Article de M. Valéry Giscard d'Estaing, membre du bureau politique de l'UDF, dans "L'Express" du 5 décembre 1996 et interviews dans "Le Parisien" du 6, "Le Figaro" du 13 et "La Tribune" du 20, sur ses propositions concernant la mise en place de l'euro, notamment sa proposition de fixer l'euro à 7 francs.

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Texte intégral

L’Express : 5 décembre 1996

Euro-franc : le débat est lancé

La publication par L’Express, il y a deux semaines, d’un article relatif aux conditions d’entrée du franc dans l’Union monétaire européenne a suffi à déclencher un débat national. Cela montre à quel point ce sujet est sensible et combien, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il concerne directement tous les Français. Cet intérêt tient au fait que ce sujet est placé à la croisée de leurs deux grandes interrogations : « Y a-t-il quelque chose qu’on puisse faire pour sortir de nos difficultés économiques actuelles ? » et « L’union monétaire qu’on nous annonce sera-t-elle avantageuse pour la France ? » Dans ce débat, nous avons entendu des arguments pour et contre les suggestions que j’ai présentées. Je les ai écoutés avec attention et je voudrais faire part aux lecteurs de L’Express de mes premières réactions à leur sujet.

D’abord, une sorte de soulagement qu’on puisse enfin parler d’un sujet sur lequel pesait un lourd tabou. On sentait la délivrance du retour à un débat d’idées. Les critiques adressées à mes recommandations ont été nombreuses, et c’est bien normal. Pourtant, ce qui m’a le plus frappé, c’est de ne pas avoir entendu un seul argument positif, je dis bien, pas un seul, pour défendre la situation actuelle. Les seuls arguments utilisés par les « contre » consistent à affirmer qu’on ne peut rien changer, qu’on risque d’endommager la qualité des rapports entre la France et l’Allemagne ou qu’on met en péril la marche vers l’union monétaire. Tous arguments évidemment sérieux, mais qui ne portent pas sur le résultat à atteindre, seulement sur la difficulté – ou l’impossibilité – de l’atteindre. Beaucoup d’intervenants ont aussitôt quitté le terrain du débat qui me paraît central, celui du taux d’entrée du franc dans l’euro et celui de la relation franc-dollar, pour l’orienter vers un autre sujet, que j’avais pris soin de ne pas placer au centre de mes réflexions, celui de la parité entre le franc et le mark. Cela appelle quelques explications supplémentaires.

Nous avons à prendre une décision définitive, qui ne pourra jamais plus être modifiée : celle de fixer notre niveau d’entrée dans l’euro. Notre droit à l’erreur est nul. Le taux d’entrée établira notre position à l’égard de l’ensemble des monnaies du monde, dont, bien entendu, le deutsche mark. Quelle que soit l’importance de nos relations avec notre puissant voisin, le mark n’affecte qu’une partie minoritaire de nos échanges extérieurs et une proportion limitée des transactions financières qui nous relient à l’économie mondiale. La relation de change qui affecte le plus directement l’évolution de notre PIB, c’est la relation entre le dollar et le franc.

Pourquoi alors cet attachement passionné, de la part de personnalités qui méritent le respect, au maintien de la parité entre le franc et le mark ? L’explication tient, je crois, au fait que deux idées successivement justes se sont embouties pour déboucher sur une conclusion inexacte.

La première de ces idées était que, pour avoir une chance de réussir l’Union monétaire, notamment aux yeux de l’opinion allemande, nous devions rendre au franc sa crédibilité, après les mésaventures financières du début des années 80. D’où l’effort tenace des gouvernements successifs depuis 1992 pour rétablir la crédibilité du franc. Ces efforts ont incontestablement réussi, et la baisse régulière des taux d’intérêt en apporte la preuve. La seconde consistait à penser que le test de la solidité du franc se mesurait à sa capacité de suivre les évolutions du deutschemark, quelles que soient les considérations propres à guider la politique monétaire de l’Allemagne.

L’aboutissement de ces deux idées a conduit au contresens actuel : croire que la solidité du franc exige que notre politique monétaire soit conduite en parallèle avec celle d’un pays dont les exigences peuvent être différentes des nôtres. Pour l’Allemagne, cette exigence a été, et reste encore, de financer sa réunification en se protégeant de l’inflation, ce qui suppose des taux d’intérêt relativement élevés, qui poussent le deutsche mark à la hausse. Pour la France, c’est évidemment de remettre sa machine économique en marche et de réduire son chômage, ce qui appelle des taux d’intérêt bas.

On se félicite souvent de la baisse des taux d’intérêt en France. Mais, si nous regardons les taux pratiqués sur le franc suisse et le yen, ils sont respectivement de l’ordre de 2 % et de 0,5 % à court terme, tandis que les nôtres restent supérieurs à 3 %, ce qui montre qu’il existe bien une marge de réduction.

C’est d’ailleurs le signal que viennent de nous envoyer les marchés. L’ouverture du débat sur la politique monétaire de la France les a amenés à conclure qu’il existait une chance sérieuse de réduire les taux d’intérêt en Europe, d’où la revalorisation du dollar, qui a atteint 5,22 francs vendredi dernier, et la hausse des marchés financiers, qui a été déclenchée par une anticipation de la baisse de nos taux.

