Texte intégral
Article dans le quotidien danois « Politiken » (Copenhague, 27 janvier 1997)
La France aborde l'année 1997 avec de grandes ambitions pour l'Europe. Pour les exposer, j'userais volontiers d'une image littéraire. Dans ses « Lettres à un jeune poète », Rainer Maria Rilke évoque avec émotion les deux artistes qui l'ont le plus marqué : l'un est Jens Peter Jacobsen, l'illustre poète danois, l'autre le sculpteur français Auguste Rodin. Rilke invite son correspondant à faire des écrits de Jacobsen les fils de trame de son avenir. C'est dans cet esprit que nous concevons l'ouvrage européen : ne détaillons pas à l'envie nos divergences apparentes. Nous risquerions d'oublier les affinités plus profondes qui nous lient.
Pour la France, le dessein communautaire d'origine demeure essentiel : une intégration communautaire respectueuse des nations et de leur diversité mais qui est aussi la construction d'une Europe solidaire. Tous les États membres, qu'elles qu'aient été la date et les circonstances de leur adhésion, sont également appelés à y contribuer.
La France est attachée à sa souveraineté ; d'autant que d'autres États membres, elle est soucieuse de défendre son identité. Dans un monde de plus en plus ouvert, elle rejette toutefois l'illusion du repli.
En prônant une intégration plus poussée, elle n'ignore pas les critiques exprimées lors de la ratification du traité de Maastricht. Elle cherche au contraire à les surmonter. Aussi sa priorité absolue à la Conférence inter-gouvernementale est-elle la réforme des institutions. Nous voulons aboutir en juin prochain à Amsterdam à des résultats substantiels.
Les mécanismes de décision communautaire doivent impérativement être améliorés avant l'entrée de nouveaux membres. Comme le Danemark, la France est très favorable à l'élargissement de l'Union aux États de l'ancienne Europe de l'Est. Encore faut-il leur ouvrir une Union qui ne soit pas paralysée. Or, à Quinze, les mécanismes prévus pour six montrent déjà leurs limites. Le simple maintien des règles existantes signifierait une régression : d'où notre volonté, par exemple, de rétablir l'équilibre des voix au Conseil entre les États membres, de réformer la Commission et de renforcer l'autorité de son président. L'idée de donner un visage et une voix à la politique étrangère et de sécurité commune participe de cette même volonté.
Nous avons également proposé que soient reconnus certains pouvoirs aux parlements nationaux, notamment pour l'application du principe de subsidiarité et dans les domaines touchant à la liberté et à la sécurité des personnes. Dans ce cadre, l'expérience du Folketing, qui accomplit un travail remarquable, sera d'un grand bénéfice pour l'ensemble de l'Union.
Les gouvernements français et allemand ont présenté un projet de coopérations renforcées destiné à offrir à ceux qui sont désireux d'aller de l'avant le moyen de progresser ensemble d'un pas plus rapide. Il est certain que la mise en œuvre de ce type de mécanisme n'est pas aisée. Pour nous, comme pour nos partenaires allemands, il n'est destiné à écarter personne. Notre souhait le plus cher est de rallier d'emblée le plus grand nombre afin de tenir compte en amont des préoccupations de chacun. Les États qui refuseraient de participer se priveraient eux-mêmes d'un champ d'influence. À cet égard, je serai très franc : il y aurait quelque paradoxe à dénoncer je ne sais quel « directoire » des grands États alors même que cette proposition est faite dans le cadre de l'Union. Si elle était rejetée, il ne serait cependant pas illégitime qu'elle soit poursuivie sur d'autres bases.
