Texte intégral
Discussion à l’Assemblée nationale du projet de loi portant réforme du service national - 28 janvier 1997
Monsieur le président,
Monsieur le président de la commission de la défense,
Mesdames et Messieurs les députés,
La réforme du service national proposée par le président de la République aux Français et que j'ai l'honneur de vous soumettre aujourd'hui relève d'un débat de société.
Un débat qui nous amènera à nous interroger non seulement sur la citoyenneté, la nation, la république, mais aussi sur la cohésion nationale et l'engagement civique.
Un débat qui permettra à la France, une fois de plus précurseur, d'instituer un nouveau service national et par là de renforcer l'esprit de défense et de garantir le pacte républicain.
Certains pourront nous juger trop ambitieux.
Ce serait méconnaître la véritable nature du patriotisme, qui ne se vit pas exclusivement sur le mode héroïque, extraordinaire, de la Marseillaise et de la nation en armes, mais aussi de façon quotidienne, par une série de gestes d'adhésion à la communauté nationale.
Certains pourront nous taxer d'idéalisme.
Ce serait prendre le civisme pour un chef-d'œuvre en péril, et non pour ce qu'il est : un sentiment vivant qui doit trouver des expressions de notre temps.
Ce serait méconnaître le besoin de créer des lieux où s'enracine le sentiment d'appartenir à une communauté de citoyens.
Certains pourront nous reprocher un excès d'audace.
Ce serait se tromper sur la nature de notre démarche : elle voudrait allier modestie et conviction. C'est sans aucune arrogance que nous faisons le pari de la jeunesse, le pari de sa générosité et de son engagement citoyen.
Ce serait ignorer tous les apports qui ont inspiré et enrichi ce projet, et je voudrais rendre hommage, ici, au travail remarquable accompli par la mission d'information commune, par son président, Philippe Séguin, par son rapporteur, Olivier Darrason. Leur réflexion et leurs propositions ont constitué pour le gouvernement un élément essentiel dans le travail interministériel mené sous l'autorité du Premier ministre et qui a abouti à ce projet.
Le président Boyon, rapporteur du projet de loi, a bien voulu dire que ce texte, sous des apparences techniques, est en fait éminemment politique. C'est sur ce caractère éminemment politique que je voudrais maintenant insister.
Ce projet répond, mesdames et messieurs les députés, à un constat et à une ambition.
I. – Le nouveau service national se fonde d'abord sur un double constat stratégique et civique.
1. Un constat stratégique : la conscription est une option militaire rendue caduque par la nouvelle donne internationale.
Certes, la conscription obligatoire et universelle tire son origine de la loi Jourdan de 1798 qui précise que « tout Français est soldat et se doit à la patrie ». Mais le XIXe siècle s'est accommodé de systèmes différents et il faut attendre la défaite de 1870 pour que ressurgisse la question de la participation des citoyens à la défense nationale.
C'est en 1905 que la IIIe République institue le service militaire obligatoire et universel. À l'armée de masse à la prussienne répond l'armée citoyenne à la française. Les sacrifices consentis dans les tranchées de la Première Guerre mondiale consacrent ce choix militaire comme un véritable dogme républicain, celui de la nation en armes, du citoyen-soldat. Compte tenu de la force de l'attachement à l'égard de l'armée de conscription, seul un bouleversement stratégique majeur pouvait la remettre en cause : l’effondrement de l’empire soviétique et la disparition de toute menace militaire directe à nos frontières terrestres ont privé la conscription de sa justification militaire.
Ce n’est plus sur la loi du nombre que repose désormais l’efficacité de notre défense, mais sur une armée professionnelle, apte à relever, d’une part, le défi de la disponibilité que suppose la projection et, d’autre part, le défi de la compétence qu’exigent les armements de nouvelle génération.
Pour autant, il n'est pas question pour nous de contester ce qui a été accompli par les appelés, ni de rayer d'un trait de plume le travail admirable des militaires qui les encadrent. Au contraire, nous ne soulignerons jamais assez que le service national actuel a permis et permet aux jeunes Français de donner le meilleur d'eux-mêmes. Le plus beau des témoignages en est donné aujourd'hui par les jeunes qui ont voulu servir en Bosnie.
Mais dès lors que disparaît la justification stratégique de la conscription, la question du service national se pose en termes nouveaux. Définir l'avenir du service national, c'est s'interroger non plus sur le rôle militaire, mais sur le rôle civique de cette institution.
C'est ce qui explique la démarche du gouvernement.