Concernant les relations franco-allemandes, qui restent la clef de la construction européenne, le chancelier Helmut Kohl a eu une repartie pleine de tact et de sagesse politique, à Périgueux, ce qui m’autorise à citer la réponse qu’il m’a faite lors de notre entretien à la chancellerie, le 21 novembre : « C’est une affaire française. Je ne veux pas en faire une source de dispute entre la France et l’Allemagne. »

Pour en revenir à l’enjeu du débat, le fait pour la France d’annoncer son intention d’entrer dans l’Union monétaire aux taux de 7 francs pour un euro nous ouvre deux marges d’action :

- l’une en matière de change, où nous pouvons nous rapprocher d’un dollar à 5,50 francs, possibilité que paraît accepter le marché ;
- l’autre en matière de réduction de nos taux d’intérêt, puisque le nouveau niveau du franc n’aura nul besoin d’être « défendu » par une hausse de nos taux d’intérêt, étant inférieur à celui auquel s’est habitué le marché.

Parmi les nombreux témoignages que j’ai reçus à la suite de la publication de mon article figure celui d’un économiste américain, qui m’écrit : « Comme vous avez eu raison d’attirer l’attention des Français sur le fait qu’ils ne doivent pas entrer dans l’Union monétaire à un taux surévalué, qui pénalisera durablement leur activité économique et leur emploi ! La réévaluation du dollar est un élément important pour réduire le chômage en France ! » Au moment même d’écrire ma conclusion, les agences publient le taux de chômage en France à la fin du mois d’octobre : celui-ci, en dépit d’une légère amélioration, se maintient à 12,6 %, dont 24,9 % pour les jeunes de moins de 25 ans. Ce n’est pas la France au chômage, mais un pays ayant retrouvé son optimisme, sur des bases économiques saines, que je souhaite voir entrer dans l’Union monétaire le 1er janvier 1999.


Le Parisien : 6 décembre 1996

Le Parisien : Vous êtes depuis toujours un partisan de la construction européenne. Comment expliquez-vous que, depuis votre prise de position sur la future monnaie européenne, l’euro, vous soyez montré du doigt et accusé même par certains de « reniement » ?

Valéry Giscard d’Estaing : Chacun sait que je suis un européen convaincu ! Certaines réactions sont difficilement explicables. Le rendez-vous de la monnaie européenne - l’euro - sera tenu. Il aura bien lieu le 1er janvier 1999. Il s’agit d’un rendez-vous historique puisque, à terme, il n’y aura plus de monnaie proprement française. Les monnaies nationales ne seront plus que des fractions de l’euro. Le franc ne servira plus, et pour trois ans seulement, qu’aux achats de proximité : chacun continuera à être payé en francs et à faire ses courses en francs. Mais, dans la vie quotidienne, chacun devra progressivement s’habituer à lire des étiquettes en euros.

Quant au taux de conversion entre notre monnaie et l’euro, une fois fixé, il ne pourra plus jamais changer. Cela mérite que, ensemble, nous réfléchissions à cela et en discutions. Cela concerne tous les Français, sans exception. Il ne peut pas y avoir de tabou. D’ailleurs, c’est ce que les Français ressentent si j’en juge, notamment, par le courrier considérable que je reçois, venant de citoyens de toutes origines et de tous milieux. Ils me disent qu’ils sont soulagés de voir enfin posé ce débat de fond.

Pour ma part, je ferai tout pour qu’il ne soit pas étouffé ! Et, il ne pourra pas l’être : il suffit, pour cela, de mesurer l’onde de choc mondiale provoquée par mes propositions. De plus, elles ont été bien accueillies par les marchés financiers, contrairement à ce que certains avaient imaginé, puisque les taux ont baissé. La première réaction a été de faire monter le dollar et de faire baisser les taux d’intérêt, ce que j’espérais. Si nous prenions la bonne décision, un formidable déblocage suivrait !

Le Parisien : À vos yeux, l’Europe pratique-t-elle la fuite en avant ?

Valéry Giscard d’Estaing : Sur le plan politique, oui, car les projets de réforme de l’Union européenne n’avancent guère. Et, du coup, si la barre n’est pas redressée, l’Europe risque le piétinement ou même l’échec.

Le Parisien : On a pu résumer vos propositions en disant que vous proposiez une dévaluation du franc par rapport au mark...

Valéry Giscard d’Estaing : Non. Je n’ai jamais utilisé ce mot de dévaluation, qui trouble les esprits et obscurcit le débat. Il faut l’écarter, d’autant que le problème clé est celui des rapports du franc et du dollar et non pas du franc et du mark. Je dis deux choses très simples. Je dis d’abord que, pour que l’euro soit accepté, il faut que le système soit compris de tous les Français. Quand ils voudront acheter une baguette de pain ou une paire de chaussures, ils ne vont pas prendre une calculette pour aboutir à des chiffres avec cinq décimales !

En conséquence, je propose qu’un euro, qui va correspondre à 2 deutsche mark chez nos amis Allemands, corresponde chez nous à 7 francs. C’est un chiffre rond. Avec cela, tout le monde s’y retrouvera. Alors que, si c’est trop compliqué, il y a bien quelqu’un qui en profitera, mais cela m’étonnerait que ce soit le consommateur !

