Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à RMC le 11 juillet 1996, sur la "diplomatie de la navette" au Proche-Orient, le rôle de la France dans le monde, la crise de la "vache folle" et les relations économiques avec l'Asie.

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Média : RMC

Texte intégral

Q. : Est-ce qu'à l'étranger, cela affaiblit la France ?

R. : Non, ne croyez pas cela, ni de près ni de loin. Malheureusement, dans le monde d'aujourd'hui, la France n'est pas seule. Des scandales, hélas, on en a vu fleurir aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, sans compter d'autres pays plus lointains, et il est un fait qu'aujourd'hui la corruption est un phénomène mondial.

(…)

Q. : On en entend moins parler depuis votre mission au Proche-Orient en fait ?

R. : Je ne l'ai pas faite seul. Je l'ai faite sur instruction du président de la République et avec son soutien. Je crois que nous avons mené une action pour l'influence de la France au Moyen-Orient.

Q. : Cela va apporter personnellement beaucoup ?

R. C'est une expérience exceptionnelle, car c'est la première fois dans l'histoire de la diplomatie française que nous pratiquons ce que les Américains font de temps en temps, et que l'on appelle la « Shuttle diplomatie », la diplomatie de la navette. C'était une grande première dans la diplomatie française. Elle était à risque, mais elle a été très réussie, et je peux vous dire qu'au Proche-Orient, cela a provoqué un effet très considérable, non seulement chez les gouvernants, qui ont vu la détermination de la France, qui ne va pas changer d'un iota dans cette région du monde, mais aussi chez les peuples qui ont vu que la France d'hier, amie des peuples du Moyen-Orient, était de nouveau présente.

Q. : D'une certaine manière, la tension entre le nouveau Premier ministre israélien et l'Amérique, si nous étions un peu cyniques, cela ne fait pas un peu le jeu de la France ? Cela donne du poids à sa position ?

R. : Non. Tout ce qui fait reculer l'objectif de la paix est contraire aux objectifs de la diplomatie française. De ce point de vue, je ne peux que regretter aujourd'hui que ce processus de paix, déjà très largement engagé entre Israël et les Palestiniens d'un côté, Israël et la Syrie de l'autre, paraisse aujourd'hui en attente.

Q. : Êtes-vous inquiet ? Vous avez dit : « Il recule ». Par la faute de qui s'il vous plaît ?

R. : J'ai dit que ce processus était en suspens, en attente, et que tout cela, en effet, non seulement ne fait pas progresser la cause de la paix, mais comporte des risques, car il faut être bien conscient que dans cette région du Proche et du Moyen-Orient, il y a ceux qui veulent la paix. Je crois que c'est l'immense majorité des peuples et des gouvernements !

Q. : M Netanyahou la veut ?

R. : Oui, je crois. Il y a maintenant un débat de fond, et il y a aussi les vrais adversaires de la paix. Ceux-là, on les a vus par le terrorisme, par tous moyens, chercher à reculer le calendrier de la paix, chercher à bloquer le processus de la paix. Je vous le dis franchement, je redoute que cette période d'attente, si elle se prolongeait, ait pour effet de donner de nouveaux signes d'encouragement aux adversaires de la paix.

Q. : Que faut-il faire alors ? Que doit-il se passer dans cette région maintenant ?

R. : En fait, il n'y a pas beaucoup de choix. Il faut d'abord respecter le calendrier des échéances prévues, cela vaut dans la négociation entre Israël et la Palestine. Des engagements ont été pris, qui concernent Hébron, un calendrier de négociations a été prévu, qui concerne l'avenir de la Palestine et l'avenir de Jérusalem. Il faut respecter les engagements qui ont été pris et qui engagent l'ensemble des parties sur cette négociation.

Q. : Notre pays peut-il prendre une initiative ?

R. : La France en prendra certainement, mais l'idée n'est pas de frapper les opinions par des grandes actions. L'idée est d'aller sur place, ce que je ferai dans une dizaine de jours certainement.

Q. : Vous visiterez quels pays ?

R. : Les pays de la région, ceux dont nous venons de parler.

Q. : Tous ?

R. : À peu près tous certainement, pour aller parler avec chacun, et pour chercher à apporter notre contribution dans cet exercice essentiel qui consiste à rapprocher les uns et les autres, et à renouer le fil de la paix, et peut-être à recoller les morceaux.

