Interviews de MM. Jean-Michel Baylet, président du Parti radical socialiste, Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, et de Mme Dominique Voynet, porte-parole du mouvement Les Verts, dans "L'Humanité" du 30 mai 1997, sur les résultats du premier tour des élections législatives 1997 et les priorités de la gauche en cas de victoire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives des 25 mai 1997 et 1er juin 1997

Média : L'Humanité

Texte intégral

Jean-Michel Baylet : nous ne devons pas décevoir

L’Humanité : Selon vous, quel a été le message des électeurs au premier tour des législatives ? Quel est votre message en vue du second tour ?

Jean-Michel Baylet : Dimanche dernier, les électrices et les électeurs ont sanctionné le gouvernement et sa majorité parlementaire, et ils ont rejeté la politique économique et sociale menée sans succès depuis quatre années. La déroute des candidats de droite se poursuit avec l’abandon du premier ministre en pleine campagne pour le second tour. On ne peut trouver de signe d’échec plus patent.

Le président de la République, enfin, adressant à la nation un tissu de généralités sans dessiner de perspective claire ni désigner un nouveau cap, tendant d’effrayer les Françaises et les Français sur le retour de la gauche au pouvoir, a en quelque sorte jeté lui-même l’éponge.

Manœuvre de dernière minute, Jacques Chirac a demandé à messieurs Séguin et Madelin de se monter ensemble pour quelques effets de tribune qui ne tromperont pas nos concitoyens. L’alliance de bonapartisme et d’ultralibéralisme, le mariage de la carpe et du lapin, ne peut faire illusion.

La gauche de son côté n’a pas changé de cap. Les Françaises et les Français connaissent nos programmes, nos convictions. Ils feront leur choix sereinement dimanche, en confirmant le message délivré le 25 mai, en faveur d’un véritable changement dans notre pays.

Les radicaux socialistes participent à cette dynamique. Ils y apportent leur originalité, notamment sur les questions de société, sur la fiscalité et la protection sociale, sur la jeunesse et l’emploi, sur la construction européenne, sur la laïcité et les valeurs de la République.

Il est indispensable que se réalise au second tour le rassemblement le plus large de la gauche. Chacun a sa place dans le mouvement progressiste.

Les radicaux socialistes contribueront activement à ce rassemblement.

L’Humanité : Si la gauche est majoritaire à l’Assemblée nationale dimanche soir, comment envisagez-vous l’avenir ?

Jean-Michel Baylet : La gauche est en mesure de l’emporter dimanche, avec sérénité. Mais si l’on dit que la gauche va gagner, on n’a encore rien dit. Tout reste à faire, et les Françaises et les Français nous attendent sur notre capacité à mettre en œuvre rapidement la politique de changement que nous leur aurons proposée.

N’ayons aucune illusion : nous n’avons pas le droit de décevoir. C’est aussi la raison pour laquelle la gauche n’a fait aucune promesse inconsidérée, aucune proposition qui n’ait été minutieusement étudiée.

Une majorité de gauche à l’Assemblée nationale soutiendra un gouvernement qui sera chargé de conduire cette nouvelle politique.

Je pense, là encore, que les forces du rassemblement doivent œuvrer côte à côte au gouvernement, à condition qu’il y ait un accord clair sur les grandes orientations et les réformes essentielles à engager sur cinq années.

Il ne saurait y avoir ni contrainte ni renoncement. Je pense que cette entente est possible entre socialistes, communistes, radicaux socialistes et Verts.

Mais nous n’en sommes pas là. Je crois vraiment que les quelques heures qui nous séparent du second tour sont cruciales. Il nous faut encore, les uns et les autres, convaincre celles et ceux qui seraient indécis ou qui n’auraient pas eu l’intention d’user de leur droit de vote, droit si chèrement acquis mais aussi devoir critique sans lequel une démocratie active et vivante n’est pas possible.

La gauche doit réussir elle-même cette mobilisation citoyenne, non seulement pour rassembler davantage encore, autour de son projet, mais aussi pour que l’extrême droite, dont les idées se répandent et gangrènent notre société, ne vienne une nouvelle fois suppléer une droite affaiblie et perméable aux pires idéologies.


Jean-Pierre Chevènement : une dynamique qui ouvre d’autres perspectives

L’Humanité : Selon vous, quel a été le message des électeurs au premier tour des législatives ? Quel est votre message en vue du second tour ?