Et puis, je dis une seconde chose complémentaire et capitale : il faut absolument remettre en marche la machine économique française, aujourd’hui en panne. Pour cela, il faut viser un taux de croissance annuel non pas de 2 % mais supérieur à 3 %. Or, avec ma proposition, nous ne quittons pas le SME (NDLR : système monétaire européen), mais nous utilisons les marges de manœuvre tolérées depuis 1992. Dans cette hypothèse, la machine économique de notre pays repartira. Bref, pour sortir du chômage, il faut un euro à 7 francs !

Cela ne sert à rien d’avoir une monnaie surévaluée par rapport aux Américains : c’est la même situation que quelqu’un qui accepte un loyer au-dessus de ses moyens et qui signe le bail ! Il n’y arrivera jamais. Si, au départ, on fixe mal le cours de l’euro, on sera étranglé. La France est devenue trop chère, pour son tourisme et pour son coût du travail. On ne va pas, en plus, avoir un taux trop fort dans l’euro !

Le Parisien : Que faites-vous, avec votre proposition, de l’axe franco-allemand dont vous avez toujours été un ardent défenseur ?

Valéry Giscard d’Estaing : Premièrement, l’entente franco-allemande est, bien entendu, la pierre d’angle de la construction européenne. Deuxièmement, au moment où se développent de grandes interrogations sur l’Europe et son avenir, il doit être clair pour tous que le système de l’Union monétaire européenne a besoin d’au moins deux piliers (le franc et le mark), ou alors c’est la zone mark. Et, j’insiste : il faut au moins deux piliers. En réalité, nous, Français, devons tout faire pour accompagner les efforts de l’Italie et de l’Espagne, dont il est souhaitable qu’elles deviennent, l’une et l’autre, partie prenante du nouveau système monétaire européen. Quelle serait la politique monétaire européenne, une fois l’euro entré dans les mœurs, si cette politique était décidée uniquement par les Allemands ? Nous ne voulons pas une politique laxiste. Nous voulons seulement une politique qui prenne en compte les intérêts légitimes de l’ensemble des Européens.

Le Parisien : Vous êtes allé présenter votre analyse au chancelier Kohl le jour même de sa parution dans « L’Express » …

Valéry Giscard d’Estaing : J’avais d’abord, et à plusieurs reprises, parlé au Président Chirac de ma réflexion. Quant au chancelier, il m’a dit que, sur le principe, il comprenait mon souci de simplicité s’agissant de l’euro et que, par ailleurs, il ne ferait pas de mesures destinées à combattre une situation pénible pour les Français - avec 12 % de chômeurs, nous détenons un record ! - un sujet de conflit entre l’Allemagne et la France.

Le Parisien : Regrettez-vous la façon dont a été conduite en France la campagne du référendum de ratification du Traité de Maastricht ?

Valéry Giscard d’Estaing : Pas une seconde ! Mais ma conviction est la suivante : maintenant que le Traité de Maastricht a été ratifié, il n’est évidemment pas question de revenir là-dessus. Mais il est urgent, dans l’intérêt même du projet européen, de jeter une passerelle entre les pro et les anti-Maastricht, de manière à reconstituer une large majorité nationale. Et, cette passerelle existe : il faut que la mise en place du nouveau système monétaire européen se fasse sans déséquilibre, à l’avantage de tous les pays qui en feront partie. Tous les pays, à commencer par la France.

Le Parisien : Vous paraissez regretter la façon dont la France, aujourd’hui, dialogue avec l’Allemagne...

Valéry Giscard d’Estaing : Oui. La France n’a pas, avec les Allemands, un dialogue suffisamment équilibré. Les Allemands acceptent parfaitement un dialogue de puissance à puissance. Pourquoi ne pas l’avoir avec eux ? Nous avons accepté, ce que j’approuve, que le siège de la future banque centrale soit installé à Francfort. Avons-nous demandé, en échange, que le premier président de cette banque soit français ? Nous avons accepté que la nouvelle monnaie soit finalement baptisée euro au lieu d’écu. Avons-nous obtenu quelque chose en échange ? Nous avons obtenu que le siège du Parlement européen soit fixé à Strasbourg par le nouveau traité en discussion. Mais, il nous faut nous battre afin que cette décision ne soit plus remise en question...

Le Parisien : Certains de vos critiques ont dit que vous compliquiez la tâche du gouvernement d’Alain Juppé...

Valéry Giscard d’Estaing : Je le répète : on a le droit d’avoir ce débat, et même le devoir, lorsque l’on constate que la situation économique française est bloquée depuis des années. Pour le reste, tout ce que j’ai proposé peut être mis en application sans aucune difficulté par l’actuel gouvernement. J’y applaudirais.

Le Parisien : Les Français ont du mal à percevoir ce que va devenir l’Europe...

