Texte intégral
Conférence de presse (Skopje, 4 février 1997)
Merci, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, j'aimerais à mon tour vous remercier pour votre présence, et je veux surtout vous remercier pour votre patience et vous prier de nous excuser pour le retard que nous vous avons imposé. Depuis ce matin, j'ai eu avec les autorités de la Macédoine une série d'entretiens importants : avec le Président Gligorov, avec le Premier ministre, M. Crvenskovski, avec le vice-Premier ministre, M. Miljovski, avec le président de l'Assemblée, M. Petkovski et avec le ministre des Finances, M. Taki Fiti. Tous ces entretiens ont été extrêmement denses, ainsi que ceux avec les dirigeants de l'opposition. Tout cela correspond au souci qui est celui du président de la République française, M. Chirac, de mettre les relations bilatérales entre la Macédoine et la France au même niveau de chaleur, d'amitié, d'intensité que celles qu'il entretient lui-même personnellement avec le Président Gligorov.
Je suis venu redire ici, clairement, que pour la France, la Macédoine a une vocation européenne. Et le vice-Premier ministre me disait tout à l'heure, au cours de notre dernier entretien, que, sans attendre d'ailleurs, on souhaitait construire l'Europe ici. La Macédoine, c'est vrai, n'est pas encore un pays associé mais elle vient de signer un accord de coopération avec l'Union européenne. Et la France souhaite que cet accord de coopération entre en vigueur le plus rapidement possible. Parallèlement, nous souhaitons que le protocole financier, l'aide macro-économique de l'Union européenne soient mis en oeuvre et que la prochaine réunion, qui aura lieu le 25 février, entre les donateurs soit un succès. Nous participerons, au sein de l'Union européenne, à ce succès. Les chances de stabilité, ou les risques d'instabilité dans cette région des Balkans, sont des chances, ou des risques, non seulement pour les habitants des Balkans, mais aussi pour l'Union européenne. Dans une région qui est si fragile, où la paix, qui vient tout juste d'être retrouvée, est encore très fragile, où la démocratie est encore fragile, il est très important de notre point de vue et de celui du président français, qu'un pays comme la Macédoine qui a su faire preuve de sagesse dans sa politique intérieure et extérieure, puisse être soutenu.
Bien entendu, ici comme dans d'autres pays, il y a des problèmes, liés à l'économie, au chômage, à la place des minorités dans le pays. Mais ces problèmes peuvent et doivent être résolus par le dialogue. Et c'est aussi pourquoi nous voulons encourager et souligner la sagesse avec laquelle le pays est actuellement dirigé. On voit bien dans d'autres pays, autour de la Macédoine, que lorsqu'il n'y a pas de dialogue, on prend le risque de crise.
Naturellement, dans ces entretiens d'aujourd'hui, nous avons aussi beaucoup parlé des relations bilatérales entre la France et la Macédoine. Nous constatons et nous encourageons un intérêt des investisseurs et des entreprises françaises à venir ici travailler. Et le gouvernement français soutiendra ces investissements. Nous venons de décider d'ouvrir l'assurance-crédit pour les investissements des entreprises françaises en Macédoine. Et nous allons travailler avec le gouvernement de la Macédoine a un accord de protection réciproque de nos investissements. Voilà ce que je voulais dire avant de répondre à vos questions. J'aurai aussi, tout à l'heure, le souci de marquer la dimension, la valeur historique ou affective de cette visite en allant déposer une gerbe sur la tombe des six mille soldats français qui sont enterrés au cimetière de Skopje. En tout cas, mesdames et messieurs, j'ai été très sincèrement impressionné par l'esprit de responsabilité et la détermination des dirigeants politiques de la Macédoine qui m'ont reçu tout au long de la journée.
Q. : Comment jugez-vous les relations entre la République de Macédoine et l'Union européenne à la lumière de la signature de l'accord de coopération qui a été paraphé au mois de juin ? Quelles sont les chances de succès de la conférence des donateurs ? Et d'après ce dont nous avons été informé, les thèmes des entretiens d'aujourd'hui ont été les relations bilatérales mais aussi multilatérales. Est-ce que la question concernant le processus de Royaumont, c'est-à-dire le bon voisinage et la coopération en Europe de l'Est, a été soulevée ? Et est-ce que vous pouvez nous donner un commentaire politique de ladite initiative ?
