Texte intégral
Le Figaro – 11 octobre 1999
Eric Zemmour : Vous venez de changer le nom de votre parti, qui s’appelle désormais Mouvement national républicain. C’est la deuxième fois en quelques mois. Pourquoi une telle frénésie sémantique ?
Bruno Mégret : Tout cela a été rendu nécessaire par la crise au sein de l’ancien Front national, dont nous tournons définitivement la page. Ma stratégie n’est pas de faire un Front national bis. Nous entendons au contraire nous différencier du FN. Nous nous recentrons et nous nous positionnons dès lors au cœur de cet électorat, qui souhaite la renaissance de notre pays et qui représente vaille que vaille, élection après élection, 30 % de l’électorat.
Eric Zemmour : Comment pouvez-vous vous différencier du FN alors que vous et vos amis avez dirigé naguère son programme électoral ?
Bruno Mégret : Si, dans le nom même de notre mouvement, nous avons affiché clairement la référence à la République, c’est bien pour montrer que nous rejetons tous les extrémismes et que nous inscrivons notre projet dans le cadre des institutions démocratiques de notre pays. Nous entendons ainsi occuper une position stratégique en alternative au « système » – ce qui est le cas, puisque ce dernier n’est pas national et que nous le sommes –, mais nous entendons ne pas être marginalisés par rapport à lui – ce qui est possible, car nous sommes républicains comme lui. Nous serons ainsi en situation de rassembler tous les électeurs attachés à la nation, tels ceux de l’ancien FN, mais aussi ceux attachés à la République, qui ont voté par exemple pour le RPF lors des dernières européennes.
Eric Zemmour : La République que vous invoquez, c’est quoi ?
Bruno Mégret : C’est d’abord la souveraineté du peuple, ce qui implique la notion de souveraineté et celle de peuple. La République n’existe pas sans la nation, et elle est sans doute aujourd’hui l’un des derniers instruments de la défense de la nation. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle gène les socialistes, qui réforment la Constitution tous les six mois. Nous, elle ne nous gêne guère, car pour nous, c’est aussi la liberté, l’ordre public et les vertus civiques, ainsi que l’égalité des citoyens devant la loi – mise en cause par les quotas communautaristes et une forme larvée de préférence étrangère.
Eric Zemmour : La « préférence nationale » n’est-elle pas incompatible avec les principes républicains ?
Bruno Mégret : C’est au contraire un principe républicain qui existe actuellement dans nos institutions, pour l’accès à la fonction publique par exemple. Nous souhaitons seulement l’étendre à d’autres domaines, sociaux en particulier, alors que nos adversaires veulent purement et simplement la supprimer.
Eric Zemmour : Vous tentez de vous définir comme « national républicain ». Mais votre espace politique n’est-il pas occupé par le RPF de Charles Pasqua ?
Bruno Mégret : Le RPF n’est pas national puisque le RPF refuse de défendre vraiment l’identité nationale en combattant l’immigration. Charles Pasqua a ainsi prévu dans la charte de son mouvement qu’un quota de nouveaux immigrés serait négocié chaque année avec les pays d’origine. Cela ne sert à rien de défendre la souveraineté de la France, si la France cesse d’être française.
Eric Zemmour : En fait, vous êtes pris en tenaille entre le FN, plus droitier que vous, et le RPF, plus républicain que vous. Vous êtes condamnés à mourir étouffé entre les deux ?
Bruno Mégret : Les attitudes de M. Le Pen et de M. Pasqua sont chacune vouées à l’échec. M. Le Pen, parce qu’il a déjà échoué en se marginalisant totalement ; M. Pasqua, parce qu’il reste dans le système. Je suis quant à moi pour une stratégie médiane, de fermeté sur les idées et d’acceptation des principes démocratiques et républicains, selon la méthode qui a si bien réussi à M. Haïder en Autriche.
Eric Zemmour : Votre médiocre score aux européennes vous incite-t-il à renoncer à votre candidature aux municipales à Marseille ?
Bruno Mégret : Pas du tout. Je maintiens ma candidature à Marseille. Ma campagne va bientôt commencer. Quant au MNR dans son ensemble, il présentera des listes dans un maximum de villes. Je suis convaincu que l’électorat FN reviendra vers nous, même renforcé par de nouveaux soutiens.
RMC – 12 octobre 1999
Philippe Lapousterle : Quel est votre objectif après votre échec aux élections européennes puisque vous auriez pu – ou dû d’ailleurs – peut-être tirer la conclusion que les électeurs n’étaient pas assez nombreux pour vous soutenir, par exemple ?
Bruno Mégret : Je crois que ce n’est pas du tout le cas. C’est vrai que ces résultats ont été décevants pour nous, mais les électeurs n’ont pas voté pour ou contre notre mouvement. En réalité, ils ont voté contre la scission dont ils n’avaient pas compris pleinement les raisons, essentiellement en s’abstenant. 60 % d’abstentions de notre électorat – avec les bulletins blancs, ceux qui ont voté « chasseurs » ou autres – ça fait sans doute 65 ou 70 % de nos électeurs qui ont manifesté ce rejet de la crise. Mais maintenant les choses vont apparaître clairement.
