Texte intégral
M. Denoyan : Bonsoir.
Le nombre de chômeurs repart à la hausse. La confiance des Français continue de fondre comme neige au soleil. La majorité rappelée à l’ordre par le président Chirac. La colère sociale monte, grève dans l’Education nationale lundi prochain. Ce n’est pas un inventaire à la Prévert mais simplement la lecture de la presse parue cette semaine.
Cette actualité, nous allons l’évoquer avec François Bayrou, le ministre de l’Education nationale, mais aussi président de Force Démocrate. Monsieur le Ministre, bonsoir.
M. Bayrou : Bonsoir.
M. Denoyan : Avec Pierre Le Marc de France-Inter et Frantz-Olivier Giesbert du Figaro, nous allons vous interroger sur cette rentrée qui, si j’en crois les sondages d’opinion, apparaît aux Français d’une façon plutôt grise, sans véritable perspective, porteuse davantage de désenchantement que le bonheur.
Les Français doutent, François Bayrou. Les Français ne paraissent pas croire à la politique conduite actuellement par le Gouvernement.
Faut-il alors persister dans une ligne qui recueille de moins en moins d'accord et de moins en moins de soutien, même à l'intérieur de la majorité, comme l'a proclamé encore cet après-midi Alain Juppé ?
M. Bayrou : L'histoire des peuples, je crois que si l'on en faisait une lecture complète, on s'apercevrait d'une loi, et cette loi, c'est que l'histoire d'un peuple ne se joue jamais dans les bons moments. L'histoire d'un peuple se joue clans les mauvais moments.
M. Denoyan : Alors cela se joue depuis déjà un certain temps chez nous ?
M. Bayrou : L’histoire d'un peuple se joue lorsqu'il est en face de choix fondamentaux qui engagent son avenir de manière irrémédiable, sur lesquels on ne peut pas revenir en arrière, et sur la capacité qu'il a, lorsque ces choix sont là, à avoir le courage, la force de maintenir son cap.
M. Denoyan : Oui, mais là vous ne répondez pas tout à fait à ma question, François Bayrou !
M. Bayrou : Je réponds exactement à votre question. C'est exactement là où nous en sommes. Vous dites : « Faut-il changer de cap ? ». Changer de cap, cela veut dire quoi ? Quels sont les caps ? On va essayer d'en faire le tour, très rapide.
Premier cap : faut-il renoncer aux réformes engagées ? J'observe que la plupart de ceux qui émettent des réserves, c'est parce que les réformes ne vont pas assez vite, d'autres, c'est parce qu'ils trouvent ces réformes trop difficiles. Alors faut-il renoncer aux réformes engagées ? Faut-il en revenir aux problèmes qui sont ceux, traditionnels, qui empêchent la France d'aller aussi loin qu'elle devrait aller, évidemment ma réponse est non. Il ne faut pas renoncer aux réformes. On peut en discuter le contenu, ici ou là, mais il ne faut pas renoncer aux réformes.
Deuxièmement : faut-il, pour faire ces réformes, retrouver une vieille habitude française qui est de faire toujours plus d'impôts ou toujours plus de dettes ? Faisons des dettes, faisons des impôts, et tout ira mieux. Je crois que ce n'est pas vrai. Il n'y a pas aujourd'hui, sur la surface de la planète, un seul pays qui ait choisi cette voie. Tous les pays, contraints et forcés quelquefois, ont choisi d'en revenir au sérieux. Eh bien, nous, nous sommes obligés aussi d'avoir le sérieux.
Troisièmement : faut-il ou non que la France se retrouve toute seule, qu'elle abandonne l'idéal européen qui a porté beaucoup d'entre nous ? Evidemment ma réponse est non.
Réforme, sérieux et choix européen. Sur ces trois sujets, je suis certain que changer de cap serait mortel.
M Le Marc : La France semble être aux prises dans une mécanique infernale : peu de croissance, peu de consommation, un chômage qui monte d'une manière assez dramatique, des déficits toujours importants, des déficits publics… des creusements des déficits sociaux. Peut-on se contenter de dire : on ne change pas de cap ?
M. Bayrou : Non, mais attendez ! On n'est pas en train de jouer au tiercé, là !
M. Le Marc : Non, mais c'est la vraie question peut-on continuer une politique...
M. Bayrou : On est en train de parler de la vie d'un peuple, de ceux et celles qui le composent, et de la vie de la France. Nous traversons une période extrêmement difficile, est-ce qu'en conscience, vous, vous pouvez répondre qu'il faut abandonner l'horizon européen ? Je suis sûr que vous ne le pouvez pas.
Est-ce que vous pouvez répondre qu'il faut en revenir aux impôts et aux dettes ? Je suis sûr qu'on ne le peut pas ! On continue à faire des impôts, on continue à faire des dettes... il faut en faire plus ?
