Texte intégral
Le MOCI : Vous revenez de Malaisie et d'Indonésie. Quelles sont les questions auxquelles la France attache une importance particulière, au niveau multilatéral, dans la foulée de la réunion Europe-Asie à Bangkok, en mars dernier ?
Jean Arthuis : Au plan multilatéral, nous devons veiller à l'ouverture en bon ordre des marchés, au respect des grands principes, ainsi qu'aux restrictions aux échanges que certains pays auraient pu envisager – je pense à quelques initiatives américaines. À l'évidence, il est exclu de mettre en oeuvre de telles dispositions, comme le souhaite Washington, en dehors du cadre multilatéral.
Nous devons également veiller au respect des grands équilibres et à la nécessité de parvenir à une plus grande stabilité en matière monétaire. Je commencerai par citer les actions engagées à l'échelon du G7 qui ont permis d'émettre des recommandations contribuant à la stabilité monétaire.
Si nous voulons que le commerce s'exerce dans de bonnes conditions, il faut qu'une certaine loyauté soit respectée, afin que chaque partenaire puisse exploiter ses propres potentialités. Les conditions dans lesquelles les acteurs économiques opèrent doivent être claires, sans restrictions, sans déséquilibres, sans discrimination, ni manquement à ces règles élémentaires de loyauté.
Le MOCI : Croyez-vous que les « clauses sociales » (interdiction du travail des enfants, du travail forcé, etc.) réclamées par les occidentaux puissent être acceptées à la réunion ministérielle de l'OMC de Singapour, en décembre ?
Jean Arthuis : Chacun doit examiner avec lucidité les répercussions de l'ouverture très large du commerce. Dans chaque pays, la France y compris, la mondialisation donne accès à des produits vendus très bon marché qui font le bonheur des consommateurs. Mais cette ouverture au monde nous met également à l'épreuve. Nous avons conçu des conditions de travail respectueuses de notre droit, respectueuses de notre système de couverture sociale. Nous avons également prévu un certain nombre de normes en matière de sécurité et d'environnement.
À nous de résoudre nos propres contradictions et d'arbitrer entre l'envie de jouir de produits de consommation bon marché et celle de protéger notre système économique et social.
Le MOCI : Mais nos dix partenaires asiatiques de l'Asem s'opposent farouchement à ces clauses sociales…
Jean Arthuis : C'est pourquoi, nous devons prendre part à ces négociations. En premier lieu, ce qui compte, c'est une (...), un dialogue avec nos partenaires asiatiques. Il faut se parler et poser les problèmes, en se respectant mutuellement. Telle est la démarche suivie à Bangkok que nous devons poursuivre et amplifier.
Le MOCI : Vous avez souligné que, dans la conquête des marchés extérieurs, il revenait à chacun de faire son travail. Qu'entendez-vous par là ? Le dynamisme asiatique du secteur privé vous fait-il rêver ?
Jean Arthuis : L'État est là pour créer un environnement favorable, pour faire respecter un minimum de règles sans lesquelles la vie serait une confrontation d'intérêts brutaux. Les plus forts risqueraient de faire périr les plus faibles. L'État s'est constitué autour de valeurs profondément respectueuses de la personnalité humaine. Il doit donc être garant de ces valeurs fondamentales et permettre à chacun de s'exprimer et de participer dans la plus grande liberté possible, mais aussi de faire preuve d'initiative, de prendre des risques, d'aller de l'avant, chacun contribuant à sa façon à l'enrichissement de la communauté. Voilà ce qu'il faut privilégier.
Mais quand on parle de croissance aujourd'hui, on ne fait pas seulement référence à la situation internationale et aux données économiques. La croissance est d'abord le fruit du travail de tous et dépend du regard plus optimiste, plus confiant, que chacun peut porter, sur soi d'abord, sur l'avenir ensuite. Nous, Français, nous devons cesser de douter de nous-mêmes. Nous avons des compétences dans des secteurs très larges et nous pouvons même nous prévaloir de domaines d'excellence. La preuve : certains groupes multinationaux choisissent la France pour s'y implanter, comme Federal Express, IBM. Daewoo, et quelques autres. C'est bien la reconnaissance du potentiel tricolore.
Il ne faudrait pas que nous soyons les derniers à en mesurer la richesse. Parallèlement, j'ai rencontré en Malaisie et en Indonésie des communautés françaises, certes peu nombreuses mais pugnaces, déterminées, conquérantes.
J'ai été sensible à leur message, un message puissant, encourageant et qui fait justice de nos hésitations.