Philippe Lapousterle : La crise continue…
Bruno Mégret : Non, la crise est terminée. Nous avons tourné la page. Nous nous installons maintenant sur la scène politique de façon très différente du Front national. Nous sommes le Mouvement national républicain. Et les électeurs vont revenir. Ils commencent à revenir. Ils ne vont pas voter ailleurs. Au Petit-Quevilly, il y a trois semaines, lors d’une élection partielle, nous avons fait 14 %, c’est-à-dire un peu plus que le candidat du FN il y a deux ans. Les électeurs sont là.
Philippe Lapousterle : Vous disiez cela avant les européennes, vous vous souvenez. Vous étiez là, à la même place. Vous visiez les 5 % – « mais bien sûr que je les ferai. Je ferai même beaucoup plus » –. Vous vous souvenez ?
Bruno Mégret : Écoutez, je pensais. Oui, bien sûr.
Philippe Lapousterle : Je ne me trompe pas ?
Bruno Mégret : Non, non. Mais je ne parle pas la langue de bois, moi ! Je reconnais avoir été déçu par ce résultat. Je pensais en effet que les électeurs auraient compris la démarche qui avait été la nôtre pour sauver les idées qui sont les nôtres et pour sortir le Front national de l’ornière dans laquelle il était du fait de Le Pen. Il s’est trouvé que les électeurs n’avaient pas compris, à l’époque, mais je vous le dis : les électeurs sont toujours là. Ils sont attachés aux idées, aux valeurs qui sont les nôtres. Et notre ambition, précisément en nous positionnant, à la fois comme « national » et « républicain », c’est de nous placer au cœur de ce vaste électorat.
Philippe Lapousterle : Pourquoi avez-vous rajouté « républicain » ? Vous ne l’étiez pas avant ?
Bruno Mégret : Moi, je l’ai toujours été. Mes amis l’ont toujours été. Nos idées sont parfaitement compatibles avec la République.
Philippe Lapousterle : Pourquoi avoir rajouté le nom ?
Bruno Mégret : Parce que je veux maintenant que l’on puisse apparaître tels que nous sommes et ne plus être diabolisés, ne plus être occultés ou caricaturés comme c’était le cas autrefois. Nous sommes « national », nous sommes « républicain », c’est-à-dire que nous sommes pour la défense de notre nation, des valeurs qui fondent notre civilisation. Mais cela est parfaitement compatible avec la démocratie, avec les institutions républicaines de notre pays, avec le droit des personnes.
Philippe Lapousterle : Vous avez changé d’idée par rapport à ce que vous disiez il y a deux ans au Front national ?
Bruno Mégret : Je n’ai pas changé d’idée.
Philippe Lapousterle : Aucunement ?
Bruno Mégret : Je n’ai pas changé d’idée. Le programme sur lequel je me suis battu, je ne le renie pas du tout. Mais ce que j’entends, moi, maintenant, avec mes amis, au sein du Mouvement national républicain, c’est défendre nos idées, c’est-à-dire constituer ce grand mouvement…
Philippe Lapousterle : Je voudrais comprendre si vous avez exactement les mêmes idées qu’avant, le même programme qu’avant ?
Bruno Mégret : Le programme, nous sommes en train de le réécrire. Ce programme sera fondé sur la défense des valeurs de notre société – la famille, la sécurité, les libertés économiques.
Philippe Lapousterle : Le programme du Front national aujourd’hui…
Bruno Mégret : Mais cela s’inscrit dans le cadre de la République française.
Philippe Lapousterle : Qu’est-ce qui vous différencie de Jean-Marie Le Pen aujourd’hui ?
Bruno Mégret : Écoutez, j’ai tourné la page !
Philippe Lapousterle : Quelle est la différence ?
Bruno Mégret : M. Le Pen, c’est la multiconfessionnalité plus le « détail ». Nous, c’est la défense de la France dans le respect de la République.
Philippe Lapousterle : Et qu’est-ce qui vous différencie de M. Pasqua ?
Bruno Mégret : M. Pasqua est peut-être républicain, en effet, mais il n’est pas national puisqu’il ne combat pas l’immigration. Il ne défend pas l’identité de la France. À quoi servirait-il de maintenir la souveraineté juridique de notre pays, si la France cesse d’être française ? En réalité, notre mouvement, c’est celui qui a vocation à rassembler tous ceux qui, jusqu’à présent, souffraient de voir que leurs idées étaient soit ignorées par la droite classique, soit caricaturées par M. Le Pen. C’est de pouvoir affirmer nos idées de droite nationale, républicaine sans complexe. Et cela représente quand même 30 % des Français dans notre pays, vaille que vaille !
Philippe Lapousterle : On verra bien votre score, M. Mégret.