M. Denoyan : On ne peut pas rentrer dans cette logique de répondre… parce que vous nous interpellez…
M. Bayrou : …vous êtes des citoyens !
M. Denoyan : …d'accord, mais on n'est pas des hommes politiques.
M. Bayrou : Vous êtes des citoyens.
M. Denoyan : Vous nous interpellez sur des choix qui sont à l'intérieur du débat politique, il y a sans doute, peut-être aussi, plusieurs façons de faire l'Europe ? Il y a peut-être plusieurs façons aussi d'installer une fiscalité dans un pays comme le nôtre ? Alors ne rentrons pas, s'il vous plaît, dans ce jeu-là ! On pourrait y perdre beaucoup de temps.
M. Bayrou : Ah ! Écoutez, ne rentrons pas dans ce jeu-là ! C'est le jeu des Français…
M. Denoyan : Non, mais vous, vous êtes un homme politique, vous êtes membre du Gouvernement, vous répondez aux questions.
M. Bayrou : …vous êtes marrant, vous n'allez pas comme cela m'interdire de dire un certain nombre de choses...
M. Denoyan : Je ne vous interdis rien…
M. Bayrou : Je ne vous ai jamais interdit de poser une question…
M. Denoyan : ...heureusement !
M. Bayrou : …je trouve légitime que vous les posiez, permettez-moi d’être maître des réponses.
M. Denoyan : Oui, mais, là, vous venez de poser des questions.
M. Le Marc : C'est la question que les Français se posent. Ce ne sont pas des questions de journaliste.
M. Bayrou : Lorsqu'on est devant des choix cruciaux pour l'avenir, cruciaux pour les enfants ou les jeunes dont j'ai la charge, je ne jouerai pas avec les faux espoirs dont je suis certain qu'ils conduisent au gouffre. Je ne jouerai pas avec cela.
On peut discuter, ici ou là, de telle ou telle inflexion, bien entendu, mais sur les fondamentaux de la politique qui ont été choisis en 1993 et 1995, alors on ne peut pas jouer, en tout cas à mes yeux.
M. Giesbert : Si cette politique n'est pas comprise, il doit bien y avoir une raison, peut-être même plusieurs raisons. Quelles ont été les erreurs commises, d'après vous, par le Gouvernement au cours des derniers mois ?
M. Bayrou : Toujours des erreurs de communication. Il n'y a pas d'équipe, il n’y a pas d'homme qui n'en fasse pas. Vous-même, vous en faites. Les journaux en font. Les journaux ont des problèmes de vente. Tout le monde commet des erreurs.
La seule question est de savoir si, en face de ces erreurs qui peuvent arriver, en face de ces problèmes de communication qui peuvent arriver, l'on décide de maintenir le cap, ce qui est la preuve des caractères. Les caractères, on ne les découvre pas quand il fait beau. Les tempéraments de marins, on ne les découvre pas quand la mer est calme. La capacité et le caractère se découvrent quand cela va mal, quand c'est difficile. C'est donc le moment d'affirmer ce caractère et cette capacité.
C'est le moment où la majorité doit, à mon avis, renoncer aux faux-semblants qui consistent pour chacun à faire sa petite phrase et à se poser la question non pas de l'intérêt des uns ou des autres – on y pensera quand il fera beau – mais de se poser la question de son devoir à l'égard des Français.
M. Giesbert : Est-ce qu'un peu de pédagogie ne ferait pas du bien ?
M. Bayrou : Vous me permettez d'arriver au bout ?... de son devoir à l'égard des Français.
Je dis qu'aujourd'hui le devoir des hommes politiques à l'égard des Français, c'est d'être attentifs à ce qu'ils sentent et quelquefois souffrent et, en même temps, d'être fermes sur les choix fondamentaux, de parler avec les Français de l'essentiel, et pas de se contenter de faire comme on le fait, c'est-à-dire les jeux internes du microcosme politique : chacun faisant sa petite phrase où se faisant plaisir parce que c'est la rentrée...
M. Denoyan : …vous pensez à Séguin, Pasqua et à Balladur qui n'étaient pas au discours de Juppé ?
M. Bayrou : …non, je ne cite personne.
M. Denoyan : Vous y pensiez là un peu, quand même ?
M. Bayrou : Non. Il y a des moments où chacun peut jouer sa carte, faire entendre sa différence, sa petite musique, je trouve cela tout à fait normal quand cela va bien.
Aujourd’hui c’est difficile, et aujourd’hui il me semble que les Français n’attendent pas des hommes politiques qu’ils jouent chacun leur différence, ils attendent des hommes politiques qu’ils soient capables de leur proposer ensemble une lecture de la situation, de justifier la confiance qu’ils ont mise en eux.
M. Giesbert : Oui, mais ils attendent aussi des hommes politiques qu'ils parlent. N'y-a-t-il pas une incapacité du Gouvernement à faire de la pédagogie, à expliquer sa politique, au fond ?
