Interview de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, à France 2 le 2 mars 1998, sur la réforme de la PAC, la loi d'orientation agricole, la pollution agricole et la sécurité sanitaire des produits agricoles.

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Circonstance : Salon international de l'agriculture à Paris du 1er au 8 mars 1998

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

France 2 : Cette année est une année particulièrement importante pour l’agriculture française parce que c’est celle de la réforme de la politique agricole commune. C’est une reforme que les agriculteurs redoutent avec quelques raisons, semble-t-il ?

Louis Le Pensec : Je partage une grande part de leur appréhension dans la mesure où la proposition qui leur est faite est de réduire de manière excessive ce que l’on appelle les prix garantis : par exemple, pour les productions bovines de plus de 50 %. C’est donc un choc, c’est dire que nous nous engageons là au cours des mois qui viennent dans une négociation particulièrement difficile que nous entendons conduire avec détermination, en parlant d’une voie forte.

France 2 : Parce que sur ce thème entre le président de la République, dont on sait qu’il est très sensible aux problèmes de l’agriculture, et vous, le Gouvernement, il y a une vraie convergence ?

Louis Le Pensec : Il va sans dire que nous sommes là en présence de ce que j’appelle une question stratégique et que, dans un contexte de cette nature, la voix de la France sera unie. J’aurai l’occasion dès le 31 mars de dire la position française par rapport à ce qu’on appelle le « paquet Santer » et de dire en quoi ces propositions sont en l’état du texte inacceptables, parce que ce serait engager dans des voies trop incertaines l’avenir de notre agriculture et donc la première nation agricole de l’Europe ne saurait entrer ainsi dans le prochain siècle en sapant les bases de ce qui a fait toute la vitalité du monde rural et le succès de nos productions agricoles et agro-alimentaires.

France 2 : Quelle est votre marge de manœuvre sur cette négociation ?

Louis Le Pensec : Tout d’abord, c’est une négociation à quinze. Nous avons, avec un certain nombre de pays, des analyses similaires. Nous avons la conviction qu’il est possible et qu’il faudra infléchir les propositions et j’ai pour ma part bon espoir avec la détermination de tous les niveaux de l’État et aussi avec le soutien du monde agricole de faire que la Commission et donc les quinze prennent en compte ce qui est l’identité de l’agriculture française.

France 2 : On est là au milieu de l’élevage : c’est effectivement ce secteur qui risque de souffrir le plus de cette réforme, plus que les céréaliers, par exemple ?

Louis Le Pensec : Beaucoup plus dans la mesure où la baisse de prix qui leur est demandée est tout de même très importante : moins 50 %. Au sein de cette catégorie, c’est ce qu’on appelle l’élevage extensif qui est un peu dans l’œil du cyclone actuellement. C’est de ce point de vue que nous entendons bien apporter pour l’avenir des garanties dans la mesure où il signifie une occupation harmonieuse du territoire.

France 2 : Vous allez présenter bientôt une nouvelle loi d’orientation agricole : est-ce que cela peut être une forme de réponse ou en tout cas d’anticipation à cette réforme de la politique agricole commune ?

Louis Le Pensec : Le calendrier fait qu’elle arrivera au printemps et j’espère qu’elle sera votée au printemps : la France avait souhaité à l’orée du prochain siècle signer un nouveau contrat avec ses paysans, c’est-à-dire reconnaître que le métier d’agriculteur consiste bien sûr à produire des biens de qualité, mais consiste aussi à répondre à un certain nombre d’attentes que formule la société à l’égard du monde rural, c’est-à-dire une meilleure gestion des ressources naturelles, une protection de l’environnement, produire des biens identifiés, authentiques. C’est tout cela l’esprit d’une loi d’orientation.

France 2 : En la matière, il y a un avant-goût avec peut-être la circulaire Le Pensec-Voynet ou Voynet-Le Pensec – je ne sais pas dans quel ordre il faut le dire – qui concerne la Bretagne et qui concerne plus particulièrement les problèmes liés à la production agricole et à la pollution en Bretagne.

Louis Le Pensec : Alors considérons qu’elle concerne l’ensemble de la France, mais que la Bretagne nous offre une illustration des excès de l’agriculture productiviste et qu’il nous a fallu prendre à bras le corps le dossier de ce qu’on appelle la résorption des effluents et des excédents d’élevage.

France 2 : Cela veut dire quoi : les pollueurs seront les payeurs ? C’est cela l’idée ?

Louis Le Pensec : C’est l’application de ce principe à compter de l’an prochain. Mais le deuxième objectif était de permettre aussi des installations de jeunes et le développement d’exploitations insuffisamment développées.

France 2 : Cela veut dire que, concrètement, un éleveur de porcs breton – hypothèse d’école – qui pollue sera obligé de payer ?

Louis Le Pensec : Le principe est celui-là, mais l’obligation sera différente bien évidemment selon la taille de l’élevage et selon le degré de gravité où l’on est parvenu.

France 2 : Ce salon est aussi très marqué par la sécurité sanitaire au sens large – il y a eu l’affaire de la vache folle, il y a encore l’affaire de la vache folle –, il y a le maïs transgénique : quelle réponse peut-on apporter à ces préoccupations du consommateur ?

Louis Le Pensec : Il y a un principe-clé qui est en ce domaine l’application du principe de précaution, c’est-à-dire apporter aux consommateurs la garantie que les produits qu’ils consomment soient clairement identifiés, qu’ils soient l’expression d’une authenticité, d’un terroir.

France 2 : C’est ce qu’on appelle la traçabilité en termes un peu techniques ?

Louis Le Pensec : Le principe est celui de la traçabilité : une garantie totale qui fait que le consommateur se réconcilie avec les productions agricoles dans la mesure où il saurait – de l’étable à la table – parfaitement identifier le produit qu’il consomme. Et je crois que ce salon est une exceptionnelle occasion de répondre aux attentes des consommateurs car c’est cela qui fondera l’agriculture de l’avenir.