Interviews de M. Georges Sarre, vice-président du Mouvement des citoyens, dans "Le Parisien" le 16 avril 1998 et à RMC le 20, sur les affaires liées à la gestion de la Mairie de Paris et sur la politique européenne du gouvernement.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Le Parisien - RMC

Texte intégral

Le Parisien - 16 avril 1998

Le Parisien
– Comment interprétez-vous ce qui se passe à la mairie de Paris ?

Georges Sarre
– On assiste à une spectaculaire implosion de la droite mais aussi à l’affaiblissement, tout aussi spectaculaire, de l’autorité du président de la République ! Et dire qu’on vous avait expliqué, lors du dernier congrès du RPR, que Chirac tenait ses troupes, qu’il était applaudi triomphalement ! Or que voit-on ? Jacques Toubon qui fait ce qu’il veut, tandis que le président reçoit Jean Tiberi pour lui manifester son soutien ! Jean Tiberi est un maire à bout de souffle, mais Jacques Toubon est un piètre capitaine. Il y a trois semaines, il a voté le budget de Jean Tiberi sans piper mot, il n’a jamais rien trouvé à critiquer, et tout d’un coup, voilà qu’il découvre qu’il faut changer de politique… Il n’a visiblement pas bien préparé son attaque, ne trouve rien à dire, et son offensive stagne. Quel tableau !

Le Parisien
– Jacques Toubon insiste beaucoup sur  la sécurité à Paris. Vous êtes en désaccord avec lui ?

Georges Sarre
– Absolument pas, mais si c’est tout ce qu’il a trouvé à dire aux Parisiens, c’est un peu pauvre ! Personne ne contestera la nécessité d’une plus grande sécurité dans la capitale. Mais ce qui me fait rire dans cette préoccupation de Jacques Toubon, c’est que c’est un appel du pied à Dominati, dont la sécurité est le cheval de bataille. Mais c’est d’un lourd ! Quand on veut faire du pied à une jeune fille, on y va doucement, on ne lui envoie pas des coups de tatanes !

Le Parisien
– Edouard Balladur peut-il être un recours ?

Georges Sarre
– Edouard Balladur a visé l’Élysée : il a perdu. Puis il a voulu la région : il a perdu. Certes, il ne s’en est pas trop mal sorti sur Paris, mais ces deux échecs ne le mettent pas en position de force. S’il se mêle lui aussi de cette affaire, on va vraiment confondre tous les leaders parisiens de la droite avec les convulsionnaires de Saint-Médard ! (NDLR : religieux fanatiques qui étaient pris de convulsions au cimetière de Saint-Médard).

Le Parisien
– Que va-t-il se passer dans les mois qui viennent ?

Georges Sarre
– À mon avis, chaque jour qui passe renforce Tiberi. L’offensive Toubon est bloquée, et personne n’est en mesure d’imposer une démission au maire actuel.

Le Parisien
– Voilà qui arrange bien les affaires de la gauche…

Georges Sarre
– Ce n’est pas si simple ! Nous avons certes le vent en poupe mais il ne faut pas prendre l’Hôtel de Ville pour un château en Espagne ! N’oublions pas que Marie-Pierre de La Gontrie (NDLR : tête de liste aux régionales de la gauche plurielle à Paris) est arrivée derrière Balladur. La gauche aurait tort de se réjouir et d'adopter une attitude triomphaliste, même si un sondage récent révèle qu’une majorité de Parisiens souhaiteraient un maire de gauche. C’est sûrement vrai aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il dans trois ans ? La droite offre un spectacle médiocre : ce n’est pas « la lutte des classes » mais bien la « lutte des places ». Alors, si la gauche venait à rentrer dans la même logique, elle serait fichue.

Le Parisien
– Qui pourrait être, à votre avis, un bon candidat pour la gauche à Paris ?

Georges Sarre
– Il y en a plusieurs, mais cette question n’est pas à l’ordre du jour.

RMC - lundi 20 avril 1998

P. Lapousterle
Quelques mots sur la crise de la majorité municipale à Paris, dont vous êtes élu : est-ce que c’est une bataille importante ou une révolution de palais ?