M. Bayrou : Ecoutez, ce n'est pas seulement au Gouvernement, tout le monde doit parler. Les responsables de la majorité, les responsables des formations politiques doivent parler autant que le Gouvernement et doivent peut-être aider le Gouvernement à parler…
M. Giesbert : Le débat aujourd'hui en France n'est absolument pas au niveau ? C'est cela que vous voulez nous dire ?
M. Bayrou : Non, je veux dire qu'il y a peu de Gouvernements et peu de majorités – j'ai connu les deux périodes de 1993 à 1995 et de 1995 à aujourd'hui, j'étais membre des deux Gouvernements, celui d'Edouard Balladur et celui d'Alain Juppé – qui ont essayé de donner à la France des chances nouvelles en faisant les réformes qu'elle attendait depuis des années et des années sans les trouver. Eh bien je trouve que cette majorité devrait se resserrer autour du Gouvernement et l'aider, ou alors proposer d'autres choix, mais je n'en entends pas…
M. Denoyan Le chômage augmente, vous avez entendu les chiffres tout à l'heure : 40.000 chômeurs de plus au mois d'août. Vous avez sans doute eu connaissance de l'enquête de l’O.C.D.E. sur la pauvreté chez les jeunes Français, qui s'accroît, les différences sociales s'accroissent. Vous dites : il faut faire des efforts, il faut continuer le chemin… Mais il faut continuer combien de temps à ce que le chômage s'accroisse et que la pauvreté augmente ?
M. Bayrou : Comment répond-on à la pauvreté ? Pas avec des mots. On répond à la pauvreté en faisant de la richesse dans un pays…
M. Le Marc : …et de la redistribution.
M. Bayrou : On en fait beaucoup.
M. Le Marc : Trop à votre avis ? Et de manière juste… ?
M. Bayrou : …on répond à la pauvreté…
M. Le Marc : …François Bayrou, trop à votre avis de manière juste ?
M. Bayrou : …la question n'est pas seulement celle du partage du gâteau, la question est de faire grandir le gâteau. Si nous ne sommes pas capables de faire grandir le gâteau, il n'y aura pas de partage du gâteau.
Je dis que l'un des éléments d'information positifs que nous avons entendu ces derniers jours, ce n'est pas de France qu'il est venu, c'est du Fonds Monétaire International qui a dit qu'à son avis la croissance de l'année prochaine serait beaucoup plus forte que la croissance de cette année en France, parce que des efforts avaient été faits, et même – le Fonds Monétaire International est allé plus loin – il dit qu'il faut encore poursuivre dans la voie de ces réformes budgétaires en particulier.
M. Denoyan : Nous mourrons guéris, cela me rappelle un peu les médecins de Molière !
M. Bayrou : Pas du tout ! Nous mourrons si nous ne sommes pas capables de comprendre notre maladie. Nous mourrons si des démagogues reviennent sur le devant de la scène et font croire aux Français qu'il suffit de revenir aux pratiques d'hier, qu'il suffit d'abandonner les efforts pour que tout aille bien. Eh bien, je suis persuadé que ceux-là non seulement se trompent mais continueraient à une vitesse très rapide la France à un gouffre que l'on n'imagine pas.
C'est un pays très fragile que celui dans lequel nous vivons. C'est un pays très fragile parce qu'il a un très haut niveau de vie. Il a du mal à continuer à construire la richesse qui lui permet de garder ce niveau de vie. Il avait pris des habitudes de facilité dont il a du mal à se sortir.
Si, aujourd'hui, on le convaint ou on le convainquait – je m'aperçois qu'il y a peu de propositions qui vont dans ce sens - de revenir à ces facilités-là, je suis persuadé qu'on lui rendrait le plus mauvais des services. Et comme c'est ma conviction profonde – j'espère que vous l'entendez dans ma voix –, je n'ai pas envie, même pour faire plaisir, de dire le contraire.
M. Le Marc : Vous avez parlé tout à l'heure d'inflexions possibles, alors vous êtes l'un des grands responsables de la Majorité, avez-vous une idée de ces inflexions possibles ? Y-a-t-il une ligne U.D.F. ?
M. Bayrou : Il y a toujours des possibilités d'aller plus vite sur tel point, d'aller plus loin sur tel autre, de trouver des réponses qui, jusqu'à maintenant, n'ont pas été explorées. La politique ne s'arrête pas aujourd'hui.
Bien entendu le Premier ministre passe son temps à essayer de trouver des pistes nouvelles, sur l'emploi des jeunes par exemple. Je suis persuadé qu'il faudra aller plus loin sur l'emploi des jeunes. Le Président du Sénat, René Monory, l'a dit. Je partage son sentiment.
La chance du premier emploi : dans les semaines qui viennent, nous allons pouvoir proposer des choses plus efficaces ou nouvelles sur ce point. On a toujours des politiques nouvelles à trouver…
M. Le Marc : Edouard Balladur propose une relance salariale, desserrement des freins salariaux ....
M. Bayrou : … et il faudra en trouver. Mais c'est très clair pour moi : si c'est renoncer aux droits fondamentaux, que je défendais tout à l'heure, alors il n'y a pas d'avenir pour la France. Je le crois vraiment.
Et donc il faut avoir, quand les temps sont particulièrement difficiles, le courage de se rassembler autour de l'essentiel.
M. Giesbert : Monsieur Bayrou, vous avez fait l'éloge d'Alain Juppé compétent – je vous cite – désintéressé, courageux. Or, si les mots ont un sens, François Léotard, lui, qu'on entendait l'autre jour, disait grosso modo que « la politique du Gouvernement menait la France à la ruine ». Je caricature un peu, mais c'était cela !
