Interview de M. Michel Péricard, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale et ancien journaliste, dans "Libération" du 29 octobre 1996, sur l'insuffisante "neutralité" de l'information de l'audiovisuel public et sur le dossier de l'audiovisuel extérieur.

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Libération : Regrettez-vous le départ forcé de Levaï de France Inter ?

Michel Péricard : Il faisait la revue de presse avec beaucoup de talent… Et beaucoup de finesse pour l’orienter, non seulement en politique intérieure mais aussi en politique internationale, dans un sens qui lui était favorable. Par exemple sur le Moyen-Orient, il était très nettement partisan. Il vient de choisir de diriger un journal de presse écrite. Cela est incompatible avec une revue de presse.

Libération : Pourquoi mettez-vous en cause France Info, coupable selon vous de mener un combat politique ?

Michel Péricard : J’écoute beaucoup France Info. Elle a un penchant qui apparaît très visiblement : un jour, on a entendu quarante fois dans la journée que tous les chiffres de l’Insee étaient mauvais, ce qui était vrai. Mais le lendemain, d’autres chiffres ont été publiés qui montraient des signes évidents de reprise, il n’en a presque pas été question sur France Info. Donc, le traitement était faussé. Au-delà de cette critique qui peut paraître suspecte venant de moi, je crois qu’il y a un problème de conception de France Info : la non-hiérarchisation des nouvelles et leur répétition perpétuelle donnent à des affaires mineures une importance colossale. Il devrait y avoir des nouvelles « quatre étoiles », les plus importantes, qu’on répèterait constamment, des nouvelles « trois étoiles » qu’on donnerait une fois sur deux…

Libération : Évidemment, le contexte économique et les nouvelles diffusées ne vous sont pas favorables…

Michel Péricard : Ce n’est pas seulement un problème de politique intérieure, c’est vrai aussi sur les faits divers. C’est la conception même de France Info qui devrait être remise en question. Elle est un peu usée.

Libération : Votre position n’est-elle pas paradoxale, puisque c’est un succès d’audience et que la tendance est au tout-info ?

Michel Péricard : Justement, et j’ai dit à des journalistes de France Info : « Prenez garde à ce que quelqu’un n’invente quelque chose de plus attractif et que France Info ne fasse figure de ringard ».

Libération : Portez-vous les mêmes critiques sur France Télévision ?

Michel Péricard : Dans l’affaire des sans-papiers, les journalistes se sont laissés aller à leurs émotions. Quand on est journaliste, on ne doit pas avoir d’émotions. Je constate qu’on a vu des CRS brutaux arracher des gens à l’église Saint-Bernard !... Mais il n’y a pas eu un blessé, pas une égratignure ! On peut à partir de n’importe quelle image et surtout de n’importe quel commentaire donner l’impression d’une brutalité extraordinaire, d’une apocalypse pas du tout conforme à la vérité. Donc la télévision n’était pas neutre.

Libération : Certains de vos collègues du RPR jugent la rédaction de France 2 « gauchiste », est-ce votre avis ?

Michel Péricard : C’est un peu sommaire. Mais c’est très intéressant d’avoir vu les réactions des journalistes à propos de leur abattement fiscal. Certains souhaitent le maintien des 30 %, c’est leur droit. D’autres proposent un boycott inacceptable des hommes politiques. Donc beaucoup cèdent à leurs impulsions, plus sur France 2 que sur France 3, ce n’est pas sain. Un haut responsable socialiste m’a dit : « Je ne comprends pas que vous supportiez d’être traités ainsi, nous ne l’aurions pas supporté. »

Libération : À quoi pensez-vous précisément ?

Michel Péricard : Aux impôts, par exemple. A peine avait-on expliqué que l’impôt allait baisser que les journalistes ont sorti des explications pour montrer que ce n’était pas exact… Quand un journal est engagé, il a le droit de contester les faits, mais l’audiovisuel public n’a pas ce droit !

Libération : Expliquer les faits, c’est bien le rôle du journaliste…

Michel Péricard : Pendant une période, les journalistes de l’audiovisuel public n’ont fait que rapporter des faits. Puis ils ont voulu les expliquer, les commenter, puis les juger, maintenant ils veulent y participer ! On nage en pleine équivoque. Ce n’est pas le rôle des journalistes de juger ni de monter des coups ! L’explication et le commentaire sont peut-être acceptables à condition qu’ils restent dans les limites de l’équilibre.

Libération : Monter des coups ?

Michel Péricard : On le voit dans les problèmes de justice et société.

Libération : Sans la presse, les « affaires » ne verraient pas le jour…

Michel Péricard : Entre mettre à jour des dossiers et servir de relais à tel ou tel groupe de pression, tel ou tel juge, il y a une grande différence.

Libération : Avez-vous le sentiment d’être mieux traité sur TF1 ?

Michel Péricard : Je dirais que TF1 s’intéresse un petit peu moins à la vie politique que France 2…

Libération : Souscrivez-vous au souhait de créer un « CNN à la française » et pensez-vous qu’il faille s’appuyer sur LCI ?

Michel Péricard : Je pense qu’une chaîne d’informations télévisées continues coûte extrêmement cher. Quel est le succès de CNN ? Ce ne sont pas les informations ordinaires. C’est la présence immédiate de CNN dès qu’il y a un évènement imprévu n’importe où dans le monde. Cela suppose des moyens considérables. Si on ne fait pas cela, la chaîne ne sera que ce qu’est LCI, à destination des Français, pas davantage. Il y aurait donc intérêt à rassembler les télévisions privées et publiques.

Libération : Que pensez-vous de la volte-face du gouvernement qui compte écarter France Télévision et donc Gouyou Beauchamps du pilotage du dossier « audiovisuel extérieur » pour le confier à Jean-Paul Cluzel, un proche d’Alain Juppé ?

Michel Péricard : L’un des grands échecs de ces vingt dernières années est la politique extérieure audiovisuelle de la France. Pourtant c’est un formidable instrument de promotion et d’exportation. Or, nous sommes à une place lamentable par rapport aux autres puissances. Nous sommes victimes de guerres de clans entre les différentes sociétés, RFI, TV5, sans compter les administrations de tutelle qui sont diverses. Nous sommes dans une situation de confusion extrême, avec un gâchis préoccupant. L’idée de tout regrouper, avec des moyens accrus, est évidemment très bonne. Le confier au pôle public ? Le risque serait alors que ce dossier devienne le parent pauvre, parce que le moins visible.

Libération : Ne serait-ce pas plutôt parce que Cluzel est RPR et que Gouyou Beauchamps est UDF ? Comment se fait-il que l’UDF ait la mainmise sur les médias ?

Michel Péricard : C’est la preuve du libéralisme du RPR… Cela me donne d’ailleurs une certaine liberté de ton. Mais je crois qu’il y a des professionnels que personne ne discute…

Libération : Qui ? Gouyou Beauchamps ?

Michel Péricard : Gouyou Beauchamps est un professionnel qui n’a pas été discuté. Effectivement, c’est un bon exemple… On verra comment il va s’en acquitter.