Communiqué de la CFTC, publié dans "La Lettre confédérale CFTC" du 2 septembre 1996, article de MM. Alain Deleu, président de la CFTC, et Jacques Voisin, secrétaire général, le 9 septembre, et article de M. Deleu, dans "La Vie à défendre" d'octobre 1996, sur le décès de M. Jean Bornard, président d'honneur de la CFTC (intitulés "Le Choix de la fraternité" et "L'Espoir en héritage").

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Circonstance : Décès de M. Jean Bornard, ancien président de la CFTC, le 29 août 1996.

Média : La Lettre confédérale CFTC - CFTC La Vie à défendre

Texte intégral

La Lettre confédérale CFTC : 2 septembre 1996

Jean Bornard nous a quittés

La lettre confédérale était déjà sous presse lorsque nous avons appris la nouvelle de la disparition de Jean. Jean s'est éteint dans cette nuit du 28 au 29 août, à la suite d'une longue et douloureuse maladie.

Né le 4 juin 1928, dans une famille « où les manuels côtoient ceux qui vont à l'école, traversée par une conception d'égalité des cultures qui prédispose aux engagements sociaux », Jean Bornard va à la communale d'une petite bourgade de l'Ain.

Ses études de droit le font militer à la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC). Un temps attiré par la marine marchande, il part travailler en 1952 comme mineur de fond à Firminy, dans la Haute-Loire. Il adhère à la CFTC et s'enthousiasme pour la construction européenne, participant à la naissance de la CECA. En 1956, il devient secrétaire général adjoint de la fédération des mineurs CFTC et secrétaire général en 1962.

Lorsque Jean Bornard entre au conseil confédéral de la CFTC en 1961, l'organisation est déjà traversée par des tiraillements considérables. « Au centre de formation syndicale, d'année en année, les principes d'inspiration chrétienne disparaissaient des cours », déplore Jean Bornard. Dans la période précédant la scission, pour la prise en main de l'organisation, sont utilisées « des techniques de noyautage très efficaces ». Les procédés utilisés le choquent et il n'accepte pas non plus « les chahuts organisés qui empêchent le débat de s'instaurer ».

En 1964, après la scission, il devient secrétaire général adjoint de la CFTC « maintenue », dont Joseph Sauty, président de la fédération des mineurs, devient président. En 1970, il succède à Sauty à la fédération des mineurs et devient secrétaire général de la CFTC. En 1981, il est élu président confédéral.

Son engagement en faveur de la liberté syndicale en Pologne lui vaut plusieurs visites à Solidarnosc (dont une clandestine). Jean Bornard a le sentiment que l'histoire a « apporté la confirmation éclatante de la valeur des positions du mouvement syndical chrétien ».

Président d'honneur de la CFTC depuis 1990, il fut également vice-président du conseil économique et social de 1989 à 1994.

Président du conseil d'administration de l'ANPE en janvier 1991, il en démissionne en septembre de la même année, pour protester contre la révocation du directeur de l'ANPE, effectuée par le ministre du Travail sans consultation préalable du président du conseil d'administration.

Homme modeste et acharné au travail, Jean Bornard reste une haute figure du syndicalisme chrétien.


La Lettre confédérale CFTC : 9 septembre 1996

Le choix de la Fraternité - Alain Deleu (président) et Jacques Voisin (secrétaire général)

Jean Bornard nous a quittés. La tristesse de tous ceux qui l'ont connu est à la mesure de ce qu'il nous a apporté. Nous sommes un certain nombre à avoir puisé auprès de lui un surcroît d'énergie, un surcroît de motivation dans l'engagement quotidien de nos tâches. Le sourire de Jean, c'était ce qu'il livrait en premier de lui-même : cet accueil chaleureux, un regard qui nous faisait exister, une poignée de main franche qui nous mettait sur pied.

Pour cet ancien mineur de fond, le syndicalisme c'était d'abord cela, une rencontre, la fraternité d'un contact, celle d'un homme qui s'engage à fond, sans réserve, sans arrière-pensée, avec cette gentillesse et cette attention de frère aîné. La personne d'abord, au centre, le reste, la décision à prendre, la question à résoudre, venant toujours après. Mais aussi cette simplicité, cette discrétion, souvent aussi cette humilité qui masquait parfois sa force et son énergie presque explosive. Beaucoup d'entre nous savent la force, la puissance de conviction, d'entraînement et d'enthousiasme qu'il savait susciter dans l'action.