M. Bayrou : Vous caricaturez complètement…
M. Giesbert : Un petit peu.
M. Bayrou : C'est drôle ! Pourquoi ne dit-on pas les choses ? Pourquoi essaie-t-on toujours d'opposer ?
Frantz-Olivier Giesbert, les trois adjectifs que j'ai employés pour Alain Juppé, il y a en effet un mois, et que je maintiens… ces trois adjectifs, François Léotard a repris les mêmes, au mot près, il y a 15 jours dans une émission sur LCI, je vous passerai le script. Et vous le savez très bien ! Mais c'est vrai que c'est plus facile d'opposer les gens.
M. Giesbert : Mais il y a son discours aux Journées Parlementaires…
M. Bayrou : François Léotard, je le vois assez souvent…
M. Giesbert : …son discours aux Journées Parlementaires n'a pas dû vous échapper ?
M. Bayrou : Vous y étiez ?
M. Giesbert : Non. Mais j'ai lu.
M. Bayrou : Moi, j'y étais, et son discours aux Journées parlementaires, c'était précisément ce que je viens de dire, à une réserve près…
M. Giesbert : …un discours de soutien, alors ?
M. Bayrou : …à une réserve près, qui est la seule qui ait été entendue naturellement, sur les modes de scrutin et la pratique de l'ouverture, c'est la seule que vous ayez entendue. Pour le reste, François Léotard a dit au mot près…
M. Giesbert : …personne n'a rien compris, alors ?
M. Bayrou : …ce que j'ai dit devant vous.
Ce n'est pas que personne ne comprenne rien, c'est que le monde médiatique, dans lequel nous vivons, ne se satisfait pas que les gens s'entendent, et ils cherchent à ce que les gens s'opposent, c'est la règle du jeu.
M. Le Marc : Est-ce que vous pensez que la majorité partage votre avis sur le Premier ministre ? Est-ce que vous pensez que cet avis est partagé, après les deux Journées parlementaires de Deauville et du Havre ?
M. Bayrou : Je pense en tout cas qu'il est indispensable pour la majorité qu'elle accepte de présenter aux Français un langage cohérent, qu'elle arrête de se disputer, qu'elle arrête de faire des petites phrases et qu'elle se resserre autour de ceux qui, en son nom, conduisent l'action gouvernementale.
M. Le Marc : Mais elle ne critique pas simplement le Premier ministre. Elle critique aussi la politique qu'il applique.
M. Bayrou : Ou alors qu'une autre politique soit proposée, ce qui amènerait naturellement des changements de cap majeurs. Pour l'instant, je n'en entends pas.
Je vais prendre un exemple : Alain Madelin, que vous présentez comme un adversaire de l'action gouvernementale...
M. Denoyan : Il se présente tout seul !
M. Bayrou : Ce n'est pas qu'il dise que cela va dans le mauvais sens, il dit qu'il faut aller plus loin dans le même sens. Qu’il faut consentir des efforts plus importants dans le domaine budgétaire, par exemple.
Alors on peut discuter du rythme… mais je ne vois pas là de critique fondamentale de l'action. Donc je dis que la majorité aujourd'hui doit, dans le contrat qu'elle a signé avec les Français il y a 3 ans… il me semble que la principale ligne, c'est : au long des 5 années pour lesquelles nous vous avons élus, s'il vous plaît, soyez sérieux, entendez-vous. Au lieu de vous critiquer les uns, les autres, essayez de vous soutenir quand les choses vont mal ou quand les choses sont difficiles. Eh bien, c'est à cela que les Français aujourd'hui aspirent.
M. Le Marc : Mais, sincèrement, vous ne pensez pas que la majorité a besoin d'une nouvelle donne, d'une relance politique, tout simplement pour retrouver sa confiance ?
M. Bayrou : Ce sont des mots !
M. Denoyan : Sinon vous allez arriver dans quel état aux élections législatives ?
M. Bayrou : Ce sont des mots. Je ne sais pas ce que ces mots veulent dire !
M. Le Marc : MAUX ?
M. Bayrou : Est-ce que nouvelle donne signifie qu'il faut changer de politique ? Qu’il faut que la France se présente dans le concert des Nations en disant : « J'ai choisi, moi, France, toute seule, de recommencer à faire des impôts et des dettes, par milliard, et j'ai choisi, moi, France, d'abandonner le projet européen ». Si tel est le cas, en effet, c'est une nouvelle politique. Je la combattrai de toutes mes forces. Je la crois profondément nuisible. Et c'est sur ces fondamentaux-là que nous serons jugés.
M. Le Marc : Mais est-ce qu'il ne peut pas y avoir un autre Premier ministre qui mette en œuvre cette même politique ? Est-ce que cela vous paraît exclu ?
M. Bayrou : Pour l'instant, l'heure est à soutenir le Gouvernement de la part de la majorité et à défendre l'action de la part des membres du Gouvernement. Je suis, sur ce point-là et depuis longtemps, de l'avis que le président de la République a exprimé. Il a eu, me semble-t-il, raison de dire qu'on ne peut pas être dedans et dehors à la fois.
Ma conviction profonde, c'est qu'il n'y a pas de place pour l'opposition dans la majorité. C'est un autre exercice que d'être dans l'opposition.