R. : Bien entendu, madame, nous avons parlé de tout ce qui touche à la stabilité dans cette région de l'Europe, aux initiatives que la France, d'ailleurs, avait encouragées, pour construire et ensuite consolider la stabilité sur l'ensemble du continent européen, et l'établissement de relations de bon voisinage. J'ai longuement évoqué, notamment avec le Président Gligorov, la part que la Macédoine souhaite prendre à ces relations de bon voisinage avec tous ceux qui l'entourent. Quand on parle de la stabilité dans cette région, naturellement, on doit être prioritairement attentif à la poursuite et à la consolidation du processus de la paix autour de la Bosnie et la reconstruction de ce pays après quatre années de « guerre du Moyen Âge ». Quand on parle de la stabilité dans cette région, on parle aussi de la démocratie qui est une exigence pour préserver la stabilité au XXIe siècle. Si vous me permettez d'ailleurs de faire un commentaire sur l'actualité, puisque nous avons appris la décision du Président Milosevic de soumettre au Parlement une loi, la reconnaissance des élections municipales en Serbie, conformément aux conclusions de la mission de M. Gonzalez et de l'OSCE, nous accueillons cette décision de manière très attentive comme un premier pas, très positif, et nous souhaitons naturellement que le Parlement adopte très vite cette loi. Dans toute cette région, comme partout ailleurs en Europe, mesdames et messieurs, le chemin vers l'Union européenne passe absolument par la démocratie et le respect de l'État de droit. S'agissant de l'Union européenne et de la Macédoine, une première étape a été franchie avec l'accord de coopération. La France a beaucoup soutenu ce projet l'année dernière. C'était notamment l'un des soucis du président de la République française que de voir aboutir cette première étape. Et maintenant, il faut la mettre en oeuvre. Quant à la conférence des donateurs, nous souhaitons distinguer les deux démarches. Elles sont différentes. Nous souhaitons favoriser, et nous le ferons, la conclusion d'un accord positif, le 25 février. Mais il nous reste encore une partie du chemin à parcourir, avec l'ensemble des donateurs, et pas seulement de l'Union européenne. Après cette visite, j'aurai de nouveaux arguments à faire valoir au nom de la France.
Q. : Monsieur le ministre, je sais que jusqu'à présent il n'a jamais été question d'adhésion préventive de la Macédoine à l'Union européenne, mais puisque nous avons une mission préventive des forces des Nations unies, pourquoi l'Union européenne ne réfléchirait-elle pas sur une « adhésion préventive » ou une aide préventive à la Macédoine ?
R. : Attendez, madame, parlez-vous d'une adhésion préventive ou d'une aide ?
Q. : Je parle d'adhésion préventive, comme quelque chose de nouveau au sein de l'Union européenne, étant donné que nous avons la première mission préventive de la FORDEPRENU en Macédoine.
R. : Oui, mais il ne s'agit pas du tout de la même chose. Il y a cette force préventive des Nations unies et nous souhaitons qu'elle puisse continuer à être ici aussi longtemps que cela sera utile à la sécurité et à la stabilité de cette région. C'est une autre chose que l'adhésion à l'Union européenne, qui doit faire l'objet d'étapes et de procédures sur un chemin qui est assez long, et sur lequel personne n'a intérêt à prendre de raccourcis. Je pense que la Macédoine a cette vocation européenne. Nous sommes décidés à aider la Macédoine à franchir ces étapes, une à une, sérieusement. Il faut du temps pour se préparer, notamment à reprendre un jour l'ensemble de l'acquis communautaire. Ce qui est important, c'est que ce chemin soit entrepris et que la Macédoine soit maintenant engagée sur ce chemin et que, pour l'avenir, la population de ce pays, les dirigeants de ce pays sachent que le rapprochement sera continu, même s'il est progressif. Et l'un des signes de ce rapprochement, ce sont les crédits, les aides et la coopération, pas seulement financière mais technique, policière, judiciaire. Nous souhaitons l'apporter dans le cadre de l'Union européenne, ou bilatéralement à la Macédoine. Pour la Macédoine, les choses se feront comme pour les autres pays de l'Union. La règle est la même pour tous. Merci de votre attention.
Entretien avec le journal « Nova Makekonija » (Skopje, 4 février 1997)
Q. : Pendant l'année 1999 la monnaie unique doit normalement être établie. Estimez-vous qu'elle a des chances réelles de se créer et comment la France voit l'avenir de l'Union européenne ?