La France est convaincue que l'idée de solidarité, qui est à l'origine de la construction communautaire, n'a pas vieilli. Encore faut-il dissiper les ambiguïtés qui ont parfois nui au dessein européen. À l'époque du « Marché commun », l'objectif du traité de Rome était déjà la construction d'une « union sans cesse plus étroite entre ses membres ». Si, des années durant, les Communautés ont pu être reçues comme une zone de libre-échange perfectionnée, il est clair qu'aujourd'hui, l'enjeu est tout autre. Pour assurer la stabilité et la prospérité d'un continent enfin ressoudé, pour faire face à la mondialisation, la solidarité européenne est plus que jamais nécessaire. Solidarité sociale, pour vaincre le chômage et défendre un modèle d'économie plus humain ; de ce point de vue, nous étudions avec intérêt les expériences et les propositions danoises. Solidarité face aux risques écologiques et à la criminalité, qui ne connaissent pas de frontières. Solidarité économique et financière, la convergence des économies et la mise en place de l'euro ayant pour objectif d'assurer aux entreprises des conditions d'échange plus loyales. Solidarité, enfin, dans la préservation de notre sécurité, par la constitution d'une identité européenne de défense pour contribuer, avec l'OSCE, à la stabilité en Europe.
Depuis l'entrée de la Suède et de la Finlande dans l'Union et l'ouverture de la zone baltique à l'influence occidentale, le Danemark n'est plus le « cap nordique » de l'Union. Il n'a plus à être déchiré entre des solidarités régionales et son appartenance à la CEE. Il a au contraire un rôle très important à jouer dans le rapprochement avec la Pologne, avec les États baltes qui nous rejoindront bientôt comme États membres et avec la Russie, partenaire essentiel dont nous devons prendre en compte des préoccupations.
Ne doutant pas que les Danois sachent prendre leurs responsabilités, je reprends volontiers ces paroles d'lvar Norgaard, alors ministre de l'Économie extérieure, défendant le 15 mars 1972 au Folketing l'adhésion du Danemark aux Communautés européennes : « nous n'avons aucune assurance qu'une Communauté européenne élargie trouve les justes solutions aux problèmes brûlants dans un avenir très proche. Mais la possibilité existe d'offrir une base à de plus grands progrès et à une plus grande stabilité ... C'est maintenant que l'occasion s'offre. Nous n'avons aucune garantie que cette occasion reviendra ».
Discours devant la communauté française (Copenhague, 27 janvier 1997)
Juste quelques mots, pour vous dire d'abord combien je suis heureux d'avoir cette occasion de vous rencontrer et vous remercier d'avoir pris sur votre temps, sans doute très chargé, pour ce moment qui nous permet de nous regrouper dans les locaux modestes de l'ambassade de France.
Je voudrais vous expliquer pourquoi je suis venu au Danemark. Nous avons avec le Danemark des relations à la fois proches et lointaines. Quand je dis proches, dans le cercle de l'Union européenne, cela signifie que nous avons beaucoup de valeurs communes. En même temps, peut-être y a-t-il une certaine forme d'éloignement. Sans doute le Danemark, qui doit se ressentir comme un petit pays, regarde-t-il, avec des sentiments mêlés, la France qui se prend pour un grand pays, à raison d'ailleurs. Donc il a nourri, sans doute, des sentiments mêlés. Il se trouve aussi que, sur quelques sujets, nous avons eu dans le passé des opinions très différentes, c'est le moins que l'on puisse dire. Et pour vous dire la vérité, je n'avais pas bien ressenti l'attitude du Danemark sur les essais nucléaires. Peut-être parce que nous pensons, à tort ou à raison, qu'au sein de l'Union européenne il y a des solidarités qui font que, même si nous sommes différents, nous devons nous comprendre, et sinon, à tout moment nous soutenir, du moins faire preuve entre nous de coopération et de solidarité. Et je suis venu à Copenhague parce que je crois précisément qu'en cette année, en cette période importante où nous sommes, et sur laquelle je vais revenir, il est important pour la France de nouer, d'entretenir et de développer des relations attentives, amicales et chaleureuses avec tous les pays de l'Union européenne, sans oublier les pays du nord de l'Europe. C'est vrai que nous sommes un pays particulier, au centre de l'Europe, assez tourné vers le Midi, vers la Méditerranée, Mais nous ne devons pas oublier l'Europe du Nord, parce que cette Europe du Nord est une Europe qui compte, qui pèse, qui pèsera, me semble-t-il, de plus en plus avec l'élargissement de l'Union européenne et avec laquelle, par conséquent, il faut entretenir ces relations cordiales, chaleureuses.