La politique qui est appliquée aujourd'hui, c'est la politique qui a été définie à deux reprises au moment des élections, en tout cas c'est la lecture que j'en fais, et c'est pourquoi je suis dans le Gouvernement solidaire, et solidaire de la Majorité.
M. Giesbert : Je voudrais revenir un peu sur votre ami François Léotard, vous ne vous en sortirez pas comme ça, puisqu'on nous a interrompus…
M. Bayrou : Pourquoi voulez-vous que je m'en sorte ?
M. Giesbert : Vous pouvez nous confirmer que François Léotard assure un soutien sans faille au Gouvernement, parce j'ai l'impression de ne rien avoir compris ?
M. Bayrou : Je vous confirme non pas seulement par intuition, mais pour en avoir parlé avec lui, et vous verrez, la semaine prochaine, qu'il le dira, j'en suis sûr, au moment du discours de politique générale et du vote de confiance. Je vous le confirme pour en avoir parlé avec lui.
M. Giesbert : Donc l'UDF est derrière le Gouvernement comme un seul homme ?
M. Bayrou : L’UDF est dans la majorité, solidaire du Gouvernement, comme un seul homme.
M. Denoyan : On va parler un peu des jeunes, de l'école. Je rappelle quand même que vous êtes ministre de l'Education nationale...
M. Bayrou : Vous faites bien de le rappeler...
M. Denoyan : Je fais bien de le rappeler pour ceux qui nous écoutent.
M. Bayrou : J'en suis très heureux.
M. Denoyan : Vous n'êtes pas seulement un chef de parti politique. Ce matin, sur France Inter, à A + B, Jack Lang était l'invité d'Annette Ardisson. Je vous propose d'écouter un petit extrait.
M. Lang : Rien ne contribue plus à la démoralisation de nos concitoyens que cette manière qu'ont certains dirigeants à ne pas faire ce qu'ils disent. Quand on fait voter une loi-programme sur l'Education, un contrat sur l'école et que la moitié des dispositions ne sont pas appliquées, comment voulez-vous ne pas démoraliser d'abord les premiers serviteurs de l'Education nationale, les professeurs, les éducateurs, ceux qui encadrent les enfants, les parents ? Comment voulez-vous ne pas créer dans le pays un sentiment de doute ?
Ce non-respect de la loi s'est aggravé par la restriction des moyens. On ne peut pas d'un côté dire « guerre à la violence », et je suis pour puisque j'avais moi-même pris toute une série de mesures pour mettre hors-la-loi cette violence, et en même temps diminuer de 5 000 postes les moyens de l'Education nationale ?
M. Denoyan : Et lundi, vous aurez à faire à une grande grève de l'Education nationale…
M. Bayrou : Deux choses : si Jack Lang avait fait dans l'Education nationale les réformes qui s'imposaient, je ne l'aurais pas trouvée, j'imagine, dans l'état où elle était et il ne faudrait pas conduire aujourd’hui les réformes qui s'imposent. C'est aussi une trace de cet immobilisme dont nous avons à sortir. Mais je n'ai pas envie de polémiquer avec Jack Lang.
Je dis une seule chose : tous les efforts qui vont être faits de stabilisation budgétaire pour qu'on ne continue pas à augmenter les impôts et les dettes, tous ces efforts à l'Education nationale seront faits, écoutez-moi bien, sans qu'un poste d'enseignement ou un poste d'encadrement présent devant les élèves soit supprimé.
M. Denoyan : « Présent devant les élèves », cela veut dire que derrière, dans le personnel administratif, vous allez dégraisser.
M. Bayrou : Non, non, il ne s'agit pas de cela. Sans qu'un poste soit supprimé d'enseignement ou d'encadrement, et c'est tout de même très important de souligner que cet effort va être fait au moment où, pour la 4ème ou 5ème année consécutive, le nombre des élèves baisse de 60 000. Ceci sera vérifiable à la rentrée prochaine. Il y aura plus de classes ouvertes à la rentrée prochaine, malgré 60 000 élèves de moins, qu'il n'y en aura cette année. Il y aura plus de maîtres devant les élèves à la rentrée prochaine qu'il n'y en aura cette année. Il y aura plus de personnel d'encadrement, de surveillants, à la rentrée prochaine qu'il n'y en aura cette année.
M. Denoyan : C'est bien ça…
M. Bayrou : Nous allons seulement faire des efforts d'organisation différente pour que cet effort formidable de l'Education nationale soit conduit dans une organisation qui ne coûte pas trop cher à l'Etat. Je veux vous signaler quand même que le budget qui augmente le plus, de tous les budgets français l'année prochaine, c'est un des budgets de l'Education nationale, c'est le budget de l'Enseignement supérieur : près de 6%. Les postes que je vais créer, si Monsieur Lang les avait créés, je n'aurais pas besoin de les créer.
M. Giesbert : Vous avez commencé quelques réformes, quelques petites réformes, vous avez annoncé d'autres réformes, il y a déjà une grève des enseignants. Est-ce qu'on peut réformer l'Education nationale, qui jette tant de jeunes chômeurs sur le marché du travail chaque année ?