Valéry Giscard d’Estaing : Je les comprends. Je fais trois observations. Un : une Europe divisée ne parviendra pas à réduire l’écart qui nous sépare des Américains, un écart économique et technologique qui est en train de se creuser. Deux : la « grande Europe » à vingt-cinq, c’est très bien et il faut l’organiser. Mais, on ne sait pas faire fonctionner efficacement un système à vingt-cinq, et il ne faut pas trop attendre de cette grande Europe-la. Trois : en revanche, à l’intérieur de la grande Europe, un petit groupe de pays peut se retrouver de façon plus intégrée, conformément au souhait des pères fondateurs de l’idée européenne, pour créer une vraie puissance européenne.

Le Parisien : Vous restez optimiste ?

Valéry Giscard d’Estaing : Oui, car j’ai l’optimisme tenace. En décidant de parler franchement avec les Allemands pour leur expliquer pourquoi il est indispensable que l’euro ait demain comme valeur 7 francs français, nous aurons la capacité de retrouver chez nous une vraie croissance. Et chaque Français retrouvera alors confiance en lui comme en l’Europe.


Le Figaro : 13 décembre 1996

Le Figaro : Êtes-vous déçu de l’accueil fait par le Gouvernement à vos récentes propositions sur le niveau d’entrée du franc dans l’euro ?

Valéry Giscard d’Estaing : Pas du tout. Je souhaitais ouvrir le débat, c’est fait. Pour réussir l’euro, je vois deux conditions : d’abord, nous devons nous positionner par rapport au système monétaire mondial, et pas seulement par rapport au système européen ; ensuite, on ne pourra pas proposer aux Français un euro avec des décimales... La combinaison de ces deux nécessités aboutit à ma recommandation d’un euro à 7 francs. Vous verrez qu’on y viendra !

Le Figaro : Les ministres des Finances des Quinze s’acheminaient, hier, vers un accord sur le pacte de stabilité qui imposera une rigueur budgétaire durable aux pays membres de l’Union monétaire. Êtes-vous favorable à ce pacte d’inspiration allemande ?

Valéry Giscard d’Estaing : Il est indispensable d’avoir un contrat permanent de stabilité. La France doit y être d’autant plus favorable qu’elle n’a pas de raison de se sentir concernée directement, si sa gestion reste saine. Elle n’a donc pas de posture défensive à avoir. Il faut des sanctions automatiques applicables aux mauvais élèves, sauf « circonstances exceptionnelles », par exemple, une situation de récession.

L’Allemagne est plus stricte que nous sur cette notion… Je crois que la France doit la soutenir, avec un correctif politique : à la demande de tel ou tel pays, voire de la Commission, des délibérations devraient pouvoir s’engager sur d’éventuelles exceptions à la règle.

Le Figaro : Vous posez, par là même, le problème de l’accompagnement politique de l’Union monétaire. Quel « correspondant politique » verriez-vous à la future Banque centrale européenne (BCE) ?

Valéry Giscard d’Estaing : Il n’est pas question de remettre en cause l’indépendance de la BCE. Elle n’aura d’ordre à recevoir de personne. Mais, cela ne signifie pas qu’elle ne doive pas dialoguer. Aujourd’hui, face aux gouverneurs, il n’y a que le Conseil des ministres des Finances (Écofin). Je pense que nous devrions aller vers un système plus proche de celui de la Réserve fédérale américaine. La Fed, régulièrement, expose sa politique au Congrès, avec deux références constantes en tête : le risque d’inflation et le niveau d’activité de l’économie.

Il faudrait donc créer un comité parlementaire de l’euro, composé d’une soixantaine de députés nationaux et européens et dosé en fonction de l’importance de chaque pays membre de l’Union monétaire. Il pourrait se réunir tous les trois mois pour entendre le président de la BCE. Ce serait un organe ad hoc et consultatif, agissant symétriquement à l’Écofin.

Le Figaro : Quelle pourrait être la politique monétaire de l’euro ?

Valéry Giscard d’Estaing : On en parle peu, mais c’est le grand sujet des prochains mois. Pour les Allemands, la politique monétaire, c’est la stabilité, point final. D’autres pays, à la culture différente, s’interrogent sur la prise en compte du besoin de croissance non inflationniste et, de ce fait, sur les relations futures de l’euro avec le dollar et le yen.

Le débat de fond va avoir lieu. Il ne faut pas de positions trop rigides au départ. La stabilité et l’indépendance de la BCE sont fondamentales. Mais comment prendre en compte les besoins de croissance ? Là, je trouve les références de la Fed assez bonnes... À tout moment, aux États-Unis, on regarde les deux indicateurs que je citais tout à l’heure. Nous devrions nous en inspirer.

Le Figaro : Qui voyez-vous dans le premier wagon de l’euro ?

Valéry Giscard d’Estaing : Il y aura à coup sûr l’Allemagne, la France et le Benelux. Peut-être aussi l’Autriche et la Finlande. Le vrai problème concerne l’Italie et l’Espagne. Sans remettre en question les critères, nous avons intérêt à ce que le nombre de participants soit le plus élevé possible. Sinon, la nouvelle politique monétaire de l’Union ne sera pas européenne, mais régionale, limitée à une simple zone mark élargie...

