Déclaration de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur la concertation au niveau régional pour l'aménagement et la réduction du temps de travail en faveur de l'emploi, Rennes le 24 octobre 1996.

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Circonstance : Forum régional sur la réorganisation du temps de travail à Rennes le 24 octobre 1996

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,

Le moment est maintenant venu pour moi de conclure ces quelques heures de témoignages et de débat autour du thème de la réorganisation du temps de travail.

Je suis heureux de pouvoir constater au terme de ce premier forum régional qu'il a tenu toutes ses promesses et répondu à mes attentes.

En concevant l'idée de ces forums et en demandant aux directeurs régionaux du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de les organiser avec l'appui d'Hervé Serieyx et de Gabrielle Rolland, je poursuivais un objectif simple : susciter un débat concret qui contribue à donner un coup d'accélérateur à la réorganisation du temps de travail ; un débat qui s'appuie sur des exemples tirés de la réalité de la vie des entreprises et qui ne se noie pas dans des querelles théoriques.

I. – Car, il nous faut aujourd'hui, « changer de braquet » dans la course de fond qu'est la réorganisation du temps de travail.

Bien sûr, la situation de l'emploi nous y invite de façon pressante. Le couplage de l'aménagement et de la réduction du temps de travail peut produire un double effet favorable à l'emploi : un effet direct découlant des créations ou des stabilisations d'emplois associées à l'aménagement, un effet indirect résultant du surcroît d'efficience et de compétitivité qu'il procure à l'entreprise. Et nombreuses sont déjà les entreprises qui, comme celles qui ont bien voulu témoigner cet après-midi, ont su s'appuyer sur la réorganisation pour créer de nouveaux emplois, mais aussi pour stabiliser les emplois existants en transformant par exemple des contrats d'intérim ou à durée déterminée en contrats à durée indéterminée.

Mais pour autant, je mets en garde contre une vision trompeuse qui ferait de la réduction du temps de travail un remède miracle à court terme, une sorte de panacée face au chômage.

D'une part, en effet, la réduction du temps de travail n'est pas le seul instrument d'une politique pour l'emploi, c'est-à-dire d'une politique qui cherche à la fois à développer l'activité économique et à accroître le contenu en emplois de la croissance. Il faut aussi manier simultanément d'autres leviers : développement des compétences par la formation tout au long de la vie, soutien à la création et au progrès technologique des PME, encouragement aux activités de service aux personnes et aux collectivités sur une base de proximité, allégement du coût du travail, en particulier pour les bas salaires, simplification et activation des politiques du marché du travail.

Mais d'autre part et surtout, il nous faut aborder ensemble la réorganisation du temps de travail non pas comme je ne sais quel gadget conjoncturel mais comme un grand chantier d'avenir. Une ambition collective qui mettra nos entreprises et notre pays en meilleure position à l'horizon de l'an 2000, surtout si elle se conjugue dans le même temps avec un vigoureux effort de développement de la formation tout au long de la vie.

La réorganisation du temps de travail est un chantier de moyen terme car elle est au carrefour de l'organisation de l'entreprise et de l'organisation de la vie des individus et de la vie en société. Elle l'est aussi parce qu'elle peut faire converger dans la négociation trois grands objectifs : la création et la stabilisation de l'emploi, la compétitivité et la réactivité des entreprises, enfin la qualité des conditions de travail et de vie des salariés, qui ne doit pas être laissée pour compte dans la réorganisation, mais doit au contraire y trouver son compte.

C'est sur ces bases que nous devons aujourd'hui nous retrousser les manches pour donner un coup d'accélérateur au mouvement. Mais nous devons travailler dans la durée, avec la volonté de favoriser ou de conduire des réorganisations authentiques, durables, mûrement réfléchies, avec le souci d'éviter au contraire des approches cosmétiques issus de projets hâtifs qui seraient mal préparés, et insuffisamment discutés au préalable dans l'entreprise, voire de projets artificiels conçus avant tout pour obtenir le bénéfice d'une aide financière.

Ce défi ne peut être relevé qu'en s'appuyant sur le dialogue social : au niveau de l'interprofession et des branches qui peuvent fixer des orientations et combler des vides, mais aussi et surtout au niveau de l'entreprise elle-même voire de ses établissements, car c'est sur le terrain qu'on peut vraiment ajuster des solutions qui rendent la réorganisation du temps de travail bénéfique pour tous les acteurs : les entreprises, leurs salariés et la collectivité dans son ensemble. C'est aussi à ce niveau que l'on peut décliner la gamme des dispositifs, qu'il s'agisse de l'annualisation couplée avec de la réduction, qui a été particulièrement à l'honneur cet après-midi, mais aussi par exemple de formules de temps partiel ou de compte épargne temps.