M. Bayrou : Attendez, ce n'est sûrement pas l'Education nationale qui jette les jeunes chômeurs…
M. Giesbert : Elle les fabrique, ils sortent de l'Université.
M. Bayrou : Vous êtes rigolo, c'est marrant que vous ayez une présentation aussi simpliste et aussi fausse des choses. Faire peser sur l'Education nationale…
M. Giesbert : Ce n'est pas moi qui ait inventé les jeunes chômeurs…
M. Bayrou : …la responsabilité de la panne de l'économie française, ou de l'économie européenne, ou de l'économie du monde développé, c'est indigne. L'Education nationale, elle fabrique...
M. Giesbert : Est-ce qu'il n'y a pas un problème de jeunes chômeurs en France ? Est-ce qu'il n'y a pas en France une proportion beaucoup plus importante que dans les autres pays ?
M. Bayrou : Ce n'est pas l'Education nationale qui les crée ; c'est que le système économique français n'est pas assez accueillant pour les jeunes. C'est une autre histoire.
M. Denoyan : La formation des jeunes n'est pas adaptée au marché du travail d'aujourd'hui.
M. Bayrou : Pas du tout, elle est totalement adaptée. Il y a toujours des progrès à faire, mais les jeunes ne sont pas au chômage en raison de leurs diplômes, ils sont au chômage parce que les emplois n'existent pas. Il est totalement anormal qu'on fasse porter à l'Education nationale, qui est en première ligne de toutes les fractures et de toutes les difficultés de la France, qu'on fasse porter aux enseignants, qu'on fasse porter à l'Education nationale et aux diplômes qu'elle donne, la responsabilité du chômage. Ce n'est pas vrai, je suis obligé de m'inscrire en faux.
M. Giesbert : C'est un peu facile, Monsieur Bayrou, parce que là, évidemment, je ne mettais pas en cause l'Education nationale, ses enseignants ; je mettais en cause simplement le système qui mériterait quand même quelques petites retouches.
M. Bayrou : Non seulement des retouches, mais des réformes profondes.
M. Giesbert : Par exemple, un Premier Ministre très impopulaire, un Premier Ministre socialiste très impopulaire, avait commencé des réformes intéressantes sur le plan de l'apprentissage. On sait très bien que s'il y a moins de jeunes chômeurs par exemple en Allemagne, c'est parce qu'il y a un apprentissage qui est extrêmement développé, ce qui n'est pas le cas en France. Qu'est-ce que vous allez faire dans ce domaine ? Est-ce que vous pensez que vous avez vraiment une marge de manœuvre, parce qu'on a l'impression que, dès que vous avancez un pied, tout le monde se lève ?
M. Bayrou : Je ne suis pas d'accord avec ce pessimisme-là. Nous avons une marge de manœuvre, et les réformes, nous sommes en train de les faire. Cette année, à l'Université, vont se mettre en place, vont être mises au point des réformes fondamentales qui n'avaient pas été faites depuis 25 ans.
Les États généraux de l'Université, que nous avons conduits au printemps dernier, ont conclu à un accord comme il n'y en a jamais eu autour de l'Université française et parmi ses membres, jamais. On va mettre en place une nouvelle politique de l'orientation, dès cette année. On va mettre en place une nouvelle politique des diplômes à l'Université, une nouvelle organisation du temps de travail, une nouvelle organisation des carrières. Et les universitaires ont dit oui. Présenter l'Education nationale comme un organisme conservateur, qui refuse le progrès, c'est une présentation des choses dont je sais qu'elle est coutumière, mais que je ne peux pas accepter.
M. Giesbert : C'est une grande machine et moi je ne peux pas accepter non plus que l'on me fasse dire que je mets en cause le travail des enseignants et des professeurs. Ma mère était enseignante et je peux commencer aussi la litanie…
M. Bayrou : Votre mère enseignante, elle sait qu'elle a...
M. Giesbert : Je voulais moi-même être enseignant...
M. Bayrou : C'est dommage que vous n'ayez pas poursuivi cette idée jusqu'au bout.
M. Giesbert : C'est un très beau métier.
M. Bayrou : J'aurais été heureux de vous y accueillir.
M. Le Marc : Vous dites que tout va bien, que les réformes sont en marche. Il n'empêche que...
M. Bayrou : Attendez, je n'ai pas dit que tout va bien.
M. Le Marc : …les professeurs font grève lundi, les parents d'élèves sont inquiets sur l'avenir de l'Education nationale, ils le disent, et les Français en majorité, il y a le sondage de CSA-La Croix qui en atteste, sont eux aussi inquiets sur l'avenir de l'Education nationale, sur le produit qu'elle donne et sur le service qu'elle rend à la France et aux Français. Comment expliquez-vous cela ? Est-ce que c'est une insuffisance de communication ? Est-ce que c'est un malentendu ?
M. Bayrou : Non, c'est la très grande difficulté de l'époque que nous vivons. C’est normal que les Français se fassent du souci pour leurs enfants et c'est normal qu'ils demandent à l'Education nationale d'apporter la meilleure réponse possible.