Nous allons nous trouver dans une période de très grande importance : 1997, à plus d'un titre, sera une année déterminante. Elle le sera pour l'Union européenne puisque nous avons devant nous la préparation de la monnaie unique, que nous réaliserons, et pour laquelle il y a des vues communes et une volonté commune de la France et de l'Allemagne, auxquelles s'agrègent d'autres pays de plus en plus nombreux. Et nous pronostiquons qu'une très large majorité des pays de l'Union européenne adhéreront à cette monnaie unique. Ensuite, il y a l'élargissement de l'Union européenne qui va commencer probablement au début de l'année 1998, si nous avons terminé la Conférence intergouvernementale à temps et qui est une démarche de très grande importance également puisque, pour la première fois, nous allons ouvrir la porte à un projet qui vise à réaliser l'unité du continent européen. Ce sera la première fois dans l'Histoire de l'Europe que cette unité sera entreprise sur la base de la volonté des peuples. Des projets d'unification de l'Europe, il y en a eu avant, au cours des siècles. Simplement, c'était par la force. De Charles Quint à Staline en passant par quelques autres, l'Histoire a été émaillée de ces tentatives de domination de l'Europe. Mais, pour la première fois, c'est un projet commun fondé sur la volonté des peuples et qui aura, je crois, une importance déterminante sur notre avenir. Ceci va commencer dans un an, un peu moins d'un an. Et l'année 97 va nous permettre de nous y préparer. Le Danemark y est très favorable. Le Danemark regarde avec plus de scepticisme la monnaie unique mais je suis persuadé qu'il y viendra, parce que lorsqu'elle sera créée, il s'apercevra de son efficacité. L'élargissement, le Danemark y est favorable d'entrée de jeu. Nous aussi. Et, du coup, survient la Conférence intergouvernementale qui a été un projet, en réalité, à l'origine, c'est-à-dire lors du traité de Maastricht, conçu comme une sorte de séance de rattrapage. Ce rendez-vous sera l'occasion de rediscuter tel ou tel point sur lesquels nous n'avons pas eu satisfaction. Et puis, entre-temps, l'élargissement est venu, qui donne à cette Conférence intergouvernementale une tout autre tournure. Il ne s'agit pas de modifier ou de rattraper sur ceci ou cela ce qui a été convenu à Maastricht. Il s'agit de préparer l'Union européenne à ce bouleversement que va constituer son élargissement, non pas à un, deux ou trois pays, mais à onze, douze, peut-être plus. Et donc, un changement radical de la configuration de l'Union européenne. C'est pourquoi la France attache la principale importance à ce que nous ferons dans cette négociation, pour faire en sorte que l'Union européenne ne soit pas paralysée par son élargissement. En d'autres termes, que le processus de décision puisse s'y exercer dans des conditions raisonnables et efficaces. Nous voulons l'ouverture et l'élargissement de l'Union européenne mais nous ne voulons pas la paralysie du système. Nous poursuivons quelques autres objectifs dans cette CIG, en particulier, le renforcement de la lutte contre le crime organisé, la drogue, le terrorisme, ou encore une plus grande efficacité dans le domaine de la politique extérieure et de sécurité commune. Le centre du débat, c'est de faire en sorte que l'élargissement ne tue pas l'Union, en paralysant ses mécanismes de décision. Tout cela va se décider en 1997, au plus tard en 1998.
De même que c'est en 1997 que seront posées les bases des nouvelles conditions de sécurité en Europe : la rénovation de l'Alliance atlantique, peut-être, l'élargissement, sans aucun doute, et nos rapports de sécurité avec ceux qui ne seront pas dans l'Alliance : la Russie d'abord, avec laquelle nous souhaitons avoir des liens de sécurité qui soient positifs, du point de vue de la Russie, les Pays baltes, vos presque voisins auxquels le Danemark s'intéresse beaucoup et nous aussi. Bref, toute une architecture de sécurité dont il s'agit de poser les bases au cours de l'année 1997, puisque, au cours de cette année, il y aura le Sommet de Madrid, de tous les pays européens et des pays membres de l'Alliance, qui va décider de ces progrès de l'Alliance et, en même temps les rencontres avec la Russie, le Chancelier Kohl, le Président Chirac, très probablement, le président américain et d'autres, autour de l'idée qu'il faut établir avec la Russie, dans le domaine de la sécurité, une relation stable, positive, qui prenne en considération le changement intervenu depuis la fin de l'Union soviétique.