En effet, une fois décidé le passage de l'armée de conscription à l'armée professionnelle, trois options s'offraient à nous :
– soit la suppression pure et simple du service national. C'est l'option qu'ont retenue les grands pays qui ont abandonné la conscription (États-Unis, Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas). Le risque eût été, dans notre pays où la citoyenneté repose sur un pacte de nature politique, de nous priver d'une institution éminemment civique ;
– soit l'option du service civil obligatoire. Elle soulevait des difficultés d'une autre nature, celle de la définition des tâches à confier aux jeunes, celle de la capacité d'accueil des administrations et des associations et celle du respect du principe d'égalité ;
– soit l'institution d'un nouveau service national, à la fois enraciné dans la tradition et répondant aux attentes actuelles de la société française. C'est l'orientation qui s'est dégagée des débats menés dans toute la France au sein des communes et des associations. C'est la voie qui a été ouverte, au sein de votre assemblée, par la mission d'information commune présidée par Philippe Séguin et, au Sénat, par la commission présidée par Xavier de Villepin. C'est la solution que vous propose le gouvernement.
2. Un constat civique : le service national participe à l'intégration citoyenne et à la cohésion nationale. C'est une institution à rénover.
Historiquement, le service militaire a puissamment contribué, avec l'école obligatoire, à forger la France du XXe siècle en diffusant la conscience d'appartenir à la communauté nationale. C'est par le livre et par l'épée que nos devanciers ont véritablement fondé et ancré la république. En réponse à la défaite de 1870, l'instituteur et l'officier sont devenus les pivots autour desquels prend corps l'idéal de régénération morale de la nation. Du « Tour de France par deux enfants » au « rôle social de l'officier », l'école et l'armée se rejoignent pour « rendre la patrie visible et vivante », et faire ainsi l'éducation du citoyen français.
Car dans la conception française héritée de la Révolution, on ne naît pas citoyen ; on le devient. On le devient à partir du moment où l'on transcende les identités d'origine et les appartenances de proximité pour se reconnaître dans une communauté plus vaste de vie et de destin ; ainsi, des Bretons aux Provençaux, des paysans aux jeunes gens des écoles, tous partagent une fidélité à une patrie qui dépasse le terroir, à une communauté qui dépasse la famille et les appartenances de tous ordres. Cette communauté nationale n'est pas fondée par le droit du sang et les hiérarchies héritées, mais par le pacte républicain, cette volonté de vivre ensemble qui émane d'hommes libres et égaux en droits.
Certes, le service national a joué un rôle éminent dans le processus continu et jamais achevé d'intégration civique. Mais au cours des dernières années, le service national a perdu cette dimension.
Deux rapports parlementaires, issus de bancs opposés de cette Assemblée, s'en sont faits l'écho : le rapport Chauveau de 1989 et le rapport Marsaud de 1994. Ils relevaient, en particulier, les limites rencontrées par le service national par rapport à ses deux exigences d'universalité et d'égalité.
Je rappelle, en effet, qu'un jeune sur quatre n'effectue aucune forme de service national ; que la diversification des formes du service national entraîne de fortes disparités qui portent atteinte à l'image du service national chez les jeunes.
Lorsqu'il répondait aux besoins militaires d'effectifs nombreux, le service national était universel et égalitaire. Dès que les besoins en effectifs sont allés s'amenuisant, le service national n'a plus été en mesure de remplir de manière aussi pertinente sa fonction sociale.
II. – Dans un pays qui a plus que jamais besoin d'institutions pour rassembler la communauté nationale, la réforme du service national constitue une grande ambition républicaine.
1. Deux grands dangers menacent aujourd'hui notre société : l'État sans nation et la citoyenneté sans civisme.
L'État sans nation, car la défiance vis-à-vis des institutions, le discrédit de la politique et l'affaiblissement de la notion de bien commun peuvent entraîner le repli sur les micro-solidarités ethniques, religieuses ou culturelles. C'est le risque du communautarisme.
La citoyenneté sans civisme, car la montée de l'individualisme peut engendrer une société, composée non plus de citoyens, mais exclusivement d'ayants droit qui réclament et de plaignants qui contestent ; car le développement des égoïsmes et des corporatismes risque d'abolir la communauté de citoyens que constitue la république.
C'est donc à un véritable besoin de nation, à un réel besoin de civisme qu'il faut répondre en restaurant la dimension chaleureuse, généreuse, fraternelle de notre pays.
