Texte intégral
Les Français subissent durement les choix ultralibéraux des dirigeants européens. Mais nous sommes dans cette Europe et nous y serons demain : tout le problème est de la changer en lui donnant un nouveau sens.
Construire l'Europe est un impératif. En effet, la mondialisation est un défi que la France ne peut relever sans la coopération et la solidarité des Européens. Il faut donner une grande ambition à l'Europe : partager un projet d'emploi et de développement durable ; organiser la solidarité en son sein et au-delà à l'Est et au Sud. Servir cette ambition ne passe pas par le refus de la concurrence mais par la maîtrise sociale du grand marché.
Les dirigeants de l'Union européenne refusent catégoriquement de tels choix. Leur pacte, c'est la « libre » circulation des capitaux avec une monnaie unique qui en garantisse la valeur et la rentabilité. Cela mine les capacités de travail et de création, étouffe les ressorts de la croissance. Que faire ? Nous devons en premier lieu redéfinir un projet de développement national.
À cet égard il serait extrêmement grave de nous masquer nos propres responsabilités en mettant toute la difficulté sur le compte de l'Europe de Maastricht. Quand les communistes parlent d'intervention citoyenne, de projet de sécurité emploi-formation, ou d'utiliser l'argent autrement, ne pas voir que cela exige de changer en profondeur nos organisations et les institutions archaïques de notre République serait se condamner à l'impuissance. Les dirigeants communistes et les militants ont encore une culture de contre-pouvoir et de pression sur les dirigeants des entreprises et de l'État. Cela n'aide pas les citoyens à participer et à partager des responsabilités, à se mobiliser pour les réformes urgentes de l'État et de l'économie.
Les citoyens devront aussi participer eux-mêmes à la construction de l'Europe. Sans quoi notre pays fera naufrage. Or face à la réalité européenne, notre société est sous-éduquée, sous-informée, sous-représentée. L'Europe n'est pas simplement le fruit de la politique de la Commission ; celle-ci n'est qu'un mandateur des États européens. Or notre propre État trahit les intérêts de notre société, en acceptant un pacte ultralibéral. Ce pacte, qui a pu répondre aux intérêts des grandes firmes et des capitaux français, est remis en cause par beaucoup, y compris par certains dirigeants d'entreprise cherchant à redéfinir la politique européenne de la France. Mais Jacques Chirac s'inscrit dans les pas de Helmut Kohl. C'est l'Allemagne qui décide comment aujourd'hui faire l'euro, demain l'élargissement à l'Est, dans une Europe à « noyau dur » autour de sa propre puissance.
Le PCF n'est pas actuellement en mesure de rassembler les Français sur un projet européen. Le manque de travail est ancien. Les initiatives sont focalisées sur le refus de Maastricht. Des propositions telles qu'une monnaie commune ont très peu d'écho. Pour dépasser cette situation, il faut réunir deux conditions. Donner envie aux Français de construire l'Europe, en faisant une dimension quotidienne de leurs projets de vie, d'emploi, de solidarité, d'action. Et former une stratégie pour changer le pouvoir, avec une alternative non seulement en France, mais aussi au niveau européen.
La montagne paraît très élevée. Mais l'homme a su franchir toutes les montagnes. Construire l'Europe autrement appelle une ambition d'une tout autre envergure que celle que le PCF lui accorde. On peut participer à un mouvement social et politique transeuropéen. On peut rassembler les Français pour que notre peuple propose à ses voisins de nouvelles perspectives et écoute ce que ses voisins ont à dire à ce sujet.
La France devrait proposer de travailler à une union politique européenne qui réponde positivement à deux questions principales.
Que voulons-nous faire ensemble ?
- Un projet de développement solidaire exigeant notamment une maîtrise sociale du marché.
Comment allons-nous partager des responsabilités ?
- Dans les institutions placées sous le contrôle direct des citoyens, appelant leur participation, favorisant à la fois l'autonomie de chaque nation et le respect des solidarités.