C'est vous dire si l'année diplomatique 97 est une année très forte, très européenne, avec des échéances de toute première importance. J'ai donc eu beaucoup d'intérêt, beaucoup de plaisir, à en parler de façon précise et profonde avec mon collègue et ami, le ministre Helveg Petersen. Je souhaite que nos relations avec le Danemark soient donc chaleureuses et cordiales, comme je vous le disais tout à l'heure. Vous êtes la communauté française dans ce beau pays, sachez, par conséquent, que le plaisir que vous avez à être au Danemark, certainement l'intérêt que vous portez à ce pays, à sa culture, à sa personnalité, à tout ce qui en fait le charme en Europe, tout cela a beaucoup de prix à nos yeux, cet effort que nous voulons développer pour créer, entre nos deux pays des liens de partenariat, étroits, intimes, est aussi le vôtre. Vous en partagez la responsabilité et je vous en remercie d'avance. Soyez également assurés que nous sommes attentifs à vos préoccupations : celles de Français résidant à l'étranger. J'espère que, de ce point de vue, avec le consulat, avec l'ambassade, j'en suis persuadé, tout va bien. Je me doute que votre lycée vous donne quelques soucis. Vous savez que nous sommes très attentifs à notre réseau d'établissements d'enseignement à travers le monde. Nous avons le premier réseau du monde, de très loin. Nous sommes les seuls en réalité parmi les grands pays à avoir un réseau d'une telle ampleur. C'est très important, à la fois pour les familles françaises qui résident à l'étranger, mais c'est aussi très important pour la défense, la promotion de la langue française et de la présence française à l'étranger. C'est pourquoi nous consacrons beaucoup d'efforts de notre côté pour vous aider, pour vous permettre de faire face aux problèmes qui sont les vôtres. Je voudrais saluer, ici, à Copenhague, comme je le fais dans beaucoup de circonstances, la contribution remarquable des enseignants à cette présence française à l'étranger, le rôle exceptionnel que jouent les parents d'élèves dans nos lycées français à l'étranger, rôle exceptionnel qu'on ne trouve pas en France et qui est, avec le dévouement des enseignants, sans doute une des raisons pour lesquelles ce réseau d'établissements n'est pas du tout un réseau de seconde catégorie, mais, bien au contraire, tient la tête du point de vue des résultats scolaires. Ce ne sont pas simplement les enseignants qui mettent des bonnes notes. Mais les résultats sont visibles au baccalauréat, avec un jugement objectif. Or, le fait est que les résultats de nos lycées implantés à l'étranger sont très au-dessus de la moyenne nationale, ce qui témoigne de leur qualité et de leur performance. Merci à ceux et à celles qui s'y consacrent, que j'ai rencontrés tout à l'heure et qui y consacrent beaucoup de temps, beaucoup de dévouement, beaucoup de détermination et beaucoup de conviction. Ce que vous faites c'est aussi essentiel, non seulement pour mes enfants, mais pour la présence française.
Voilà. Merci donc à vous de votre concours, merci d'être là et bonne journée.
Entretien avec la télévision danoise DR/TV (Copenhague, 27 janvier 1997)
Q. : On parle d'une Union européenne flexible. Est-ce que ce n'est pas une Union divisée aussi ?
R. : Non, loin de là. Vous savez que la France est favorable à l'élargissement de l'Union européenne à l'ensemble des pays de l'Europe centrale et orientale. Je crois que le Danemark aussi. À partir du moment où nous allons être vingt, vingt-cinq, peut-être trente pays autour de la même table, évidemment nous ne pourrons pas faire toujours tous la même chose, ensemble. Il y aura des pays qui voudront aller plus vite, plus loin et d'autres qui préféreront attendre un peu et c'est pourquoi nous pensons qu'il faut mettre plus de souplesse dans nos institutions européennes pour être prêts à accueillir les autres pays d'Europe centrale et orientale. La flexibilité c'est de la souplesse.
