Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach : V. Poutine est d’ores et déjà le vainqueur des élections russes. Il gagne avec les bombardiers et les chars en Tchétchénie. C’est le sursaut d’une Russie militaire et patriotique. Qu’est-ce que cela vous inspire ce matin ?
Michèle Alliot-Marie : Je crois, effectivement qu’en la matière, ce sont les bombes qui ont largement fait l’unité autour du gouvernement. Et je crois que cela doit nous poser un certain nombre de problèmes. On ne peut pas dire que l’Union européenne ni les Etats-Unis d’ailleurs ont été très brillants en la matière quand on voit le désastre humanitaire que cela représente. Il y a également une autre chose qu’il faut noter dans cette élection, c’est la place du Parti communiste. N’oublions pas que le Parti communiste est premier ou second – nous n’avons pas encore les résultats – et je crois que cela doit nous amener aussi à réfléchir. Depuis des années, je dis qu’il faut faire attention car les pays de l’Est se sont libérés du communisme en pensant qu’ils allaient immédiatement avoir le même niveau de vie et que finalement la liberté c’était aussi le niveau de vie occidental. Et à partir du moment où ils n’accèdent pas à ce niveau de vie occidental, il y a effectivement une nouvelle poussée du communisme dans l’ensemble des pays de l’Est. Et ça, je crois qu’il faut que nous y fassions très attentions.
Jean-Pierre Elkabbach : En Russie, les présidentielles vont avoir lieu dans six moi. Est-ce qu’il faut supporter 180 jours de guerre au Caucase en silence ?
Michèle Alliot-Marie : Je crois que le silence est intolérable. Quand on voit un certain nombre d’images, quand on voit encore une fois le désastre humanitaire que cela peut représenter, nous ne pouvons pas rester silencieux.
Jean-Pierre Elkabbach : Alors qu’est-ce que l’on fait, qu’est-ce que vous proposez ce matin ?
Michèle Alliot-Marie : Eh bien je dis très clairement que lorsqu’on voit les milliards d’euros et de dollars qui sont déversés sur la Russie, les pays qui sont à l’origine de cette aide doivent pouvoir faire une pression supérieure à quelques déclarations que nous avons entendues il y a quelques semaines, mais encore bien tardivement.
Jean-Pierre Elkabbach : C’est-à-dire que si on vous laissait faire, vous arrêteriez dès aujourd’hui l’aide financière de la Russie d’Eltsine et Poutine ?
Michèle Alliot-Marie : Il ne s’agit pas d’arrêter immédiatement tout aide financière, je crois qu’il faut savoir utiliser la menace.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous avez formé votre R.P.R. comme un commando prêt au combat et à l’assaut : contre qui et contre quoi ?
Michèle Alliot-Marie : Contre les idées qui ne sont pas les nôtres et pour la défense de notre conception de la France. C’est-à-dire une France qui soit dynamique et où chacun puisse redevenir réellement le maître de son destin. Car aujourd’hui, finalement, les Français ne savent plus trop où ils vont. Les politiques trop souvent si considèrent comme des commentateurs de l’actualité, alors qu’ils ont une responsabilité qui est celle d’anticiper et qui est celle de montrer le chemin. Et moi je souhaite effectivement qu’il y ait de nouveau un véritable débat entre le gouvernement socialiste, communiste et Vert de monsieur Jospin et l’opposition et que nous ayons des propositions à faire aux Français pour une autre vision de notre pays, une vision qui ne soit pas axée uniquement sur l’assistance et sur le laxisme.
Jean-Pierre Elkabbach : En combien de temps vous pensez être une alternative à la gauche au pouvoir ?
Michèle Alliot-Marie : Il faut le faire le plus rapidement possible et c’est la raison pour laquelle, dès le début du mois de janvier, je veux remettre au R.P.R. à la reconquête du terrain des idées et je souhaite que nous puissions le faire également avec les autres mouvements de l’opposition. Je proposerai à mes partenaires de l’opposition des états généraux de l’opposition où point par point nous examinons ce que seront nos propositions pour gouverner ensemble par la suite, et que nous puissions le dire, également très clairement aux Français.
Jean-Pierre Elkabbach : C’est vrai que vous voulez faire un contre-gouvernement R.P.R. au gouvernement Jospin, sans rire ?
Michèle Alliot-Marie : Il est indispensable - pour reprendre une expression que j’ai utilisée pendant la campagne - « de marquer la culotte » un certain nombre de ministres du gouvernement socialiste, communiste et Vert pour souligner aux yeux des Français les incohérences, pour souligner les absences également. Quand vous voyez que sur le problème des retraites par exemple, monsieur Jospin refuse de prendre des décisions, parce qu’il craint les réactions négatives d’un certain nombre de ses amis ou syndicats, ce n’est pas possible !
