Texte intégral
Le Nouvel Observateur : Quand vous voyez votre marionnette aux « Guignols de l'info », comment réagissez-vous ?
Lionel Jospin : Quelquefois je ris, évidemment.
Le Nouvel Observateur : Les Guignols n'expriment-ils pas un sentiment répandu : Lionel Jospin est trop prudent dans sa critique du pouvoir et surtout dans ses positions ?
Lionel Jospin : Ce n'est pas une question de prudence, je veux réhabiliter l'esprit de responsabilité ! Je refuse l'arrogance et les affirmations péremptoires, même dans l'opposition. Peut-être parce que je mesure mieux que d'autres à quel point les socialistes ont été rejetés par les Français en 1993, combien nous devons encore travailler pour retrouver pleinement leur confiance. Ce qui ne nous empêche pas de réaliser avec quelle rapidité le pouvoir actuel est en train de s'user.
Le Nouvel Observateur : Dans « le Nouvel Observateur » de la semaine dernière Tony Blair dit qu'il « regrette l'attentisme prudent des camarades français » !
Lionel Jospin : Attention aux malentendus ! L'audace dont fait preuve Tony Blair consiste à bousculer le vieux programme du Labour et à foncer vers le centre pour essayer enfin de sortir les travaillistes britanniques de l'opposition. Nous, nous avons souffert du modérantisme des dernières années de pouvoir. C'est une politique plus à gauche que nous devons définir. Nous ne sommes pas dans la même situation.
Le Nouvel Observateur : Mais son constat sur votre attentisme…
Lionel Jospin : Encore ! Tony Blair va être désolé si vous en faites à ce point un acteur de débat français. Assumez vos propres critiques ! J'ai adopté un calendrier et je m'y tiens. Ce n'est pas celui des médias, c'est le mien, et aussi, accessoirement, celui des échéances légales. J'ai choisi de remettre d'abord le Parti socialiste en ordre de marche. Et je suis assez fier qu'un an après mon retour à sa tête le PS soit apaisé, qu'il débatte sans se déchirer, dans un climat amical et fraternel, et qu'il avance ses propositions, sujet après sujet. Aujourd'hui, nous assumons notre rôle d'opposants, sans agression démagogique, mais vigoureusement et rigoureusement.
Le Nouvel Observateur : Vous voulez dire que le PS, dans l'opposition, doit privilégier l'esprit de responsabilité.
Lionel Jospin : On doit être responsable, même dans l'opposition. On doit être audacieux, même au pouvoir. Je ne veux pas enfermer ma formation politique dans le dilemme : parti d'opposition ou parti de gouvernement, parti de responsabilité ou parti critique. Nous sommes les deux. François Mitterrand nous a apporté l'expérience du pouvoir dans la durée. Nous n'allons pas la perdre !
Le Nouvel Observateur : Est-ce que vous ne parlez pas d'abord à vos militants, qui sont peu nombreux, avant de parler à l'ensemble des Français ?
Lionel Jospin : Soyer sûr que ce n'est pas mon propos. D'ailleurs nos militants ressemblent aux autres Français. Même diversité sociologique, même esprit critique ! Je tiens un seul langage devant eux et devant le pays. Désormais, les partis politiques doivent être ouverts sur la société. Le modèle léniniste n'a plus de sens, les partis de notables n'ont pas d'avenir. Le problème pour nous, socialistes, c'est de répondre à l'attente du peuple. Si les milieux populaires ne sont pas avec nous, avec la gauche, la vie politique et sociale française est déstabilisée. Au pouvoir, la droite sert clairement les intérêts d'une minorité de la population. Nous devons répondre aux préoccupations de la majorité, et notamment de ceux qui sont le plus en difficulté aujourd'hui.
Le Nouvel Observateur : N'est-ce pas une erreur après Bernard Tapie d'avoir laissé à Bernard Kouchner le soin de défendre les couleurs de la gauche socialiste à Gardanne ?
Lionel Jospin : Les deux premières leçons de cette législative partielle sont l'échec cuisant du candidat RPR-UDF et la progression du total de la gauche. Compte tenu du contexte local, Bernard Kouchner, que le Parti radical-socialiste a choisi comme candidat et que nous avons soutenu, n'a pas pu attirer assez d'électeurs sur son nom, et c'est le maire communiste de Gardanne qui est au second tour. Il reste à le faire gagner.
