Interview de M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, à RTL le 15 mai 1997, sur les relations entre la justice et la police et sur la campagne pour les élections législatives de 1997.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

RTL : Vous étiez dans le studio quand vous avez entendu le témoignage de cette femme policier agressée et violée dans le RER et dont les agresseurs, qu’elle avait formellement reconnus, ont été remis en liberté. Comment réagissez-vous ?

J.-L. Debré : Vous comprendrez que sur cette affaire je ne fasse aucun commentaire. Ce que je peux dire simplement, c’est que nous avons déféré des suspects à la justice et il faut maintenant que les investigations s’effectuent à charge et à décharge pour s’approcher de la vérité.

RTL : Les relations police-justice semblent un peu compliquées. Il y a d’autres cas comme le cas du juge Halphen qui souhaiterait entendre le directeur des renseignements généraux ?

J.-L. Debré : Je crois qu’il ne faut pas regarder les relations entre la justice et la police à travers quelques exemples, quelques cas ou quelques personnalités. Chacun a sa mission. Elle est fixée par le Code de procédure pénale et si chacun se tient à cette mission, il n’y a pas de problème. Vous savez, dans toute la France, la police collabore avec la justice. En ce moment même, se termine en Corse une opération qui a été faite fans le cadre d’une commission rogatoire d’un juge d’instruction, qui a mobilisé les policiers du SRPJ d’Ajaccio et même la gendarmerie. Et cette collaboration, justice, police, gendarmerie a abouti à la découverte du plus gros arsenal d’armes qu’on n’a jamais découvert en Corse. On a découvert dans le sud de la Corse, lance-roquettes, fusils mitrailleurs, fusils d’assaut, dizaines de chargeurs, cartouches, cordons détonants, charges d’explosifs, allumeurs de grenades. Bref, vous voyez que sans bruit, sans que vous ne le sachiez, tranquillement et sereinement, justice, police, gendarmerie travaillent pour régler les problèmes corses. Je prends un autre exemple avec l’islamisme. Nous avons beaucoup travaillé dans le domaine de la lutte contre l’islamisme. Tout le monde reconnaît que nous avons fait un travail exceptionnel, que nous avons interpellé les auteurs des attentats d’il y a un an et que nous continuons à le faire comme il y a quelques jours encore. Est-ce que vous croyez que l’on pourrait arriver à ces résultats s’il n’y avait pas une parfaite collaboration entre la justice et la police. Bref, ne tirez pas de conclusions d’une ou deux affaires, d’une ou deux personnalités.

RTL : Les derniers sondages donnaient plutôt un avantage à la majorité sortant à dix jours du premier tour. Le ministre de l’Intérieur que vous êtes confirme-t-il cette tendance ?

J.-L. Debré : Mon problème n’est pas de parler de sondages. En politique, il faut laisser les sondages car l’important, c’est de gagner les élections. Et je souhaite, pour mon pays, que la majorité gagne les élections. Si on prend des sujets qui m’intéressent et intéressent tous les Français comme la sécurité, la lutte contre l’immigration clandestine, on voit parfaitement qu’il y a deux conceptions, deux politiques. Il y a des socialistes qui, dans le domaine de la sécurité, ont laissé faire et on sait bien que du temps où ils étaient au pouvoir, l’insécurité –  le nombre de crimes et délits – a augmenté dans ce pays de près de 60 % et puis on voit bien aussi que depuis deux ans, nous avons pris une autre politique et que la délinquance et la criminalité a baissé de près de 10 %. Oui, il y en a qui sont laxistes, d’autres qui sont plus sérieux, plus fermes. C’est un choix. Dans la lutte contre l’immigration clandestine, il y a les socialistes qui régularisent ceux qui sont en situation illégale et puis il y en a d’autres qui essayent de dire qu’en France il faut respecter la loi. Si on ne la respecte pas, eh bien, on demande à ces personnes de quitter le territoire français. Ce sont deux conceptions de la sécurité, deux conceptions de la lutte contre l’immigration illégale. C’est cela le choix que doivent faire les Français.

RTL : Est-ce que vous souhaitez que le Président Jacques Chirac parle à nouveau ?

J.-L. Debré : Écoutez, c’est sa responsabilité. C’est à lui de décider s’il veut parler, s’il doit parler, s’il faut éclairer les Français. Quand je reprends les interventions des présidents précédents, je vois que certains sont intervenus, d’autres sont moins intervenus. C’est véritablement au Président d’en décider. Vous savez les institutions de la Ve République font du président de la République non seulement l’arbitre des institutions mais le guide de la nation. Et c’est peut-être à lui de dire quels sont les choix et aux Français de dire si ces choix sont des bons choix.

RTL : Les interrogations au sein même de la majorité sur le maintien ou non d’Alain Juppé à Matignon, si la majorité actuelle est reconduite : le choix est relativement ouvert selon Jacques Toubon pour Jacques Chirac.

J.-L. Debré : Jacques Chirac prendra ses responsabilités. Moi, je ne procède pas à un détournement des institutions de la Ve République. La Ve République et les constituants de 1958 ont voulu arracher la désignation du chef du gouvernement comme cela se passait sous la IVe et la IIIe République aux partis politiques et au Parlement et en faire la responsabilité unique du chef de l’État. C’est le sens de l’article 8, alinéa 1, de la Constitution. Actuellement, on essaye de faire évoluer les institutions en faisant que les élections législatives soient l’occasion de désigner le président de la République. C’est un détournement des institutions de la Ve République auquel je n’assiste pas et que je n’accepte pas. Par conséquent, je ne rentrerai pas dans ce débat. Le débat, aujourd’hui, en ce qui concerne les élections législatives, est de savoir si oui ou non les Français veulent une majorité pour accompagner les choix faits par le président de la République et donner à notre pays un nouvel élan.

RTL : Justement, ce que je ne comprends pas très bien, c’est quelle sera l’ampleur du changement. Alain Juppé refuse les mots de rupture et de continuité. La marge est quand même très étroite entre le nouvel élan et l’élan partagé. Ce n’est pas une continuité que d’avoir les mains liées pendant cinq ans ?

J.-L. Debré : C’est au président de la République en fonction des leçons qu’il tirera du scrutin – c’est cela la démocratie – de dire dans quelle direction il veut s’engager.

RTL : Avec plus de libéralisme selon certains ?

J.-L. Debré : Mais c’est au président de la République – je le dis encore une fois, je crois que je me fais mal comprendre. Certains disent : il faut plus de libéralisme, d’autres qu’il en faut moins. C’est possible. C’est aux français à dire s’ils veulent qu’il y ait dans ce pays une majorité qui soutienne la politique de réforme du président de la République, qui disent qu’il faut dans ce pays plus de justice, plus de sécurité, plus de respect des lois. Bref, c’est cela la démocratie. Et moi, je ne procède pas sur un pré-choix. C’est au peuple à dire ce qu’il veut.