Pour juguler ces dangers, pour répondre à ces besoins, il est essentiel de maintenir un lieu où s'exprime, où se forge le sentiment d'appartenir à la communauté nationale.
Pour resserrer les liens entre les citoyens et la nation, pour développer les attitudes de civisme, il faut maintenir et renouveler le service national.
Rappelons-nous l'analyse de Renan : « une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis ».
2. Or faire valoir l’héritage, ce n'est pas se complaire dans la nostalgie, s'enfermer dans les références et les modèles de la IIIe République.
C'est cultiver l'esprit, ranimer la flamme de la république, c'est refonder une république moderne, capable d'aborder avec confiance le XXIe siècle. C'est réhabiliter dans l'expression citoyenne de chaque Français les valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité.
Parce que nous sommes profondément, passionnément républicains, nous voulons, grâce au rendez-vous citoyen et au volontariat, confirmer le pacte qui unit les Français et la république.
C'est pour la jeunesse d'aujourd'hui et non pour le monde d'hier que nous avons imaginé le nouveau service national.
Le débat qui s'est déroulé à travers toute la France dans les mairies et les associations, ainsi que les études d'opinion qui ont été menées le révèlent : les jeunes Français ont bien l'esprit civique. Certes, il ne s'agit pas du civisme traditionnel, avec son légendaire, ses symboles et ses emblèmes. Mais s'ils font moins référence à certains rites, les jeunes Français témoignent d'une soif de participation, d'un désir de donner et de recevoir. S'ils se reconnaissent peu dans les références traditionnelles, ils s'investissent dans les relations de proximité et recherchent une vie sociale marquée par la générosité et l'altruisme.
Cet élan spontané, il faut tenter d'en recueillir les fruits. Gardons-nous de l'éteindre par notre scepticisme, de l'étouffer sous notre résignation, de le décourager par notre égoïsme. Notre génération ne peut se permettre d'offrir aux interrogations, aux aspirations, aux inquiétudes des jeunes ses états d'âme, ses doutes et son propre manque de confiance en soi. Nous devons répondre aux attentes des jeunes. Nous devons faire mûrir leur générosité et la transformer en conscience citoyenne.
III. – Le nouveau service national
Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés : c'est une véritable responsabilité que nous partageons tous vis-à-vis de la jeunesse et de son avenir, et je dis bien tous, car cette réforme ne concerne pas seulement l'État et ses représentants, pas seulement le ministère de la Défense et les autres ministères intéressés ; elle implique directement un grand nombre d'acteurs de la société civile venant apporter leurs témoignages lors du rendez-vous citoyen, organismes d'accueil choisissant de suivre et d'encadrer un jeune volontaire. Cette réforme réussira pleinement dans la mesure où elle sera portée et relayée au sein de la société française. Car il n'existe pas de monopole d'État en matière de citoyenneté. La citoyenneté se vit de diverses manières tissant au quotidien, hors du cadre officiel et institutionnel, le lien qui unit le citoyen à la nation.
La grande novation du service national que propose le gouvernement est de concilier, d'une part, l'obligation, l'universalité, l'égalité dans le rendez-vous citoyen et, d'autre part, la liberté, l'initiative et la responsabilité dans le volontariat. Le tout au service d'un renouveau du civisme, d'une forme plus consciente d'adhésion républicaine.
Le Parlement, à l'occasion des travaux de la mission commune présidée par Philippe Séguin et de la commission présidée par Xavier de Villepin, avait d'ores et déjà concilié ces principes. Ils correspondent à l'équilibre actuel des droits et des devoirs.
Aujourd'hui, les jeunes Français, souvent fatigués par l'hédonisme et le cynisme de notre époque, redécouvrent le sens de la communauté nationale et de l'intérêt général. Réticents à toute obligation qui leur serait imposée, ils privilégient, dans l'exercice de leur citoyenneté, l'adhésion volontaire à des projets communs.
1. Cependant, le premier acte du service national est évidemment le recensement.
Le recensement tel qu'il est prévu par le projet de loi garantit la faculté de recourir à nouveau à la conscription. Mais il ne s'agit pas seulement d'un enregistrement administratif, il s'agit du premier geste par lequel tout jeune Français exprime son adhésion à la nation, par lequel il se déclare prêt à la servir. Dans cet esprit, celui-ci interviendra à la fin de la scolarité obligatoire, c'est-à-dire à 16 ans ; dans cet esprit, il sera élargi aux jeunes filles à partir de 2001 ; dans cet esprit, il donnera lieu à une information individuelle sur le rendez-vous citoyen.
