Tribune de M. Charles Pasqua, président du RPF, dans "Le Monde" du 8 décembre 1999, sur le refus de la mondialisation et sur l'échec de la conférence de l'OMC à Seattle, intitulée "La mondialisation n'est pas inéluctable".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Une fois, encore, l'Histoire déjoue les pronostics. Les partisans de la « mondialisation » et de la dépossession sournoise des souverainetés nationales ont perdu. Ils voulaient faire le siège des États ? Ils se sont retrouvés en état de siège.

Un coup d'arrêt vient ainsi d'être donné, sous la pression des peuples, à ce nouveau totalitarisme de notre temps  qui se présente sous l'appellation avenante de « mondialisation » alors qu'il ne s'agit que d'asservir les peuples, les langues et les nations aux intérêts marchands de groupes multinationaux et à la volonté d'hégémonie mondiale des États-Unis d'Amérique.

A Seattle, les États-Unis et les tenants de la pensée unique viennent de subir plus qu'un échec cuisant. Ils viennent de soulever avec effarement et incrédulité, un coin du rideau sur les deux grands bouleversements que nous réserve le siècle à venir : la fin de l'idéologie de la mondialisation et la fin de la construction d'une Europe fédérale.

Premier bouleversement, le coup d'arrêt de Seattle va en effet marquer la fin de l'idéologie de la mondialisation, tout simplement parce qu'il en a démasqué le fonctionnement devant les peuples du monde entier.

Les partisans de la pensée unique prétendaient que la « mondialisation » était un « fait » qui s'imposait à tous, un fait « irréversible » parce que répondant à une loi de l'Histoire, un fait « inévitable » parce que découlant des progrès techniques et d'abord d'Internet.

Or les manifestations monstres de Seattle, sans précédent depuis la guerre du Vietnam, et, bien plus encore, la détermination farouche de toutes les délégations de refuser le rouleau compresseur de la marchandisation du monde négatrice des peuples, des cultures et des intérêts nationaux, ont contraint les organisateurs à renoncer au lancement d'un nouveau cycle de démantèlements. Il n'était dès lors décemment plus possible de prétendre, devant l'accumulation des blocages intergouvernementaux et au milieu des émeutes et des gaz lacrymogènes, que l'objectif poursuivi par la conférence de Seattle était de rétablir un nouvel ordre mondial.

La preuve a ainsi été fournie que la « mondialisation » n'est pas un phénomène tombé du ciel, qu'elle n'est ni inéluctable ni irréversible. Ce n'est que la variante d'une idéologie ultralibérale qui postule l'incompétence des États et que l'on tente d'imposer aux peuples en catimini. Quant à Internet, son rôle dans les débats de Seattle s'est révélé nul, sauf pour contribuer à la mobilisation des manifestants. Le pseudo-argument technique sur lequel repose le discours de la « mondialisation inévitable » est ainsi apparu dans toute sa vacuité : il ne pèse d'aucun poids face aux rapports de forces économiques et politiques, face aux intérêts des peuples et des nations.

Second bouleversement : le coup d'arrêt de Seattle préfigure aussi la fin de la construction d'une Europe fédérale parce qu'il a mis en lumière de façon éclatante l’attelage grotesque dans lequel se ligotent par idéologie les principales puissances européennes.

Il ne fallut en effet pas plus de quelques minutes pour constater que le commissaire européen, bien que de nationalité française, avait décidé de parler l'anglais, c'est-à-dire la langue du maître. La stupéfaction des pays francophones fut d'autant plus grande que le français est l'une des trois langues de travail de l'OMC. Bien entendu, nos dirigeants ne protestèrent pas.

Il ne fallut pas plus de quelques heures pour que le même commissaire mît son pays d'origine dans l'obligation de le désavouer, car il avait décidé de sa propre initiative de déposer un document écrit n'ayant pas reçu l'aval des gouvernements européens et piétinant certains de nos intérêts nationaux les plus fondamentaux.

