Article de M. Brice Lalonde, président de Génération Ecologie, dans "Le Figaro" du 30 août 1996, sur l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard et la politique de l'immigration, intitulé "Une surenchère dangereuse".

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Circonstance : Expulsion par la police des sans-papiers de l'église Saint-Bernard (Paris 18 arrondissement) le 23 août 1996

Média : Le Figaro

Texte intégral

Ni des barbelés ni l'entrée libre pour les émigrés

Tous les gouvernements ont organisé leurs discours, sinon leur action – à propos de l'immigration – sur le triptyque : intégration des étrangers en situation régulière, lutte contre l'immigration clandestine, aide au développement. L'intégration est difficile en période de chômage et de récession, mais rien n'indique qu'elle soit plus menacée aujourd'hui qu'il y a cinq ans. Quant à l'aide au développement, le président de la République s'en fait l'avocat dans les réunions internationales. Ce qui est en cause est donc la lutte contre l'immigration clandestine. Les sans-papiers de Saint-Bernard relevaient de cette catégorie. Fallait-il les régulariser ?

La générosité et la fraternité poussent à répondre par l'affirmative, quitte à s'interroger ensuite sur les conditions d'existence des intéressés. La conduite de l'État et la résistance au Front national sont inspirées par la générosité et la fraternité, mais suggèrent cependant le choix inverse. Un acte de fermeté, aussi douloureux soit-il, adresse une information aux candidats à l'immigration clandestine, ainsi qu'aux électeurs tentés par Le Pen. Ainsi l'aspirant émigrant y réfléchira à deux fois tandis que l'électeur ulcéré ne désespérera pas de l'application des lois ni des partis de gouvernement.

Le mot « Information » indique combien l'affaire relevait en partie de la communication. C'est parce qu'elle fut très médiatisée que les positions furent si tranchées, et que les acteurs furent acculés aux gestes extrêmes. Si la discrétion avait succédé aux premières manifestations, les sans-papiers auraient sans doute pu être régularisés. C'est au cas par cas, et hors des projecteurs, qu'il fallait traiter l'affaire et c'est ainsi que Génération écologie avait soutenu la proposition de médiation lancée par Gilles de Robien. Mais au-delà d'un certain seuil, l'irréparable est atteint. Les uns s'intéressent moins aux grévistes de la faim, dont ils demandent la régularisation « en bloc », qu'aux moyens de faire céder le gouvernement. Les autres ont tendance de leur côté à durcir leur position, voyant un complot dans l'exaspération du conflit.

Le gouvernement régularise tout de même les deux tiers des sans-papiers, tandis que les policiers ne paraissent pas avoir brutalisé outre mesure les occupants de l'église. Cela ne ressemble pas vraiment au fascisme dénoncé par quelques-uns. Il est vrai que les images des portes d'église enfoncées par une escouade casquée sont choquantes, tandis que l'atteinte aux libertés d'un être vivant en France révolte ses proches et attire la compassion de tous. Mais s'agit-il de vitupérer la maladresse du gouvernement ou de crier au fascisme ?

Ne faut-il plutôt craindre cette attirance pour la surenchère qui réduirait le choix de la politique française à l'égard des étrangers à celui des barbelés ou de l'entrée libre ? L'immigration est précisément un domaine de la politique nationale où un consensus indispensable entre les partis de gouvernement, y compris pour évaluer l'effet des lois et décrets qui s'enchevêtrent. Nous avons mesuré naguère combien un antiracisme d'opérette pouvait exaspérer des concitoyens sans ressources ni repères. Gardons-nous de recommencer ce petit jeu et plaise à une partie de la gauche de ne pas jouer la politique du pire : faire monter Le Pen pour battre Chirac ! On ne sait jamais où ça s'arrête ! Quant à la majorité, c'est sa différence avec l'extrême droite qui fait sa valeur et c'est cette différence-là qu'il faut souligner et développer. Qu'elle évite donc de monter ou laisser pourrir des situations où des étrangers seraient impliqués, pour le seul plaisir d'étaler une fermeté déplaisante. À ce jeu, une bavure est vite arrivée et la pente glissante vers l'inacceptable. Jouer avec le feu n'est pas une méthode de gouvernement.