2. Entre 18 et 20 ans interviendra le deuxième acte du service national, le rendez-vous citoyen.
Nous proposons ce moment fort :
– parce que nous voulons accompagner tous les jeunes Français dans leur accession à la majorité et à la citoyenneté ;
– parce que nous voulons offrir à chaque jeune Français un bilan personnel, une aide à l'orientation, une deuxième chance ;
– parce que nous voulons faire aimer la république pour renforcer l'esprit de défense.
En un mot, le rendez-vous citoyen se caractérise par un principe, l'universalité, et trois ambitions qui touchent au civisme, à la cohésion nationale et à l'esprit de défense.
La grande vertu du rendez-vous citoyen, c'est son universalité. Une universalité pour tous les jeunes gens, sans exception, ni dispense, ni exemption. Une universalité qui établit une parfaite égalité des hommes et des femmes, puisque les jeunes filles participeront au rendez-vous citoyen à partir du 1er janvier 2003. Au moment où l'on s'inquiète de la faiblesse du nombre de femmes exerçant des responsabilités politiques, la participation des jeunes filles au nouveau service national encouragera cette prise de responsabilités. Elle sera par ailleurs un facteur important d'intégration.
La première ambition du rendez-vous citoyen est de nature civique.
Faire découvrir ou rappeler à tous les jeunes Français ce qui est à la racine même de notre république, de notre démocratie et de notre nation n'est pas, comme certains le laissent entendre, un luxe inutile et coûteux. C'est une urgente nécessité quand on s'aperçoit, par exemple, qu'un quart des jeunes entre 18 et 19 ans n'étaient pas inscrits sur les listes électorales lors de la dernière élection présidentielle.
Faire prendre conscience à chaque jeune Français qu'il appartient à une communauté nationale à laquelle le lie un ensemble de droits et de devoirs n'est pas, comme certains le prétendent, une fantaisie. C'est un impératif à l'heure où l'un des films cultes censés représenter la jeunesse des quartiers s'intitule la haine, à l'heure où les sirènes de l'extrémisme appellent au repli et au rejet, à l'opposé de la tradition française définie aussi bien par la déclaration de 1789 que par Renan ou Péguy, Jaurès ou de Gaulle.
Ne soyons pas de ces républicains honteux pour qui la république n'est plus qu'une coquille vide :
– où il faudrait éviter de parler du respect des institutions au nom d'un certain relativisme moral ;
– où il faudrait éviter de parler de l'universalité des droits de l’homme et du citoyen au nom d'un certain relativisme culturel ;
– où il faudrait éviter de parler de la laïcité de l'État au nom d'un antiracisme mal compris.
Oui, la république a des principes et des valeurs à défendre et à partager !
Ne soyons pas de ces républicains honteux :
– pour qui la nation se réduit à la juxtaposition des individus ou des communautés poursuivant leurs seuls intérêts ;
– pour qui l'État se dégrade en arbitre des égoïsmes et autres corporatismes.
Oui, la nation repose sur un sentiment d'appartenance à une communauté de citoyens cimentée par le goût et la volonté de vivre ensemble.
Oui, l'État doit être le promoteur et le garant des principes essentiels que sont la souveraineté nationale et l'intérêt général.
Certains d'entre vous avaient souhaité, lors du débat sur la réforme du Code de la nationalité, que l'acquisition de la nationalité française fît l'objet d'une cérémonie solennelle marquant l'engagement du citoyen envers la nation, son acceptation des droits et des devoirs. Ce que nous proposons aujourd'hui relève de la même inspiration. Au terme du rendez-vous citoyen, un brevet sera remis à chaque jeune. Ce sera là l'illustration de l'acte d'adhésion au pacte républicain, la confirmation de l’appartenance à une communauté nationale.
Rappeler l'origine, préciser la portée et expliquer le sens des valeurs républicaines, c'est bien l'ambition qui sera au cœur de l'information civique dispensée au cours du rendez-vous citoyen. Le Haut Conseil du service national veillera à leur affirmation et au respect des principes de neutralité et de laïcité de l'État. Je sais combien votre assemblée est attentive à ce point, et nous aurons l'occasion d'examiner précisément la compétence du Haut Conseil au cours du débat.
La deuxième grande ambition du rendez-vous citoyen, c'est rétablir l'égalité des chances en proposant une nouvelle chance.
Aujourd'hui, 80 000 jeunes sortent sans diplôme du système scolaire. 53 % de la population du plus faible niveau scolaire est exemptée du service national, contre seulement 18 % des titulaires d'une licence ou d'un diplôme supérieur.