Bonn ne souhaite pas, c’est vrai, une adhésion trop rapide des Italiens et des Espagnols. Mais, l’euro repose sur deux piliers : la France et l’Allemagne. S’il ne faut pas qu’elle donne l’impression d’être pour un fonctionnement lâche de l’Union monétaire, la France doit, dans la conduite ultérieure du système, prôner une approche plus voisine de celle de la Réserve fédérale américaine que de celle de la Bundesbank.


La Tribune : 20 décembre 1996

La Tribune : Quelle analyse faites-vous du tollé que vous avez provoqué ?

Valéry Giscard d’Estaing : Ce n’est pas un tollé, c’est un débat. En France, en Europe et dans le monde, la première réaction a été de dire : enfin le débat ! La seconde réaction, dans les milieux économiques, a été : ce que Giscard propose, c’est ce qu’il faut faire. L’intensité du débat a montré que j’avais soulevé un grand problème, qui avait été mis de côté, voire dissimulé. Il nous faut maintenant l’affronter, à la lumière de l’entrée dans l’euro.

La Tribune : Avez-vous le sentiment que le grand public a bien compris ce que vous vouliez ? On a dit : Giscard veut dévaluer…

Valéry Giscard d’Estaing : Certains journaux ont dit cela, utilisant un vocabulaire dépassé. C’est réducteur. Dans aucun de mes articles je n’ai parlé de dévaluation du franc. Nous sommes dans un monde de monnaies flottantes. Le dollar est remonté de 5,07 francs il y a trois semaines à 5,24 francs hier. C’est dû en partie à mon intervention. Tout le monde trouve cela bien. Personne ne dit que le franc a dévalué.

Dans un système de changes flottants, il faut fixer une zone d’objectif qui soit la plus favorable à la situation globale de l’économie, en fonction de trois critères : l’inflation, la croissance et l’emploi. Lorsqu’on parle des relations monétaires internationales entre le dollar, le deutschemark et le yen, on a toujours eu l’idée de fixer ces zones d’objectifs. Tout le monde trouve cela normal. Chacun cherche à trouver la bonne relation entre les monnaies. Le problème de l’entrée prochaine dans l’euro se pose dans les mêmes termes. Comme nous y entrons pour toujours, il fut le faire au bon niveau. Chacun a le droit d’avoir son opinion à ce propos. Si je dis que le niveau actuel du franc par rapport à l’euro n’est pas bon, c’est d’abord que ce niveau résulte de décisions anciennes, antérieures à deux grands événements : la réunification allemande et le dérèglement budgétaire français des années 1989-1993, qui est à l’origine de nos difficultés actuelles. Cela justifie un reciblage.

Si nous nous choisissons un niveau surévalué du franc par rapport au dollar, nous ferons souffrir les Français deux fois. Une fois pour faire les réformes indispensables. Une autre fois, inutilement, pour corriger les effets de notre surévaluation monétaire.

La Tribune : Quel est le bon taux d’entrée dans l’euro ? Vous avez dit qu’il fallait jouer sur la parité franc-dollar, mais éventuellement aussi sur la parité franc-mark…

Valéry Giscard d’Estaing : Le bon taux, c’est un taux vis-à-vis du dollar. Depuis 1989, on explique aux Français qu’il s’agit d’un taux de change vis-à-vis du deutschemark. Or, la moitié des transactions mondiales et les cotations sur tous les grands marchés se font en dollar, un cinquième seulement en deutschemarks. Notre position fondamentale s’apprécie par rapport au dollar. Depuis dix ans, le dollar a d’abord été cher, puis les Américains l’ont fait baisser afin de rendre leurs produits compétitifs. Mais, il a continué à baisser, jusqu’à valoir moins de cinq francs. Une économie comme la nôtre, qui cherche des marges de compétitivité, a le plus grand mal à le faire face à des fluctuations de cette ampleur. Les choses étaient à peu près en ordre lorsque le dollar était au-dessous de 6 francs et au-dessus de 5,50 francs. C’est cette zone de 5,50-5,60 francs pour un dollar que nous devons nous fixer comme zone d’objectif pour notre entrée dans l’euro.

La Tribune : Quel serait l’effet d’un « reciblage » du franc ?

Valéry Giscard d’Estaing : Contrairement à une idée reçue, les mouvements monétaires modifient assez peu les parts de marché », car les prix internationaux sont pratiquement imposés. En revanche, les taux de change agissent directement sur les profits et sur les investissements. Si par exemple Airbus gagne de l’argent – et cela dépendra du taux de change #, il pourra financer le développement de nouveaux avions. C’est vrai également de l’industrie automobile européenne. Avec un dollar à 5,50 francs, les sociétés automobiles françaises feraient à nouveau des profits et des investissements, elles produiraient plus et elles embaucheraient. C’est ce qui explique que les Britanniques et les Italiens ont connu deux années extrêmement favorables.

La Tribune : Vous avez dit qu’il fallait un compte rond, pour justifier votre proposition d’un euro à 7 francs. Or, on ne peut pas, arithmétiquement, consentir un compte rond à tous les pays entrant dans la monnaie unique. Pourquoi les seuls Français auraient-ils ce privilège ?