Jean-Pierre Chevènement : Le message est très clair : le peuple français, rassasié de promesses non tenues, a d’abord sanctionné le pouvoir. Le peuple français ne veut pas entrer à l’aveuglette dans l’Europe de Maastricht. Il veut continuer à maîtriser ses choix collectifs. Il n’est pas prêt à abandonner sa monnaie et son modèle de citoyenneté pour un système – l’euro – dont il ne connaît rien et dont il pressent que, confiant tous les pouvoirs aux banquiers et aux technocrates, il creusera encore un peu plus le gouffre du chômage.

Depuis le tournant libéral de 1983, les gouvernements de gauche et de droite perdent régulièrement les élections générales. Ce fut le cas du PS en 1986 (législatives), de Jacques Chirac en 1988 (présidentielle), du PS à nouveau en 1993 (législatives) et d’Édouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995.

La politique dite d’abord du « franc fort » puis de la monnaie unique, menée au nom de « l’Europe » par tous les gouvernements depuis 1983, est une politique qui perd. Elle perd sur le terrain du chômage car l’accrochage du franc au mark – monnaie la plus surévaluée du monde – nous coûte cher en emplois.

Perdant sur le terrain du chômage, cette politique permet l’épanouissement de l’extrême droite. Car, une fois de plus, le FN programme. Il progresse notamment parce beaucoup des électeurs de Chirac qui avaient cru à son discours de 1995 ont l’impression d’avoir été pris pour des « pommes ».

Le nouveau bond en avant de l’extrême droite démontre également que la seule condamnation dite « morale » ne suffit pas à la faire reculer. Tout en ayant approuvé la mobilisation contre le congrès du FN à Strasbourg, le MDC avait alerté l'opinion sur [Illisible]. La monnaie et à la cohésion sociale sur la course à l’euro, serait de nature, en réduisant le chômage, à tarir la source où s’abreuve Le Pen.

Dès lors, le message est clair pour le second tour. La victoire d’une gauche renouvelée est le seul moyen de remettre en cause la politique économique actuelle entièrement sous le contrôle de la ligne ultramaastrichienne, depuis le tournant opéré par Jacques Chirac le 26 octobre 1995, définissant comme priorité la réduction des déficits avant l’emploi.

Les conditions posées au passage à l’euro par le Parti socialiste et le début de la dynamique lancée par l’action du PCF et du MDC pour un nouveau référendum sur le passage à la monnaie unique ouvrent des perspectives. L’Europe ne peut se construire sur les ruines du modèle social républicain et au prix de nouveaux sacrifices pour ceux qui travaillent ou qui voudraient travailler. L’engrenage infernal dans lequel nous entraîne la droite en matière de politique européenne peut et doit être enrayé dimanche par la victoire de la gauche.

L’Humanité : Si la gauche est majoritaire à l’Assemblée nationale dimanche soir, comment envisagez-vous l’avenir ?

Jean-Pierre Chevènement : Comme je viens de le montrer, si l’alternance a beaucoup fonctionné ces dernières années, l’alternative a beaucoup fonctionné ces dernières années, l’alternative – c’est-à-dire une politique économique vraiment différente - reste par contre à inventer. Si la gauche est majoritaire, il lui faudra réussir sur ce point et réussir vite pour convaincre une opinion encore sceptique, car n’oublions pas que sans résultat rapide une nouvelle dissolution dans un an pourrait ramener la droite au pouvoir.

La gestion de la première année du gouvernement sera donc décisive, d’autant que la décision de passage à la monnaie unique devra être prise 1998.

Si les conditions posées par Lionel Jospin au passage à la monnaie unique sont des conditions sine qua non, la gauche devra sans doute assumer une crise en Europe, car les démocrates-chrétiens allemands comme la Commission européenne tenteront de camper sur les accords passés à Dublin autour du pacte de stabilité budgétaire, prolongement du traité de Maastricht, à moins que le chancelier Kohl préfère recourir à des élections anticipées.

Si la gauche veut donner la priorité à l’emploi sur la monnaie, elle ne doit pas craindre une crise qui sera salutaire si elle permet de remettre l’Europe sur de bons rails. Les contradictions qui commencent à se manifester en Allemagne, la victoire travailliste en Angleterre, le souhait des élites italiennes et espagnoles de na pas être reléguées dans l’antichambre, constituent des points d’appuis pour un gouvernement de gauche déterminé à faire bouger la « pensée unique » européenne.

Ce dossier essentiel conditionne tout le reste car sans changement du cadre européen il n’y aura pas de marges de manœuvre pour changer de politique en France.