Le Nouvel Observateur : Ne craignez-vous pas qu'un pôle anti-Maastricht, regroupé autour du PC, se crée à la gauche du PS ?
Lionel Jospin : Rappelez-vous ma position au moment du référendum. Je n'ai jamais été enthousiaste du traité de Maastricht. Ce que je crains seulement, c'est que l'hostilité à Maastricht – comme vous dites – devienne une hostilité à l'Europe. Ce serait une faute historique, car divisés nous serions dominés. C'est pourquoi il faut changer le contenu de cette Europe. Il faut une Europe de la croissance et de l'emploi, une Europe qui se défend dans la mondialisation et face aux États-Unis, une Europe qui pense un peu moins aux marchés financiers et un peu plus à ses peuples.
Le Nouvel Observateur : Aujourd'hui c'est hélas Le Pen qui est le plus populaire chez les ouvriers.
Lionel Jospin : Ce n'est plus vrai. Je suis celui des leaders politiques Français qui a le plus fort soutien en milieu ouvrier ! Voyez, les choses bougent. Trop lentement, dites-vous ? Peut-être. Mais le PS est redevenu le premier parti de France, celui qui a la meilleure image parmi les partis et un nouveau climat existe à gauche.
Le Nouvel Observateur : Peut-on reparler d'union de la gauche ?
Lionel Jospin : On peut parler d'un vrai désir d'unité. On se voit, on discute, on mène des actions communes. Par exemple, pour l'affaire des sans-papiers. Quand des divergences existent, les relations restent fondées sur le respect mutuel.
Le Nouvel Observateur : Cela tient au changement de personnes ?
Lionel Jospin : A plusieurs phénomènes. D'abord, au fait que chacun, que ce soit le Parti communiste, le Parti radical-socialiste, les Verts ou nous-mêmes, s'interroge sur son propre bilan. Personne n'a de leçons à donner. Ensuite, à la présidentielle, qui a permis de rassembler. Enfin, aux personnes, indiscutablement. Robert Hue, par exemple, a une façon différente de celles de ses prédécesseurs. Et puis, nous sommes dans l'urgence politique due à la gravité de la situation économique et sociale et à l'effondrement de la droite.
Le Nouvel Observateur : Comment concevez-vous la future union de la gauche ?
Lionel Jospin : On ne refait jamais les choses à l'identique. Quand le Parti communiste dit : « Je ne veux pas d'un programme commun de gouvernement », je ne vais pas, moi, le réclamer ! Mais, le moment venu, je ne serai pas contre un accord politique symbolique, un texte sur quelques grandes orientations entre les formations de gauches et écologistes pour marquer devant les Français notre volonté commune.
Le Nouvel Observateur : Êtes-vous hostile à la présence de ministres communistes au gouvernement ?
Lionel Jospin : Non, ce n'est pas la peine d'y venir si c'est pour en sortir. Ça, on connaît.
Le Nouvel Observateur : Le PS est redevenu une force d'alternance. Mais est-il redevenu une force alternative ? Prenons l'exemple du chômage, la préoccupation principale des Français. Que leur proposez-vous de différent ?
Lionel Jospin : À l'opposé de la politique actuelle, il s'agit de donner une priorité absolue à l'emploi. Il n'y aura pas d'alternance sans alternative. Si nous ne proposons pas une politique nouvelle, nous ne gagnerons pas. Quelle est la situation aujourd'hui ? Une droite qui a tourné le dos à ses promesses et qui en plus échoue. Un pays plutôt mieux doté que d'autres, qui doit réussir, qui devrait avoir confiance en lui – pour mener les batailles économiques et sociales qui s'imposent – et qui est littéralement tétanisé, livré à la morosité par l'équipe politique qui le dirige. Parce qu'il y a un blocage économique, un malaise social et une crise de confiance majeure, il y a urgence politique et sociale. Nos propositions doivent être doublement nouvelles : par rapport à la politique de Juppé, mais aussi par rapport à celle que nous avons menée à la fin du deuxième septennat. En un mot, nous devons retrouver nos valeurs mais avec la volonté de traiter les problèmes d'aujourd'hui.
Le Nouvel Observateur : Cette volonté, on ne la voit pas dans vos propositions !