Bruno Mégret : Non, mais j’ai du temps devant moi.
Philippe Lapousterle : Votre stratégie, c’est quoi ? Être candidat maintenant à toutes les élections – législatives, municipales ?
Bruno Mégret : Oui, nous allons…
Philippe Lapousterle : Vous serez candidat à la présidentielle par exemple ?
Bruno Mégret : C’est une question qui se posera le moment venu. Nous serons présents à l’élection présidentielle. Notre mouvement sera représenté évidemment.
Philippe Lapousterle : Est-ce que, pour commencer par les premières, vous serez candidat à Marseille comme vous l’étiez il y a deux ans ?
Bruno Mégret : Oui, je serai candidat à Marseille. Ça n’a pas changé.
Philippe Lapousterle : Pour gagner ?
Bruno Mégret : Bien sûr. Mais vous savez que nous avons un potentiel considérable puisqu’aux dernières élections régionales j’avais fait 26 %, aux dernières élections européennes, la famille nationale a fait 20 %. Donc, le potentiel est important face à un maire qui est tout de même en difficulté, vu l’absence de bilan qui est le sien, et face à une gauche qui ne sait toujours pas derrière quelle personnalité elle va s’engager dans la bataille.
Philippe Lapousterle : Qu’avez-vous pensé des déclarations récentes d’Alain Juppé, l’ancien Premier ministre, sur l’immigration ?
Bruno Mégret : Je pense que c’est quand même très grave de voir ainsi une des personnalités emblématiques de la droite parlementaire, de voir ainsi le RPR et l’UDF se rallier à la gauche, sur une des questions les plus essentielles pour l’avenir de notre pays. C’est très inquiétant ! Qui va défendre maintenant les Français, quand on sait que M. Le Pen lui-même a mis de l’eau dans son vin sur ces questions ? Il ne reste plus que nous. Et c’est la raison pour laquelle…
Philippe Lapousterle : Il ne s’agit pas de défendre les Français. Il s’agit de regarder les évolutions. Est-ce qu’il est anti-français de dire que la France aura peut-être besoin de main-d’œuvre en provenance de l’étranger dans dix ans ?
Bruno Mégret : Quand je constate qu’il y a encore pratiquement trois millions de chômeurs officiellement et sans doute davantage dans la réalité, et que l’essentiel tout de même de ces chômeurs sont français. Il y a quelque chose de paradoxal à prétendre qu’il faut faire venir de la main-d’œuvre immigrée. Par conséquent, je crois que la nécessité du maintien de notre pays, c’est l’arrêt de l’immigration et le retour des immigrés dans leur pays d’origine.
Philippe Lapousterle : Vous pensez que M. Jospin, M. Pasqua, M. Juppé sont tous des incompétents, qu’ils ne comprennent rien à rien ? Vous seul avez raison sur le problème de l’immigration ?
Bruno Mégret : Ce n’est pas un problème d’incompétence, mais c’est un problème de choix pour l’avenir de son pays. Je pense que M. Pasqua, M. Juppé ont capitulé, qu’ils se soumettent à une réalité qui leur paraît incontournable, alors que moi je dis que c’est faux ! C’est faux que la France soit condamnée à disparaître ! C’est faux de considérer que les Français doivent se dissoudre dans une société multiculturelle, pluriethnique et dans un monde mondialisé. Vous allez voir, dans les années qui viennent, l’on va se rendre compte qu’il est nécessaire de maîtriser la mondialisation, de la réguler tant dans les échanges économiques que dans les échanges migratoires. Le bon instrument pour le faire, c’est la nation et le retour au principe de souveraineté.
Philippe Lapousterle : Le Pacs va être voté demain ?
Bruno Mégret : Le Pacs, nous sommes contre parce que c’est un mariage-bis auquel on va progressivement apporter les mêmes avantages que le mariage traditionnel, c’est-à-dire qu’on va normaliser la famille. On détruit la famille qui est pourtant la cellule de base de la civilisation qui est la nôtre. Là aussi, je suis très choqué de constater que le RPR et l’UDF sont en train de marquer le pas. La chose qu’ils devraient faire pour s’y opposer, c’est s’engager à abroger le Pacs lorsqu’ils arriveront au pouvoir. Ils ne prendront jamais cet engagement parce que c’est une opposition de pacotille. Nous, si nous arrivons au pouvoir, nous abrogerons cette disposition qui détruit la famille.
Philippe Lapousterle : Vous avez longtemps milité pour que le Front national contracte des alliances avec la droite. Vous allez changer ou est-ce que vous prévoyez des alliances possibles ?
Bruno Mégret : Des alliances politiques, cela impliquerait qu’il y ait des mouvements politiques avec lesquels on puisse passer des accords programmatiques, des accords d’idées. Ça n’est pas le cas pour l’instant, du fait de la situation sur l’échiquier politique. Par contre, des alliances ponctuelles, électorales, en fonction des circonstances, pourquoi pas ?