Déclarations de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères et interview à "AZG", sur le développement des relations entre la France et l'Arménie, sur la surveillance des élections par l'OSCE et sur le problème du Haut-Karabakh, Erevan le 9 octobre 1996.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette en Russie, en Arménie, en Géorgie et en Azerbaïdjan du 8 au 13 octobre 1996-à Erevan (Arménie) le 9

Média : AZG - Presse étrangère

Texte intégral

Entretien au quotidien arménien « AZG » (Erevan, 9 octobre 1996)

Q. : Quel est le but de votre voyage en Arménie et dans les autres pays du Caucase ?

R. : Nous avons des liens d’amitié étroits et anciens avec l’Arménie. Comme vous le savez, le Président Ter- Petrossian est venu récemment en France. Cette visite nous a permis de renforcer encore davantage les liens d’amitié qui unissent nos deux peuples. Il est donc normal que le ministre des Affaires étrangères de la France se rende en Arménie.

Le but de ma visite dans les trois pays du Caucase est de développer les relations politiques, économiques et culturelles entre ces pays et la France, qui s’intéresse beaucoup à cette région.

Q. : Quel est l’état des relations entre la France et l’Arménie ?

R. : Nos relations sont excellentes. Nous avons à Erevan une ambassade qui est installée dans un bâtiment superbe. Elle est très active. Notre coopération dans les secteurs culturels, scientifiques et techniques touche à de nombreux domaines et permet de multiplier les échanges entre nos deux peuples. Je souhaite qu’elle continue à se développer, de même que je souhaite que soit donnée à nos relations économiques bilatérales une nouvelle impulsion. C’est la raison pour laquelle des hommes d’affaires français m’accompagnent dans ce voyage. J’espère qu’ils pourront avoir des contacts fructueux avec les milieux d’affaires arméniens.

Q. : Quelle est votre position sur le conflit du Haut-Karabakh ?

R. : Il est impératif pour le développement futur de l’Arménie que la question du Haut-Karabakh soit réglée. Il y va de la sécurité de l’Arménie, de son désenclavement, de sa place dans la région où elle doit pouvoir développer des relations de bon voisinage avec tous ses voisins. J’aurai l’occasion au cours de mes entretiens à Erevan de discuter dans le détail avec les autorités arméniennes des moyens de parvenir à la paix.

Q. : Vous venez de Moscou. Quel est l’état des relations entre la France et la Russie ?

R. : La France et la Russie ont établi des relations de partenariat privilégié. Cela signifie en particulier que nous voulons soutenir les efforts de la Russie pour s’intégrer dans la communauté internationale et pour y jouer le rôle qui doit être le sien, celui d’un pays qui compte parmi les premiers sur la scène européenne et mondiale. Les relations entre Paris et Moscou sont chaleureuses et les rencontres entre dirigeants fréquentes, en particulier les échanges entre moi-même et mon collègue Evgueni Primakov, avec qui j’ai hier évoqué les principaux dossiers de l’actualité internationale.

 

Conférence de presse devant les journalistes arméniens (Erevan, 9 octobre 1996)

Je suis en visite officielle chez mon collègue le ministre des Affaires étrangères. Le voyage, qui était prévu depuis de longs mois déjà, avait tardé à s’organiser et je suis heureux de l’accomplir.

Il s’inscrit dans le cadre d’une visite que je rends aux trois pays de la région, l’Arménie la Géorgie et l’Azerbaïdjan, que je vais visiter demain et après-demain. Je crois que nous avons abouti à des conclusions positives. Elles sont fondées sur des liens d’amitié étroits et très anciens qui unissent les peuples français et arménien. Cette amitié s’est nouée dans des épreuves. Elle s’est développée dans des périodes plus fastes et nous sommes décidés à faire en sorte qu’elle s’épanouisse au cours des années qui viennent.

Nous avons été plus longtemps que prévu chez le Premier ministre et c’est bon signe. Nous avons passé plus de deux heures et demie avec le Président Ter-Petrossian. Nous nous sommes entretenus très longtemps avec le Premier ministre. J’ai eu l’occasion de bavarder et de travailler avec le ministre des Affaires étrangères et je crois que nous avons bien rempli notre journée.

J’attachais beaucoup d’importance à cette visite en Arménie, pour de nombreuses raisons.

D’abord le Président Ter-Petrossian, que nous avons reçu à Paris, avait exprimé au président de la République le désir de le voir venir en Arménie, et j’aime honorer mes promesses. Ensuite, les relations avec l’Arménie ont beaucoup d’importance pour la France. Cela est dû à la fois à l’histoire qui lie nos deux peuples, à l’amitié très profonde qui s’est instaurée entre nos deux nations, à la présence en France d’une forte communauté arménienne et enfin au fait que nous souhaitons soutenir les efforts du peuple arménien dans sa marche pour la démocratie et le développement.