Il ne fallut pas plus de quelques jours pour constater la dislocation du « front » constitué par l'Union européenne, que l'on prétendait pourtant si ferme la veille même de l'ouverture des débats : plusieurs États membres de l'UE tombèrent d'accord pour désavouer la Commission.

Une seule chose permit à l'UE d'éviter de se déchirer en public davantage encore : il avait été opportunément prévu d'achever la conférence de Seattle le 3 décembre. Cette date butoir permit de mettre un terme à la pétaudière générale qui était en train de dégénérer dans la ville de Boeing et de Microsoft.

Ce ne sont donc pas seulement les États-Unis d'Amérique qui viennent de connaître ainsi leur premier Vietnam-commercial ; c'est aussi la construction européenne fédérale qui a fourni la preuve à la fois de son inconsistance et du danger qu'elle représente pour nos intérêts vitaux.

Ces deux camouflets ne m'affligeraient pas outre mesure, on s'en doute, si la France n'était pas apparue aux yeux du monde, malheureusement et une nouvelle fois, comme n'étant pas à la hauteur de son Histoire et de sa vocation. Il manque à notre pays, de façon aveuglante, un chef d’État ou de gouvernement qui aurait mis en garde préalablement les États-Unis et l'ensemble de la planète sur le désastre que recelait en germe cette offensive impériale dite de « mondialisation », tout comme l'avait fait le général de Gaulle dans son célèbre discours de Phnom Penh, en 1966, lorsqu'il avait mis en garde les Américains contre leur futur enlisement vietnamien.

Personnellement, dès le 28 octobre, j'allais pourtant solennellement demandé par voie de presse au Président de la République et au Premier ministre de prendre l'initiative d'arrêter cette absurdité. Lors de l'examen à l'Assemblée nationale du mandat à confier à la Commission de Bruxelles, seuls les députés du RPF avaient déposé des amendements demandant que la France propose aux membres de l’OMC le report de ces négociations, en attendant, en vertu du plus élémentaire bon sens, que toutes les mesures adoptées lors du cycle précédent aient été mises en application et qu'un bilan complet et, objectif des conséquences de ces mesures ait été établi.

Pour avoir dit cela, pour avoir annoncé la vérité au peuple français, nous avons été ridiculisés et caricaturés sans relâche. On a dit que nous étions des « nationalistes frileux » et des « protectionnistes » favorables à un renfermement « nostalgique » de la France sur elle-même. Nous avons même été comparés à Pétain par l'actuel ministre de l'Économie et des Finances, lequel s'est enfui après deux jours passés à Seattle, probablement pour ne pas endosser la responsabilité de l'échec qu'il voyait enfin arriver.

Toute cette haine à notre encontre n'est fondée que sur le mensonge et le refus de nous écouter. Pas une seconde nous n'avons prétendu vouloir remettre en cause les acquis de tous les cycles du GATT qui ont précédé les accords de Marrakech, pas une seconde nous n'avons proposé de dénoncer les milliers d'accords bilatéraux ou multilatéraux qui lient notre pays au reste du monde.

D'ailleurs, le rejet d'un nouveau cycle de démantèlement à Seattle, qui est exactement la mesure que j'avais demandée, en vain, à nos gouvernants de proposer d'emblée, va prouver aux yeux de tous que le ciel ne va pas nous tomber sur la tête : nul renfermement sur soi-même ne pointe à l'horizon, la France n'est pas menacée de se transformer en Corée du Nord, nos importations et nos exportations vont continuer à représenter près du quart de notre PIB, et nous allons donc demeurer, et de très loin, l'un des pays du monde les plus ouverts aux échanges internationaux !

Moi, je fais confiance aux Français et à leur intelligence. Je suis sûr qu'ils ne sont pas dupes de tout ce qui vient de se passer. Bien moins lassés de la politique que l'on ne veut bien le dire, ils observent l'évolution des événements avec intérêt et jugent leur for intérieur ce que leur disent les différents responsables politiques nationaux. A n'en pas douter, la situation politique du pays est en train de mûrir de façon souterraine, et c'est cela aussi qui constituera bientôt l'un des grands bouleversements du prochain siècle.