Q. : La diplomatie de la navette en quelque sorte, vous la recommencez ?

R. : Non, c'était un exercice très précis, en raison d'une circonstance particulière, un drame qui se jouait au Liban. J'avais annoncé que je ne partirais pas avant que le problème ne soit résolu. Nous ne sommes pas dans la même situation. Je vais me rendre sur place, rencontrer les uns et les autres, parler, pas simplement écouter, dire quel est le point de vue de la France.

Q. : La France n'est pas en compétition avec les États-Unis sur ce terrain-là ?

R. : Franchement, je ne crois pas. Je parle de ces questions très souvent avec les Américains, notamment avec le secrétaire d'État américain, mon homologue M. Warren Christopher. Le Président en parle régulièrement avec le président Clinton. À Lyon, cela a été un de nos sujets de discussion et de dialogue. Américains et Français, dans ce domaine, n'ont pas toujours les mêmes idées, n'ont pas nécessairement le même point de vue à tout instant, mais nous travaillons dans le même but et nous travaillons ensemble.

Q. : Cela ne va pas leur faire plaisir de ne plus être seuls dans cette partie du monde comme dans d'autres parties du monde ?

R. : Il faut s'habituer à l'idée que la France est là, et plus précisément qu'elle est de retour. Cette détermination de la diplomatie française, personne ne peut penser que l'on pourra la mettre sous...

Q. : Sur la personne et le rôle de M Boutros Boutros-Ghali, allez-vous vous mettre d'accord avec les Américains ?

R. : Je ne sais pas. M Boutros Boutros-Ghali est, comme vous le savez, une personnalité de très grande envergure qui a très bien réussi dans son mandat de secrétaire général des Nations unies, et que nous les Français nous aimons bien, car il est profondément de culture française. Il parle remarquablement français, il représente le continent africain à l'ONU. S'il exprime, comme il a paru le faire, l'intention d'être de nouveau secrétaire général, je suis persuadé que beaucoup de pays le soutiendront.

Cependant, je crois qu'il est prématuré de lancer aujourd'hui je ne sais quelle campagne électorale. J'ai observé avec intérêt et beaucoup de sympathie que l'Organisation de l'unité africaine, qui s'est réunie ces jours-ci, a exprimé le souhait que M. Boutros Boutros-Ghali soit de nouveau secrétaire général à la fin de son mandat. C'est sympathique. Cela veut dire que le continent africain est tout entier derrière le secrétaire général, c'est un bon signe.

Q. : J'ai l'impression que les États-Unis veulent maintenir leur domination sur le monde et que cela ne leur fait pas plaisir que d'autres nations, et notamment la France, interviennent dans ce jeu-là. C'est votre sentiment aussi ?

R. : Je ne pense pas que l'on devrait, dans cette conversation ni dans toute autre d'ailleurs avoir l'idée d'opposer la France et les États-Unis. Nos deux pays ont une très longue tradition d'entente et d'amitié qui date de la création des États-Unis, et qui ne s’est jamais démentie. Nous n'oublions pas non plus que les États-Unis sont venus deux fois au secours de l'Europe et au secours de la France dans ce siècle. Nous avons des liens extraordinairement forts, nous partageons les mêmes valeurs, nous défendons dans le monde de demain des idées communes.

Q. : Cela n'empêche pas la rivalité ?

R. : Cela ne l'empêche pas en effet. Cela n'empêche pas l'idée que la France a son rôle et sa place dans le monde d'aujourd'hui. Ce que j'observe en voyageant à l'étranger, c'est que beaucoup de pays qui ont des liens très amicaux avec les États-Unis souhaitent, en même temps, avoir un monde multipolaire. Ils n'aimeraient pas vivre dans un monde unipolaire, dans lequel il n'y aurait qu'une seule grande puissance qui ferait la part entre le bien et le mal pour tout le monde, et qui fixerait à chacun sa ligne de conduite. De ce point de vue, on se tourne assez souvent vers la France, parce qu'elle a cette marque, qui lui est propre, d'avoir une forte identité et de l'exprimer avec une détermination sereine, ce que fait très bien d'ailleurs Jacques Chirac. Ce mouvement qui s'affirme depuis l'élection présidentielle, sous l'autorité du président de la République, est un mouvement qui rencontre un très bon écho dans le monde d'aujourd'hui.