Aujourd'hui, le taux d'illettrisme enregistré lors des trois jours approche 17 % de la population. 50 % des illettrés profonds sont exemptés. C'est la raison pour laquelle chaque jeune doit bénéficier d'un bilan personnel. Les armées ont d'ailleurs, dans le domaine de l'évaluation, une expérience incontestée. Cette expérience doit nous servir pour repérer les handicaps, l'illettrisme, les difficultés.
Certains ironiseront sans doute sur ce qu'ils dénomment « visite médicale ». Pourtant, ce bilan va bien au-delà de la visite médicale d'incorporation. Il ne se limitera pas aux tests de sélection aujourd'hui utilisés, il doit permettre à chaque jeune de bénéficier d'une évaluation personnelle, professionnelle, médicale et culturelle.
Ce bilan, et c'est tout le mérite de mon collègue Xavier Emmanuelli, inscrit le rendez-vous citoyen dans un véritable parcours individuel d'insertion. Il permettra d'orienter les jeunes qui en ont besoin vers les organismes compétents et de leur proposer des parcours personnalisés, en particulier dans le cadre du service national avec le volontariat adapté. C'est là un des objectifs essentiels du rendez-vous citoyen.
C'est ce qui justifie la mobilisation de nombreuses administrations et associations qui doivent saisir la chance unique de pouvoir aller à la rencontre des jeunes et de renforcer un lien indispensable à l'accomplissement de leurs missions.
La troisième ambition du rendez-vous citoyen, c'est de renforcer l'esprit de défense. C'est de rappeler aux jeunes que leur pays mérite d'être protégé contre les menaces de tout genre ; que sa défense justifie effort et sacrifice ; que la France est la patrie.
Comme l'écrivait Fustel de Coulanges, « la patrie, c'est ce qu'on aime ». Oui, on ne défend bien que ce qu'on aime. C'est pourquoi la république doit être présentée comme un idéal. C'est pourquoi la nation doit être vécue comme une communauté.
Mais redonner toute sa force à l'esprit de défense chez nos concitoyens, c'est aussi maintenir le lien si fort qui s'est développé, depuis un siècle, entre la jeunesse et les armées. Si le rendez-vous citoyen ne constitue en rien une préparation militaire, il est, à côté des carrières militaires courtes et des réserves, un élément essentiel du lien armées-nation. Le rendez-vous citoyen repose sur une responsabilité particulière de celles et ceux qui ont choisi le métier des armes. Ils auront à témoigner, auprès des jeunes, de la passion qu'ils mettent au service de la France. Ils auront à les sensibiliser aux grands enjeux de la défense nationale. Ils auront à susciter, par la présentation du volontariat dans les armées et la gendarmerie, l'enthousiasme et les vocations. Cela justifie la part prépondérante que prendra le ministère de la Défense dans le déroulement du rendez-vous citoyen.
C'est en fonction de ces trois ambitions que s'organisera le rendez-vous citoyen, en débutant par le bilan personnel, en se poursuivant par l'information civique, et en s'achevant par une présentation des volontariats. C'est autour de ces trois séquences que l'essentiel des activités obligatoires se déroulera.
Peut-on poursuivre ces objectifs et organiser ces activités en cinq jours ? Pourquoi avoir retenu la durée de cinq jours ?
Parce que cette durée permettra de respecter parfaitement les principes d'universalité et d'égalité. Parce que les cursus scolaires, universitaires et professionnels ne seront pas interrompus. Parce que les dispenses ou les reports ne seront pas justifiés.
Au-delà de cette durée, le rendez-vous citoyen changerait radicalement de nature et de sens. Plus long, il deviendrait une période d'activités. Organisé autour d'activités civiles, il risquerait de se transformer en camp de jeunes. Organisé autour d'activités de défense, il serait un service militaire édulcoré et dévalué.
Enfin, et je le dis avec clarté, nous préférons l'intensité à l'ennui, l'attrait du nouveau à la routine et à la déception. Nous avons fait le choix d'une période courte mais sans aucun temps mort, où les jeunes seront en permanence occupés et accompagnés dans les trois périodes d'évaluation, d'orientation et d'information prévues dans le rendez-vous citoyen.
Mais cinq jours seraient naturellement trop courts s'ils étaient sans précédent ni lendemain, s'ils n'étaient pas préparés par l'instruction civique dispensée à l'école, s'ils n'étaient pas suivis par la possibilité d'accomplir un volontariat.
