Editoriaux de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Force ouvrière Hebdo" des 4 et 18 février 1998, intitulés "N'est pas indépendant qui veut" et "Contre le chômage", sur la stratégie syndicale de FO par rapport à la FEN-UNSA et sur les propositions de FO concernant l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale de FO sur le chômage à Paris le 11 février 1998

Média : FO Hebdo

Texte intégral

4 février 1998

N’est pas indépendant qui veut

Le syndicalisme et son histoire sont trop souvent méconnus (par les jeunes, par exemple, puisque le syndicalisme n’est guère ou mal intégré dans les programmes scolaires) ou volontairement oublié, ce qui peut conduire à des erreurs d’analyse et d’interprétation. C’est notamment vrai pour certains commentateurs ou soi-disant oracles qui – c’est le reflet de la pensée dominante – analysent le paysage syndical français comme un marché. Un marché dans lequel l’avenir ne pourrait appartenir qu’à ceux qui auraient compris que l’évolution économique est dorénavant incontournable, qu’elle relève du destin, c'est-à-dire, de quelque chose sur quoi personne n’aurait prise.
De grossières erreurs sont ainsi commises, par méconnaissance ou par aveuglement. Par ailleurs, le développement de l’audiovisuel contribue trop souvent à simplifier les choses en privilégiant la forme « spectacle ».

Au pire, par exemple, certains croient, ou pourraient croire, que le sigle CGT-FO est celui d’une liste commune entre la CGT et Force Ouvrière. Pour ceux-là, l’histoire syndicale débute en 1947, Force Ouvrière ne se justifie que par l’anticommunisme et le mur de Berlin s’étant effondré, Force Ouvrière n’aurait plus de raison d’exister… Nous serions en quelque sorte en état de survie temporaire !
Ceux-là, profondément marqués par la logique binaire du bien et du mal, ont tendance à tout classer dans deux catégories : accepter ou refuser, protester ou être responsable, être révolutionnaire ou être réformiste.
C’est là, bien entendu, une vision manichéenne, simpliste et fausse des choses.

Ils oublient tout simplement que la naissance de Force Ouvrière, de la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière date de 1895 et que c’est pour maintenir l’idée et les principes d’origine que des camarades ont courageusement refusé la mainmise du parti communiste sur la CGT et décidé de créer la CGT-FO.
Sur le long terme, c'est-à-dire en perspective, c’est bien la CGT communiste qui ne devrait plus exister, l’objet de sa soumission ayant tendance à disparaître. Au passage – mais c’est important – il faut toujours se méfier des effets de balancier. Il n’est pas rare que, pour donner des gages, certains soient conduits de passer d’un extrême à l’autre, de tout refuser à tout accepter, par exemple.

Lors de la scission de 1947, les enseignants n’avaient pas voulu choisir. Ils ont même prétendu qu’en restant groupés dans la FEN autonome, ils préservaient pour l’avenir la réunification de la CGT et de la CGT-FO !
Concrètement, cela les conduisit à constituer des tendances, à privilégier les liens de nature politique, ce qui ne pouvait qu’attirer le regard des gouvernements, toujours soucieux (c’est dans la nature des choses) d’anesthésier ou de soumettre le syndicat.
L’échec de la FEN est aujourd’hui patent. C’est elle qui a fini par imploser en donnant naissance à la FSU, aujourd’hui plus forte qu’elle.
D’où la tendance de la FEN de retrouver quelque raison d’être en s’acoquinant avec d’autres au sein de l’UNSA pour tenter de former une sixième organisation syndicale dont on perçoit mal l’originalité par rapport à une CFDT qui n’en demande pas tant !
Il est plus que difficile de passer de l’autonomie à l’interprofessionnel, quasi impossible s’il s’agit de pratiquer l’indépendance syndicale.
L’autonomie s’accompagne en effet, par définition, d’une vision corporatiste, voire catégorielle, et a souvent conduit, pour justifier son existence, à des formes de cogestion avec le pouvoir en place, qu’il soit public ou privé. L’autonomie est, par définition contraire à la solidarité interprofessionnelle, elle s’appuie sur les spécificités ou différences pour refuser toute délégation interprofessionnelle.

Sauf à prôner une France anglo-saxonne où tout se discute au niveau du métier ou de l’entreprise – c'est-à-dire une France qui renie les valeurs républicaines pour se fondre dans le marché – l’autonomie n’a guère d’avenir. Ou alors son seul avenir serait celui de la résignation, du fatalisme économique, de l’absence de démarche collective et solidaire. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que l’UNSA avait soutenu le plan Juppé*. Elle rêvait peut-être du système de protection sociale anglais, étatisé, en oubliant de voir qu’il avait éclaté au profit des assurances privées.

Pour les militantes et militants de la CGT-Force Ouvrière, le rôle du syndicalisme confédéré est de défendre systématiquement les intérêts collectifs et individuels de tous les travailleurs actifs, chômeurs et retraités. Et ce, quel que soit le pouvoir, quel que soit l’employeur, quelles que soient les opinions personnelles des uns et des autres.
Cela impose un syndicalisme confédéré qui soit réellement important indépendant, dans lequel ce sont les adhérents et militants qui définissent leurs positions, actions et revendications, un syndicalisme qui se veut libre de son comportement.
Par définition, ce syndicalisme, celui qu’incarne la CGT-Force Ouvrière, est perçu comme du poil à gratter. Il gène à la fois ceux qui sont enclins à tout accepter et ceux qui donnent bonne conscience aux premiers, ou les justifient, en donnant l’impression de tout refuser.