Q. : Changement complet de domaine. Il y a un an jour pour jour avait lieu la tuerie de Srebrenica. Les auteurs ou initiateurs présumés du massacre, Mladic et Karadzic, sont inculpés de génocide, mais ils courent toujours. Quel sort doivent-ils avoir à vos yeux d'abord, et n’y-a-t-il pas une sorte d'indifférence générale qui est en train de s'installer autour de toute cette affaire ? Je n'incrimine personne, on n'a pas l'air très déterminé à « leur rentrer dedans », si vous me permettez l'expression ?

R. : Non, je ne crois pas que l'on peut dire cela. Où doivent être M. Karadzic et M. Mladic ? Très simplement, devant le Tribunal pénal international, c'est cela leur destin. C'est le voeu, c'est la position politique de la France. La place de MM. Karadzic et Mladic est devant le Tribunal pénal international.

Q. : Ne faut-il pas aller les chercher et les y conduire ?

R. : Qui doit faire cela ? Il y avait un premier problème à résoudre qui incombait à la communauté internationale, c'était l'application des accords de Paris négociés à Dayton. Ils prévoient très expressément que ceux qui sont inculpés devant le Tribunal pénal international ne doivent exercer aucune responsabilité politique dans les instances des États de la région, et que d'autre part, ils ne doivent pas être candidats, ils ne peuvent pas être candidats aux élections prévues le 14 septembre prochain en Bosnie-Herzégovine. C'est ce qu'il y a dans les accords de Dayton. C'est ce à quoi la communauté internationale s'est engagée. C'est ce que nous ferons. C'est ce que Carl Bildt, aidé par la communauté internationale et par la France, a obtenu, puisque ces deux décisions ont été annoncées sur place avant le 1er juillet.

Q. : Avouez que c'était un minimum peut-être non ?

R. : Oui, bien entendu, mais ce sont les engagements pris par la communauté internationale.

Q. : Y-a-t-il une vraie volonté politique de les arrêter ?

R. : Il ne s'agit pas de juger avant, encore que l'on en sache assez pour avoir chacun son sentiment. Il s'agit de les conduire devant le Tribunal international qui doit juger et qui aura au nom des peuples du monde à prononcer telle ou telle sanction qu'il jugera bonne. De ce point de vue, cette responsabilité incombe d'abord aux responsables politiques et aux autorités locales, et naturellement, je souhaite que la communauté internationale y apporte son concours.

Q. : Autre sujet dans la même ligne, c'est la Tchétchénie. L'élection passée, la guerre reprend. Est-ce que l'on va laisser se faire massacrer les Tchétchènes ? Va-t-il y avoir une initiative européenne ? Ne faut-il pas empêcher de laisser le temps passer ?

R. : Je trouve sympathique ce que vous dites. Chaque fois qu'il se passe quelque chose dans le monde, va-t-il y avoir une initiative européenne ?

Q. : Ce n'est pas forcément sympathique, c'est aussi une conception de l'ordre du monde, du sort des individus etc.

R. : Au meilleur du terme, j'en conviens volontiers. Que se passe-t-il ? Il y a eu un cessez-le-feu. Des accords ont été signés le 27 mai à Moscou, puis le 10 juin. Ils avaient suscité de réels espoirs de paix. Ces espoirs doivent se concrétiser, et je ne peux que déplorer que les hostilités aient repris, et exprimer le souhait que le chemin de la négociation soit repris dans les meilleurs délais.

S'agissant de l'intervention de la communauté internationale et notamment de l'intervention européenne, il y a sur place une mission de l'OSCE. Elle a contribué, à certains moments, lorsqu'elle a été en possibilité de le faire, à rapprocher les fils du début de négociation. Cela s'est passé il y a quelques mois. Je souhaite que l'OSCE aujourd'hui puisse, sous l'autorité de sa Présidence, qui est suisse et qui aura notre concours et notre soutien pour cela, reprendre son action pour que les combats cessent et que l'on puisse trouver une solution pacifique.

Q. : Pourrait-on dire, en forçant le trait peut-être, que l'accalmie n'était qu'électorale et qu'au fond, la communauté internationale « s'est fait avoir » par Boris Eltsine, qui avait basé une partie de sa campagne électorale sur le retour au calme précisément ? Cela pose un problème ?

R. : En l'occurrence, ce seraient les électeurs russes qui se seraient fait « avoir ».

Q. : Tout le monde a supplié Boris Eltsine en Occident, d'une façon générale, les capitales l'ont fait de manière directe ou indirecte ?