G. Sarre
- « Ce n’est ni l’un ni l’autre. La droite, au niveau national, est en mille morceaux après l’échec aux élections régionales. Il y a un conflit de personnes. Il y a ceux qui disent : si nous gardons M. Tiberi on se noie, et M. Toubon qui veut être le sauveur. Seulement, il a lancé une offensive et cette offensive, a tourné court. Alors, c’est la guerre de tranchées. Cela va durer combien de temps ? Je ne le sais pas. Ce que je souhaite est parfaitement clair : je considère que ce feuilleton doit s’arrêter. »

P. Lapousterle
Pourquoi ? Parce qu’il y a des risques ?

G. Sarre
- « Cette guerre entre chefs pour les places a quelque chose de profondément inconvenant. Hier, j’étais à une manifestation à la mémoire du soulèvement du Ghetto de Varsovie. J’ai rencontré, sur le marché, dans la matinée beaucoup de gens, tous m’ont dit : mais cela suffit. Et ils ont raison : cela suffit ! Alors ou M. Tiberi est capable de reprendre en mains sa majorité, ou M. Toubon rentre dans le rang, mais cela doit cesser. »

P. Lapousterle
Vous qui êtes à gauche évidemment, vous attendez que cela se passe et vous vous dites que cela profite à la gauche ou bien vous allez faire quelque chose à gauche ?

G. Sarre
- « Ce n’est pas du tout mon analyse, ce n’est pas celle du Mouvement des citoyens. Nous partons de l’idée, d’abord, que les élus doivent donner l’exemple – c’est la règle en République –, deuxièmement que la gauche n’a aucune prise – nous sommes minoritaires – et nous ne pouvons pas dire : faites ceci ou faites cela. Donc ce que nous attendons, c’est tout simplement que le bon sens revienne aux commandes et, pour notre part, nous attendons les élections de 2001. Si on pouvait accélérer le mouvement, on le ferait. Et chacun sait que si on votait aujourd’hui c’est la gauche qui gagnerait. Mais comme M. Tibéri ne démissionnera pas et qu’il n’y aura pas d’élection, il ne faut pas faire comme si. »

P. Lapousterle
Un dernier point sur ce sujet : est-ce que vous pensez que cette affaire coûte politiquement au Président de la République, l’ancien maire de Paris ?

G. Sarre
- « Assurément, car dans cette affaire, comme dans d’autres, chacun voit bien que le Président n’a plus la main, puisque M. Toubon est très proche de J. Chirac. Il vient de quitter l’Elysée. Il mène cette bagarre sans faire plaisir au Président de la République. Et je crois qu’en disant “sans faire plaisir”, j’utilise un euphémisme. »

P. Lapousterle
Débat demain à l’Assemblée nationale : qu’attendez-vous de L. Jospin qui parlera donc après le discours de J. Chirac. Est-ce que vous espérez beaucoup du discours de M. Jospin ?

G. Sarre
- « J’attends du Premier ministre, en effet, que sur les conditions du passage à l’euro, un certain nombre de choses soient explicitées et réaffirmées. Car le passage à l’euro n’est pas sans poser un certain nombre de graves questions. »

P. Lapousterle
D’abord est-ce que vous tenez pour assurer le passage à l’euro ?

G. Sarre
- « Je pense que tous les gouvernements en place ou presque feront tout pour que le passage à l’euro ait lieu. Cela ne signifie pas que ce soit quand même en 2002. Car on fait comme si tout était réglé, mais il y a encore beaucoup de questions. Pour notre part en tout cas, j’observe qu’il y a une grande inquiétude et ceux qui ont porté le projet sur les fonts baptismaux, ceux qui y travaillent, ceux qui parlent de cela – vous savez que l’euro, la construction européenne, c’est la réponse à toutes les difficultés, à toutes les crises : vous avez mal au pied ? L’Europe, monsieur, l’euro – ceux qui ont conduit cette entreprise ne pavoisent pas autant qu’ils le devraient. Pourquoi ? Parce que rien n’est simple. C’est la première fois dans l’Histoire de l’humanité qu’il y a une monnaie unique appartenant à plusieurs pays sans construction politique, sans gouvernement. C’est la première fois que nous aurons des gouvernements nationaux sans banque centrale, et en même temps des gouvernements sans monnaie. C’est une première dans l’Histoire. Ce n’est pas parce qu’on ne l’a jamais vu que cela ne peut pas se voir, mais enfin il y a de quoi s’interroger. »

P. Lapousterle
Vous désapprouvez et vous voterez contre la monnaie unique, j’imagine, au Mouvement des citoyens ?

G. Sarre
- « Le Mouvement des citoyens a toujours combattu cette démarche, car contraire à une bonne construction européenne. Il faudrait mettre les bœufs devant la charrue. Ce n’est pas ce qui s’est fait, ce n’est pas ce qui se fait. En ce qui concerne notre vote, nous nous réunirons demain matin et, en fonction, effectivement, de ce que dira le Premier ministre, nous nous déterminerons. Mais nous maintenons intactes toutes les critiques que nous avons pu émettre jusqu’à maintenant, et nous pratiquons le doute méthodique. »

P. Lapousterle
Est-ce que vous pensez que L. Jospin mène une politique européenne dangereuse en suivant la politique menée par ses prédécesseurs ?