Notre force c’est notre indépendance !
Notre énergie ce sont nos militantes et militants !
Nos résultats c’est ce que nous avons déjà engrangé pour les travailleurs.
Notre objectif, c’est de permettre à l’ensemble des travailleurs et à leurs enfants de vivre dignes et libres !

Convaincus que le seul clivage qui compte dans le paysage syndical, c’est celui de l’indépendance, c’est sur la base de celle-ci que nous nous déterminons et agissons.

*N’était-elle pas membre fondateur du comité vigi-Sécu ?

18 février 1998

Contre le chômage

Conformément à la décision prise par le Comité confédéral national des 21 et 22 janvier, nous avons réuni, le 11 février, une conférence nationale sur le chômage. Participaient à cette réunion des adhérents FO au chômage d’à peu près tous les départements. Les débats furent riches quant aux expériences vécues par les uns et les autres et aux propositions et idées émises.
Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, un camarade expliquait-il que la baisse de revenus consécutive au chômage conduisait nombre de chômeurs à devoir se séparer de leur véhicule, rendant ainsi encore plus difficile la recherche d’emploi. Dès lors, disait-il, pourquoi ne pas imaginer un système de prêts à taux zéro qui permettrait aux personnes concernées d’acquérir un véhicule ?
Nombre de camarades présent(e)s ont également expliqué qu’ils avaient été licencié(e)s pour activité syndicale et que les employeurs s’évertuaient, sur la place, à ce qu’ils ne retrouvent pas de travail. Rappelons ici que, chaque année, ce sont plus de 14 000 salariés dits protégés qui perdent ainsi leur emploi.
Plusieurs intervenants ont aussi mis en avant la multitude des abus et irrégularités constatés dans la nature des contrats de travail, l’extension de la précarité, le comportement de chasseurs de primes et d’aides de nombreux employeurs.
Moult exemples ont ainsi été donnés de remplacements de départs en retraite par des temps partiels subis (avec exonération de charges sociales) ou contrats aidés. Cela explique notamment pourquoi, une fois au chômage, près de 50 % de personnes indemnisées perçoivent moins de 4 000 francs par mois, 23 % moins de 3 000 francs par mois.
Enfin, plusieurs personnes ont expliqué que le fait d’être syndiqué, d’être en contact avec d’autres, salariés ou chômeurs, aidait à mieux supporter le chômage. Cette conférence nationale constitue, pour la Confédération, une première étape.
Le 11 février au soir, une délégation, que j’ai conduite, est allée remettre au ministre de l’Emploi et de la Solidarité les 110 000 premières signatures recueillies pour notre pétition sur l’ARPE et sa révision, ce afin de permettre aux salariés ayant commencé à travailler dès quatorze ou quinze ans de cesser leur activité, avec des embauches obligatoires en contrepartie.
Si elle aboutit – et nous entendons tout faire pour –, cela permettrait à 150 000 personnes de cesser volontairement de travailler et à 150 000 demandeurs d’emploi de trouver un travail en CDI.
Telle qu’elle fonctionne actuellement (à partir de cinquante-huit ans), l’ARPE a déjà permis à 100 000 personnes de cesser leur activité et à 100 000 autres de trouver un emploi.
Ces chiffres sont à comparer avec tout le tintamarre autour de la loi Robien, dont le ministère du Travail vient d’indiquer qu’elle avait permis le maintien ou la création de 15 000 emplois (deux fois moins que ne le prétend la CFDT). On peut alors mesurer les conséquences de la situation de blocage née du refus du patronat de négocier, bien que, depuis le 10 décembre 1997, le Gouvernement ait accepté d’aider à la mise en place du système en affectant 40 000 francs par dossier individuel.
Mme la ministre du Travail et des Affaires sociales accepterait de convoquer les commissions mixtes de branches avec cette question à l’ordre du jour, ce qui est une ouverture importante.
Concernant la place des chômeurs dans les structures syndicales, la réflexion de l’organisation est centrée sur le fait qu’il faut absolument assurer la solidarité entre tous les travailleurs, qu’ils soient actifs, chômeurs ou retraités.
C’est pourquoi nous ne constituerons pas de « comités de chômeurs », mais allons mettre en place une carte confédérale de solidarité avec, bien entendu, une cotisation symbolique.
Dans les jours à venir, les Unions départementales vont recevoir un tract (tiré nationalement à trois millions d’exemplaires), exposant la revendication de FO « contre le chômage, pour un vrai travail, un vrai salaire. »
Il est indispensable que ce tract soit largement diffusé dans et hors des entreprises, en particulier devant les ASSEDIC, ANPE et autres lieux publics. Enfin, comme l’a prévu le CCN, cette campagne de sensibilisation et de mobilisation devra déboucher sur des manifestations contre le chômage.
Ensemble, nous allons, à nouveau, relever la tête.