Nous avons donc consacré nos discussions d’aujourd’hui aux relations bilatérales. Je m’empresse de vous dire qu’elles sont excellentes, qu’il n’y a pas de contentieux, pas de problèmes à régler et nous sommes convenus de poursuivre ces relations aussi bien sur le plan politique, sur le plan culturel, et sur le plan économique.

Sur le plan politique, la France est souvent l’avocate de l’Arménie dans les instances internationales, notamment au sein de l’Union européenne.

Nous faisons un effort très important pour le développement des échanges culturels entre nos deux pays. Dans ce domaine, l’effort que la France fait pour l’Arménie est égal, et même supérieur à l’effort que nous faisons pour la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Je dis cela parce que nous sommes entre amis et j’espère que vous ne le répéterez pas à vos voisins.

Enfin, dans le domaine économique, nous avons de bonnes relations que nous souhaitons encore développer. Nous avons consacré l’essentiel avec le Premier ministre à cet aspect.

Ces échanges économiques restent très en deçà de ce qu’ils devraient être entre deux pays amis comme nous le sommes.

Il y a quelques projets importants pour l’Arménie qui concernent les entreprises françaises et j’espère que les offres françaises seront retenues. Nous sommes convenus avec le Premier ministre de développer un programme spécial pour l’année 1997 d’échanges entre les chambres de commerce, entre les organisations patronales, de façon à mieux faire connaître les opportunités économiques entre nos deux pays. Nous avons, au cours de ces entretiens évoqué la situation dans la région. Nous avons évoqué ensemble la situation dans le Haut-Karabakh. La France, en tant que membre du groupe de Minsk, s’efforce de contribuer à trouver une solution à cette situation. Nous pensons que les efforts de tous ceux qui ont une responsabilité engagée dans cette affaire doivent se rassembler pour permettre de parvenir à une issue qui répond aux attentes des uns et des autres. Naturellement, ce n’est pas une tâche facile, sinon le problème aurait été déjà réglé. Il va de soi que notre pays continuera à poursuivre ses efforts et se déclare disposer à apporter toute contribution qui permettrait d’accélérer une issue positive.

Je voudrais terminer en vous disant que ce sont les gouvernements qui sont en charge des relations entre les États. Mais l’amitié qui réunit nos deux peuples a un caractère populaire, qui touche l’ensemble des citoyens de nos deux nations. En m’adressant à vous, je voudrais m’adresser non seulement à des journalistes, mais aussi à la nation tout entière, au peuple arménien et le convaincre que le peuple français est attentif à son destin, à sa marche vers le progrès depuis quelques années et que nous souhaitons, au fond du cœur, l’aider dans cette voie.

Q. : (inaudible)

R. : Je voudrais apporter plusieurs éléments de réponse à cette question. D’abord, la France est respectueuse de l’indépendance des nations. Elle n’a pas l’habitude de prendre position dans les débats internes. Premier élément de considération. Naturellement, nous avons constaté que l’OSCE accomplissait ici une mission d’observation du déroulement des élections. La France est membre de l’OSCE, comme l’Arménie et je trouve que c’était quelque chose qui méritait d’être pris en considération, du fait que pour le déroulement de ces élections, les autorités ont demandé à l’OSCE d’assurer cette mission. J’ai lu ce rapport avec beaucoup d’attention. Nous avons parlé de cette question avec le Président Ter-Petrossian avec qui il y a un esprit de transparence et de franchise qui caractérise le dialogue entre amis, et le Président Ter-Petrossian a bien voulu m’indiquer qu’il avait l’intention de prendre acte des suggestions de ces documents et de faire en sorte qu’à l’avenir les dispositions applicables en matière électorale soient modifiées, comme le suggère le rapport des observateurs.

Q. : (inaudible)

R. : J’ai assez à faire avec les problèmes qui se posent réellement pour que je ne me charge pas des problèmes qui pourraient survenir. Et je ne veux pas me mêler des affaires intérieures arméniennes. Qu’il y ait une opposition en Arménie, ce n’est pas très original, qu’elle conteste les élections, ce n’est pas très original non plus. Qu’elle fasse des recours, cela prouve qu’il y a un État de droit. Toutefois, les relations État-État ne seront pas modifiées. Il y a des élections dans chacun de nos pays. M. Mitterrand a été président de la République, M. Chirac a été élu, il ne vous est pas venu à l’idée que nous allions changer l’état des relations entre la France et l’Arménie parce qu’il y avait eu des élections en France. Je le répète : je n’ai pas l’intention d’entrer dans ces débats entre la majorité et l’opposition arménienne. Il y a un proverbe en France : « Chacun son métier et les vaches seront bien gardées ».