R. : Le passage à la monnaie unique à la date du 1er janvier 1999 est désormais irréversible et la liste des premiers pays participant à l'euro sera arrêtée début 1998. La monnaie unique fera ainsi de l'Europe une grande zone de stabilité monétaire et par là-même contribuera à la croissance et au développement des échanges internationaux. L'euro deviendra l'une des trois principales monnaies du monde, au même titre que le dollar ou le yen.
Dans cette perspective, la France fait de l'entrée dans la monnaie unique une priorité nationale. Elle s'est engagée par la voix du président de la République à respecter les critères et le calendrier du traité de Maastricht. Elle y consacre des efforts très importants.
Au-delà du bouleversement que sera l'euro, l'Union européenne s'est engagée depuis le printemps 1996 dans la réforme de ses institutions afin de se préparer à l'élargissement. Comme l'a déclaré le président de la République Jacques Chirac, il y a quelques mois à Varsovie : pour s'élargir, l'Europe doit d'abord s'approfondir.
C'est tout l'enjeu des travaux que je suis personnellement de la Conférence intergouvernementale (CIG) qui a pour tâche de réformer le traité de l'Union européenne. Un jour et demi chaque semaine, à Bruxelles, nous avançons pas à pas pour que l'Europe se dote d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune, pour que les questions de la justice et de la sécurité des citoyens soient mieux prises en compte, et pour réformer les institutions de l'Union. Il est en effet vital que ces institutions puissent continuer à fonctionner avec plus de vingt membres, alors qu'elles ont été conçues à l'origine pour une Communauté européenne constituée de six États seulement.
Q. : L'Union européenne représente un objectif et en même temps un rêve pour les pays de l'Europe centrale et orientale. Pensez-vous que tous les pays qui le souhaitent pourront entrer dans l'Union ? Qu'en est-il de la Macédoine ?
R. : L'élargissement représente pour nous tous le grand défi. Il constitue une chance historique de réunir et de renforcer la stabilité du continent européen. De notre capacité à le réussir dépend la crédibilité de l'oeuvre entreprise au début des années cinquante, à une époque où la guerre froide et l'hégémonie soviétique semblaient dresser un mur infranchissable entre les deux moitiés d'un même continent. Ce mur est maintenant tombé et l'Union européenne a reconnu que l'histoire lui imposait une responsabilité particulière à l'égard de pays qui aspirent légitimement à la rejoindre.
Ce défi doit être soigneusement préparé, tant par l'Union, que par les pays qui aspirent à la rejoindre. Le processus de rapprochement et d'approfondissement des relations avec l'Union européenne est déterminant, et ici personne n'a intérêt à brûler les étapes parce que l'adhésion à l'Union comporte des exigences économiques et politiques très fortes.
C'est aussi la raison pour laquelle le président de la République Jacques Chirac m'a demandé d'entreprendre une visite de travail dans l'ensemble des pays candidats à l'adhésion d'Europe centrale, orientale et balte. Comme vous le savez, la France souhaite en effet que tous les candidats bénéficient d'une égalité de traitement dans ce processus d'élargissement et que l'adhésion soit fondée sur les critères objectifs fixés par le Conseil européen de Copenhague.
Dans l'immédiat pour votre pays, la priorité est à l'entrée en vigueur et à la mise en oeuvre de l'accord de coopération, paraphé en juin dernier. La France a apporté tout son soutien, pour qu'il puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible. Cet accord de coopération ne constitue, à nos yeux, qu'une étape dans la voie d'un rapprochement de votre pays avec l'Union européenne, car il est légitime que votre pays aspire à rejoindre, le moment venu, cette Union.
L'Union européenne doit continuer à apporter à votre pays tous les instruments d'assistance dont elle dispose pour contribuer à ce rapprochement. Je pense bien sûr au programme Phare et l'assistance économique.
La France continuera à apporter tout son appui à votre peuple. Elle le fera avec la chaleur et la confiance qui constituent la marque des relations entre nos pays, et l'attention que suscite la courageuse transition à laquelle vous vous êtes attelés.
Q. : Quant à l'avenir de l'OTAN, quelle est la position de la France ? Quelle est la solution d'avenir pour la défense mutuelle de l'Europe ? Quelle est la position de la France à l'élargissement de l'OTAN et quant à la position de la Russie ?