II. J'ai la ferme volonté de mobiliser mes services pour appuyer toutes les transformations qui sont ou seront engagées sur ces bases, et l'organisation de ces forums se veut un témoignage de cette mobilisation.

Bien sûr, les services doivent continuer par vocation, à veiller au respect des règles protectrices les plus essentielles, non pas pour sanctionner à la lettre le moindre écart par rapport à la loi mais pour faire respecter un minimum de déontologie du temps de travail en luttant contre les abus les plus manifestes ou les dérives les plus perturbatrices, qui risquent de compromettre la réorganisation en lui donnant le visage de la précarité ou de l'arbitraire.

Mais les services doivent aussi favoriser les transformations concertées, en accompagnant ce grand mouvement de modernisation dont les chefs d'entreprise, les représentants des salariés et les salariés eux-mêmes, cadres ou non cadres, doivent être les acteurs.

C'est pourquoi, l'action du ministère va se déployer encore davantage pour diffuser l'information sur les dispositifs, pour faciliter l'accès au diagnostic et au conseil et pour soutenir avec discernement l'utilisation des aides financières, qu'il s'agisse des aides au passage au temps partiel, aujourd'hui très puissantes, ou de l'aide à la réduction collective issue de la loi du 11 juin 1996, dite de Robien.

Les partenaires de la vie de l'entreprise doivent savoir qu'ils peuvent compter sur tous ces appuis s'ils décident de s'engager dans une réorganisation.

III. Mais bien entendu, ce sont les acteurs sociaux eux-mêmes qui doivent faire vivre ces démarches de réorganisation :

Chefs d'entreprise encore perplexes qui hésitent à se détacher des flexibilités rudimentaires, comme l'usage permanent des heures supplémentaires ou le chômage partiel, pour franchir le cap de la réorganisation ; représentants des salariés qui s'interrogent sur le degré de compensation salariale admissible ou sur la réalité de l'impact emploi des réorganisations ; cadres qui reculent à l'idée de réorganiser leurs services et se demandent s'ils bénéficieront eux-mêmes des contreparties associées à la modification des rythmes de travail ; salariés qui souhaitent pouvoir mieux concilier les nouveaux horaires collectifs ou le temps partiel avec leurs charges de famille, et limiter l'impact de la réduction du temps de travail sur leurs revenus ou sur leur future pension de retraite.

À toutes ces personnes ou ces groupes qu'il faut aujourd'hui convaincre et entraîner dans un mouvement de réorganisation, je recommande de tourner le regard vers d'autres collègues, amis ou concurrents qui ont franchi le pas en s'engageant dans des réorganisations, comme c'est le cas des entreprises qui ont témoigné aujourd'hui.

Il s'agit d'abord d'écouter ceux qui ont acquis une expérience dans ce domaine. Non pas en escomptant trouver une solution unique, car dans le domaine de la réorganisation du temps de travail, il y a autant de solutions que de situations, c'est-à-dire une infinité ; non pas en espérant tomber sur une solution toute faite, car les formules d'aménagement et réduction du temps de travail sont à construire et à adapter dans chaque entreprise en fonction de sa spécificité.

Il s'agit, de façon plus modeste et plus réaliste, de prendre conscience que les difficultés inévitables d'une telle démarche peuvent être surmontées, et qu'une réorganisation bien conçue et conduite peut engendrer en définitive des bienfaits très substantiels pour la compétitivité de l'entreprise, la qualité de vie des individus et le redressement de l'emploi.

Voilà pourquoi je souhaitais que ces forums régionaux aient lieu, en automne qui est un moment clé pour la négociation sur le temps de travail, avant la nouvelle réunion entre le gouvernement et les partenaires sociaux qui se tiendra d'ici la fin de l'année, pour faire le point sur l'état d'avancement des négociations à tous les niveaux.

Je remercie Hervé Serieyx et Gabrielle Rolland pour leur concours et pour la qualité des liens de confiance qu'ils ont su établir en quelques semaines avec les agents de mon ministère.

Je remercie aussi les employeurs et les représentants du personnel des quatre entreprises qui ont accepté de venir aujourd'hui nous présenter leurs démarches, leurs difficultés, leurs résultats.

Pour conclure, je souhaite que la nombreuse assistance qui est venue aujourd'hui ait pu trouver dans ce temps d'écoute et de dialogue des raisons supplémentaires de réfléchir et d'agir en matière de temps de travail.

J'espère que vous ne partirez pas seulement avec un livre blanc en mains, mais aussi avec l'idée d'ouvrir le dossier dans vos entreprises. Si ce forum a cet effet, il aura atteint son objectif.