Texte intégral
Le Progrès : Que traduit selon vous le mouvement des internes ?
Jean-Marie Spaeth : Il exprime la crise d’identité du monde médical, de la profession de médecin, qui date de bien avant la réforme en cours de la Sécurité sociale : une démographie pléthorique, un système libéral avec un financement mutualisé, une pratique de plus en plus technicienne, une perte de prestige social. Le vrai problème est que les médecins prétendent ignorer qu’ils sont des agents économiques, comme il y a confusion faite de la part des internes et des médecins entre responsabilité individuelle et collective…
Le Progrès : Confusion volontaire ?
Jean-Marie Spaeth : Oui pour certains syndicats de médecins… C’est tout de même bien collectivement que ces syndicats ont négocié une enveloppe de dépenses médicales, donc l’enveloppe de dépenses médicales, donc l’enveloppe de leurs revenus. La responsabilité économique des professions de santé ne peut être que collective. Sinon, on va vers des quotas d’actes par médecins, et cela, je ne l’accepterai jamais, car c’est ça qui conduirait au rationnement des soins !
Le Progrès : Oui, mais les médecins et les internes refusent toute sanction collective…
Jean-Marie Spaeth : En fait, cette responsabilité économique collective n’a rien à voir avec une sanction. Elle est simplement la base d’un contrat sur des objectifs de dépenses : quand ce contrat est respecté, on demande aux médecins de reverser une partie de leurs revenus, sur la base des caractéristiques de leur pratique individuel. C’est cela, la réforme, la rupture avec les dix-neuf plans précédents de la Sécurité sociale : ne pas toujours pénaliser les mêmes, les assurés sociaux, quand il y a des problèmes ! Ça choque peut-être les médecins, mais les assurés sociaux ont aussi des revendications à faire valoir – et nous, la caisse d’assurance maladie, nous sommes là pour les défendre.
Le Progrès : Si vous représentez les assurés sociaux pourquoi l’opinion prend-elle le parti des internes ?
Jean-Marie Spaeth : Je n’en suis pas du tout convaincu : les organisations syndicales comme la CGT ou FO, qui ont essayé de mobiliser les assurés avec les internes, n’ont pas rencontré un succès fabuleux ! Les médecins installés savent bien que dépenser plus ne signifie pas soigner mieux. Les internes sont sympathiques, chacun connaît leur rôle indispensable à l’hôpital, et il est normal qu’ils défendent leurs futurs revenus de médecin – mais moi, je dois défendre les assurés sociaux.
Le Progrès : Mais vous défendez les assurés, ou le « plan Juppé » de réforme de la sécurité sociale ?
Jean-Marie Spaeth : Que certains syndicats de médecins fassent de la politique, qu’ils s’estiment trompés par Jacques Chirac ou Alain Juppé, c’est leur problème. Moi, je ne fais pas de politique, et j’ai milité pour une claire répartition des rôles entre pouvoir politique et caisses de Sécurité sociale. Cette réforme de la Sécurité sociale, je la revendique comme garantie de survie de la Sécurité sociale, qui ne peut vivre indéfiniment à crédit. Et cela implique que les financeurs, les assurés sociaux, aient leur mot à dire, ce que les médecins ont du mal à admettre.
Le Progrès : Vous revendiquez aussi les restrictions budgétaires des hôpitaux ?
Jean-Marie Spaeth : Je revendique la nécessité d’une évolution de l’hôpital, dans l’intérêt des malades et de la qualité des soins. Savez-vous qu’il y a en France près de deux-cents hôpitaux ne comptant qu’un seul chirurgien ? Comment croire qu’avec un chirurgien, on a la compétence que requiert la multiplication des techniques opératoires ? La solution n’est pas de fermer tel ou tel hôpital, mais de faire preuve d’imagination, par exemple en spécialisant mieux les établissements. On est face à un paradoxe : quand l’État décide de fermer un hôpital dans une ville moyenne, les habitants se mobilisent ; mais des enquêtes de la CNAM montrent que ces mêmes habitants vont se faire soigner au CHU (Centre hospitalier universitaire) de la grande ville, et pas dans leur hôpital local ! Ils font une différence entre leur hôpital, l’entreprise assurant l’emploi dans leur ville, et l’hôpital pour être soigné avec toutes les garanties de qualité. C’est logique, normal, mais mon rôle est de concilier ce paradoxe, de faire la synthèse entre les attentes contradictoires des assurés, qui veulent payer moins, et des malades, qui veulent être bien soigné. Le problème est quel les médecins jouent habituellement de cette contradiction.
Le Progrès : Tout cela n’empêche pas le déficit de se creuser…
Jean-Marie Spaeth : Le déficit de l’assurance maladie devrait cette année dépasser les 30 milliards de francs. Parce que la situation économique pèse à l’évidence sur les recettes. Mais l’effort sur les dépenses est en train de payer : les objectifs ont été tendu en 1996, et l’augmentation a été de 0 % en janvier, de 0,1 % en février … C’est le résultat d’une prise de conscience : on peut soigner mieux sans dépenser plus, en luttant contre les gâchis, en réformant le système.