Valéry Giscard d’Estaing : C’est un argument sympathique, mais comique ! Le fait de régler notre problème n’interdit pas aux autres de le faire. Tous les pays vont se poser le même problème, et chacun le résoudra en fonction de sa propre culture. Que vont faire les Allemands ? Ce point est central. L’euro, dans les cotations d’aujourd’hui, est à environ 1,9350 deutschemark. Je suis persuadé qu’ils vont mettre l’euro à 2 deutschemarks ! Vous aurez dans le monde l’idée que l’euro vaut 2 deutschemarks. Si nous entrions à 6,5225 francs, nous donnerions l’impression que le franc est une monnaie sans importance, raccrochée au système. La grille que je propose est simple : un euro = 2 deutsche marks = 7 francs. Cela fait un deutschemark à 3,50 francs.

La Tribune : Qu’advient-il des autres ?

Valéry Giscard d’Estaing : Il n’y en aura pas beaucoup d’autres. Le Benelux et les Pays-Bas, qui sont déjà dans la zone mark, sont habitués à ce système. Cela ne changera pas pour eux. J’espère qu’il y aura l’Italie. On lui a indiqué comme taux cible 990 lires pour un deutschemark. Les Italiens entreront à 2 000 lires pour un euro ! Bref, vous aurez une grille de taux de change assez lisible et c’est indispensable. Car il ne faut pas s’y tromper. L’opinion publique n’a pas encore mesuré le saut dans l’inconnu de ses habitudes que représentera l’adoption de l’euro. Regardez le paradoxe. On nous applaudit sur les tréteaux, lorsque nous disons : l’Europe doit être accessible au citoyen. Puis nous leur disons : vous allez avoir une monnaie européenne qui vaudra 6,5225 francs...

La Tribune : Comme le disait mardi le gouverneur Trichet...

Valéry Giscard d’Estaing : C’est incompréhensible pour l’opinion. Le risque, c’est qu’au bout de deux ou trois ans de fonctionnement, les gens se plaignent de n’y rien comprendre, et qu’à l’occasion de sondages, 95 % demandent à garder leur monnaie nationale. Que ferions-nous alors ?

La Tribune : En formulant vos propositions, vous avez utilisé un argument de chantage vis-à-vis des Allemands : s’ils ne veulent pas faire baisser le deutschemark par rapport au dollar, il faudra le faire seuls...

Valéry Giscard d’Estaing : Ces débats ont eu lieu à plusieurs reprises. Notamment en 1989, lorsque les Allemands ont voulu réévaluer le deutschemark, et que les Français s’y sont opposés en indiquant que, dans cette hypothèse, ils réévalueraient aussi le franc. Auparavant, le franc ne suivait jamais les réévaluations du deutsche mark. Le changement intervenu en 1992 tient aux responsables financiers français de l’époque, ministre des Finances et gouverneur de la Banque de France, qui se sont convaincus que la stabilité du franc revenait à suivre les évolutions du deutschemark. C’était une définition tout à fait arbitraire. Le deutschemark s’étant toujours réévalué, cela voulait dire qu’on choisissait d’adopter pour le franc une posture de réévaluation continue.

La Tribune : Pourquoi ne l’avez-vous pas dit en 1989 ?

Valéry Giscard d’Estaing : Parce qu’il y a eu collision de deux débats. Le débat sur l’union monétaire et celui sur la relation franc-deutschemark. Si, à un certain moment, on avait rompu tout lien avec le deutschemark, on aurait tué l’union monétaire. En 1989, il est évident qu’il fallait laisser le deutschemark se réévaluer. Je ne l’ai pas dit parce que je parlais peu des sujets monétaires. Il faut faire attention à l’impact sur les marchés. Cette année, j’ai pu en parler sans hésitation, parce que l’impact sur les marchés était positif.

La Tribune : Et en 1993 ?

Valéry Giscard d’Estaing : Il fallait alors réajuster la parité comme on l’avait fait en 1986. On ne l’a pas fait. Le Gouvernement, qui n’était pas très engagé dans l’union monétaire, n’avait pas de doctrine claire et s’exprimait très prudemment. C’était une période de cohabitation et l’on pouvait craindre les réactions de François Mitterrand. Une autre occasion de le faire a été fournie au printemps de 1995. Elle n’a pas été saisie.

La Tribune : Pourquoi ?

Valéry Giscard d’Estaing : C’est à ceux qui sont en place de le dire. À leur place, je l’aurais fait. Au lendemain de l’élection présidentielle, je pensais qu’il y avait deux mesures économiques à prendre d’urgence : une baisse massive des charges sociales sur les bas salaires et la mise à niveau du franc. L’évolution de la situation économique eût été très différente. Il fallait alors encourager la baisse du chômage, qui s’était amorcée au premier semestre de 1995.

La Tribune : Si vous vous étiez exprimé à ce moment-là, pourquoi n’auriez-vous pas été entendu ?

Valéry Giscard d’Estaing : Le Gouvernement croyait, comme il le croit d’ailleurs aujourd’hui, qu’il pouvait obtenir des résultats positifs sans modifier les données de base de notre économie. Il compte sur une action continue d’assainissement et de réformes pour obtenir des résultats. Il en obtiendra d’ailleurs certains, mais beaucoup moins, et qui seront beaucoup moins nettement perçus que s’il remettait les données de base à leur bon niveau.

