Texte intégral
Depuis maintenant trois ans, des négociations internationales ont lieu dans le cadre de l’OCDE pour l’adoption, entre les Etats, d’un Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) qui, s’il est adopté puis ratifié dans les différents pays, deviendrait un accord contraignant.
De tels dossiers apparaissent très éloignés des préoccupations quotidiennes, d’autant que les négociations ont été entourées, dans le cas particulier, d’un certain secret. Pourtant, l’adoption de l’AMI aurait des conséquences importantes, tant au plan du travail, des services publics, de l’emploi, de la protection sociale, que de l’environnement ou du rôle des pouvoirs publics.
La « philosophie » de l’accord est relativement simple : fondée sur le principe de libéralisation systématique des échanges et investissements, elle a pour objet de protéger les droits des investisseurs étrangers. Il s’agit de donner des droits et garanties aux investisseurs ainsi qu’une panoplie juridique leur permettant de les faire respecter vis-à-vis des gouvernements. Les investisseurs concernés (au premier chef les firmes multinationales) ne revendiquent rien d’autre que la garantie juridique de pouvoir agir à leur guise ou à leur convenance.
Dans son principe, l’AMI s’inspire beaucoup de l’Alena (Accord de libre-échange Etats-Unis-Canada-Mexique), très critiqué par les syndicats américains (AFL-CIO), qui évaluent à deux millions le nombre d’emplois supprimés de son fait.
La fiscalité demeure exclue du processus, ce qui peut être à double tranchant : certes un pays pourra toujours avoir des dispositions différentes en la matière, mais cela justifie aussi l’existence de paradis fiscaux.
La protection des investissements (conçus au sens large, y compris financiers) vise surtout à les protéger des décisions que pourraient prendre les gouvernements des pays de l’OCDE, puisque 95 % des investissements financiers ont lieu dans cette zone. D’une certaine façon, c’est une protection vis-à-vis… de la démocratie.
Lorsque l’OCDE plaide la non-discrimination pour les investisseurs, elle serait crédible si cette non-discrimination s’appliquait aussi – et de manière contraignante – aux travailleurs. C’est dans cet esprit qu’avec la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) et le TUAC (Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE) nous revendiquons, en particulier, l’adoption d’une clause sociale contraignante qui oblige au respect des normes internationales fondamentales du travail : interdiction du travail forcé et du travail des enfants, liberté d’association et de négociation, non-discrimination entre les salariés.
Nous revendiquons aussi qu’un Etat ne soit pas conduit à réduire les droits des travailleurs pour attirer des investissements. Nous revendiquons, enfin, que les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales deviennent contraignants et soient inclus dans l’accord. Sur tous ces points, bien entendu, nous sommes écoutés mais apparemment guère entendus, ce qui relève la nature profonde de ce projet d’accord.
Du reste, pourquoi est-ce l’OCDE qui traite du dossier ? Il s’agit, en effet d’une extension du rôle de l’Organisation mondiale du commerce. Cette dernière, ouverte à tous les pays, vise à la libéralisation des secteurs déterminés alors que l’AMI, négocié pour quelques pays, vise la libéralisation globale, sauf exceptions. N’est-il pas pour le moins curieux de voir l’OCDE (organisation de 29 pays) prendre des dispositions qui s’appliqueraient à tous ? Ne s’agit-il pas, entre autres, d’exclure les pays en voie de développement du processus afin qu’ils n’aient pas leur mot à dire ?
Certes, en l’état actuel des négociations, des dérogations diverses sont demandées par les pays, dérogations qui conduiraient à exclure environ 40 % des secteurs visés. La France met par exemple l’accent sur l’exception culturelle qui, pour être importante, ne doit pas cependant faire oublier les autres problèmes posés.
Qu’en sera-t-il par exemple des investissements dans le domaine de la santé et de la protection sociale collective ? Dans la mesure où cette dernière tend à la privatisation, au moins partielle, comment ne pas voir que ce serait là un marché potentiel important pour les sociétés américaines spécialisée en la matière ?
De même, comment ne pas voir que les processus de privatisation en cours rendront quasiment impossible la protection de certains intérêts nationaux ? Comme le reconnaît dans son langage caractéristique, l’OCDE : « L’AMI, comme tout accord international à caractère contraignant, aura pour effet de modérer dans une certaine mesure, l’exercice de l’autorité nationale. »
L’AMI est un nouveau signe du recul des gouvernements par rapport aux puissances financières et industrielles et confirme ainsi les orientations de Davos. Nul ne sait aujourd’hui si l’AMI pourra être effectivement arrêté entre les gouvernements en avril prochain. En tout état de cause, les gouvernements les Parlements auront à en rendre compte.