R. : En tout cas, il est clair que la position de la France est de souhaiter, y compris avec le concours de l'OSCE, c'est-à-dire le concours européen, que les combats cessent et que le dialogue puisse reprendre. Il ne peut pas y avoir de solution en Tchétchénie, comme ailleurs, autrement que par la voie du dialogue. Ceci vaut pour les uns et pour les autres, bien sûr.

Q. : De manière plus globale, on a l'impression que l'Europe piétine ?

R. : Quelles sont les deux grandes échéances de l'Europe ? La première est la monnaie unique, et le bon aboutissement de ce que l'on appelle la conférence intergouvernementale qui permet de renégocier le traité de Maastricht sur un certain nombre de points qui méritent d'être améliorés. Sur l'EURO, les choses vont bien, elles vont même me semble-t-il très bien, nous serons prêts le 1er janvier 1999, et ce qui me frappe, c'est que 1995 a été l'année du doute alors que 1996 est visiblement, de la part des opinions publiques, comme de la part des marchés l'année des certitudes. Je crois que tout le monde est convaincu maintenant que la France et l'Allemagne entraînant avec elles un certain nombre de pays, plus nombreux que l'on ne le pensait d'ailleurs, sont décidées désormais à être prêtes le 1er janvier 1999, à mettre en place cette monnaie qui désormais a un nom. Du coup, un certain nombre de pays, qui avaient plutôt misé sur les incertitudes, sont maintenant en train d'en tirer les conséquences pratiques et de s'organiser le plus tôt possible. L'Espagne et l'Italie par exemple.

Q. : Parler de l'Europe en pleine crise de la « vache folle », n'est-ce pas tomber dans un certain décalage ? Dans quel état l'Europe sortira-t-elle de cette crise de la « vache folle » ?

R. : Posez-moi une question à la fois. Je vous dis, les échéances, c'est la monnaie, c'est la conférence intergouvernementale, et ceci avance. La vérité, c'est qu'elle, avance beaucoup moins bien. Il y a des problèmes particuliers...

Q. : Il y a une réticence de l'opinion ?

R. : Oui, je ne le conteste pas. C'est pour cela que je voulais vous parler des problèmes spécifiques du moment. Le vrai problème du moment est le problème de la « vache folle ». Vous ne pouvez pas accuser l'Union européenne d'être responsable de cette maladie. C'est une tragédie pour nos éleveurs. Je suis moi-même l'élu d'un grand département de l'ouest où l'élevage bovin a une très grande importance. C'est une tragédie pour eux et c'est aussi une tragédie pour notre pays, parce que la place de l'élevage bovin en France est tout à fait essentielle.

Q. : Les mesures prises sont-elles suffisantes pour les éleveurs ?

R. : Je crois que ce sont déjà des mesures fortes, mais je voudrais que les éleveurs soient bien convaincus que le gouvernement français prendra toutes les mesures qui permettent de sauver la filière bovine.

Q. : On sent qu'il y a un sacré mécontentement ?

R. : Ce n'est pas du mécontentement, c'est de l'angoisse. Lorsque je rencontre les éleveurs, leur problème est tout simple. Jusqu'à présent, quand ils vendaient leurs bovins, ils pouvaient payer les factures qui leur avaient permis de les élever, de les produire et de les nourrir et d'en tirer de quoi vivre. Maintenant, ils vendent ces bovins à 13 francs le kilo alors que le prix était à 22 ou 23 francs. Ils s'en sortaient à peine à 22 ou 23 francs, à 13 francs, c'est la catastrophe. Pour l'instant en effet, c'est une situation catastrophique, qui ne peut être que compensée par des aides de la Communauté ou par des aides nationales. Je vous assure que c'est un problème central, que les gens des villes ne comprennent pas, mais que ceux des campagnes connaissent.

Q. : Je voudrais que l'on revienne sur l'avenir aussi. Vous êtes le chef de la diplomatie française, vous avez un peu le don de visionnaire. Comment voyez-vous le monde du prochain siècle ? Quelle sera la puissance émergente du siècle prochain ?