La Tribune : D’où vient ce blocage ?

Valéry Giscard d’Estaing : Ce blocage ne vient pas de la société marchande, économique, des gens qui travaillent et qui produisent - ceux-ci me donnent raison. Il vient de la société administrative et politique, qui s’est enfermée dans un schéma monétaire rigide, comme elle s’était enfermée jadis dans le schéma de la planification. Elle ne peut en sortir que si, au sein même de cette société, des voix fortes s’expriment. C’est la raison pour laquelle j’ai cherché, durant l’été, à persuader le Président Chirac. Je pensais que c’était à lui de donner le signal, et je souhaitais que ce soit lui qui le fasse !

La Tribune : À Périgueux, le Président Chirac a affirmé, au côté du chancelier Kohl, qu’il n’y avait pas de problème de parité franc-mark. N’avez-vous pas eu alors le sentiment que le débat que vous aviez ouvert venait de se refermer ?

Valéry Giscard d’Estaing : Ce qui est intéressant, c’est que le débat ait été ouvert. Contrairement à ce qu’on a dit, les Allemands ne s’y sont pas engagés. Vos propos montrent bien l’état singulier dans lequel nous nous sommes mis. Nous acceptons très bien que les Anglais gèrent leur monnaie. Nous savons que la lire et la peseta vont entrer dans l’union monétaire à des taux nouveaux. Pourquoi voulez-vous empêcher le franc d’y entrer au bon niveau ? Il n’y a pas de parité fixe franc-deutschemark. Il n’y a que des règles de fonctionnement du SME, avec des limites entre lesquelles le franc peut fluctuer. Je ne suis pas obsédé par la parité franc-deutschemark.

La Tribune : Le Président Chirac a fait remarquer que la France est excédentaire dans son commerce avec l’Allemagne.

Valéry Giscard d’Estaing : A cela, on peut répondre deux choses. Premièrement, notre problème n’est pas le deutschemark. Je ne sais pas pourquoi on en parle indéfiniment. Comme il s’agit d’une monnaie encore plus surévaluée que la nôtre, elle ne nous pose évidemment pas de problème vis-à-vis de nos ventes. Notre problème, c’est notre positionnement par rapport aux grandes monnaies mondiales, qui vont elles-mêmes continuer à bouger. Par exemple, ce qui inquiète les constructeurs automobiles français, ce n’est pas le deutschemark, c’est ce que vont faire les Coréens, avec leur monnaie dangereusement sous-évaluée.

Deuxièmement, il faut bien voir comment le commerce extérieur avec l’Allemagne est passé d’un déficit de 2 milliards en 1995 à un excédent de 4 milliards au premier semestre de 1996. L’amélioration ne provient pas de nos exportations, qui ont diminué d’un milliard. Elle provient de la baisse de nos importations, réduites de 7 milliards. C’est-à-dire, du ralentissement de l’activité économique en France.

La Tribune : N’avez-vous pas l’impression qu’en exprimant publiquement votre proposition vous avez empêché le chef de l’État de la mettre en œuvre, en tête à tête avec Helmut Kohl ?

Valéry Giscard d’Estaing : Non, je ne le crois pas. Jusqu’à l’entrée dans l’euro, les Allemands poursuivront la politique monétaire qu’ils jugent bonne pour eux. La Bundesbank vient d’indiquer que, dans la situation actuelle de l’Allemagne, il n’y avait pas lieu de baisser les taux d’intérêt. Les Allemands ont un point de vue légitime sur leur économie. On ne peut leur en faire grief. Pour ma part, je dis que la France dispose d’une marge pour la baisse des taux. D’ailleurs, la Banque de France vient de faire un pas, certes timide, dans la bonne direction, qui démontre qu’elle n’est pas restée insensible à certaines recommandations, en décidant une baisse unilatérale de ses taux directeurs. Ceux-ci restent encore assez élevés pour un pays où l’inflation est maîtrisée. Il faut continuer. Quant au dollar, il est remonté de 5,07 à 5,24 francs. C’est la bonne direction. Il faut continuer à avancer.

La Tribune : Pour relancer l’investissement et l’activité, faut-il, selon vous ramener les taux d’intérêt à court terme au niveau de l’inflation ?

Valéry Giscard d’Estaing : Je n’ai jamais pensé que les taux d’intérêt, à eux seuls, feraient redémarrer l’économie. Celle-ci ne repartira que si la demande repart. Il faut une combinaison de deux facteurs. Le premier, c’est une reprise de la consommation et de l’investissement dont la clé est la relation franc-dollar, parce qu’une remontée du dollar fera surgir en France de nouveaux projets d’investissement et de modernisation. Le second facteur, c’est la baisse des taux d’intérêt, car les projets d’investissement et de consommation trouveront à se financer à bon marché. Aujourd’hui, ceci peut se faire sans danger. Nous ne courons plus le risque de voir le marché pousser les monnaies en dehors du SME, comme en 1992-1993, lorsque les marges de fluctuation étaient étroites et les monnaies mal ajustées.

La Tribune : N’avez-vous pas le sentiment d’être devenu le porte-drapeau des anti-maastrichtiens ?

