Article de M. Philippe Malaud, président du CNI, dans "Le journal des Indépendants" de juin 1987, sur les relations entre la France et la CEE, intitulé "L'intérêt national est européen".

Prononcé le 1er juin 1987

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Média : Le Journal des Indépendants

Texte intégral

La France, empêtrée dans son électoralisme permanent, n'a manifestement aucune politique européenne. Elle n'a en particulier arrêté aucune perspective à long terme, effectué aucun effort de réflexion, au contraire de ses principaux partenaires. Elle se trouve chaque jour un peu plus ficelée par leurs choix et les orientations de la Commission, s'inclinant dans le sens de ceux qui savent ce qu'ils veulent.

Or les Anglais veulent, comme il y a trente ans, transformer la CEE en zone de libre échange. Les Allemands, longtemps ultra européens, ont cessé de compter sur une coopération franco-allemande, devenue purement formelle, pour assurer leur avenir et leur défense ; ils jouent désormais l'équilibre entre les positions françaises et anglaises, comme à l'échelon international entre l'alignement sur les Etats-Unis et l'ouverture à l'Est ; mais, compte tenu de leur poids économique, qui en fait les véritables décideurs de la Communauté, il s'agit d'un jeu décisif. A l'exception de l'Italie, toujours à la pointe du combat européen, les états méditerranéens n'ont d'autre préoccupation que de tirer le maximum de la CEE pour combler leur retard.

Comme l'a très bien dit M. Bosson, ministre délégué aux Affaires européennes, « Plus on est nationaliste, plus on doit être européen » ; la réciproque est également vraie. Il n'y a plus de possibilité d'influence mondiale face aux superpuissances dans le cadre d'une nation moyenne. Mais pour autant, il n'y a aucune raison de sacrifier les intérêts vitaux d'une nation, sinon pour attendre de ce sacrifice des avantages tels au niveau européen que les retombées nationales les compenseront assurément.

Le PS au pouvoir s'est montré vaguement européen et totalement capitulationniste sur le plan des intérêts nationaux : acceptation du diktat britannique en faveur du juste retour (« my money back »), acceptation des quotas laitiers, admission précitée de l'Espagne et du Portugal sans exiger au préalable que soient apurés les contentieux nés de l'entrée de la Grande-Bretagne et de la deuxième fournée, généralisation des importations de complaisance politique, notamment des pays de l'Est, achetées au prix fort pour être revendues à l'URSS à des prix de braderie.

Les gaullistes résistent naturellement mieux. Mais leur tradition nationaliste les maintient dans une réticence permanente à l'égard de tout saut européen qualitatif et ne leur a pas permis de définir une stratégie combinant réellement défense des intérêts nationaux et avancée décisive de la construction européenne.

On continue, sans le dire, à considérer comme néfaste tout ce qui pourrait rappeler le thème éculé de l'intégration, à approuver l'erreur historique du rejet de la CED, alors qu'un Allemand anti-gaulliste comme Helmut Schmidt a eu le mérite de reconnaître que la RFA avait également commis une autre erreur historique en refusant le Plan FOUCHET de coopération franco-allemande. En bref, l'absence de toute perspective réelle donne au courageux combat de François Guillaume l'aspect d'un permanent combat en retraite contre la quasi-totalité de nos partenaires, les Européens pour raisons politiques, les Anglais et leurs associés par hostilité à la PAC.

Dans la mêlée confuse autour du plan Delors, la France devrait avoir quelques positions simples : refus de toute réforme de la PAC — c'est-à-dire la stricte application du Traité — tant que n'auront pas été éliminées les entorses du Traité du type juste retour ; refus de l'accroissement des ressources de la Communauté aux seules fins d'arrosage, tels que le doublement des fonds structurels : il est évident qu'à partir du moment où l'on touche au Traité de Rome, où les Etats doivent définir d'un commun accord de nouvelles orientations, on ne peut écarter la priorité absolue de la défense dans l'effort demandé aux contribuables européens. Les conséquences éventuelles, sur l'avenir de l'Europe, de la négociation russo-américaine, sont d'une autre importance que les vagues nécessités d'arrosage sociales, régionales ou tiers mondistes.

L'intérêt national qui, comme l'a dit M. Bosson, est désormais l'intérêt européen, passe par une synthèse des positions du Général de Gaulle et de Jean Monnet : au capitulationnisme socialiste, au combat en retraite actuel, la France doit substituer la stratégie de fermeté implacable du Général, allant éventuellement jusqu'au blocage des institutions européennes ; mais dans la double perspective d'une protection des intérêts français fondamentaux de la PAC et de l'émergence d'une véritable Europe accédant au rang de super-puissance, et sans perdre de vue que cette construction nécessitera peut-être, à partir d'une coopération franco-allemande, qu'il convient de sortir de son enlisement actuel pour lui conférer un impulsion décisive, une Europe à deux vitesses, tant il est vrai que les signataires initiaux du Traité de Rome étaient et restent disposés à aller beaucoup plus loin que la plupart de leurs associés ultérieurs dans la voie de la construction d'Etats-Unis d'Europe, susceptibles de discuter d'égal à égal avec ceux d'Amérique, y compris en ne leur cédant en rien sur le terrain du protectionnisme. Peut-être aussi vis-à-vis de l'Est ?