Texte intégral
La « renaissance africaine », chère à Thabo Mbeki, dont les Africains peuvent à juste titre s’enorgueillir, traduit, à côté d’une affirmation politique forte, le renouveau économique et la croissance retrouvée.
Pour la troisième année consécutive en 1998, le taux de croissance de l’Afrique subsaharienne sera supérieur à la croissance démographique. Avec un taux de croissance situé entre 4 et 5 % l’Afrique subsaharienne sera, en 1998, le pôle de croissance régionale le plus dynamique dans le monde.
Pour la première fois depuis très longtemps, se dessinent donc des perspectives de sortie progressive de la pauvreté de masse pour des pays africains.
Ce mouvement ne se développera durablement qu’avec des fondations solides pour la croissance à venir, pour permettre le passage d’une économie de rente à une économie de production, et l’émergence d’activités de transformation, à côté de celles liées à l’extraction ou à l’exploitation de ressources naturelles.
C’est pourquoi ce moment est important. Il peut être pour l’Afrique, celui de la deuxième émancipation, celle de la rupture du pacte colonial et de l’entrée comme acteur à part entière au sein de l’économie mondiale.
I/ Et c’est de cette ouverture au monde que je veux d’abord vous parler.
L’Afrique est engagée sur la voie de la réforme et de la libéralisation économique et commerciale. Ce mouvement est une réponse à la marginalisation économique dont l’Afrique a été victime au cours de la décennie 1980 et au début des années 1990, marginalisation de la croissance, marginalisation du commerce mondial en pleine expansion, marginalisation des flux de capitaux privés qui se sont massivement portés vers le monde en développement depuis 15 ans mais pas assez vers l’Afrique.
Il n’y a sur ce plan pas de fatalité. L’Asie ou l’Amérique Latine n’ont pas le monopole de l’émergence. La compétitivité et la fiabilité des infrastructures publiques et des réseaux privés, la bonne gestion administrative, la sécurité des transactions, une politique d’attraction des capitaux privés, la mobilisation de l’épargne vers l’investissement productif, sont des objectifs pour tous. Ils ne sont pas hors de portée, certaines réussites africaines le montrent tous les jours.
L’Afrique doit continuer à s’ouvrir au monde. Elle réussira son ouverture en affirmant avec force sa géographie, son histoire et sa culture.
Sa géographie lui a été rendue par la fin de la guerre froide, artificiellement plaquée sur l’Afrique, à l’origine de divisions inutiles et néfastes, d’oppositions entre pays voisins, de guerres civiles destructrices.
Elle lui a été rendue par la fin du régime d’apartheid qui a naturellement réintégré l’Afrique du Sud dans l’Afrique australe, et plus largement compte-tenu de son poids, a réintégré pleinement l’Afrique australe dans le continent africain.
Cette géographie retrouvée s’exprime aussi par les solidarités régionales au sein de l’Afrique avec les différentes unions économiques régionales existantes, engagées, à des rythmes différents, sur la voie de l’approfondissement.
Il y a là un enjeu important. Il n’y a pas de croissance durable sans une dynamique interne, et un espace économique suffisamment vaste et intégré pour alimenter cette dynamique.
L’Europe doit encourager ces évolutions. C’est pourquoi il est important que la future Convention de Lomé donne un nouvel élan aux intégrations régionales au sein de la zone ACP, en privilégiant les partenariats entre l’Europe et chacun des ensembles régionaux. Les pays de la zone franc, à travers l’UEMOA et la CEMAC, seront les premiers bénéficiaires de cette évolution, parce qu’ils sont les plus avancés dans la voie de l’intégration régionale.
L’Afrique doit aussi entrer dans le monde avec son histoire et sa culture.
De son histoire, elle a hérité une relation forte et vivante avec la France.
Elle se manifeste sur le plan monétaire avec la zone franc, expression à la fois de solidarités entre pays africains, à travers leurs deux unions économiques et monétaires, et de solidarités entre ces unions et la France. Le passage à l’euro ne modifiera en rien ces solidarités, pas plus que la parité du franc CFA, assise sur des réalités économiques solides et positives. Contrairement à ce que certains ont pu dire, rien ne justifie une modification de cette parité.
Cette relation s’exprime également à travers les entreprises françaises qui investissent en Afrique, des liens commerciaux étroits et la présence de communautés africaines en France et françaises en Afrique.
Cette relation est confrontée à l’ouverture de l’Afrique au monde et l’engagement plus poussée de la France en Europe. Elle doit continuer à s’affirmer par une nouvelle alliance nouée entre la France et l’Afrique.
2/ La nouvelle alliance.
Cette nouvelle alliance doit accompagner la mise en œuvre de l’UEM. Plus d’Europe pour la France, c’est plus d’Europe pour l’Afrique, mais ce doit être également plus d’Afrique pour l’Europe.