3. Car la principale nouveauté de ce projet, et le président Boyon a bien voulu le souligner, est sans doute le volontariat.
Conjuguant liberté individuelle et responsabilité envers la communauté nationale, le volontariat permettra à chaque jeune de 18 à 30 ans de consacrer plusieurs mois de sa vie au service de la nation :
– en participant à sa défense et à sa sécurité ;
– en participant au renforcement de sa cohésion sociale à travers des actions de solidarité ;
– en participant à sa politique de coopération internationale et d'aide humanitaire.
Dans tous ces domaines, les volontaires effectueront des missions d'intérêt général, et concilieront ces priorités nationales et leurs aspirations.
Trop souvent, la jeunesse se heurte à la dureté d'une société par trop individualiste et matérialiste, qui décourage les initiatives et se concentre sur la performance immédiate. Elle se laisse prendre, parfois, au marché noir de l'idéal, avec la montée des sectes et de l'irrationnel ; au marché noir de l'aventure, avec la délinquance ; au marché noir du rêve avec les drogues.
Aujourd'hui, la jeunesse peut trouver, grâce au volontariat, de nouvelles perspectives d'engagement ; elle peut vivre une expérience qui valorise, donne confiance en soi et foi dans l'avenir. Aussi est-il nécessaire de faire de ces mois consacrés au service de l'intérêt général un moment reconnu et apprécié à sa juste valeur.
C'est dans une nouvelle conception de la citoyenneté que cherche à s'inscrire le volontariat.
Au citoyen qui s'efface derrière la collectivité dans le cadre du service obligatoire, succède le citoyen qui y prend toute sa place à travers une démarche volontaire et individuelle. Toutes les rencontres que nous avons faites sur le terrain, toutes les enquêtes d'opinion qui ont été menées le révèlent : il ne s'agit pas d'une vision utopique, mais d'une forte attente des jeunes.
Ce que met en jeu le volontariat, c'est une forme de réciprocité dont la responsabilité personnelle constitue le premier terme. C'est par une démarche volontaire que le jeune peut s'affranchir de la pesanteur d'une société d'assistance pour exercer pleinement sa citoyenneté. Car être citoyen, c'est autant donner que recevoir.
La reconnaissance de la nation constitue le second terme de cette relation de réciprocité. La contrepartie de l'engagement volontaire, n'est pas la rémunération d'un travail mais la reconnaissance d'un service ; la communauté nationale ne mesure pas ce qu'elle a reçu au regard de ce qu'elle a donné, elle salue un engagement, qu'il s'agisse de se mettre au service de la collectivité ou d'entreprendre une démarche d'insertion.
Un certain nombre de dispositions traduiront cette reconnaissance à l'égard de ceux qui ont choisi de consacrer plusieurs mois de leur vie au service de la nation. Cette reconnaissance sera également relayée, je l'espère, par la société. Le volontariat constitue en toute hypothèse une expérience concrète qui sera sur un curriculum vitae, à tous les niveaux de formation ou de diplômes, un plus en termes d'initiative, d'ouverture aux autres, de capacité d'adaptation, toutes ces valeurs décisives pour la réussite de notre pays.
Bien sûr, pour réussir une réforme de cette ambition, la modestie et le pragmatisme s'imposent. C'est pourquoi nous la mettrons en œuvre progressivement en tenant compte du résultat des expériences qui se dérouleront cette année.
Conclusion
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous avez voté, au mois de juin dernier, la loi de programmation militaire qui a permis d'engager une réforme sans équivalent de notre défense.
Vous avez adopté, au mois de décembre, la loi qui accompagne la communauté militaire dans cet effort de renouveau.
Vous examinerez, dans quelques semaines, le projet de loi relatif à la nouvelle politique des réserves.
Le projet de loi portant réforme du service national constitue donc une pièce maîtresse d'un ensemble législatif cohérent qui a pour but le renouveau de notre dispositif militaire, le renforcement du lien armée-nation et le développement du civisme, pierre angulaire de l'esprit de défense.
Ni la dissuasion, ni l'armée professionnelle, ni les équipements de nouvelle génération ne pourraient suffire à la défense de notre pays si celle-ci ne s'enracinait pas dans une communauté nationale rassemblée, si elle ne s'appuyait pas sur l'adhésion des Français à des valeurs partagées, si elle ne reposait pas, en dernier ressort, sur l'esprit de défense. C'est bien l'esprit de défense dans son acception la plus large que le nouveau service national a pour but de cultiver et de développer.