G. Sarre
- « Je pense que le Gouvernement actuel – et j’en suis très satisfait – a commencé à amorcer une réorientation de la construction européenne. Pourquoi faut-il réorienter la construction européenne ? Parce que depuis 20 ans, ce sont les mêmes et ce sont les mêmes solutions qui nous valent d’être dans la situation où nous sommes précisément, c’est-à-dire avec beaucoup de chômage, beaucoup de chômeurs, d’énormes difficultés, des quartiers “ghettoisés”, l’insécurité, la violence, la perte du sens civique. En effet, il est nécessaire d’apporter à l’approfondissement de la crise qui se poursuit une réponse républicaine au niveau français, au niveau national et au niveau européen et au niveau mondial. »

P. Lapousterle
Dans quelle position vous sentez-vous, lorsque vous entendez M. Strauss-Kahn, qui est ministre du gouvernement Jospin actuellement en place duquel vous votez pas mal de textes à l’Assemblée nationale, dire exactement le contraire de ce que vous dites, c’est-à-dire que l’euro c’est plus d’indépendance pour la France ?

G. Sarre
- « Moi, je ne pense pas que ce soit plus d’indépendance pour la France. Je pense que la construction européenne fondée sur la monnaie, c’est toujours un peu plus d’Europe et un peu moins de France. »

P. Lapousterle
Qu’est-ce que vous pensez du fait que, quand même, c’est ce qui déterminera probablement la vie des Français l’euro – cela va déterminer pas mal de choses pour les Français – du fait que cette monnaie unique passera à l’Assemblée nationale du fait d’un accord entre l’UDF et le PS ?

G. Sarre
- « Je dirais que ce cas de figure nous l’avons déjà connu au moment du référendum. C’est la même logique qui se poursuit avec, notez-le bien, à partir de 1997, juin 1997, donc l’arrivée de la majorité plurielle, d’un nouveau gouvernement et une volonté de mettre une orientation nouvelle et surtout de faire passer des choses qui, dans le dispositif, permettraient d’assurer plus d’emplois et donc plus de croissance. »

P. Lapousterle
Je vais vous poser la question autrement : est-ce que vous considérez ce matin que c’est une mauvaise nouvelle pour la France que sa monnaie fasse partie des onze qui soient retenues pour faire partie de la monnaie unique, l’euro ?

G. Sarre
- « A partir du moment où les Français se sont prononcés – à une courte majorité, mais à une majorité – pour l’euro, à partir du moment où les autres pays ont poussé dans cette direction, il était quasi mécanique que nous en arrivions à cette situation. Cela dit, il y a encore beaucoup d’événements devant nous. Que va-t-il se passer en Allemagne ? Il se peut que dans quelques mois nous ayons un nouveau Chancelier, que nous ayons une majorité différente au Bundestag. Alors que se passera-t-il ? Eh bien, nous verrons. »

P. Lapousterle
Il y a un problème qui est encore à régler et en suspens : c’est le président de la future Banque européenne. Il y a deux candidats donc, le Hollandais et le Français. M. Trichet est soutenu par le couple Président – Premier ministre. Est-ce qu’il faut que la France se batte absolument pour que le premier président de la Banque soit français ?

G. Sarre
- « Vous savez, même avec un microscope électronique, je ne pense pas qu’il soit possible de voir une différence entre le candidat hollandais, le postulant hollandais et le postulant français. M. Trichet incarne la politique du franc fort, incarne une certaine orientation. Alors que la France ait un candidat et le soutienne me paraît tout à fait normal et légitime. Mais je ne pense pas que, quant au fond, cela change beaucoup. La vraie question – et le Président de la République n’a pas répondu aux interrogations des Français – est : est-ce que nous aurons un euro récessif, ou bien est-ce que nous aurons un euro qui favorisera l’économie, la croissance et les créations d’emplois ? Voilà le dilemme. C’est cela l’essentiel. »

P. Lapousterle
Ce n’est pas embêtant que la majorité plurielle soit en désaccord sur le problème fondamentale de la France sans les années qui viennent ?

G. Sarre
- « Je pense qu’il est tout à fait naturel que des formations qui, jusqu’à la victoire de juin dernier, étaient sur cette question en train de discuter et de débattre mais qui n’était pas parvenues à un accord, s’expriment en fonction de leurs choix. Car il n’y aurait rien de pire que de faire semblant. Je crois que c’est de l’honnêteté intellectuelle et cela devrait rassurer et la majorité et l’ensemble des Françaises et des Français. »