Interview de Mme Martine Aubry, membre du bureau national du PS et présidente du mouvement Agir, à RTL le 20 décembre 1996, sur le projet de loi Debré sur l'immigration, la maîtrise des flux migratoires et sa proposition de suivi de l'immigration depuis les demandes de séjour jusqu'à l'intégration.

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Intervenant(s) : 
  • Martine Aubry - membre du bureau national du PS et présidente du mouvement Agir

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL : Le mouvement Agir a présenté un certain nombre de propositions que vous appelez « une politique de l’immigration claire et digne ». C’est donc des propositions très critiques par rapport à ce qui a été fait jusqu’à maintenant.

M. Aubry : Elles sont d’autant plus critiques que l’on a appris cette nuit, qu’à l’Assemblée nationale, a été discuté le projet de loi Debré qui avait été présentée par le Gouvernement après l’affaire des Sans-papiers de Saint-Bernard pour lutter contre l’inéquité et l’incohérence des lois Pasqua. Au lieu de cela, on se rend compte, qu’une fois de plus, le Gouvernement durcit sa politique d’immigration, considérant aujourd’hui, non seulement les étrangers – y compris ceux qui sont là depuis plus de 10 ans – comme des coupables potentiels, mais aussi ceux qui les hébergent. Nous, notre conviction, c’est qu’il n’y a pas de solutions simples et démagogiques à l’immigration.

RTL : On ne peut pas dire que les socialistes aient été très présents dans l’hémicycle.

M. Aubry : Oui, mais enfin ceux qui étaient là se sont bien battus. Et comme vous le savez, ce n’est pas notre nombre qui nous aurait permis de changer le résultat de ce vote et je le regrette profondément car, nous sommes là au cœur des problèmes des Français. Et, vouloir leur faire croire aujourd’hui, comme le fait le Gouvernement, que l’immigration c’est le problème numéro un dans notre pays, alors que nous savons pertinemment que c’est le chômage, que c’est l’exclusion et que c’est la sécurité ; vouloir faire croire qu’il suffit de durcir encore un peu plus pour régler le problème…

RTL : … Oui, mais vous savez qu’il y a un lien pour certains, entre immigration, chômage et insécurité.

M. Aubry : Oui, il y a un lien pour ceux qui restent dans des fantasmes et n’acceptent pas de regarder la réalité. Nous sommes convaincus qu’il faut continuer à maîtriser les flux migratoires, mais maîtriser les flux migratoires, ça ne veut pas dire que la France, comme l’a écrit l’Association internationale des droits de l’Homme, récemment, en arrive à l’intolérable en ce qui concerne les droits des étrangers. Est-ce que vous trouvez normal que des hommes et des femmes qui sont là depuis plus de 15 ans n’aient pas aujourd’hui une carte de séjour, que les parents d’enfants français qui ne sont ni expulsables, ni légalisables, ne retrouvent pas de cartes. La France tourne le dos aux droits de l’Homme comme nous le reprochent aujourd’hui l’ONU et un certain nombres d’organisations extérieures…

RTL : Ceux qui ont refusé la nationalisation de ceux qui sont là depuis 15 ans disent reconnaître qu’au bout d’un certain temps, on puisse être légalisable.

M. Aubry : Quand les députés votent des lois d’amnistie pour les commerçants et les artisans, ils ne se posent pas ce genre de problème. Or, ceux qui sont là depuis 15 ans, ils ont travaillé pour nous, ils ont construit une famille dans notre pays. Leurs enfants se considèrent et sont Français.

RTL : Alors justement, vos propositions, c’est essentiellement : retour au droit du sol, bien vérifier la notion d’ordre public ?

M. Aubry : Nous disons très clairement les choses : c’est-à-dire, une politique d’immigration claire et digne. Claire, cela veut dire qu’il faut afficher à l’extérieur nos principes. Nous, nous considérons que des hommes et des femmes qui sont installés depuis longtemps sur le territoire, qui ont fait leur famille, doivent avoir une carte ; deuxièmement, nous considérons qu’il faut revenir au droit du sol et qu’il faut revenir au texte antérieur à la loi Pasqua, car aujourd’hui, il faut savoir que l’on renvoie dans des pays, des jeunes qui ont été arrêtés, par exemple, uniquement pour consommation de drogue et non pas pour deal. On les renvoie dans leur pays alors que parfois, ils n’y ont plus aucun lien, aucune attache familiale et ils n’en parlent même pas la langue. C’est là où on nous regarde de partout aujourd’hui dans le monde, en proférant que les droits de l’Homme ne sont plus respectés dans notre pays.

Alors, bien sûr, il faut maîtriser les flux migratoires. Nous ne disons pas qu’il faut ouvrir les frontières à tout va, mais nous disons qu’aujourd’hui, il ne faut pas faire croire qu’on aura une immigration zéro alors qu’il existe des droits, qui sont appliqués dans tous les pays, de vivre en famille. On sait très bien qu’il y a une interdépendance des économies et tant qu’il y aura un tel déséquilibre entre le Nord et le Sud et que, nous-mêmes, nous ne serons pas porteurs d’un développement pour le Sud, on pourra voter toutes les lois Pasqua et Debré qu’on veut, cela ne changera rien. Faire croire aux Français que la solution est là, je trouve que c’est affligeant parce que cela ne fait qu’une fois de plus montrer les autres, ceux qui sont différents, comme des boucs émissaires au lieu d’essayer de régler avec intelligence, avec jugement, avec raison, des problèmes lourds qui se posent aujourd’hui à notre pays.

RTL : Autre proposition de votre mouvement : c’est le suivi de l’immigration, suivre le débat et suivre le dépôt entre les demandes de séjour et jusqu’à l’intégration ?

M. Aubry : Oui, parce que si vous voulez, aujourd’hui et depuis les lois Pasqua, tout étranger qui entre sur le territoire est considéré comme un coupable potentiel. Il rentre : il a déjà les pires difficultés même quand il est appelé pour des raisons de travail – il faut rappeler qu’il y a 80 000 personnes qui entrent légalement chaque année sur notre territoire. Il veut se marier : on commence à se demander si véritablement ce mariage n’est pas une fraude à je ne sais quelle loi. Il veut ramener ses enfants – c’est une loi internationale que de pouvoir faire le regroupement familial – on lui fait aujourd’hui, depuis les lois Pasqua, les pires difficultés. Et puis on applique la notion d’ordre public qui, pour moi, est très importante.

Je suis tout à fait d’accord pour dire que ne peuvent rester sur le territoire, des hommes et des femmes qui lui portent une atteinte grave. Mais, entre porter une atteinte grave et voler un vélomoteur ou, encore une fois, commettre un petit larcin, il y a, là, entre la peine et l’acte, une disproportion que tout le monde regarde comme néfaste par rapport aux droits de l’Homme. Donc, nous souhaitons revenir sur l’ensemble de ces éléments et faire en sorte que les étrangers puissent venir en toute clarté, sachant quels sont les critères qui sont les nôtres, que nous puissions garder, comme c’était le cas avant les lois Pasqua, un droit pour les préfets de traiter quelques situations humanitaires de santé sociale particulièrement graves. Rappelons-nous, quand même, que notre pays est un pays d’accueil même si, malheureusement aujourd’hui, nous ne sommes pas en situation économique pour pouvoir l’utiliser largement. Faisons en sorte que la France retrouve ce qu’elle est : un peu plus ouverte, un peu plus de solidarité, des valeurs humanistes même si, encore une fois, nous savons pertinemment qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas faire n’importe quoi dans une situation difficile.