R. : Parlons d'abord de l'évolution de l'OTAN. Nous sommes aujourd'hui entrés dans une phase décisive de la négociation pour l'adaptation de l'Alliance. Cette étape sera marquée par le sommet de Madrid, les 7 et 8 juillet prochains. Cette négociation sera en outre déterminante pour les relations de la France avec l'Alliance.
Le processus de rénovation de l'alliance a avancé jusqu'à présent de manière très réelle, avec une grande solidarité des Européens sur cette question. Reste à régler la délicate question du rééquilibrage des responsabilités entre Européens et Américains au sein de la structure de commandement. Depuis le début, nous avons dit qu'il s'agissait pour nous d'un aspect essentiel de la réforme de l'Alliance.
La France, pour ce qui la concerne, veut participer au succès du sommet de Madrid. Mais elle est tout aussi déterminée à obtenir un véritable rééquilibrage des responsabilités au sein de l'OTAN. Nous pensons qu'une solution satisfaisante sur le plan politique comme sur celui de l'efficacité militaire, peut en particulier être trouvée pour résoudre la question de l'européanisation du commandement Sud. Les Européens ont, en effet, en Méditerranée des intérêts considérables, comme en témoigne le dialogue euro-méditerranéen lancé il y a juste un an à Barcelone, et son implication dans le règlement du conflit israélo-arabe.
L'établissement d'une réelle solidarité européenne et le maintien d'une relation de confiance avec notre partenaire américain sont les conditions qui permettront de réussir la rénovation de l'Alliance. C'est l'intérêt de tous : de la France, des Européens et de l'Alliance.
Pour la France, la nouvelle architecture de la sécurité en Europe doit s'appuyer à la fois :
- sur la réussite de cette réforme de l'OTAN ;
- sur l'élargissement de l'Alliance atlantique ;
- sur un partenariat spécifique avec la Russie et l'Ukraine ;
- sur le renforcement de l'OSCE, afin que tout État, quel que soit son statut, puisse exprimer ses préoccupations en matière de sécurité et y être écouté.
La nouvelle architecture européenne de sécurité ne doit pas créer de nouvelles lignes de fracture en Europe. La France estime ainsi que tous les pays qui ont fait acte de candidature ont vocation à adhérer à terme à l'Alliance et elle souhaite que l'OTAN réaffirme clairement, à Madrid, que l'élargissement sera un processus évolutif. Il faudra renforcer la coopération avec les pays candidats qui ne seraient pas invités, dans un premier temps, à négocier leur adhésion à l'Alliance et mettre en place un partenariat spécifique avec ces pays, afin de répondre à leurs attentes en matière de sécurité.
Q. : La francophonie est l'un des objectifs essentiels de la politique française actuelle. Pour la Macédoine, que signifierait l'entrée dans le cercle francophone ?
R. : La francophonie se trouve au coeur de la politique étrangère de la France. À travers elle, s'expriment les valeurs universelles de mon pays.
La Macédoine serait parfaitement susceptible, si elle remplissait les conditions requises, et si elle en faisait officiellement la demande auprès de la présidence du mouvement, de bénéficier des programmes de coopération, qui touchent des domaines très divers, allant de l'aide aux systèmes juridiques et judiciaires, au développement scientifique, en passant par l'accès aux nouvelles technologies de l'information.
L'importance de la pratique et de la maîtrise de la langue que les pays francophones ont en commun est, bien sûr, une condition indispensable à leur adhésion au mouvement. C'est d'ailleurs dans cet esprit que la France a engagé un effort important en faveur de l'enseignement du français en Macédoine.
Q. : Lors de la dernière rencontre entre les présidents Chirac et Gligorov, il a été convenu d'intensifier la coopération culturelle entre les deux pays. Qu'en est-il du projet de grande exposition de la Macédoine en France, sous le patronage des deux présidents ?
R. : S'agissant de ce projet d'exposition intitulé provisoirement « 1 500 ans d'art plastique en Macédoine », l'ambassade de Macédoine à Paris a transmis, en septembre dernier, au ministère des Affaires étrangères français un dossier comportant une brève présentation de cette exposition ainsi qu'une liste provisoire des oeuvres susceptibles d'être exposées.
Ce projet est donc en phase d'examen et nous recherchons un lieu adéquat pour cette exposition. Or, les lieux d'exposition prestigieux de Paris sont le plus souvent retenus quatre et cinq ans à l'avance. Nous nous efforçons donc de trouver une solution permettant la présentation de cette exposition dans les meilleures conditions et dans les prochaines années.