Dans cet esprit – à la différence du PCF –, je ne refuse pas l'euro, mais je pense que sa réalisation doit être soumise à des conditions préalables très strictes. Un pacte commun de croissance et d'emploi serait souscrit, impliquant d'autres critères de convergence que ceux de Maastricht, la mise en oeuvre d'instruments publics de coopération et de maîtrise des marchés financiers. Cette UEM serait sans noyau dur : elle inclurait tous les pays qui veulent en faire partie, dont bien sûr l'Espagne et l'Italie. Elle serait obligée sous la direction d'un pouvoir économique commun, lequel ne serait plus celui des seuls banquiers et ministres : les élus et les acteurs sociaux y disposeraient d'un pouvoir de choix et de contrôle qui leur est aujourd'hui totalement refusé.
Le PCF refuse la perspective d'une union politique. Or nous n'aurons jamais les coopérations que nous appelons de nos voeux sans un pacte politique explicite entre les nations et les États d'Europe. L'Europe fabriquée par les seuls gouvernements et leurs appareils, c'est la préhistoire.
Je travaille sur des réformes institutionnelles permettant d'établir une participation des citoyens et des acteurs sociaux. Jusqu'ici, on les a tenus totalement à l'écart. Mon rapport sera bientôt soumis au vote au Parlement européen. Je demande la délibération publique des politiques de l'Union. Modèle social, pacte de croissance et d'emploi, directives pour le grand marché, UEM : avant toute décision, une consultation et un débat public auront lieu sous la responsabilité des élus européens et nationaux.
Je vise aussi des changements de longue portée. Un droit des citoyens à l'information sur l'Europe soit être assuré ; à cet effet, un service public sera organisé en coresponsabilité entre la nation et la Communauté. Les effets des politiques de l'Union seront évalués publiquement de façon pluraliste et contradictoire. Chaque citoyen aura le droit d'exprimer son avis sur toute décision. Les syndicats, les associations et les collectivités territoriales disposeront d'un large pouvoir consultatif et d'intervention. Les élus européens seront rapprochés des citoyens et ils auront un pouvoir de codécision avec les conseils des États.
Si ces propositions étaient retenues, elles offriraient beaucoup plus de garanties aux français que l'exercice occasionnel du droit de veto par le gouvernement français.
Celui-ci devra poser des conditions préalables pour l'euro, dont j'ai parlé – ce qui conduira à le reporter au-delà de 1999 –, et proposer la démocratisation des institutions, avec un partage des responsabilités excluant toute domination de puissance. La France pourrait trouver des alliés en ce sens, en particulier au Sud. Avec l'Allemagne, le conflit des positions doit être conduit aussi de façon constructive, la fermeté étant justifiée par la recherche d'une véritable Communauté.
Cela pourrait être la ligne de conduite d'un futur gouvernement de gauche. Faut-il un engagement formel du PS pour changer le cadre de Maastricht avant de gouverner avec lui ? Je souligne que le PS est fondé lui aussi à mettre le PCF devant ses responsabilités face au besoin de construire.
Aujourd'hui, le PCF propose un référendum sur la monnaie unique. Il est juste que le peuple français choisisse. Mais croit-on que l'échec de l'euro offrirait par lui-même de meilleures chances pour la construction de l'Europe ? Je ne le pense pas. Sans que s'affirme un mouvement porteur de solutions positives, on n'aura que le délitement de la Communauté et les replis nationaux, avec ou sans euro.
Est-ce que le PCF participera à un gouvernement avec le PS si l'euro est décidé ? Cette question, je l'ai posée à Robert Hue, qui répond ni oui ni non. Et c'est vrai que la réponse n'est pas simple. Ma conviction est que demain il dira oui, car, quand le choc est rude, on doit assumer toutes ses responsabilités pour tenter d'y faire face. Mais le problème réside dans l'impréparation du PCF face à cette hypothèse et la carence à construire un mouvement social et politique à la mesure du défi. J'ajoute que le clivage entre la gauche et la droite ne se fait pas du tout sur le non ou le oui à la monnaie unique. On le mesure tous les jours. L'entente à gauche peut se faire avec ceux qui veulent bâtir une union politique porteuse de progrès social et démocratique. Je souhaite contribuer à ce que le PCF s'engage en ce sens, et accorde dans l'immédiat un temps de discussion sur mes propositions.