Valéry Giscard d’Estaing : Ce serait original, car je suis et je reste un européen convaincu. Il y a quatre ans, défendant le Traité de Maastricht devant les sénateurs, je leur avais indiqué que, le moment venu, il faudrait traiter le problème du taux d’entrée du franc dans la monnaie unique. Ce moment est venu. On ne peut pas se dire pro-européen et pro-euro, et envisager de faire souffrir la France inutilement. Je continuerai de travailler à la réussite de l’union monétaire, et donc à faire en sorte qu’elle soit avantageuse pour la France. Cela exige une politique de change et de taux d’intérêt appropriée. Mais aussi que le pilier français de l’union monétaire soit tout aussi vigoureux que le pilier allemand. L’union monétaire a été bâtie par deux pays, dirigés par des hommes qui ont toujours agi de concert avec deux piliers, le franc et le deutschemark. Quant à ceux qui étaient hostiles au Traité de Maastricht, qui hésitaient ou qui s’interrogeaient, ils peuvent désormais trouver une démarche cohérente, puisque je leur propose d’entrer dans l’union monétaire à l’avantage de la France. C’est cette proposition qui a rencontré une majorité d’idées à l’Assemblée nationale, pour la première fois depuis très longtemps. Ce qui m’a fait plaisir, c’est d’avoir ouvert le débat. Et ce qui est extraordinaire, c’est d’avoir fait tellement bouger le système depuis trois semaines que, dans le monde entier, on reconnaît maintenant que le dollar est trop bas. Hans Tietmeyer le reconnaît. Jacques Chirac le reconnaît. Alain Juppé le reconnaît. C’est le moment d’ajouter : puisque nous sommes d’accord pour le constater, que fait-on maintenant ?

La Tribune : Qui aura le véritable pouvoir économique en Europe en 1999, le pouvoir politique ou la banque centrale ?

Valéry Giscard d’Estaing : Ce n’est pas un débat difficile, parce que nous disposons de certaines données fondamentales. La Banque centrale européenne ne recevra d’ordre de personne. C’est une donnée qui s’impose à tous. La politique économique, fiscale et budgétaire sera pilotée par le Conseil des ministres de l’Economie et des Finances, qui devront se concerter davantage, mais qui n’auront ni le pouvoir, ni l’intention de contester les décisions de la banque centrale. C’est une seconde donnée. Nous avons besoin d’une troisième instance, devant laquelle la banque centrale viendra expliquer les choix de sa politique monétaire. Car elle ne peut se contenter de le faire à l’intérieur de son conseil d’administration. Elle doit le faire devant les opinions publiques. C’est à cette fin que je recommande la création d’un « comité parlementaire de l’euro », comité qui auditionnerait publiquement les dirigeants de la banque centrale, mais aussi des économistes. Nous avons besoin de ces trois institutions et je souhaite qu’on commence à les mettre sur pied en 1997.

La Tribune : Le taux de change de l’euro ne sera-t-il pas de la compétence des gouvernements ?

Valéry Giscard d’Estaing : Le traité le stipule. Mais, il n’existe pas de décision de changes dans le système où nous vivons, puisque ceux-ci sont flottants. C’est le marché qui fixe aujourd’hui le taux de change du dollar, pas le Gouvernement américain. Le secrétaire au Trésor exprime son opinion, mais c’est la Fed qui intervient sur le marché. À partir de 1999, les ministres des Finances européens choisiront probablement l’un d’entre eux pour exprimer leur opinion, leur indication. Mais c’est à la Banque centrale européenne qu’il appartiendra de mettre cette politique en œuvre, en intervenant sur le marché. La grande question est celle du nombre des indicateurs qu’elle prendra en compte. Jusqu’à présent, la Bundesbank n’en retient qu’un seul et n’agit que pour réduire le risque d’inflation. La Banque centrale américaine en utilise plusieurs, dont le risque d’inflation, mais aussi le niveau d’activité, afin de rechercher le taux de croissance optimum sans inflation. Le système de l’euro devrait être plus proche du système américain que du système allemand, et cela va se faite graduellement.

La Tribune : Les élections de 1998 se joueront-elles sur le chômage, sur l’Europe ou sur les deux ?

Valéry Giscard d’Estaing : Je ne crois pas qu’elles se joueront sur l’Europe, mais sur la situation économique et sociale. Quelle relation les Français établiront-ils entre cette situation et la manière de traiter les problèmes européens ? Nous le verrons à ce moment-là. Je souhaite pour ma part que la démarche de notre majorité soit clarifiée dès maintenant, en démontrant, par des décisions, qu’il y a compatibilité, et même complémentarité, entre la marche vers l’union monétaire et la recherche d’un niveau de croissance et d’emploi satisfaisant. J’espère aussi que nous continuerons d’avancer vers la cible d’un dollar à 5,50 francs, avec la baisse de nos taux d’intérêt. C’est à notre gouvernement de choisir la cible qu’il se donne pour l’entrée dans l’euro. Et, il doit le faire le plus tôt possible, pour ne pas laisser croire à nos partenaires que nous visons à les tromper. Notre détermination doit être comprise par tous : nous cherchons le bien de la France pour le bien de l’Europe.