Jean-Pierre Elkabbach : Mais attendez, il vous a promis des décisions pour le mois de janvier, février…
Michèle Alliot-Marie : Ce que je constate, c’est qu’à chaque fois, il recourt à de nouvelles catégories d’experts. Nous sommes face à un problème qui est un problème urgent, à partir de 2003, on aura du mal à régler les retraites. Monsieur Jospin a eu toutes les concertations, toutes les commissions, tous les experts nécessaires depuis des mois. Il n’y a toujours pas de décision, et visiblement il ne veut pas prendre de décision. Sur le problème des 35 heures, c’est exactement la même chose…
Jean-Pierre Elkabbach : On prend des exemples. La couverture maladie universelle, la CMU va s’appliquer dans quelques jours pour 6 millions de personnes défavorisées. C’est une bonne décision ?
Michèle Alliot-Marie : Sur le principe, c’est une bonne décision. D’ailleurs, je rappelle que le gouvernement d’Alain Juppé avait proposé cette couverture. En revanche dans ses modalités d’application, il y a énormément de difficultés. Le Gouvernement…
Jean-Pierre Elkabbach : C’est bon ou ce n’est pas bon pour les 6 millions ?
Michèle Alliot-Marie : Pour certains d’entre eux ce n’est pas bon, je le dis très clairement. Pour beaucoup d’entre eux, c’est bon et nous nous en réjouissons. Les modalités d’application sont telles que cela risque de se retourner contre un certain nombre de Français.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous estimiez, il y a quelques jours, que relever les minima sociaux de 2%, ce qui représente au total 2,7 milliards, c’était un gadget insuffisant. Si vous étiez au pouvoir, vous les augmentez de combien ?
Michèle Alliot-Marie : Ce n’est pas ça le problème. Le problème est de permettre à des gens qui sont dans des situations d’exclusion, de très grande difficulté, de se sortir de leur situation. Il faut à la fois un filet de sécurité pour tous ceux qui sont fragilisés à un moment donné, il faut surtout leur permettre de sortir de cette situation. Or aujourd’hui nous avons des politiques qui découragent les gens de s’en sortir. Est-ce qu’il est normal qu’un certain nombre de Français aient davantage d’intérêt à rester au chômage qu’à travailler ? Pourquoi est-ce que l’on pénalise les gens qui travaillent ? Regardez un exemple très concret sur le RMI. Lorsque vous avez deux personnes qui ont comme ressource le RMI : l’une qui touche l’allocation RMI, l’autre qui en travaillant à temps partiel va gagner le RMI. Eh bien, la première a droit à l’aide médicale gratuite, celui qui a les mêmes revenus exactement en travaillant n’a pas le droit à l’aide médicale gratuite. Il y a une différence essentielle aussi en matière d’aide à l’allocation logement, eh bien est-ce que c’est normal ?
Jean-Pierre Elkabbach : Martine Aubry a répondu déjà sur ces questions. Mais vous ne croyez pas que toutes les critiques systématiques d’opposition se fracassent sur deux points. D’abord la croissance va durer et deuxièmement le chômage baisse.
Michèle Alliot-Marie : Eh bien la croissance va durer, et je m’en réjouis et je souhaite qu’elle dure. Ce que je dis, c’est que, grâce à cette croissance justement, le Gouvernement aurait pu bien mieux améliorer la situation des Français, à la fois en baissant la fiscalité qui est beaucoup trop lourde et qui handicape les Français et nos entreprises, mais également en améliorant la situation de certains. Il ne le fait pas, et je trouve ça tout à fait regrettable et je le dénonce.
Jean-Pierre Elkabbach : Il paraît que ceux qui travaillent avec vous aiment beaucoup rire et que vous les faites rire, là ce matin vous ne rigolez pas du tout !
Michèle Alliot-Marie : Mais si ! Je crois que l’on peut être à la fois très sérieux dans ce que l’on a à dire, mais qu’on peut aussi être détendu. Et je crois que ce qui est important c’est de remettre peut-être un peu de la joie dans la politique. Moi, j’aimerais que les Français soient heureux de la politique.
Jean-Pierre Elkabbach : Pour que le R.P.R. vote à Versailles la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qu’est-ce qu’Elisabeth Guigou doit encore changer ?
Michèle Alliot-Marie : Eh bien, elle devrait répondre à la commande que lui avait passée le Président de la République : c’est-à-dire présenter une réforme globale avec un certain nombre de textes, autre que la CSM, au moins votés en première lecture à l’Assemblée nationale, et d’autre part mieux protéger les justiciables français. D’autre part équilibrer les pouvoirs accordés aux magistrats par une certaine responsabilité.
Jean-Pierre Elkabbach : Elisabeth Guigou est allée voir monsieur Balladur dans son bureau qui n’est pas loin d’ici, rue Pierre Charon, est-ce qu’elle connaît votre adresse ?
Michèle Alliot-Marie : Madame Guigou m’a demandé un rendez-vous. Et bien entendu, je la recevrai avec plaisir.
