaitement immoral !! Et en revanche, il nous faut nous adresser aux électeurs du Front national, pour leur redire de voter pour le Front national, c’est une impasse qui ne servira qu’à une seule chose : imposer aux régions une majorité socialiste, communiste et verte. Il n’y a donc qu’une seule solution, c’est voter pour l’opposition républicaine, et l’opposition républicaine ne fera pas d’alliance. Quant aux sanctions à l’endroit des uns ou des autres, et bien attendez quelques jours. Nous verrons bien face à leurs responsabilités ce que les uns et les autres feront. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ni P. Séguin, ni l’ensemble des dirigeants du RPR n’ont montré une quelconque faiblesse ces derniers mois sur le sujet. »