Texte intégral
La campagne de dénigrement lancée depuis quelques semaines contre le Premier ministre et le Gouvernement illustre de manière préoccupante l’étonnant déphasage des médias et de la classe politique par rapport aux problèmes fondamentaux de la France.
Les médias – les rares exceptions confirmant la règle – ne respectent plus rien, n’ont plus la moindre retenue, ne se soucient plus de la dignité des hommes ni bien entendu de l’image qu’ils donnent de la France à l’étranger, et tout cela au nom de la liberté de l’information. Tout est bon pour créer le soupçon et l’alimenter, pour étaler les affaires, pour détruire, en un mot pour déstabiliser. La classe politique semble prioritairement inspirée par les perspectives de carrière ministérielle et par la réélection aux législatives : là encore, l’exception confirme la règle. Triste spectacle ! Et quelle aubaine pour les extrémistes ! Dans tout cela, où sont les problèmes de la France et ceux des Français aux prises avec les changements profonds et rapides du monde ? Les premiers sont occultés, les seconds sont exploités par les surenchères électorales ou politiciennes !
Courage et impopularité
Le jeu de ping-pong savamment organisé entre les médias et les instituts de sondage a pour but d’amplifier l’impopularité du Gouvernement, que provoquent évidemment les difficultés de l’heure et les mesures douloureuses qu’elles appellent. Dès lors qu’un gouvernement s’attaque avec courage aux déficiences de notre économie et rappelle les Français à l’observation de certaines disciplines, l’impopularité est de règle. On l’a vu pour tous les gouvernements, de quelque tendance politique qu’ils soient.
De beaux esprits peuvent alléguer avec ironie qu’il ne suffit pas d’être impopulaire pour avoir raison. Mais l’expérience montre que la popularité est souvent acquise au prix de l’immobilisme ou du renoncement et qu’elle est alors rarement durable. L’art de la politique, ce n’est pas de faire des choses populaires, mais de servir les intérêts du pays, souvent à contre-courant de l’opinion. « Comment n’aurais-je pas appris, a écrit le Général de Gaulle, que ce qui est salutaire à la Nation ne va pas sans blâme dans l’opinion, ni sans pertes dans l’élection ! »
Le nécessaire soutien à l’action du Gouvernement
Certains se sont étonnés que je puisse soutenir l’action du Gouvernement et recommander l’indifférence aux jugements excessifs et aux sondages négatifs qui le concernent.
Quelques « belles âmes » – si l’on peut dire – m’ont confié que ce qui se passe aujourd’hui était un juste retour du balancier à l’égard de ceux qui m’ont livré des assauts incessants entre 1978 et 1981, alors que je faisais face aux graves effets du second choc pétrolier, et qu’en conséquence, le tir aux pigeons actuel ne devait pas me déplaire… Les politiques patentés enfin trouvent dans mon attitude la confirmation de mon manque absolu de sens politique.
Même si je n’oublie rien du passé, même si l’action du gouvernement ne recueille pas mon approbation en tous points, même si je regrette ses hésitations et certains reculs, je soutiens la politique du Premier ministre parce que ses orientations me paraissent répondre aux exigences de la situation française actuelle, parce qu’elles ne sont guère différentes de ce que je préconise moi-même depuis plusieurs années, mais surtout parce que la France ne peut plus attendez les mesures indispensables à son redressement.
La politique du Gouvernement est la seule qui conduise progressivement à l’assainissement et à la reprise de la croissance
Il n’y a pas d’« autre politique »
Nous avons eu depuis la fin de cet été un festival vespéral des « autres politiques », car chacun a son « autre politique » ! Leur lecture attentive fait ressortir ce qu’elles ont cependant en commun : le retour aux vieux démons. Dépenser plus en empruntant sans cesse (avec de préférence de « grands emprunts » !) ; faire un peu d’inflation pour mettre de l’huile dans les rouages ; ajouter une pointe de protectionnisme pour pouvoir survivre ; travailler moins en gagnant plus ; recourir au ballon d’oxygène de la dévaluation pour assurer – noble dessein ! – l’indépendance du franc par rapport au dangereux Deutsche Mark ; tels sont les ingrédients explicites ou implicites de toutes les récriminations et propositions ! Dans un monde en pleine mutation, les corporatismes les plus sclérosés et les conservatismes les plus bornés se donnent libre cours.
Enfin, ultime argument : il faut changer de politique pour protéger la cohésion sociale ! C’est l’argument que je comprends le moins ! La cohésion sociale ne serait-elle pas beaucoup plus sûrement comprise si le pays relâchait son effort et si le Gouvernement ouvrait les vannes ? Après un répit artificiel et temporaire, il faudrait revenir à une rigueur qui dépasserait de loin celle que le pays connaît aujourd’hui ! Les Français ne peuvent-ils comprendre que notre pays ne peut pas continuer à financer ses dépenses excessives en empruntant plus d’un milliard par jour et que cet expédient ne peut être que provisoire ?
Soyons clairs : la politique du Gouvernement, quelles que soient ses imperfections et ses maladresses, suit une direction qui, dans l’actuel été des choses, est la seule qui puisse conduire progressivement à l’assainissement économique et financier de la France et à la reprise de la croissance, qui puisse permettre à notre pays d’affronter la compétition internationale, qui puisse prévenir la baisse à termes du revenu réel des Français, qui puisse sauvegarder la politique européenne de la France, qui puisse enfin et surtout affermir la crédibilité internationale de notre pays. C’est cette direction qu’ont adoptée, souvent avant nous, les pays européens aux prises avec les mêmes problèmes que les nôtres et conscients des exigences de l’avenir. C’est celle que viennent de rejoindre l’Italie et l’Espagne.
