Texte intégral
Pour donner un nouvel essor à la formation professionnelle, Michel de Virville propose un « concept car » intéressant par certains de ses éléments, inadapté voir dangereux par d’autres. Faisons l’inventaire des propositions, en attendant de connaître l’avenir que leur réservera le commanditaire Jacques Barroi.
Le 15 octobre, lors d’une conférence de presse tenue au ministère du travail, Michel de Virville a rendu publique son rapport : « 1996 – Donner un élan à la formation professionnelle ».
Il est le fruit d’un travail débuté en novembre 1995 à la demande du ministre du travail et des affaires sociales.
Nous avions déjà, à plusieurs reprises (Fen Hebdo n° 591 – 595) commenté les travaux de la mission de Virville, l’analyse du rapport définitif confirmé les pistes dont nous disposions. Nous analysons ici le rapport en mettant en parallèle ses propositions et les commentaires de la FEN.
Le constat
Après avoir observé une nette progression des dépenses de formation professionnelle continue depuis la loi fondatrice de 1971 (de 0,4 % à 1,5 % du PIB en 20 ans), le rapporteur constate néanmoins que « le système actuel de formation professionnelle ne joue qu’imparfaitement son rôle au service de la cohésion sociale et de la compétitivité économique ».
Les causes, selon de Virville, sont au nombre de deux :
– « la formation continue n’est pas devenue un moyen crédible, alternatif à la formation initiale ». D’accès difficile pour les moins qualifiés, la formation continue apparaît « comme le moyen de maintenir, en fonction des besoins de l’entreprise, la qualification de ceux qui en ont déjà reçu une » :
– les jeunes et leurs familles perçoivent la formation initiale comme « l’occasion privilégiée d’acquérir une formation, générale et professionnelle ». Pour le rapporteur, les poursuites d’études deviennent un objectif en soi. L’entrée dans la vie « active n’est que la conséquence de l’impossibilité de poursuivre des études ».
Le commentaire de la FEN : la réalité du constat ne peut être niée. Dommage que le rapporteur soit muet sur la crise de l’emploi et les modes de recrutement des employeurs privés et publics. Ces deux éléments qui se conjuguent, expliquent pourtant ce que certains stigmatisent : la course aux diplômes et l’exclusion de ceux qui en sont dépourvus.
Les propositions
L’instabilité de l’emploi et du métier, l’accélération des changements de tous ordres, nécessitent la formation tout au long de la vie. Pour cela de Virville propose une transformation de l’organisation de la formation professionnelle qui s’articule autour de « trois convictions principales » ;
– la validation des acquis obtenus par l’expérience professionnelle et la formation continue à égalité des diplômes de la formation initiale ;
– le développement des formations en alternance sous contrat de travail ;
– le développement de la formation continue qualifiante.
Comment de la FEN : nous ajoutons une quatrième conviction exprimée par le rapporteur : l’entreprise est le centre du dispositif de la formation professionnelle. C’est la conséquence d’une approche qui privilégie la qualification, laissant peu de place à l’éducation permanente. Ceci dit, reconnaissons au rapport la pertinence de proposer une série de solutions qui correspondent à des questions concrètes et de pleine actualité. Examinons-les avec plus de détail.
Développer l’alternance sous contrat de travail
Partant du postulat que « toute formation professionnelle suppose une confrontation authentique à des situations formatrices en milieu de travail « Michel de Virville constate qu’elle peut prendre deux formes : l’alternance sous statut scolaire, l’alternance sous contrat de travail.
Bien qu’il ne puisse être pour lui « question d’exclusive » le rapporteur propose « d’accroître très significativement la part des formations en alternance sous contrat de travail », c’est-à-dire l’apprentissage et le contrat de qualification. Les ressources pédagogiques de l’éducation nationale devront être mobilisées à cet effet.
Propositions de Virville
Pour développer l’alternance sous contrat de travail le rapport propose :
– de déterminer entre partenaires sociaux et avec l’État « un objectif collectif national quantifié » (600 000 jeunes en 1999) ;
– de conserver les 2 contrats : apprentissage, qualification, mais rendre identiques leurs caractéristiques statutaires et financières ;
– de faire prendre en charge par l’État le coût de la formation en entreprise (tutorat) ;
– de permettre aux entreprises « l’achat direct de la formation » à l’organisme de formation ;
– de confier aux régions le financement des centres de formation assurant l’apprentissage (c’est déjà le cas), mais aussi ceux participant aux contrats de qualification.
Ces propositions induisent un nouveau dispositif de financement, résumé dans le schéma ci-dessous. En fait, l’employeur pourrait mobiliser ses obligations de financement, assises sur la masse salariale (0,4 de l’alternance + 0,2 de quota apprentissage), pour acheter directement les heures de formation pour son salarié en alternance. Les petites entreprises, dont les réalisations excèdent les capacités de financement, passeraient par un organisme collecteur (mutualisation).
