Lettre de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, adressée aux préfets, sur la mobilisation des services de la police et de la gendarmerie contre les violences urbaines, Paris le 11 mars 1998.

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Circonstance : Circulaire du 11 mars sur la lutte contre les violences urbaines adressée aux préfets

Texte intégral

Au cours des dernières années les violences urbaines n’ont cessé de croître en nombre. Dans les quartiers sensibles recensés par la D.C.R.G., elles ont plus que quadruplé de 1993 à 1997. Elles se sont aussi aggravées dans la mesure où des agressions s’accomplissent de plus en plus non seulement avec des armes blanches mais aussi avec des armes à feu. Enfin, elles affectent désormais une partie croissante des zones urbaines du territoire national.

Ces violences frappent d’abord les plus démunis et les plus faibles de nos concitoyens. Elles mettent en échec l’action souvent persévérante des collectivités locales et de nombreuses associations pour lutter contre l’insécurité et elles partent sérieusement atteinte à l’autorité de l’État à qui appartient, en dernière instance la responsabilité de la sécurité. À ces divers titres, elles ne sont pas tolérables.

Même si à terme la réponse la mieux adaptée est dans le développement de la police de proximité, la situation actuelle appelle une réaction énergique ferme et rapide de l’État.

À cet effet, il vous revient, en liaison avec les représentants des Parquets et dans le cadre tracé par la circulaire du 28 octobre 1997 relative à la mise en œuvre des contrats locaux de sécurité, de mobiliser l’ensemble des services et des moyens dont vous disposez pour maintenir la tranquillité et la sûreté publiques. En particulier, vous devez veiller au meilleur emploi des effectifs de police et de gendarmerie afin de renforcer leur présence dans les villes et les quartiers où se multiplient les violences urbaines.

Pour parvenir à ces fins il importe que vous appliquiez scrupuleusement les quatre orientations suivantes :

1) Améliorer, d’abord, la connaissance des auteurs et des modalités des violences urbaines par un renforcement de la recherche et de l’exploitation du renseignement.

– En premier lieu, les services de renseignements généraux développeront leurs activités sur les villes et les quartiers objets de violences urbaines.

Par la mise en œuvre de méthodes opérationnelles de recherches (surveillances, filatures, utilisation de correspondants…) et l’emploi des matériels techniques nécessaires (camescopes, appareils photos, moyens d’observation à distance de jour et de nuit…), ils apporteront des renseignements et des informations précieuses pour identifier et situer les auteurs de ce type d’infraction et ainsi aider efficacement les autres services de police et de gendarmerie dans leurs investigations.

– En second lieu, il conviendra que les chefs des services de sécurité publique organisent la centralisation des nombreuses informations que détiennent les fonctionnaires des unités intervenant dans ces quartiers. Ceux-ci feront l’objet d’une sensibilisation à cet aspect particulier de l’activité policière.

Le « dossier technique » ainsi constitué et actualisé sur chaque quartier comportant tous les éléments opérationnels relatifs à la délinquance locale et à ses modes d’actions, sera mis à la disposition des services intervenants pour optimiser leur travail.

– Enfin, associant les services de police et de gendarmerie locaux, et en relation étroite avec les divers partenaires du quartier (municipalité, administrations, associations, responsables de services publics, de centres commerciaux…), une « cellule de veille » sera mise en place dans les quartiers les plus sensibles afin de suivre l’évolution de la situation et pressentir l’apparition de tensions ou de crises, à moins que le conseil communal de prévention de la délinquance n’apporte déjà une réponse de même efficacité.

2) Amplifier, ensuite, la recherche des situations de flagrant délit et améliorer la rigueur professionnelle des interpellations auxquelles elles conduisent, pour que la justice puisse apporter la réponse appropriée à ce type d’infraction.

À cet égard, il est impératif que des présomptions ou faits précis puissent être imputés à chacun des suspects interpellés. En effet, la responsabilité pénale individuelle des auteurs ne peut être établie que si la qualification retenue correspond exactement aux faits rapportés et aux éléments matériels recueillis. Il est primordial que les procédures qui seront dressées le soient dans des conditions telles qu’elles puissent emporter la conviction des autorités judiciaires.

Il sera largement fait appel aux brigades anti criminalité dont les effectifs pourront être augmentés, soit par des contributions d’unités analogues de départements voisins, soit par des regroupements ponctuels locaux préparés à l’avance, dont les fonctionnaires auront été dûment instruits de l’importance de leur mission.

