Texte intégral
L'Est Républicain
– Certains invités d’outre-mer ont fait remarquer qu’au-delà de cette commémoration de Champagney, la prise de conscience du drame de l’esclavage par le peuple français se faisait toujours attendre…
Catherine Trautmann
– C’est la raison pour laquelle notre action s’inscrit dans la durée. Le 27 mai prochain, je me rendrai en Guadeloupe et en Martinique. Ensuite, j’ai prévu d’aller dans les autres territoires et départements d’outre-mer, notamment à La Réunion. Si nous avons démarré par cet hommage à Victor Schoelcher, date anniversaire oblige, et à Champagney, dans cette commune qui a voulu dès 1789 l’abolition par souci d’humanité, nous devons ouvrir en parallèle en débat sur le long terme. Et voir, en allant sur place dans les îles, ce que nous pouvons retirer ensemble de cette histoire dans sa part douloureuse mais aussi dans sa part de sens. Sans oublier, bien entendu, l’Afrique qui a « fourni », terme affreux, quinze millions d’esclaves et où les plaies sont encore vives.
L'Est Républicain
– Le programme sera donc chargé ?
Catherine Trautmann
– Il s’étalera jusqu’à la fin de l’année. En Ile-de-France, avec Daniel Maximin, chargé de la mission interministérielle de commémoration, nous avons par exemple tenu à procéder à un repérage des musiciens, artistes et groupes d’origine caraïbes ou antillaise, de manière à mettre en valeur leur apport culturel et à le faire mieux connaître à l’ensemble de nos concitoyens. Au discours politique majeur du Premier ministre, qui a souligné les inégalités qu’il nous incombe de combattre, et à la fête partagée de Champagney, viendront s’ajouter des colloques qui constitueront autant d’occasions de confronter expériences et idées.
L'Est Républicain
– C’était important, pour vous, de rendre hommage à ce geste des habitants de Champagney ?
Catherine Trautmann
– Oui et c’était une réponse à la volonté exprimée par cette commune de s’engager activement dans la commémoration. J’ai trouvé, avec ceux qui réfléchissaient à cet événement, avec Jean-Jack Queyranne, mon collègue secrétaire d’Etat aux DOM-TOM, qu’il était important de ne pas se borner aux lieux institutionnels et d’aller saluer les gens sur le terrain. En le faisant dans ce village symbolique qui, grâce à cette fête, est devenu d’un coup une sorte de « village global », connecté avec les contrées et territoire les plus lointains de notre pays pour délivrer ce simple message : où que l’on soit et quel que soit notre nombre, la détermination, la volonté et la fermeté sur les principes de reconnaissance de l’autre, d’égalité et de fraternité restent plus que jamais d’actualité.
L'Est Républicain
– C’est un combat sans fin ?
Catherine Trautmann
– En tout cas, il est loin d’être fini ! Le texte de 1789 de Champagney garde aujourd’hui toute sa signification, même si le contexte n’est plus identique. L’appel relève de cette catégorie d’actes et de pensées qui sont engagés et doivent donc être engageants pour des responsables gouvernementaux, quelle que soit l’époque. Et il nous interpelle parce qu’il nous incite à nous battre contre ce qui subsiste d’esclavage dans le monde. Mais ce message des abolitionnistes, leur magnifique lutte pour les droits de l’homme, leur désir de permettre à chacun d’être enfin reconnu comme un être humain à part entière, est universel.
L'Est Républicain
– Surtout dans l’environnement politique et social que nous connaissons…
Catherine Trautmann
– C’est vrai et si l’année 1998 est placée sous le signe des droits de l’homme, c’est aussi au travers de la loi contre les exclusions. Car nous ne devons pas nous contenter de l’évocation des principes et des valeurs, si importante soit-elle. Il nous faut d’abord agir. Cette rencontre de Champagney, entre artistes venus d’horizons si différents, nous dynamise. Elle nous donne du tonus. Elle nous profite. C’est comme cela, par cette connaissance de l’autre, qu’on combat la peur. Qu’il y ait des problèmes, nous le savons. Mais ce n’est pas un motif valable ou suffisant pour baisser les bras.
L'Est Républicain
– La musique, c’est le langage commun ?
Catherine Trautmann
– C’est l’un des meilleurs moyens de communiquer et de faire tomber les barrières dans les esprits. À Champagney, grâce à ces musiques métissées, chansons et poèmes, nous avons pris conscience de la richesse culturelle de ces îles, richesse qui s’étend désormais sur la planète entière à l’instar du blues qui a dépassé le continent africain pour investir le monde. La musique, il suffit parfois de l’écouter vraiment, autrement dit de l’« entendre », pour réaliser qu’il s’agit d’un mode d’échange qui peut participer à rendre notre monde meilleur.