Pour réussir, la gauche devra s’appuyer sur l’adhésion des citoyens et sur ses diverses composantes. La gauche est plurielle et, au-delà des pesanteurs du PS qui continuent d’ailleurs à s’exprimer, je fais confiance à Lionel Jospin pour ne pas se laisser griser par les seuls résultats bruts des élections qui, compte tenu du mode de scrutin et d’une campagne organisée par les médias autour de l’opposition PS-RPR, surdimensionnent le poids du Parti socialiste. Dans la réalité du pays, le pluralisme de la gauche est solidement ancré.

L’accord sur un contrat de législatives autour d’une claire priorité à la croissance et à l’emploi est possible entre toutes les composantes de la gauche.

Le Mouvement des citoyens, comme d’ailleurs le Parti communiste, apportera beaucoup à la dynamique de la future majorité en termes de propositions. Ils seront aussi les garants du respect des engagements pris devant le peuple.


Lionel Jospin : construire ensemble un nouvel avenir

L’Humanité : Selon vous, quel a été le message des électeurs au premier tour des législatives ? Quel est votre message en vue du second tour ?

Lionel Jospin : Le message du premier tour est très clair : les Français veulent changer de politique et ils veulent changer aussi la manière de faire de la politique.

Ils veulent que cesse cette politique monétariste économique modulée par les marchés financiers et qui fait de l’emploi un solde. Ils veulent qu’on ne sacrifie pas le travail au capital, que l’homme retrouve sa place au cœur de l’économie. Ils veulent que l’on cesse de donner des subventions aux entreprises sans que cela serve l’emploi. Ils veulent aussi que l’on fasse de la politique autrement, c’est-à-dire d’abord que l’on ne trahisse pas les promesses faites, que l’on respecte les citoyens, que l’on n’utilise pas la politique pour s’enrichir, que l’on ne cumule pas les mandats, que l’on donne une juste représentation aux femmes.

Le premier tour est donc un formidable encouragement pour la gauche, pour ses propositions, pour l’ambition qu’elle affiche de construire une France plus juste et plus solidaire mais aussi plus dynamique.

Le message en vue du second tour est simple. C’est celui du rassemblement pour la gauche et les écologistes. Au premier tour, la gauche a choisi de se présenter dans sa diversité, avec ses nuances et ses différences, dans la clarté. Faisant cela elle respectait pleinement les électeurs en leur laissant une complète liberté de choix. Au second tour, grâce aux accords que nous avons passés avec le PCF, le PRS, les Verts, le Mouvement de citoyens, nous nous présentons ensemble, pour construire une nouvelle majorité parlementaire. Le mot d’ordre est donc rassemblement et espoir. Rassemblement autour du candidat de gauche le mieux placé. Espoir de l’emporter et donc d’entreprendre de changer la vie de millions de Français qui souffrent, victimes de la politique gouvernementale.

L’Humanité : Si la gauche est majoritaire à l’Assemblée nationale dimanche soir, comment envisagez-vous l’avenir ?

Lionel Jospin : Si nous gagnons ensemble – je veux dire l’ensemble de la gauche et des Verts – ce second tour, nous serons à même de traduire nos propositions dans les faits, donc de gouverner, de façon cohérente.

Naturellement nous le ferons ensemble – si chacun le souhaite – et là encore dans la clarté. Notre premier objectif sera de respecter nos engagements, d’entamer les réformes qui s’imposent, de proposer des lois qui traduisent clairement le changement.

Je sais que la situation sera difficile car la conjoncture n’est pas aisée et les incertitudes sur notre avenir comme les contraintes extérieures sont pesantes, mais je suis confiant sur nos capacités à redresser la situation. Je crois que notre analyse de la situation est la bonne et notre détermination forte : lutte efficace contre le chômage, relance de la consommation, préparation de l’avenir grâce à la priorité donnée à l’éducation et la recherche, défense et réforme de la Sécurité sociale, amélioration de la situation des plus démunis.

Nous voulons donner un sens aux beaux mots de générosité et de fraternité, mais aussi à ceux de responsabilité et de dynamisme.

Nous voulons rétablir la sécurité pour tous, nous voulons instaurer un État actif et impartial, des services publics modernes et solides. Plus que jamais les mots laïcité, citoyenneté, égalité, ceux qui ont fondé la République, doivent retrouver leur sens. C’est à partir de là que nous voulons reconstruire une France généreuse et solidaire qui joue pleinement son rôle en Europe.

Je crois aussi que nous avons la capacité de construire ensemble ce nouvel avenir parce que nous sommes sincères et nous nous respections les uns les autres.