Q. : Mais ça, c'est aussi une Europe à la carte ?
R. : Oh, pas du tout. Non, c'est même l'inverse. Quand nous parlons de flexibilité, en réalité nous parlons de quelques pays, le plus possible, qui voudront aller plus vite et plus loin et donc il ne s'agit pas de remettre en cause tout ce qui est fait en commun. Il ne s'agit pas d'empêcher tout ce qui va être encore fait en commun, les nouveaux progrès possibles. Il faut permettre à ceux qui auront le plus de volonté d'aller un peu plus loin, un peu plus vite, de précéder les autres, d'être en quelque sorte les éclaireurs de l'Union européenne.
Q. : Mais cette Europe flexible aura un moteur très fort qui est composé de la France et de l'Allemagne. Est-ce que vous ne croyez pas qu'en allant de l'avant, on aura un moteur si gros que l'on puisse faire peur aux pays sceptiques, comme le mien ?
R. : J'espère que non. J'espère que, au contraire, le Danemark sera avec nous pour faire des pas supplémentaires, des progrès dans des domaines qui l'intéressent. Je suis venu à Copenhague précisément pour parler avec le ministre des Affaires étrangères danois et avec des dirigeants danois et pour dire au peuple danois que la France est tout à fait décidée à établir avec ce pays des relations très étroites, très confiantes, très chaleureuses. Je pense que nous portons ensemble des valeurs communes.
Q. : Mais ce groupe progressiste de l'Union est composé de quels pays ?
R. : Ça n'est pas écrit d'avance. Tous ceux qui voudront. Ça n'est pas quelque chose de fermé : mais d'ouvert à tous, à tout moment. Enfin ce sera placé sous le contrôle de la Commission européenne, de sorte que l'on soit assuré qu'il ne s'agit pas de défaire l'Europe, mais de la faire progresser.
Q. : La Conférence intergouvernementale existe depuis un an et n'a toujours pas discuté les plus grands problèmes qui sont la définition des institutions. Quel est votre commentaire sur le fait que les quatorze pays dépendent plus ou moins du quinzième, qui est la Grande-Bretagne ?
R. : Je ne suis pas d'accord avec vous. Pour l'instant, personne ne peut dire cela. Nous ne nous sommes pas encore trouvés, depuis le début de nos discussions, dans cette situation, où il y aurait quatorze pays pour et un pays contre. Peut-être y aura-t-il des problèmes demain. À la fin de la négociation, il faudra finir par choisir, par décider ce qu'on va faire à propos des institutions européennes. Soyez assurée que la France sera très ferme sur cette question des institutions. Je vais expliquer pourquoi. Nous sommes quinze, c'est déjà très difficile de prendre une décision parce qu'il faut mettre d'accord quinze pays différents. Demain, nous serons, je vous l'ai dit, vingt-cinq, peut-être trente, et si nous continuons à travailler selon les mêmes règles qu'aujourd'hui, on ne sera plus jamais d'accord et donc ce sera la tour de Babel. Voilà pourquoi il faut un nouveau mécanisme de décision, dans lequel on arrive à progresser, bien qu'on soit nombreux. Être nombreux, c'est un progrès parce que c'est l'unité de l'Europe. Cela va dans le bon sens, à condition qu'on ait des règles de décision qui nous permettent d'avancer.
Q. : Est-ce qu'on va réussir à avoir ces règles de décision ?
R. : La France y est tout à fait accrochée. C'est très important pour nous parce que cela nous paraît être l'intérêt général de l'Union européenne. Franchement, c'est le bon sens. Quand on est nombreux, il faut bien mettre un peu d'ordre. Si on est très peu nombreux, on s'entend facilement. Mais si on devient nombreux, il faut des règles précises.
Q. : Et si on n'arrive pas à définir ces règles précises, est-ce que le Sommet d'Amsterdam au mois de juin échouera ?
R. : Pourquoi voulez-vous imaginer le pire ? Jusqu'à présent, la vie de l'Union européenne, cela a toujours été beaucoup de discussions, beaucoup de tensions, puis finalement on trouve les réponses. Regardez comme on fixe les prix agricoles : on arrête la pendule, on travaille toute la nuit et le matin on sort et on dit : voilà, on a trouvé une solution qui convient pour les porcs danois et pour les porcs bretons. On finira bien par arriver à la même chose dans notre discussion sur la Conférence intergouvernementale. Je suis optimiste.