Commentaire de la FEN : s’appuyant sur une pédagogie inductive, les formations en alternance favorisent l’accès à la qualification et l’articulation entre formation initiale et formation continue. Elles sont aussi un outil pour l’insertion professionnelle pour peu que les employeurs y soient encouragés, ce que ne prévoit pas le rapport.
Hypocritement le rapport met en avant les différents modes de formation par alternance mais propose de fait de réduire la part de l’alternance sous statut scolaire.
La proposition formulée par la FEN pour le développement complémentaire des divers statuts de l’alternance, dans le lycée polytechnique, n’a de sens que dans le cadre d’une équité de traitement de chacune d’entre elles, notamment dans les mesures incitatives en direction des employeurs. Ce n’est pas l’orientation choisie par le rapport, commandé il est vrai par le ministre du travail. La proposition de « fondre » le financement des contrats d’apprentissage et de qualification se heurtera à l’opposition des consulaires et les petites entreprises. La CGPME a déjà fait savoir qu’elle « considère d’ores et déjà comme nul et non avenu » le rapport de Virville. La réaction plus nuancée des chambres de commerce et d’industrie est sûrement liée à la proposition faite par le rapport, d’échanger la perte du monopole de la collecte du 0,2 % (quota apprentissage) par une extension de leur compétence sur le reste de la taxe d’apprentissage : le 0,3 % des enseignants techniques et professionnels. Du coup, c’est le service public d’éducation qui est menacé.
Enfin, le schéma ci-dessus le révèle : où sont les principaux intéressés : les jeunes, dans le dispositif.
Développer les formations continues qualifiantes
Constatant que la formation continue, issue du dispositif de 1971, est trop dépendante de l’entreprise et de ses évolutions techniques ou d’organisation, de Virville propose les moyens « d’offrir à chaque salarié la possibilité d’accéder à la formation qualifiante au cours de sa vie professionnelle », parmi ces moyens la reconnaissance de l’expérience professionnelle nous y reviendrons et une réorganisation des financements répartis entre les différents acteurs.
Les propositions De Virville
Séparer le financement de la rémunération du salarié en formation du financement du coût de la formation :
– créer une « épargne temps de formation » (par exemple 3 jours par an pour un salarié à plein temps) pour financer la rémunération du salarié participant à une formation débouchant sur la validation d’une qualification. L’utilisation de l’épargne temps peut être à l’initiative de l’employeur ou du salarié (congé individuel de formation – CIF) ;
– exonérer des charges de sécurité sociale les temps de formation rémunérés hors du poste de travail. Cette nouvelle contribution financière de l’État est similaire à ce qui existe déjà pour les contrats de formation en alternance ;
– réorienter les fonds du congé individuel de formation vers le financement des formations. Le CIF ne couvrant plus la rémunération, tout ou partie de celle-ci ferait l’objet d’un prêt au taux zéro, remboursé ensuite par l’intéressé ;
– ouvrir aux adultes demandeurs d’emploi, l’accès aux contrats d’alternance ;
– développer le bilan de compétences, outil central de toute prestation d’orientation des adultes. Le bilan bénéficiera de toutes les mesures incitatives au même titre que les formations continues qualifiantes.
Commentaire de la FEN : augmenter fortement les possibilités d’accès à la formation continue est louable. Immanquablement se pose le problème du coût et de qui le supporte, de Virville répond ; l’entreprise, le salarié, l’État. Sa proposition d’une « épargne temps de formation » est intéressante car elle peut faire partie du débat sur la réduction du temps de travail. Reste à voir, c’est le rôle de la négociation collective, si l’ensemble de l’architecture proposée ne transfère pas le coût économique de la formation sur les salariés. Enfin, une fois de plus l’État est sollicité, mais uniquement pour financer.
Un dispositif national de validation
La mise en place d’un dispositif national de validation des acquis constitue l’épicentre des propositions formulées par de Virville. Il est convaincu qu’il n’y a pas de formation professionnelle efficace sans « un système de validation des qualifications suffisamment souple et adaptable, mais aussi socialement reconnu », mais réaliser un tel dispositif constitue sans nul doute une œuvre de longue haleine.
Proposition De Virville
Mettre en place un référentiel national des qualifications, construit dans le tripartisme (salarié, employeur, formateur), constitué d’éléments capitalisables, correspondant aux compétences professionnelles de base par branche. Les diplômes, titres homologués et autres certificats de qualification professionnelle doivent trouver leur place dans ce référentiel modulaire.
Rapport de Virville : un concept-car pour la formation professionnelle
Diversifier les modes de validation : examen, contrôle continu, évaluation en situation de travail.
Décentraliser la validation au niveau régional. Sous la responsabilité des régions, des organismes tripartites, délivrent les agréments aux instances de validation. La réglementation reste nationale.