Q. : Vous avez dit que la France s’efforce de trouver la solution au problème du Haut-Karabakh, une version qui serait en mesure de satisfaire toutes les parties. De quelle version peut-il être question si l’Azerbaïdjan insiste sur le maintien de son intégrité et la République du Haut-Karabakh ne peut admettre son existence comme partie constituante de l’Azerbaïdjan. Je voudrais aussi vous rappeler que le Parlement précédent d’Arménie avait adopté une décision selon laquelle la République d’Arménie ne signerait aucun document où il serait fait mention que le Haut-Karabakh est une partie constituante de l’Azerbaïdjan.

R. : Vous venez d’expliquer que le problème est compliqué. Je partage absolument votre point de vue. Vous me demandez si j’ai une solution toute faite. Hélas, non. Mais en revanche, je dois vous dire que, comme nous l’avons fait depuis le début de cette crise, nous souhaitons apporter notre contribution avec d’autres. Nous cherchons une solution pacifique.

Q. : Depuis l’indépendance de l’Arménie, vous êtes le deuxième ministre qui venez visiter l’Arménie. C’est un honneur pour nous. Cela prouve l’attention de la France et peut-être l’amour et les relations amicales de la France envers l’Arménie. Je voudrais savoir comment vous envisagez, à présent, les relations qui doivent se développer entre la France et l’Arménie aujourd’hui et dans le futur proche ?

R. : Entre la France et l’Arménie, c’est une longue histoire d’amour. Nous nous connaissons depuis l’origine de nos peuples. Nous avons partagé des épreuves communes et comme vous le savez de nombreuses personnes d’origine arménienne sont venues en France. C’est pourquoi les relations entre nos deux pays sont très chaleureuses. Je crois qu’on peut dire que l’Arménie est le pays le plus populaire en France grâce à sa communauté et grâce aussi à l’intensité des relations entre nos deux pays.

Nous souhaitons participer pleinement à l’effort remarquable que fait l’Arménie depuis qu’elle a retrouvé son indépendance pour progresser sur la voie de la démocratie, pour assurer son développement et pour pouvoir retrouver le chemin de la croissance. Dans cet effort, l’Arménie peut compter sur la France. Elle sera toujours à ses côtés.

Q. : Il y a deux jours, le représentant de l’opposition, M. Manoukian, aurait déclaré qu’il désirait rencontrer le ministre français des Affaires étrangères. Auriez-vous l’intention de rencontrer M. Vazguen Manoukian ?

R. : Je voudrais corriger votre information. M. Manoukian n’a pas fait de déclaration. J’ai lu une dépêche de presse disant que Mme Manoukian avait dit que M. Manoukian allait prendre rendez-vous. Mais il n’y a pas eu de démarche de sa part.

Q. : Selon vous, les événements du 25 septembre ont-ils agi sur le crédit international de l’Arménie ?

R. : Le crédit international de l’Arménie est très important, le rayonnement international de votre pays est très important. Nous avons, tous, nos débats politiques intérieurs, mais l’Arménie a une place dans le monde. Elle a un rôle important dans cette région et vous êtes certainement fiers de votre pays. Je le répète, le rayonnement international de l’Arménie nous paraît très important. C’est pour cette raison que j’ai parlé avec le Président Ter-Petrossian du document de l’OSCE et je ne vous cache pas que j’étais très heureux que M. Ter-Petrossian me dise que l’Arménie prendrait des dispositions conformément aux recommandations de l’OSCE pour que le Code électoral arménien soit modifié afin qu’on ne puisse plus voir les incidents que vous savez se produire.

Deuxièmement, le gouvernement français a condamné l’assaut contre le Parlement comme nous l’avons fait pour tout autre pays, parce que nous sommes attachés à la démocratie et que nous avons le droit de parler à nos amis. L’amitié donne des devoirs, en particulier le devoir de franchise et donc nous avons dit des choses très simples : le Parlement doit être respecté dans tous les pays du monde parce qu’il rassemble les élus. J’ai parlé avec le Président Ter-Petrossian de l’émotion qu’avait pu susciter le fait que les parlementaires soient détenus. Il m’a confirmé que sur quatre détenus, deux déjà avaient été libérés hier, un autre aujourd’hui. Et il m’a promis d’examiner ce problème à la lumière des considérations que j’ai développées devant lui. Je lui fais confiance.