L’UEM pour les pays africains, ce sera :
– à la fois, un marché plus intégré et plus dynamique, plus ouvert encore qu’il ne l’est aujourd’hui ;
– et aussi, pour les pays de la zone franc, un lien monétaire stable avec leur premier partenaire commercial. Deux tiers des échanges de la zone franc se feront sans risque de change dès le 1/1/99. À terme, l’euro devenant une monnaie de référence au plan mondial, certaines matières premières seront cotées en euro, ce qui diminuera la sensibilité des ressources d’exportation des pays de la zone aux fluctuations du dollar.
La nouvelle alliance, c’est la France garante que l’Europe restera engagée aux côtés de l’Afrique. Il y a une première application immédiate : dans le débat sur le renouvellement de la convention de Lomé, le Gouvernement français est mobilisé pour convaincre des partenaires parfois sceptiques, de la nécessité de ne pas banaliser la relation entre l’Europe et les ACP, mais de travailler à la moderniser.
La nouvelle alliance, c’est la France qui se battra pour que plus d’ouverture de l’Afrique au monde, ne se traduise pas par moins de solidarité, mais au contraire par une solidarité renouvelée.
L’ouverture au monde, sans politique d’accompagnement, de mise à niveau, de prise en compte des conséquences sociales des réformes, est en effet une ouverture à reculons, faute de perspectives claires et crédibles sur les bénéfices de la libéralisation, et sur l’atténuation des coûts parfois lourds de l’ajustement. Sans préparation, c’est également une ouverture au seul bénéfice du partenaire dominant dans l’échange. Ces risques sont d’autant plus forts en Afrique que certains pays africains rencontrent des difficultés structurelles, handicaps pour leur développement et leur insertion dans une économie ouverte : conditions géo-climatiques défavorables, enclavement, retards accumulés du fait du mauvais développement passé ou du poids excessif de la dette.
Que l’on me comprenne bien : je crois à la qualité des programmes passés avec le FMI. Ils favorisent l’intégration de vos pays dans l’économie mondiale. Cependant, j’ai également conscience de la difficulté politique, sociale à faire accepter certaines réformes. Dans ces cas, l’AID (ou la BIRD) doit être vigoureusement présente à vos côtés. C’est pourquoi je plaiderai pour que dans l’affectation des ressources rares au niveau multilatéral, un supplément soit alloué à ceux qui mènent les politiques les plus volontaires d’intégration dans l’économie mondiale.
L’aide en effet ne s’oppose pas au commerce comme veulent le faire croire certaines analyses rapides. Dans un contexte de réformes courageuses, souvent difficiles à mener, elle est indispensable. Elle doit :
– appuyer la création des conditions matérielles et humaines de la croissance. Cela va des politiques de formation, d’éducation, de santé, à la mobilisation de capitaux pour financer le développement des infrastructures ;
– améliorer l’environnement légal de l’activité économique et de la production. C’est l’une des dimensions de l’appui à la bonne gouvernance ;
– faciliter l’adaptation aux conséquences de la libéralisation. Le coût de l’ajustement est souvent lourd. Il doit être pris en charge collectivement.
C’est pourquoi, la France restera fortement engagée aux côtés des Africains, avec un niveau substantiel d’aide au développement. Tel est le message clairement affirmé par le Premier ministre lorsqu’a été décidé la réforme de la politique de coopération. La France est le pays de G7 le plus généreux en matière d’aide publique au développement, elle est la plus engagée aux côtés de l’Afrique, en lui consacrant en aide publique rapportée à son PIB, 16 fois plus que les États-Unis et 5 fois plus que le Japon.
Elle a des objectifs ambitieux pour l’action des institutions financières internationales, très immédiatement avec la reconstitution de l’AID-12 dont la négociation vient de débuter. La France plaidera pour que cette reconstitution puisse se faire au niveau le plus élevé possible, sans remettre en cause le principe d’un partage équilibré des contributions. Je veille à ce que les pays africains, notamment les partenaires de la zone franc, bénéficient pleinement des mécanismes et des concours mis en place dans un cadre multilatéral. L’action de la France a ainsi permis que le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Mali soient déclarés éligibles à l’initiative en faveur des pays pauvres lourdement endettés.
Enfin la nouvelle alliance, c’est une ouverture réciproque où vous nous apportez votre jeunesse, votre enthousiasme, votre fierté, votre croissance d’aujourd’hui et plus encore de demain. C’est un pacte égalitaire reposant sur l’enrichissement mutuel.
Il y a dix ans, lorsque l’on parlait de l’Afrique, le pessimisme régnait. Il y avait, en public, de grands élans lyriques. Mais, il y avait, en privé, trop souvent de la résignation et c’était la petite musique entêtante du renoncement qui se faisait entendre. Cette petite musique, la France n’y a jamais succombé.
« Je ne crois pas à l’Afrique perdue », disait François Mitterrand dans son célèbre discours de La Baule
C’était un message de solidarité et de sagesse. Aujourd’hui, alors que l’Afrique renaît mais que tant d’Africains souffrent encore, nous devons, plus que jamais, continuer à le porter tous ensemble.