À l'heure où tous les grands pays s'interrogent sur le sens de la citoyenneté, la France, fidèle à sa tradition, apporte une réponse profondément originale. Elle propose, à l'initiative du président de la République, un nouveau contrat entre la nation et sa jeunesse, elle imagine une relation de réciprocité entre la nation et le citoyen, elle crée des lieux, des moments et des gestes qui expriment l'attachement à la communauté nationale et aux valeurs de la république.
C'est de ce choix combiné de fidélité à nos racines et de foi en l'avenir que le gouvernement vous invite aujourd'hui à débattre. C'est ce projet de service national passionnément républicain et résolument moderne que je vous demande de bien vouloir approuver.
RTL : mardi 28 janvier 1997
O. Mazerolle : Avec la suppression du service national, qu'est-ce qui va empêcher des millions de Français de se dire que la défense du pays n'est plus leur affaire ?
C. Millon : D'abord, le service national n'est pas supprimé : il est transformé. Le service militaire est supprimé (...). Il est remplacé par un rendez-vous citoyen qui est obligatoire et au cours duquel on fera prendre la dimension des enjeux de la défense, on fera connaître les institutions de la république, on fera connaître l'organisation de la défense française à tous les Français – je dis bien tous – quels que soient leur milieu, leur origine, leur cursus scolaire ou professionnel, qu'ils soient garçons ou filles. Deuxièmement, il y aura ensuite la possibilité pour ces jeunes, s'ils le souhaitent, pour pouvoir affirmer leur adhésion à la défense nationale, mais aussi au pacte républicain, de faire des volontariats dans le domaine social, dans le domaine de la coopération internationale et aussi dans le domaine de la défense nationale.
O. Mazerolle : Beaucoup de députés de la majorité expriment soit un regret, soit un malaise. Cela veut-il dire qu'ils sont archaïques, qu'ils n'ont pas compris que l'époque a changé ?
C. Millon : La fin du service militaire classique provoque une nostalgie, et c'est bien normal. Aujourd'hui, je crois qu'il ne faut pas continuer à chercher à maintenir l'armée dans nos habitudes : il faut mettre en place la défense de nos besoins. C'est la raison pour laquelle il nous paraît évident que, d'un côté, il faut faire passer l'armée de conscription vers une armée professionnelle et que, de l'autre, il faut mettre en place des institutions qui portent un renouveau civique, car il est bien évident que la jeunesse souhaite adhérer à la communauté nationale d'une manière originale, non pas obligatoirement mais volontairement. C'est toute la volonté du projet de loi.
O. Mazerolle : Êtes-vous prêt à accepter des amendements proposés par les députés, notamment celui qui prévoit que la conscription puisse être rétablie à tel moment si nécessaire ?
C. Millon : Dans le projet de loi, la conscription n'est pas supprimée, elle existe toujours. C'est l'appel sous les drapeaux qui est suspendu. Donc, je donnerai réponse favorable à ces députés car je leur dirai : « Oui, la conscription existe, l'appel sous les drapeaux est suspendu et aujourd'hui, nous installons un nouveau système qui permettra de prendre en compte les enjeux de la défense, qui permettra aux jeunes de s'engager volontairement et qui permettra à la France d'avoir un outil efficace opérationnellement ».
O. Mazerolle : Lors du rendez-vous citoyen, qui durera cinq jours, on opérera un bilan de santé, un bilan des connaissances scolaires de base et on fera de l'éducation civique. Pourquoi le ministère de la Défense s’occupe-t-il de ces sujets ?
C. Millon : Parce que le ministère de la Défense, avec les autres ministères, sous l'autorité du Premier ministre, est responsable de l'esprit de défense.
O. Mazerolle : Mais où est l'esprit de défense dans les bilans de connaissance, de santé ?
C. Millon : Les bilans de connaissance, de santé et les bilans professionnels ont au moins trois objectifs : le premier, c'est de préparer le dossier du jeune si jamais un jour il y a nécessité de l'appeler pour une tâche d'intérêt national dans le cadre de la défense. Deuxième objectif : c'est pour offrir, à un certain nombre de jeunes qui ont été marginalisés, une seconde chance. C'est là où on repérera ceux qui sont malheureusement illettrés, ceux qui ont un handicap ou une maladie et qu'il convient de soigner, ceux qui ont été mal orientés professionnellement et qu'il faudra aider. Ensuite, il y a une deuxième période, juste derrière, au cours du rendez-vous citoyen, où il y aura une information sur les institutions, les enjeux de la défense, où il y aura une sensibilisation à la vie républicaine. Troisième objectif : l'exposé ou l'information sur les volontariats.