Lionel Jospin : Cette volonté est claire : il s'agit de relancer l'économie. Prenons les choses par le commencement. Une des raisons des difficultés économiques d'aujourd'hui, c'est que le gouvernement serre tous les freins, les freins budgétaire, monétaire, fiscal, européen, celui des salaires et de la consommation. Tout est bloqué. Donc il faut desserrer. C'est le maître mot pour amorcer une politique différente. Elle passe par des mesures de relance économique. Le problème de l'économie française n'est plus l'inflation ni les déficits extérieurs, c'est la stagnation et le chômage.
Le Nouvel Observateur : C'est aussi celui des déficits !
Lionel Jospin : C'est clair : ce n'est pas en laissant filer les déficits budgétaires ou de protection sociale qu'on réglera les problèmes. Les contraintes réelles, je les prends en compte. Mais quand il n'y a pas d'inflation, je ne fais pas comme s'il y en avait une ! Il faut donc une relance économique menée à la fois au niveau national et européen.
Le Nouvel Observateur : Passe-t-elle par des hausses de salaires ?
Lionel Jospin : J'avais suggéré pendant la campagne présidentielle l'idée d'une conférence nationale salariale. Cela ne veut pas dire qu'on va augmenter massivement tous les salaires sans tenir compte de la réalité économique, mais qu'on doit cesser de peser sur les salaires. Il faut ensuite s'attaquer directement à l'incendie, au foyer du chômage. D'où l'idée qui va émerger lors de notre prochaine convention d'un vrai programme, et rapide, de création d'emplois. Des emplois en particulier pour les jeunes, créés grâce à une mise de fonds de l'État qui impulse et à des apports venant des collectivités locales, parfois du mouvement associatif, éventuellement des entreprises. C'est une priorité : il faut faire reculer la désespérance des jeunes et de leurs familles. Avec les entreprises, les termes du contrat doivent être inversés : vos créez les emplois d'abord et vous obtiendrez ensuite des avantages, fiscaux ou autres.
Le Nouvel Observateur : Ce sont quand même des emplois publics que vous créez ainsi !
Lionel Jospin : Je vois chaque semaine des maires, des maires socialistes mais aussi des maires d'autres tendances qui disent : moi, si l'État m'apportait une mise de fonds, je serais prêt à créer des emplois réels – pas des petits boulots – dans ma commune. Allons-y.
Le Nouvel Observateur : Quel type d'emplois ?
Lionel Jospin : Dans le secteur tertiaire, le secteur social, éducatif, l'environnement…
Le Nouvel Observateur : Où trouvera-t-on l'argent ?
Lionel Jospin : D'abord dans le budget de l'État. Il faudra faire des choix. L'idée dominante de la politique budgétaire devra être : qu'est-ce qui favorise l'emploi ? Si on crée une impulsion, un élan, d'autres pendront le relais. J'ai prouvé l'efficacité de cette méthode au gouvernement avec le plan Université 2000, qui a permis à l'enseignement supérieur français de ne pas exploser face à l'afflux de centaines de milliers d'étudiants. L'État a mis 16 milliards de francs, les collectivités locales ont doublés la mise. Outre l'effort de croissance économique et ce programme de création d'emplois, il faut utilise la réduction du temps de travail.
Le Nouvel Observateur : Des experts, pas tous de droite, affirment aujourd'hui qu'elle créerait peu d'emplois !
Lionel Jospin : Ce n'est pas ce que montrent deux exemples concrets récents : à Gaz de France Bordeaux, ou à VVF que dirige Edmond Maire, on a signé des accords de 35 heures sans diminution de salaires, créant des emplois en organisant autrement la production ou le travail. On peut créer des emplois, si l'on agit de façon suffisamment vigoureuse et en combinant l'impulsion de l'État et l'intervention des acteurs sociaux (chefs d'entreprise et syndicats) par des accords contractuels.
Le Nouvel Observateur : N'êtes-vous pas partagé entre une volonté de cohérence et une volonté de défense des travailleurs ? Un exemple : la fermeture des usines d'armement. Difficile de les contester. Et pourtant les députés socialistes manifestent avec les salariés…
Lionel Jospin : Ce qui se passe dans l'industrie de l'armement illustre à nouveau la méthode Chirac-Juppé : dire une chose, faire le contraire. Avant 1993, quand nous avons amorcé la décélération des budgets militaires, Jacques Chirac et Alain Juppé proposaient une augmentation des crédits et nous accusaient de mettre la défense nationale en péril. Ils arrivent au pouvoir et virent à 180 degrés. Ce n'est pas une décélération que nous contestons, c'est sa brutalité. Nous disons, et les élus concernés disent : réindustrialisez les sites que vous réduisez ou fermez.