M. Le Marc : Mais ils trouvent que la réponse n'est pas bonne.
M. Bayrou : Ce n'est pas vrai. On a eu les problèmes de violence. La violence ne naît pas à l'école, c'est l'école qui en souffre. C'est à l'école qu'on essaie de la combattre, mais elle vient de la rue, elle vient des écrans de télévision, elle vient des difficultés des familles, elle vient des difficultés sociales. Et qu'y a-t-il pour combattre cette violence ? C'est l'école ; c'est le seul endroit où on la combatte. C'est pareil pour la culture : où transmet-on la culture, hélas pas assez, ailleurs ? Et c'est l'école qui le fait.
C'est pareil pour la formation professionnelle. Vous avez eu raison de défendre l'apprentissage. Permettez-moi de dire aussi que la formation professionnelle publique réalise des miracles avec des jeunes qui quelquefois sont mal dans leur peau, étaient mal dans leur peau dans le système classique. Je trouve que tout cela, on a raison de le dire. Mon métier à moi, c'est de défendre l'Education nationale.
M. Denoyan : Et d'en faire aussi un outil performant pour la Nation.
M. Giesbert : On n'attaque pas, on voudrait l'améliorer.
M. Bayrou : Non seulement en faire un outil performant pour la Nation, mais en faire un des meilleurs outils du monde. Ce que vous pourrez vérifier, vous qui voyagez beaucoup, c'est très simple : dès que vous allez à l'étranger, le modèle de l'éducation français est présenté comme un modèle universel. Je reçois chaque semaine des ministres de l'Education de tous les pays du monde qui viennent dire : « Comment faites-vous pour faire en France un système aussi bien, qui a réussi en aussi peu de temps à recevoir davantage de jeunes à l'Université, à multiplier par deux le nombre des jeunes reçus à l'Université ? »
M. Denoyan : C'est vrai qu'ils sont plus nombreux à l'Université, mais ils suivent les cours de la fac dans des conditions tout à fait souvent inacceptables.
M. Bayrou : Mais ce n'est pas vrai.
M. Denoyan : Mais si c'est vrai.
M. Bayrou : Il y a des choses à adapter. Cette année, à cette rentrée, je crée 4 000 postes à l'Université. Quand a-t-on atteint des chiffres pareils ? Ecoutez-moi bien : jamais. Cette année, à cette rentrée, j'ai proposé qu'on mette en place un tutorat à l'Université, c'est-à-dire que pour la première fois, de manière généralisée, des jeunes étudiants confirmés vont s'occuper d'autres jeunes, les étudiants qui rentrent à l'Université. Quand avait-on fait cela ? Jamais. Je vais cette année essayer de faire que les problèmes soient réglés du passage du lycée à l'Université, qui sont si difficiles, d'inscription, d'orientation, de choix pour les jeunes, et pour qu'on trouve des moyens nouveaux pour que ces problèmes ne se posent plus. Quand l'avait-on fait ? Jamais.
Je ne suis pas en train de me délivrer des satisfecit, mais je voudrais dire seulement, parce que ce n'est pas moi qui le fais, que ce système que vous attaquez tant, celui de l'Education nationale, c'est le seul qui aujourd'hui offre à des jeunes des réponses qu'ils n'auraient pas trouvées autrement, et que le procès qu'on fait à l'Education nationale est quelquefois un faux procès.
M. Giesbert : Si vous me permettez, Monsieur Bayrou, j'ai le sentiment que vous répondez à côté. On est tous d'accord pour dire qu'on a un très bel enseignement universitaire, qu'on a des enseignants formidables, que ce soit d'ailleurs dans le primaire ou dans le secondaire. Mais il y a un vrai problème : c'est qu'il y a trop de jeunes en France, contrairement à d'autres pays, qui sortent de l'Université ou qui sortent des cycles universitaires pour aller directement au chômage. Vous le savez bien. C'est cela le vrai problème. Cela veut dire que notre système n'est pas adapté, qu'il faut l'adapter. C'est tout ce qu'on se permettait de dire. Et vous semblez dire qu'il est bien adapté.
M. Bayrou : Non, pas du tout. Il est adapté du point de vue de la construction d'une culture générale et pour beaucoup de jeunes, ceux qui sont dans le cycle technique et professionnel, il leur donne une vraie formation technique et professionnelle. L'insertion dans la vie professionnelle est mal réglée par l'économie et par l'Education nationale…
M. Giesbert : Voilà, on y vient.
M. Bayrou : ...les deux, l'insertion dans la vie professionnelle. Et c'est en effet une grande difficulté...
M. Denoyan : Qu'est-ce qu'on peut faire ?
M. Bayrou : Si vous aviez suivi attentivement ce qu'on a fait pour l'Université...
M. Giesbert : Cela m'arrive...
M. Bayrou : ...mais je sais qu'on ne peut pas tout suivre, vous auriez vu qu'à partir de cette année nous allons construire une obligation d'initiation professionnelle pour les étudiants dès la première année de l'Université. C'est-à-dire qu'au lieu de nous poser le problème de la profession à la fin des études, on va commencer à le poser dès la première année à l'Université et on va essayer de donner à chacun, sous une forme d'alternance, la chance de découvrir la vie économique le plus tôt possible, au lieu de le faire tard.