Jean était l'homme des choix. Choix d'un licencié en droit de défendre dans la mine. Choix de mener jusqu'au bout la grande grève des mineurs de 63. Choix de continuer la CFTC en 1964. Choix de maintenir le cap des principes sociaux chrétiens, pour la CFTC, mais aussi plus largement en Europe et dans le Monde. Choix de travailler et d'approfondir chaque dossier aussi complexe ou rugueux soit-il, comme tous ceux qu'il absorbait au Conseil économique et social, dont il a été vice-président jusqu'en 1994. Mais d'abord et surtout, cette multitude de petits choix quotidiens de fraternités concrètes qui fonde et enracine l'engagement syndicale.

Après Madeleine Tribolatti, notre président d'honneur qui l'a tant accompagné dans ces travaux, après Paul Verneyras, artisan fidèle du syndicalisme chrétien depuis 1919, héros discret et tellement efficace pendant la résistance, ces derniers temps auront été particulièrement cruels envers la CFTC. Notre identité, notre liberté se nourrissent aussi de notre mémoire et lorsque nous pensons à eux, nous savons que la CFTC a su entraîner dans ses rangs des hommes et des femmes d'une qualité et d'une dignité exceptionnelles. Au-delà de notre peine, de l'amitié fraternelle qui nous lie à leur famille, heureux sommes-nous d'avoir pu côtoyer des exemples pareils.


La Vie à Défendre CFTC : octobre 1996

Jean Bornard : L'espoir en héritage - Alain Deleu

Jean Bornard nous a quittés le 28 août pour rejoindre un monde meilleur. Dans l'église de Lancras, près de Bellegarde, sa terre natale, ce 2 septembre, comme dans toute la CFTC, notre peine était profonde. De très nombreux militants et amis avaient tenu à venir témoigner leur affection et leur reconnaissance, auprès de Janine son épouse et de ses enfants.

Ce numéro de La Vie à Défendre rappelle les grands faits de la vie de notre président honoraire, que nous aurions tant aimé pouvoir garder longtemps encore auprès de nous. Jean fut la clé de voûte de la CFTC pendant plus de vingt ans. Dans l'esprit des militants, il incarnait la CFTC.

Jean Bornard était à n'en pas douter un homme exceptionnel. On pas tant parce qu'il avait exercé longtemps des responsabilités importantes avec une intelligence solide et un jugement sûr. De ces hommes-là, on en rencontre, Dieu merci, assez fréquemment. Mais il apportait une dimension supplémentaire, très personnelle.

Solidement fondé sur sa foi, il croyait en l'Homme, en la dignité de chaque homme. Personnalité nationale, il frappait par son humilité, sa simplicité. Tout est dit des racines de son engagement syndical quand on rappelle qu'à la sortie de sa licence de droit il choisit d'être ouvrier mineur de fond pour éprouver la condition ouvrière avant de se mettre à son service. La CFTC était sur sa route.

Toute sa vie fut de la même veine. De la fédération des mineurs à la confédération, au côté de Joseph Sauty et de Jacques Tessier, puis avec Guy Drilleaud, Jean mettait sa force de caractère au service de la CFTC. Jacques Tessier le rappelait au moment des funérailles : sans Jean Bornard, la CFTC n'aurait pas survécu à la scission de 1964. Il porta tout sa vie les principes sociaux chrétiens dont il montrait l'exceptionnelle fécondité. Son action rayonnait bien au-delà de nos frontières, avec la Confédération mondiale du travail, notamment en Afrique, en Amérique latine et bien sûr en Europe. Il avait pris des risques personnels pour Solidarnosc.

L'hommage rendu par nos partenaires syndicaux et patronaux, par les responsables politiques, par la presse, est unanime.

Jean était reconnu comme un homme de conviction tenace, généreux et courageux, fidèle à ses engagements, et inlassablement acharné au travail.

Sa disponibilité, sa qualité d'écoute, son sens du dialogue, lui donnaient une présence très forte. Sa droiture, son bon sens, son souci de ne jamais forcer la pensée de l'autre, sa connaissance des problèmes, son désintéressement, en faisaient un modèle pour les militants et un interlocuteur respecté, apprécié et influent.

Personnalité attachante, Jean était reconnu tout simplement comme un homme honnête et bon, chaleureux dans l'amitié et plein d'humour, comme un frère dans l'action.

Jean nous laisse ce témoignage d'une vie de générosité, de fidélité et d'intégrité comme un héritage précieux. Sachons en être digne. Alors, avec Jean, nous vivrons l'aventure d'une formidable espérance, comme nous y invite le texte qui suit.

Solidement appuyés sur nos principes, les pieds bien sur terre, l'œil grand ouvert sur les réalités, le cœur plus attentif que jamais aux exigences multiples de la solidarité, convaincus qu'il n'est richesse que d'hommes et que les vraies transformations ne se font que sur l'effort farouche et obscur de chacun, poursuivons notre route sur la grande voie du syndicalisme d'inspiration chrétienne.