Le Nouvel Observateur : Vous donnez l'impression d'être fidèle à vos valeurs et de ne pas prendre suffisamment en compte le fait que le monde a changé en quelques années.
Lionel Jospin : S'il y a un reproche que nous ne méritons pas, c'est bien celui-là ! Le PS est la seule formation politique en France à avoir commencé son effort de réflexion par une analyse approfondie des phénomènes de mondialisation. C'était l'objet de notre première convention. En fait, je souhaite que nous opérions un changement de langage et de perspective : moins de références à des vocables abstraits du socialisme, plus de détermination à nous attaquer aux problèmes concrets : chômage, précarité, etc. À quoi sert de parler dans l'opposition de « rupture avec le capitalisme » si c'est, comme nous l'avons fait au pouvoir, en tous cas dans le deuxième septennat, pour favoriser la Bourse et n'engager aucune réforme fiscale ? Moi, je préfère ne pas parler de rupture et faire une réforme fiscale qui tende à égaliser l'impôt sur le revenu du travail et sur celui du capital. Je préfère moins de grands mots et plus d'actes courageux.
Le Nouvel Observateur : Prenons l'exemple de l'immigration. La gauche a longtemps refusé de voir le problème. Aujourd'hui êtes-vous favorable aux quotas évoqués par Henri Emmanuelli ?
Lionel Jospin : Je ne suis pas sûr que le terme de quotas convienne. Mais puisque nous savons que « l'immigration zéro » n'existe pas et qu'il subsiste une immigration officielle limitée, il faut réguler. C'est ce que veut dire, je crois, Henri Emmanuelli. Pour la première fois, sur les problèmes d'immigration, le PS a esquissé une synthèse entre « réalistes » et « idéalistes ». Nous disons clairement que la régularisation de tous les sans-papiers n'est pas possible, nous voulons réduire l'immigration clandestine. Y compris en reconduisant chez eux, dans le respect des personnes et du droit, des hommes et des femmes entrées en France illégalement. Mais nous n'avons pas besoin pour cela des lois Méhaignerie-Pasqua qui mettent en cause les droits des personnes.
Le Nouvel Observateur : Comment relancer une dynamique de gauche sans faire rêver un peu ?
Lionel Jospin : Les Français veulent bien du rêve, mais du rêve éveillé. Pour nous, l'année 1997 sera déterminante. Ce sera l'année de la synthèse de tous nos travaux précédents : sur l'économie, le social, l'éducation, l'immigration, la toxicomanie, les problèmes de sécurité, le logement. Nous rassemblons tout cela autour de quelques grands axes, de quelques grands objectifs proposés aux Français. Dans deux mois- ce n'est pas très loin – notre convention aura traité l'ensemble du champ économique et social. Et puis il y a la rénovation et la modernisation de la vie publique, à propos desquelles M. Juppé envoie des questionnaires… Comme je viens de lui rappeler courtoisement, mais avec une pointe d'ironie, on ne l'a pas attendu. Le cumul des mandats, la place des femmes, la rénovation des institutions, l'indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique : de tout cela les socialistes ont débattu il y a trois mois dans leur deuxième convention et ont fait des propositions précises.
Le Nouvel Observateur : Approuvez-vous la démarche de ces juges qui ont lancé l'appel de Genève ?
Lionel Jospin : Je crois ce cri d'alarme, à propos des risques au niveau européen de l'argent sale et de la corruption, justifié. C'est pourquoi nous devons combattre les projets gouvernementaux qui visent, sous prétexte de préserver le secret de l'instruction, à intimider les magistrats et la presse, qui ne veulent pas de l'étouffement des affaires.
Le Nouvel Observateur : Ne craignez-vous pas les excès de certains magistrats ?
Lionel Jospin : Aujourd'hui, nous en sommes loin.
Le Nouvel Observateur : Un des grands reproches qu'on a faits à la gauche au pouvoir est d'avoir négligé le social.