Ceci est une révolution et c'est très difficile à construire, parce que les stages par exemple, il faut bien que les entreprises puissent les offrir. Mais c'est sur ce point-là principalement que nous allons changer. Vous avez raison de dire que ce qui cloche le plus, c'est la charnière entre la formation et la vie professionnelle.
M. Le Marc : Vous appartenez à une famille politique dont la sensibilité politique est très européenne. Est-ce que vous restez un Européen optimiste, alors que certains membres de cette famille commencent à s'inquiéter et même à désespérer ? Et que pensez-vous de la contestation montante de l'attitude française dans la démarche européenne ? On reproche de plus en plus au président un manque d'ambition européen et surtout une soumission aux volontés de l'Allemagne, dans la construction notamment de la monnaie unique.
M. Bayrou : Cela fait partie des procès que j'évoquais, et ce sont des procès que je récuse. Si le président de la République n'avait pas d'ambition européenne, je ne serais pas dans le Gouvernement. Je considère que c'est un choix fondamental pour la France, dans les dernières années du siècle que nous vivons, de savoir si elle veut s'isoler ou si elle veut construire un ensemble européen puissant, capable de se faire entendre, disposant des mêmes outils que les autres ensembles du monde, je pense à la monnaie par exemple.
Cette affaire est en train de se jouer ces jours-ci. Les reproches…
M. Le Marc : Au bénéfice de qui ?
M. Bayrou : Les reproches que l'on fait à la politique notamment budgétaire et économique du Gouvernement, ce sont des reproches qu'il faut mettre en relation avec cet enjeu européen. Si la France renonçait par malheur à faire l'Europe, à ce moment-là, pour moi, elle choisirait la voie de son effacement et du malheur pour les Français.
Vous le disiez : j'appartiens à une famille qui croit à cela depuis longtemps, mais aujourd'hui cela crève les yeux. Qu'est-ce qui fait la force des États-Unis d'Amérique ? Un des outils majeurs des États-Unis d'Amérique, qui ont par ailleurs des problèmes sociaux très importants, des difficultés dans leurs peuples, un des outils majeurs est le dollar. Alors est-ce qu'il faut que l'Europe se dote d'une monnaie ou pas ? Certains, à mots couverts, entre les lignes, commencent à dire : « Ce n'est pas urgent, cette affaire. Pourquoi ne le retarderait-on pas, pourquoi ne le reculerait-on pas ? Après tout, qu'est-ce que cela changerait ? »
Si on le retardait, cela ne se ferait pas, et si cela ne se faisait pas, des générations et des générations seraient en droit de nous mettre en accusation pour manque de courage et pour manque de lucidité. Moi je n'ai pas envie de succomber à ces pièges-là. Ce qui se joue aujourd'hui, vous avez raison de le dire, c'est grave, c'est crucial, c'est historique. Je préfère être du côté de ceux qui disent : « L'enjeu historique aujourd'hui est de donner à la France la chance européenne ; sans cela sa voie ne sera plus entendue.
M. Giesbert : Il se passe aujourd'hui des événements très graves au Proche-Orient. Que peut faire la France ? Vous n'êtes pas ministre des Affaires étrangères, mais vous avez bien une petite idée.
M. Bayrou : Je crois ce qu'elle essaie de faire, c'est-à-dire inlassablement de remettre les deux acteurs autour de la même table, de prendre des initiatives officielles et officieuses, pour que les deux réussissent à se parler,...
M. Giesbert : Où sont les responsabilités à votre avis ?
M. Bayrou : ...pour que les deux réussissent à s'entendre, et c'est ce que fait la France, je crois, avec beaucoup de force. Un des éléments nouveaux depuis que le président de la République a été élu, c'est que la France, je crois, se fait entendre avec une voix nouvelle dans cette région du monde, avec une force nouvelle dans cette région du monde, et une crédibilité nouvelle.
M. Denoyan : Mais il faudrait peut-être que la communauté internationale fasse entendre sa voix en ce qui concerne le statut de Jérusalem, puisque là c'est au cœur même des violences que nous vivons actuellement.
M. Bayrou : Vous avez raison sur ce point.
M. Denoyan : Quel est votre point de vue là-dessus ?
M. Bayrou : Le même que le vôtre : je crois qu'il faut que la communauté internationale réussisse à se faire entendre sur les sujets cruciaux.
M. Giesbert : Vous pensez donc que le Premier Ministre israélien a eu tort ?
M. Bayrou : Je suis membre du Gouvernement, je n'emploie pas des expressions de cet ordre...
M. Giesbert : C'est ce qu'on a compris.
M. Bayrou : Ce serait de l’ingérence dans les affaires d’un pays. Je dis qu’il y a une situation très dangereuse, dont beaucoup de gens souffrent, en Israël aussi, et que cette situation impose que les responsables acceptent de se mettre autour de la table et de reprendre inlassablement le processus de paix interrompu, parce qu’autrement ce sont de terribles risques qui se jouent. C’est compromettre ce que probablement cette région du monde a de plus précieux.
M. Denoyan : Monsieur Bayrou, je vous remercie.