Jean-Pierre Elkabbach : Au R.P.R. on est dans une situation un peu délicate : certains sont pour, certains sont contre. Est-ce que vous laisserez la liberté de vote aux élus R.P.R. ?
Michèle Alliot-Marie : Nous en discuterons ensemble, mais j’ai l’impression qu’il y aujourd’hui une grande unanimité. Aujourd’hui le texte de madame Guigou ne répond pas aux demandes qui avaient été faites par le Président de la République. Il ne répond pas non plus aux exigences d’une vrais réforme de la justice. Dans l’état actuel du texte nous ne pouvons pas le voter.
Jean-Pierre Elkabbach : Qu’est-ce que vous dites à ceux qui estiment que votre état-major R.P.R. est assemblage hétéroclite de tendances, sans unité idéologique et politique ?
Michèle Alliot-Marie : J’aimerais qu’il y ait une certaine cohérence dans les critiques parce que d’autres disent, exactement le contraire. Ils disent que c’est MON équipe et qu’elle est totalement monolithique. Alors je dis simplement que j’ai tenu mes engagements. Pendant la campagne j’avais dit que je ferai la part à toutes les sensibilités qu’il y a toujours eu au sein du mouvement gaulliste et qui sont une partie de sa richesse. Je l’ai fait, mais je crois qu’en même temps, il s’agit d’une équipe déterminée, solidaire, qui a envie de beaucoup travailler ensemble, pour les militants du R.P.R., mais également pour la France.
Jean-Pierre Elkabbach : Un mot sur le secrétaire général. On a connu Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy. Vous choisissez A. Gouteyron, qui est connu des spécialistes de l’audiovisuel et de l’éducation, mais peu connu des Français. Quel rôle va-t-il avoir ? Quel sens politique avez-vous donné à cette nomination-là ?
Michèle Alliot-Marie : A. Gouteyron, est quelqu’un qui représente ce que j’ai voulu faire : c’est-à-dire à la fois quelqu’un qui va garantir au niveau du secrétariat général une certaine neutralité, donc un respect des sensibilités. C’est d’autre part un homme de caractère, il l’a montré, notamment comme président de la commission organisant nos élections. C’est un homme de conviction et un homme de terrain. Je pense qu’en plus il représente le Sénat, il n’y avait jamais eu, je crois, de secrétaire général sénateur. Or le Sénat a un grand rôle à jouer au sein de l'opposition. Je pense que nous aurons ainsi une équipe qui sera à la fois une équipe rassemblée, unie, mais aussi une équipe efficace et je suis sûr qu’A. Gouteyron en sera un moteur important.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous aurez un tête-à-tête avec le Président de la République par semaine. Est-ce que ce n’est pas trop quand on se veut indépendante et qu’on a promis d’être indépendante ?
Michèle Alliot-Marie : Moi, je crois qu’il est très important que le Président de la République sache très régulièrement ce que pensent les militants du R.P.R. Et c’est aussi mon rôle que de l’informer de l’état de l’opinion des militants qui sont au plus près des Français et qui, par conséquent, peuvent le mieux exprimer les attentes et les inquiétudes des Français. C’est mon rôle de dire cela au Président de la République.
Jean-Pierre Elkabbach : François Bayrou va rester à Strasbourg, il a employé une formule basque : « Ce qui est dit est fait ». Vous en avez une pour caractériser ce que vous venez de dire ?
Michèle Alliot-Marie : C’est vrai, et je suis heureuse qu’un Béarnais ait utilisé une formule basque. Moi ce que je veux, eh bien…
Jean-Pierre Elkabbach : Oui, cela se dit comment ?
Michèle Alliot-Marie : En Béarnais, je ne peux pas vous le dire !
Jean-Pierre Elkabbach : Non, en Basque !
Michèle Alliot-Marie : Ce que je veux c’est, pour que tout le monde le comprenne, que l’on puisse de nouveau croire à la politique.
Jean-Pierre Elkabbach : C’est vrai que vous lisez la presse avec des gants ?
Michèle Alliot-Marie : C’est vrai que les journaux sont imprimés avec une encre qui déteint sérieusement sur les mains. Alors effectivement quand ont doit ensuite serrer les mains des gens, eh bien je crois qu’il vaut mieux de temps en temps se laver les mains. Mais en plus je dois dire qu’avec le froid qu’il fait actuellement sur Paris, ce n’est pas mauvais d’avoir des gants, n’est-ce pas ? Mais je vous en offrirai peut-être à Noël, J.-P. Elkabbach, puisque vous lisez beaucoup la presse. Ce sera votre cadeau.
Jean-Pierre Elkabbach : Ils viendront d’où ?
Michèle Alliot-Marie : Ah ! Ils viendront de Millau ! Vous savez il faut être attaché aux productions de notre terroir.
Jean-Pierre Elkabbach : Merci pour les gants ! Il ne faut pas seulement le dire mais il faut le faire.