Lionel Jospin : Au début, non. Après, oui. En tout cas les inégalités ont crû. Même s'il ne faut jamais oublier, quand on juge le passé, que sur vingt ans la droite a gouverné dix ans, comme la gauche, et que sur les dix dernières années, c'est cinq et cinq. Notre objectif est de faire marcher de pair le social et l'économique.
Le Nouvel Observateur : Quelles relations entretenez-vous avec les dirigeants syndicaux ?
Lionel Jospin : Fort bonnes, à mes yeux, dans le respect de leur indépendance à l'égard des partis politiques. Dans le mois qui vient, nous accueillons au siège du PS les quatre secrétaires généraux des grandes confédérations. Le 17 novembre, nous convions les représentants des syndicats et des mouvements associatifs à venir passer au banc d'essai nos propositions économiques et sociales. Pouvez-vous me citer une autre organisation politique française qui agisse ainsi ? La démarche est claire, transparente, responsable.
Le Nouvel Observateur : Pourquoi avez-vous davantage appuyé la grève du 17 octobre que celles de décembre 1995 ?
Lionel Jospin : Mais il n'y a pas d'opposition entre nos deux attitudes ! Nous avons été solidaires de la journée du 17 octobre, comme nous avons soutenu le mouvement de décembre dernier. Et dans les deux cas, nous respectons l'indépendance des syndicats qui conduisent les mouvements sociaux. Nos militants ont participé aux manifestations en tant que salariés. Et je sais qu'ils sont nombreux, tant le besoin de protestation est fort.
Le Nouvel Observateur : Revenons à l'Europe. Pour reprendre l'image des Guignols de Canal+, Dublin, est-ce que ce n'est pas le triomphe de la World Company ?
Lionel Jospin : Décidément, vous êtes marqués par les Guignols ! Disons que c'est plutôt le succès de la Bundesbank. A partir du moment où les représentants de la France n'impriment pas dans l'Europe de volonté qui nous soit propre, c'est celle des autres qui s'impose. Notamment celles des milieux économiques et politiques allemands.
Le Nouvel Observateur : Comment mettre l'euro au service du développement économique ?
Lionel Jospin : L'euro sera positif pour l'Europe et pour la France à deux conditions. Pour la France, en nous rendant moins dépendants du mark, pour l'Europe, en nous affirmant face au dollar. Ce qui suppose, bien sûr, qu'on ne surévalue pas l'euro par rapport au dollar. L'idée : un euro égale un dollar, évoquée par Laurent Fabius me paraît être une bonne approche.
Le Nouvel Observateur : Préconisez-vous qu'on assouplisse les critères ?
Lionel Jospin : Je voudrais que la France s'exprime d'une voix forte, qu'elle rappelle que la monnaie unique – avec ses critères discutables de convergence – n'est pas faite pour étouffer d'avantage la croissance, qu'elle affirme qu'il s'agit avant tout d'une décision politique et non pas comptable. C'est mon critère pour apprécier si le passage doit se faire ou non. La façon dont le gouvernement va à la monnaie unique n'est pas la bonne. Nous gardons donc sur ce point une totale liberté d'appréciation.
Le Nouvel Observateur : Nous avons évoqué votre bilan à la tête du PS. Comment jugez-vous celui de Jacques Chirac à la tête du pays ?
Lionel Jospin : Le bilan du président de la République, c'est celui du gouvernement. Il est donc lui aussi marqué par la défiance des Français.
Le Nouvel Observateur : Comment envisagez-vous une cohabitation en 1998 ?
Lionel Jospin : La victoire n'est pas acquise. Les Français sont profondément déçus par la droite. Ils savent qu'ils ne trouveront pas de solutions du côté de l'extrême-droite. Mais feront-ils assez confiance à la gauche pour nous donner la victoire ? La réponse dépendra de notre comportement politique, de notre façon d'être, de nous exprimer, de vivre ensemble, d'assumer avec honnêteté ce que nous avons fait. Leur choix reposera surtout sur la conviction qu'ils auront, ou non, que nous pouvons mieux traiter les problèmes que la droite. Quant à la cohabitation, elle est désormais une figure connue de la vie politique française. Si le nouveau Premier ministre et la nouvelle majorité respectent les prérogatives institutionnelles du président de la République et sa personne, rien ne les empêchera de gouverner.