Mais en attendant, l’heure est à la mobilisation de tous. Pa une voix de gauche ne doit manquer aux candidats de gauche au second tour. Ce sont eux qui incarnent l’espoir.


Dominique Voynet : nous n’avons pas le droit à l’erreur

L’Humanité : Selon vous, quel a été le message des électeurs au premier tour des législatives ? Quel est votre message au vu du second tour ?

Dominique Voynet : Le message du premier tour est riche et complexe. D’abord, les gens ne veulent tout simplement plus de la droite. C’est évident depuis plus d’un an ! Mais c’était masqué depuis un mois par l’hésitation des sondés. Eh bien, ils ont sauté le pas, ils ont voté finalement pour les gauches et les Verts. Malheureusement aussi… pour le FN !

Au sein de la gauche, le PCF progresse légèrement, le PS revient en force mais sans retrouver les résultats de jadis, les Verts sont remis en selle. Ils obtiennent 5,12 % de voix dans les 455 circonscriptions où ils avaient des candidats, ils maintiennent 20 candidats au second tour, dont 9 ont de réelles chances de l’emporter. Les écologistes de droite ou les « chasseurs de primes » sont écrasé. La clarification a payé : comme à l’origine de l’écologie politique, avec René Dumont, l’écologie est de gauche, c’est les Verts. Typiquement, Jean-Luc Bennahmias, investi en Seine-Saint-Denis par les Verts, le PC et le PS, est en position de battre d’un coup et le FN et ce clone de FN dans la droite qu’est Robert Pandraud ! Il en va de même pour Guy Hascoët à Roubaix ou Yves Cochet à Montmorency.

Pour dimanche, un seul mot d’ordre : tous ensemble, changeons de politique. Mais droite plus FN, ça fait encore plus de 50 %. Il reste quelques jours pour convaincre les ouvriers, les retraités, les chômeurs désespérés qu’ils n’ont rien à attendre des fascistes. Le FN est à la pointe extrême de l’offensive ultralibérale. Il prétend sauvegarder la Sécurité sociale mais, en fait, il rêve de la démanteler puisqu’il supprime les charges pour les patrons. Il prétend défendre les services publics et, pourtant, supprimerait les impôts qui permettent de les faire exister. De même, il prétend réserver l’emploi aux Français en chassant les immigrés et leurs familles, mais le taux de chômage ne dépend pas de la taille du pays sinon la Belgique n’aurait presque pas de chômeurs ! Si le FN arrivait au pouvoir, il n’y aurait plus que des chômeurs français. La chasse serait alors ouverte aux Français ayant des noms à consonance étrangère !

L’Humanité : Si la gauche est majoritaire à l’Assemblée nationale dimanche soir, comment envisagez-vous l’avenir ?

Dominique Voynet : Cette « troisième chance » pour la gauche (après 81 et 88) sera sans doute la dernière. Si nous échouons, les classes populaires, écœurées par le chômage, la dégradation de leur cadre de vie, le mépris des grands, les « affaires », n’auront plus qu’une option : le FN. Nous n’avons pas le droit à l’erreur.

Alors, il faut choisir la priorité des priorités : le chômage. Et il n’y a qu’une arme aux effets sûrs et rapides : la réduction massive du temps de travail, les 35 heures toute de suite, les 32 heures dans la durée de la législature avec la semaine de 4 jours. Les 35 heures réduiront le chômage de moitié. Dans chaque famille, il y aura donc moitié moins de chômeurs : le niveau de vie des ménages fera un bond en avant. Ce serait donc une erreur de trop mettre l’accent sur la hausse du salaire individuel de ceux qui ont déjà un emploi. Les gens veulent avant tout un vrai recul du chômage et la sécurité de leur avenir le retour des services publics. Pour financer cela, il faudra une réforme fiscale redistributive, l’abandon des projets ruineux et dangereux comme Superphénix ou le canal Rhin-Rhône, le gel du programme nucléaire, un moratoire sur la construction d’autoroutes qui permettra le réexamen des projets actuels, etc. Enfin, il faudra réformer la vie politique, par la parité hommes-femmes, le non-cumul des mandats, une législation humaine et digne pour les résidents étrangers et notamment le droit de vote aux élections locales.

Mais surtout, surtout, il ne faudra pas refaire 81. Il ne faudra pas s’en remettre uniquement aux députés socialistes, ni même aux députés Verts et communistes. La meilleure garantie sera la mobilisation et la vigilance des électeurs. De ce point de vue, j’ai confiance : les grèves de 1995 et 1996, les mobilisations de cette année contre la loi Debré et contre le FN augurent bien de l’avenir.