O. Mazerolle : Tout ça en cinq jours ?
C. Millon : Bien sûr, car nous souhaitons que les jeunes qui participeront à ce rendez-vous citoyen quittent ce rendez-vous citoyen en disant « C'est déjà fini ! » avec un peu de regret, en espérant y revenir, plutôt qu'en se disant « C'est enfin fini ! » avec un air de déception ou de refus de ce type d'engagement.
O. Mazerolle : Que répondez-vous à ceux qui, parmi les députés, disent qu'au fond, la durée de cinq jours a été établie pour des raisons budgétaires et qu'il aurait fallu faire cela pendant un mois ou deux ?
C. Millon : Je leur réponds que dans ce cas-là, on change de nature le rendez-vous citoyen. Si on le fait d'un mois ou deux, si on y met des activités civiles, il se transformera peu à peu en camp de jeunesse. Ce n'est pas notre objectif. Si on y met des activités militaires, il se transformera en service militaire édulcoré, ce qui n'est pas notre objectif.
O. Mazerolle : Le volontariat pourra aller de neuf mois à deux ans, mais quel est l'avenir de ceux qui auront choisi le volontariat une fois que cette période sera terminée ? Que deviennent-ils ?
C. Millon : Le volontariat est un acte d'adhésion fort à une communauté nationale. Donc, il va durer de neuf à vingt-quatre mois. J'ose espérer que la nation leur sera reconnaissante d'abord sous l'angle public. Et c'est la raison pour laquelle, pour pouvoir rentrer dans la fonction publique, pour pouvoir prendre un certain nombre de tâches, ils auront des facilités.
O. Mazerolle : Lesquelles ?
C. Millon : On leur donnera la possibilité de rentrer dans la fonction publique. Par exemple, le jeune qui sera volontaire dans la gendarmerie pourra plus facilement ensuite devenir gendarme parce qu'on lui permettra d'avoir une filière pour rentrer dans la gendarmerie. Deuxièmement, j'ose espérer que, dans les conventions collectives, les entreprises reconnaîtront dans le volontaire, sans pour autant en faire une catégorie à part, celui qui a su se mettre au service de la collectivité et de la communauté nationales.
O. Mazerolle : Parallèlement à cette réforme, la France et l'Allemagne se sont mises d'accord sur un texte qui parle de défense concertée entre les deux pays et qui reconnaît que les deux pays sont exposés aux mêmes risques. Est-ce que cela veut dire que si un risque de guerre réapparaissait en Europe, désormais la défense du territoire national français appartiendrait certes à l'armée française mais pas seulement à elle et qu'elle s'inscrirait dans un cadre européen et notamment franco-allemand ?
C. Millon : Pas encore aujourd'hui. Aujourd'hui, nous sommes en train d'essayer de définir un concept commun de sécurité et de défense communes. Et on a déjà un certain nombre d'outils tels que la brigade franco-allemande, tels que le corps européen. On a une coordination de la politique en matière d'armement mais il est bien évident que l'on a encore un certain nombre de distances à parcourir pour pouvoir en arriver à une défense qui soit totalement homogène et coordonnée entre un pays comme la France et un pays comme l'Allemagne.
O. Mazerolle : Est-ce l'objectif ?
C. Millon : L'objectif ? C'est bien évident, il est inscrit d'ailleurs dans le traité de Maastricht : c'est une défense européenne commune.
O. Mazerolle : Cela veut dire que la France serait défendue par une armée franco-allemande, à terme ?
C. Millon : Cela signifie en réalité que la France aura ses intérêts dans un cadre européen et que c'est l'Europe qui, ayant affirmé son identité européenne de défense et de sécurité, organisera la défense du continent européen. Vous savez, c'est déjà le cas pour partie puisqu'en Bosnie, je suis allé avec mon collègue allemand installer la brigade franco-allemande.
O. Mazerolle : La Bosnie, ce n'est ni Strasbourg, ni Paris !
C. Millon : Aujourd'hui, on sait bien que le problème de la sécurité de l'Europe ne se trouve ni à Strasbourg, ni à Paris mais dans des théâtres d'opération qui sont extérieurs et où il est nécessaire que l'Europe toute entière, coordonnée d'une manière harmonieuse, puisse intervenir afin d'empêcher un embrasement ou un déséquilibre qui serait dramatique.