R. : Dans tous les déplacements que je fais, et dans la place qui m'est dévolue aujourd'hui, je trouve passionnant d'observer le monde. Et si vous l'observez, alors vous regardez la France et ce qu'elle doit faire avec un regard complètement différent. Il y a un homme formidable que ceux qui nous écoutent ne connaissent sans doute pas, mais qui est l'homme fort de Singapour. Il a 75 ans, il a fait Singapour et il a aujourd'hui le même niveau de vie que vous et moi. C'est M. Lee Kwan Yew, un homme formidable. Il est venu me voir il y a quelques mois à Paris et il m'a dit une chose extraordinaire : « vous savez, m'a-t-il dit, vous les Français, vous êtes parmi les meilleurs du monde. Vous avez un niveau de formation...

Q. : Il dit peut-être cela à chaque pays ?

R. : Non, je ne crois pas. « Vous avez une créativité formidable, un grand dynamisme. Le seul problème est que vous ne prenez pas les bonnes décisions. Quand vous les prenez, vous n'arrivez pas à les faire appliquer, et c'est ce qui fait qu'aujourd'hui, vous êtes en train de prendre du retard ». J'ai trouvé ce jugement, qui venait de l'autre bout du monde, assez éblouissant sur l'état exact de la France. D'où va venir le changement ? Il vient d'Asie, l'Asie dont tout le monde a peur. Elle sera notre espoir de demain, c'est la moitié de l'humanité, mais c'est une moitié oubliée pendant des générations. Or, maintenant, elle est là. Elle se développe à un rythme de 10 % par an, près de 3 milliards d’habitants à 10 % par an, cela fait du bruit. Et je peux vous dire que dans moins d'une génération, la moitié du développement du monde, de la puissance économique du monde, sera là-bas en Asie, et donc la moitié du pouvoir politique du monde. Et nous, Français, si nous avions dans l'idée de rester recroquevillés sur nous-mêmes, nous aurions tout à perdre. Nous sommes le quatrième pays exportateur du monde par tête d'habitant. Nous sommes le deuxième pays exportateur du monde. Nous sommes au premier rang de ceux qui sont sur les marchés, où nous gagnons très souvent de très belles batailles - on ne les gagne pas toutes, mais on en gagne beaucoup - c'est cela qui fait que nous sommes à ce rang élevé. Nous avons tout intérêt au développement du monde, car il y a des places à gagner, des places à prendre, qui vont assurer l'emploi de demain.

Q. : Sommes-nous encore capables de les gagner ?

R. : Mais oui, nous sommes capables de les gagner. Comme le disait M. Lee Kwan Yew, nous sommes parmi les meilleurs du monde.

Q. : Effectivement, il vous a impressionné.

R. : Est-ce que la France veut bien avoir confiance en elle ? Les Français veulent-ils bien regarder le monde qui vient, non pas comme un monde chargé de dangers pour eux, mais comme un monde rempli d'espoir pour la France ? Voilà ce que je peux dire comme ministre des Affaires étrangères, car c'est ce que je vois tous les jours.

Q. : Pourquoi dites-vous la France, pourquoi ne dites-vous pas l'Europe ?

R. : Parce que c'est de la France que nous parlons ici.

Q. : Dans les prochains siècles, nous serons Européens d'abord, non ?

R. : Regardons alors les choses de cet autre point de vue. Ce qui me frappe chaque fois que je vais dans ces pays, c'est en effet le besoin d'Europe, à quel point la plupart des pays du monde ont intégré le progrès de l'Europe, beaucoup plus que nous-mêmes. Nous nous disputons entre nous sur l'Europe : que voulons-nous, ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, pour cette Europe-ci ou cette Europe-là, ceux qui sont pour la monnaie unique ou non... Mais à l'extérieur, le monde entier cherche à avoir un nouvel interlocuteur qui soit l'Europe. Nous apparaissons, nous les Français, comme le pays leader de l'Europe.

Q. : Avant les Allemands ?

R. : Oui. En Asie, lorsque l'on veut parler affaires, on se dit que c'est aux Allemands qu'il faut s'adresser. Quand on veut parler politique, et évolution du monde, c'est à la France qu'il faut s'adresser.

Q. : Monsieur le ministre, vous savez aussi bien que moi que c'est un choix des Allemands. Pour le moment, ils estiment qu'ils ne sont pas, compte tenu du passé...

R. : Vous avez tout à fait raison. Le fait est que le volontarisme de la diplomatie française fait qu'aujourd'hui la France et son président de la République apparaissent comme le pays et la personnalité les plus influents en Europe, capables par conséquent d'amener l'Europe là-bas. C'est ce que nous avons fait au Moyen-Orient, c'est ce que nous faisons en Asie.