Les nouvelles illusions socialistes
Le 19 mai 1981, au lendemain du second tour de l’élection présidentielle, je donnai rendez-vous à la gauche victorieuse : « Beaucoup de promesses ont été faites aux Français au cours de cette campagne, déclarai-je ; ils ont pu, de bonne foi, croire qu’ils pourraient vivre mieux ; mais je crains qu’ils ne constatent rapidement la détérioration de la situation intérieure et internationale de notre pays à la suite du changement qui leur a été proposé ». 1983 n’était pas loin !
Je donne aujourd’hui rendez-vous aux tenants des « autres politiques ». Si par malheur pour la France, ils venaient à les appliquer, un échec douloureux ne pourrait être évité ! Je constate d’ailleurs qu’au moment où le parti socialiste réuni en congrès retrouve, hélas ! ses lignes de plus grande pente, M. Jospin tente de les ramener à plus de « réalité ». Le programme, dont les lignes majeures viennent d’être présentées, montre que la puissance de l’idéologue de « gauche » à visée électorale l’emporte sur les leçons de l’expérience ; il fait craindre qu’une gestion qui s’en inspirerait entraîne une fois de plus les désillusions et l’échec.
Je n’ai pas jusqu’ici parlé du chômage. Non par indifférence à l’égard de ce douloureux problème social et humain, mais parce que je ne crois pas au succès des politiques menées à cet égard depuis plusieurs années.
Le chômage n’est pas le résultat d’une politique gouvernementale erronée ou insuffisante ; c’est un problème de société, né de conceptions, de comportements, de mentalités, de mécanismes administratifs et sociaux qui organisent la « préférence pour le chômage ». Je l’ai souvent dit, à la fureur des « bien-pensants avancés »…
Les conditions d’une baisse du chômage
À mon avis, la reprise de la croissance pourrait au mieux freiner la progression du chômage ou le stabiliser, mais la France ne pourrait bénéficier à termes d’une baisse du taux de chômage qu’au prix d’un changement radical de politique sociale :
- substituer au dirigisme multiforme des aides à l’emploi une baisse générale et durable des charges des entreprises (de l’ordre de 20 %), financée par les milliards aujourd’hui dépensés sans efficacité évidente ;
- introduire une plus grande flexibilité dans les relations du travail et autoriser les entreprises à déroger à l’arsenal des lois, réglementations, dispositions conventionnelles générales qui régissent la durée du travail, les conditions d’embauche et de licenciement, les modalités de rémunération, par des contrats d’entreprise soumis à l’approbation de leur personnel, à la seule condition que ces contrats aient pour but de maintenir ou de développer l’emploi ;
- mener avec les entreprises une vigoureuse politique de formation professionnelle ;
- stimuler les investissements productifs sacrifiés depuis quinze ans au profit des dépenses de consommation collective ;
- accorder une aide significative et durable à la création d’entreprises, car la France n’a pas suffisamment d’entreprises pour créer les emplois dont elle a besoin.
Il faut une novation qui s’impose aux appareils administratif, patronal et syndical, habitués depuis trop longtemps à moudre ensemble le même grain, et qui donne une place plus grande à l’action décentralisée et à l’initiative des entreprises.
Dans la difficile situation économique et politique où se trouve la France, il nous reste heureusement le rempart de la Constitution de la Ve République.
Certes, nous voyons reparaître les délices et les poisons de la IVe République. Le régime des partis relève la tête dangereusement, surtout depuis la seconde cohabitation. Le Gouvernement lui-même est investi par les partis et je regrette que, contrairement à l’esprit de la Constitution de la Ve République, il puisse y avoir cumul d’une fonction gouvernementale et d’une fonction de direction d’un parti, quel qu’il soit !
Jusqu’ici, cependant, la fonction présidentielle a échappé aux effets délétères de deux cohabitations et la stabilité gouvernementale reste protégée de l’agitation politicienne ou médiatique par les dispositions constitutionnelles. Le jugement des électeurs – et non celui des sondages – est le seul qui compte aux échéances électorales normales ou en cas de dissolution de l’Assemblée nationale.
La partie qui se joue à l’heure actuelle, au début d’un nouveau septennat, au milieu du déferlement médiatique et des remous sociaux inspirés par la défense d’intérêts catégoriels, est décisive. Toute faiblesse du pouvoir et, à plus forte raison, son abdication devant les pressions qui s’exercent, conduiraient rapidement à l’impuissance nationale et internationale.
Comme à d’autres moments de notre histoire, les Français doivent être mis directement en face de leurs responsabilités.
Il ne s’agit ni de Maastricht, ni de l’Europe, mais de l’avenir de la France, du dynamisme de son économie, du progrès pour ses habitants, de son influence en Europe et dans le monde : même si Maastricht n’existait pas, il faudrait remettre en ordre la maison.
Les Français doivent comprendre et accepter que l’avenir du pays prévale sur leurs habitudes et leurs intérêts. Ils le feront si le pouvoir définit simplement et fermement le cap qu’il a choisi, en explique les raisons et montre sa détermination à le tenir dans le seul intérêt de la France.