Q. : Est-ce que c'est la Grande-Bretagne pour l'instant qui définit un peu le niveau d'ambition ?
R. : Non, je crois que, pour l'instant, chacun arrive avec ses idées. Le Danemark arrive avec ses idées et avec sa personnalité, qui est très forte. Nous arrivons, nous, les Français et les Allemands, avec nos idées, qui sont également fortes. Les Anglais ont les leurs, les Italiens, les Espagnols. On ne peut pas dire qu'il y a quelqu'un qui domine et d'ailleurs l'Europe marche bien, parce que personne ne domine les autres.
Q. : Concernant la politique de défense et de sécurité, quel est le contenu de ce document signé par les Allemands et les Français ?
R. : En effet, c'est un document tout à fait intéressant et important qui va d'ailleurs être présenté dans les jours qui viennent, à nos partenaires de l'Union européenne, et qui va être présenté à l'opinion publique dans très peu de jours : le 30 janvier. Nous avons voulu que nos experts militaires mettent en commun leurs réflexions sur la sécurité, du point de vue français et du point de vue allemand. C'est donc une réflexion de caractère général sur nos objectifs et sur les moyens qui y sont consacrés. S'y expriment la détermination française et allemande de travailler la main dans la main, dans le domaine de la sécurité. Rien que pour cela ce document est très important. Mais, enfin, je voudrais que vous mesuriez que nous avons passé cinquante ans à n'avoir qu'une seule préoccupation : nous mettre à l'abri d'une menace qui venait de l'Est. Désormais la situation n'est plus celle-là. Il n'y a pas de menace qui vient de l'Est, mais il y a toutes sortes de menaces à travers le monde – qui viennent du Sud, qui viennent du terrorisme... Il y a mille choses et notre concept de défense doit, par conséquent, s'adapter à la diversité des situations. Le document franco-allemand représente cette réflexion d'ensemble sur ce que veulent faire les Français et les Allemands, ensemble, quels que soient l'évolution et les changements, dans le domaine des menaces. Dieu merci, qui évoluent plutôt positivement.
Q. : Quelle a été la réaction des Français ?
R. : Jusqu'à présent, elle est positive. Le fait que les Français et les Allemands se soient si souvent et si longtemps combattus dans le passé et soient aujourd'hui capables d'élaborer des idées communes et des projets communs, en matière de défense, est très important.
Vous savez que nous avons un hélicoptère de combat, un char de combat, un projet de satellite. Tout cela est la preuve que l'Europe va décidément, en cette fin de siècle, beaucoup mieux qu'il y a quelques dizaines d'années.
Q. : Est-ce qu'il y a une raison concrète pour que ce document ait été signé maintenant ?
R. : La principale raison c'est qu'en 1997, nous allons probablement fixer les bases de ce que sera la sécurité en Europe pour la génération qui vient. Nous avons discuté de l'élargissement de l’Alliance atlantique, de la rénovation de l'Alliance atlantique. Vous savez qu'il y a le Sommet de Madrid le 8 juillet prochain sur ce sujet. Nous discutons de nos relations de sécurité avec la Russie et il est très important que nous soyons attentifs aux préoccupations russes. Ce sont des préoccupations légitimes. Nous nous préoccupons de la sécurité pour les autres pays européens, ceux qui vont entrer dans l'Alliance, mais aussi les autres. Nous avons une attention particulière pour les pays baltes que le Danemark connaît bien. Tout cela justifie qu'en ce moment Français et Allemands partagent leurs idées en matière de sécurité. Oui, c’est le moment.
Q. : Je sais que vous n'avez pas beaucoup envie de parler de l'Algérie. Mais je voudrais vous demander s'il y a des initiatives. Est-ce que la France a l'intention de lancer une initiative par rapport à la situation en Algérie ?
R. : Je réserverai les propos sur l'Algérie, si vous le voulez bien, à mes compatriotes...