3) Concentrer des moyens d’investigation plus importants sur les banlieues sensibles, tant pour mettre un terme aux nombreux trafics qui y entretiennent l’insécurité et les comportements inciviques que pour accroître le nombre des mises en cause des jeunes délinquants et réduire d’autant, chez eux-mêmes et dans la population environnante, le sentiment d’impunité.

Par ailleurs, le recours à la police technique ainsi qu’aux procédés de recoupement concernant les modes opératoires et les signalements devront être systématiques. Il y aura lieu également de renforcer l’utilisation des moyens audiovisuels les plus performants offrant des possibilités d’identification des auteurs de faits de violences urbaines et donner force probante aux procédures établies à leur encontre.

Ainsi, les services et unités d’investigations et de recherches et les sûretés départementales, dans les départements où elles existent, disposeront à la fois de l’information et des moyens nécessaires leur permettant d’accroître leur efficacité.

Lorsque des surveillances de longue durée ou extérieures au département concerné seront nécessaires, il pourra être fait appel aux unités spécialisées des services régionaux de la police judiciaire (brigade régionale d’enquête et de coordination, brigade des stupéfiants, groupe de répression du banditisme) pour démanteler les bandes de délinquants chevronnés sévissant dans ces zones.

4) Conforter l’ordre public pour s’opposer aux exactions, assurer la protection des personnes et des biens, et manifester à la population la volonté de l’État d’assurer sa mission régalienne.

La poursuite de cet objectif implique, sous votre responsabilité, une capacité permanente d’adaptation des dispositifs et une réaction exempte de retard lorsque des événements imprévus surviennent, pour éviter que les situations ne dégénèrent ou n’entraînent un processus difficile à maîtriser. L’action de la force publique doit tendre à isoler, dès que possible, les fauteurs de troubles.

Aussi vous appartient-il de prévoir, outre une présence policière significative sur les sites concernés, un plan départemental de regroupement et d’intervention rapide des effectifs dont vous disposez à l’image de ce qui existe déjà dans plusieurs départements. Les unités opérationnelles de vos services comme les compagnies ou sections d’intervention, et brigades anti criminalité notamment, devront y être employées prioritairement.

Exceptionnellement et en urgence, vous pourrez faire appel aux unités de même type d’un département voisin, car il est important de répondre immédiatement aux situations graves.

Il est aussi évident que ces dispositions ne sauraient exclure la mise à votre disposition des forces mobiles pour des missions de sécurisation ou lors d’incidents répétés ou comportant des risques particuliers.

Je n’insiste pas sur la nécessité de mettre également en œuvre, à l’intérieur de ces dispositifs, des moyens d’identification et des équipes d’interpellation des auteurs d’exactions, l’impunité incitant toujours à la récidive.

Enfin, malgré les difficultés du maintien de l’ordre dans les quartiers, le souci de la cohésion sociale impose que les opérations soient menées de façon exemplaire, dans le respect rigoureux des règles déontologiques de la Police.

Afin d’obtenir la meilleure synergie de ces actions, il vous appartiendra, en relation avec le procureur de la République dans le domaine judiciaire, de veiller à ce que s’établisse une coopération totale entre les divers services concernés au sein notamment du bureau départemental de coordination de la lutte contre les violences urbaines, animé par le directeur départemental de la sécurité Publique.

Il reste que ces actions n’ont pas vocation à traiter, à elles seules, le problème des violences urbaines. Elles s’inscrivent dans une politique de long terme de sécurité de proximité, dans laquelle je vous ai déjà demandé de vous investir pleinement.

Des moyens humains supplémentaires vous ont été et vous seront attribués à ce titre, avec l’apport des adjoints de sécurité qui, outre l’amélioration des conditions d’accueil et de prise en charge des victimes de la délinquance, permettra d’amplifier considérablement, aux côtés d’autres formes de prévention, les actions d’îlotage si utiles et de présence sur la voie publique.

La conclusion soigneuse et l’application attentive des contrats locaux de sécurité permettront d’associer l’ensemble des partenaires locaux, à la recherche d’une réponse plus large et concertée à ce défi collectif. Enfin, l’engagement de moyens nouveaux, tel le recrutement d’agents locaux de médiation sociale doit nous aider à restaurer progressivement l’observation de quelques règles de comportement essentielles à la paix publique.