Commentaire de la FN : entre le conservatisme de certains, au rang desquels figure le ministre Bayrou, et la révolution à laquelle nous invite de Virville, une voie moyenne existe. Elle est déjà ouverte par la loi du 20 juillet 1992 qui permet la validation des acquis en situation de travail. Il nous faut poursuivre dans cette voie et favoriser une diversification des modes de validation, sans remettre en cause la reconnaissance sociale de la qualification. De toute évidence, l’éducation et la formation tout au long de la vie, pour lesquelles nous militons, multiplient les modes d’accès au savoir et à la qualification. On ne peut pas rester figé sur un seul modèle de validation et de certification : celui de la formation initiale. Évoluer ou être contourné sont les deux termes de l’alternative auquel service public est confronté dans ce domaine, comme dans celui de la formation.
Qualité de formation
Le rapport reconnaît que les critiques portées sur les formations en alternance concernant « la faible consistance du contenu professionnel » et « l’absence de débouchés » ne sont pas « dénués de tout fondement ». Critique aussi pour les formations professionnelles continues, au regard du manque de « crédibilité de certains établissements de formation ». Pour offrir à tous une garantie de qualité, le rapporteur fait une série de propositions concernant la qualité des formations et la simplification des dispositifs. Nous pointons ici les plus significatifs.
Propositions de Virville
Une charte de la formation doit préciser la responsabilité des 3 partenaires : l’entreprise, le formé et le formateur.
Les régions délivreront l’agrément aux organismes de formation. En fait il s’agit d’une déclaration préalable, le contrôle étant fait a posteriori.
Les compétences de l’inspection de l’apprentissage seront étendues aux contrats de qualification.
Commentaire de la FEN : nous ne pouvons qu’applaudir toutes mesures qui participent à l’amélioration de la qualité de la formation. Malheureusement ce n’est pas le cas de toutes les propositions du rapport qui prévoit notamment que l’État soit dessaisi de la compétence relative à l’agrément des établissements de formation de droit privé.
Alors que de Virville, en préalable, pose un principe (que nous partageons) la « séparation de celui qui valide, de celui qui forme et de celui qui utilise la qualification » il installe la confusion par certains de ses propositions.
En conclusion
Le rapport de Virville peut être considéré comme un pavé dans la mare de la formation. Nous référant à l’activité du rapporteur, secrétaire général de Renault, nous préférons y voir un « concept car » laboratoire d’idées et de solutions qui participe concrètement à la réflexion sur la construction de l’éducation tout au long de la vie. Bien sûr nous ne partageons pas toutes les orientations, même si certaines rejoignent les propositions de l’Union européenne, telle la validation des compétences (Livre Blanc ; enseigner et apprendre vers la société cognitive). Sans faire de procès d’intention, nous pouvons constater que nombre de solutions avancées par de Virville s’articulent autour de la loi du marché et de son parallèle le désengagement (sauf financier) de l’État. De plus celles sont centrées sur les grandes entreprises, mal adaptées à la réalité du tissu économique de notre pays et limitées aux qualifications professionnelles.
A contrario, une partie des orientations nous paraissent bien poser les défis à relever à court terme.
Après le « concept car », le véhicule de grande série sera arrêté par le gouvernement et le parlement. Entre temps, la concertation et la négociation devraient permettre d’en définir tous les éléments.
Pour la FEN, il en est un indispensable au réel développement de l’éducation permanente : le service public d’éducation
Communiqué de presse - Paris, le 17 octobre 1996
Rapport de Virville : premières réactions de la FEN
La formation continue n’est pas aujourd’hui une alternative à la formation initiale, constate le rapport de VIRVILLE. En analysant les raisons ne peuvent se limiter à stigmatiser la course aux diplômes, sans rien dire de la crise de l’emploi et des modes de recrutements des employeurs privés et publics.
Les formations en alternance, dont le rapport propose un développement sont une des clés de l’insertion professionnelle et de l’articulation entre formation initiale et formation continue. Raison de plus pour ne pas se limiter aux formations sous contrat de travail, comme le fait le rapport, mais encourager aussi, l’expansion de l’alternance sous statut scolaire. Favoriser l’accès des salariés à la formation est une ambition que nous partageons. Les moyens pour y parvenir doivent assurer un juste équilibre entre promotion sociale et développement économique. Dans ce sens, l’idée avancée par le rapport d’une épargne temps formation est intéressante à condition que le coût économique de la formation ne soit pas transféré sur les salariés.
La diversité d’accès à la qualification impose la diversification des modes de validation. Les diplômes par unités capitalisables et la validation des acquis professionnels en sont des exemples. Rechercher de nouvelles modalités ne doit pas remettre en cause les règles collectives qui fondent la reconnaissance sociale de la qualification.
Le rapport de VIRVILLE s’inscrit dans la construction de la formation tout au long de la vie. Pour la FEN, cette construction est une urgente nécessité qui ne peut s’accompagner d’un désengagement de l’État, ni d’une marginalisation du service public d’éducation.