Texte intégral
RMC : Mardi 10 septembre 1996
P. Lapousterle : Dans quel état d'esprit êtes-vous car, depuis un an, vous avez subi des attaques nombreuses, des petits revers çà et là ?
M. Blondel : Sur mon état d'esprit ? Je comprends mal ? Des revers çà et là depuis un an ? J'ai été réélu avec 85 % des voix ! Par contre, je note – et avec intérêt d'ailleurs – que vous avez remarqué que je devrais être un peu interrogatif sur ce qu'on est en train de refaire à nouveau. J'ai porté jugement sur la situation et puis, eh bien, j'ai entendu qu'on avait l'air de dire que j'étais un pyromane et même un petit peu anti-français, ce qui me gêne un petit peu aussi. Alors bon.
P. Lapousterle : Vous n'êtes pas pyromane et vous êtes un bon français ?
M. Blondel : Écoutez, je suis Français, je suis patriote comme il le faut, je ne suis pas un nationaliste fou. Ceci étant, ce n'est pas en indiquant que des tiers sont des pyromanes qu'on porte un vrai jugement sur la situation.
P. Lapousterle : Sur la rentrée, quel est votre diagnostic ?
M. Blondel : Eh bien, je continue à penser que l'insatisfaction est là, que les propositions, ou plus exactement les avancées de Monsieur Juppé, notamment dans le domaine fiscal, ne répondent pas à la question et n'y répondent pas, notamment en importance par rapport aux besoins. Je ne crois pas que cela relancera la consommation. Je ne crois pas que cela aura un effet indirect, même à terme, sur le chômage. Alors, en fonction de quoi, d'après ce que je ressens, je réunis mes instances, les secrétaires de fédérations, d'unions départementales, etc. Ils sont mécontents. Je sens monter le 21 septembre – où vous savez nous faisons un rassemblement à la Bastille. Je ne veux pas dire, parce que cela ne se fait pas, le nombre de participants que nous aurons pour l'instant On reçoit les fax où on nous dit : « On prend tel train », etc.
P. Lapousterle : Il y aura plusieurs dizaines de milliers de personnes ?
M. Blondel : C'est toujours difficile à dire, ce n'est pas aussi simple que ça. Mais vous verrez qu'il y aura du monde. Cela veut donc dire qu'il y a de l'insatisfaction, du mécontentement, parce que justement, je voudrais faire remarquer que c'est un samedi. Alors tous ceux qui disent je veux mettre l'économie du pays en l'air, permettez-moi de dire que c'est relatif. Je mets surtout « en l'air » les finances de ceux qui vont participer pour montrer qu'ils sont mécontents. Le niveau de mobilisation sera important, selon moi. Deuxièmement, c'est très clair, c'est un avertissement au Gouvernement. C'est ça, l'expression démocratique. Il faut quand même que le Premier ministre finisse par comprendre ça. Il vaut mieux qu'on l'avertisse plutôt qu'on n'entende rien. Le problème, c'est clair, les salariés sont mécontents. Alors, à lui d'en tenir compte et de répondre justement aux mécontentements, ou alors, il dit : « Je m'en fiche » et alors après il verra les conséquences.
P. Lapousterle : Que demandez-vous au Premier ministre ?
M. Blondel : Je demande à A. Juppé de se mettre au boulot sérieusement en ce qui concerne le chômage, parce que plus ça va, plus on voit que tout se dégrade. Je lui demande d'arrêter de nous faire de la méthode Coué ou de l'autosatisfaction parce qu'en modifiant un peu les statistiques, on a réussi à faire que le mois dernier on a eu - 0,7 % de chômage. La vérité, si on maintient la série statistique comme elle était précédemment c'est + 0,6. Mais moi, je ne m'arrête même pas à un an, même pas à un mois. Je dis qu'en 1974, il y avait 400 000 chômeurs et qu'en 1996, il y en a 3 200 000.
P. Lapousterle : On peut faire quelque chose ?
M. Blondel : Oui, puisqu'il ne s'agit pas d'une crise, il s'agit d'une situation permanente, maintenant c'est clair. Plus ça va, plus on détruit des emplois. Il faut faire quelque chose de très sérieux là-dessus. La société qui explose, A. Juppé le sait d'ailleurs, il n'est pas plus stupide que moi : vous allez me traiter d'opportuniste, mais ce petit gosse qui s'est fait tuer à Marseille, c'est un exemple de violence – sauf si on tombe sur les deux zigotos et qu'on voit qu'ils sont fous – qui repose tous les problèmes de banlieue. Tenez, j'ai proposé, sur un truc qui va faire scandale bientôt – ça y est, les titres des journaux commencent à le dire – « Amiante, le scandale ». On connaît tout, on sait maintenant. J'ai proposé qu'on fasse un plan de développement, qu'on lance un emprunt d'État, qu'on crée, qu'on développe une industrie pour régler tout ça. Le Gouvernement ne m'a pas encore répondu. J'ai vu ses ministres un par un. Je lui ai écrit. Il ne m'a pas encore répondu pour me dire si cela l'intéressait ou pas
P. Lapousterle : Vous avez toujours eu des relations difficiles avec A. Juppé, non ?
M. Blondel : Non, arrêtez ça. Ce n'est pas personnel. Je souhaite bien du bonheur à A. Juppé. Je m'en fiche totalement, il n'y a pas de problème personnel. Je fais de l'action syndicale, j'essaie de défendre le mieux possible les intérêts des salariés. À partir de ce moment-là, ce n'est pas moi qui choisit, ni le Premier ministre, ni le président de la République. Je suis un citoyen, je vote comme les autres.
P. Lapousterle : Aujourd'hui se réunit la CNAM. L'objectif, c'est de faire 5 milliards d'économie et un changement de nomenclature.
M. Blondel : C'est bien. Je signale quand même que le prédécesseur avait initié ce genre de chose.
P. Lapousterle : C'était vous le prédécesseur.
M. Blondel : Non, c'est FO. C'était du côté de l'État que cela avait un petit peu traîné, mais cela revient, c'est bien. Mais ce qu'on oublie de dire, c'est qu'on va aussi remettre en l'air le capital-décès. Quand les gens étaient malades et qu'ils mouraient, il y avait le capital-décès – 90 fois l'indemnité. Ils vont le mettre en l'air et le soumettre à condition de ressources. Il faudra gagner moins de 6 000 francs pour pouvoir en bénéficier. C'est une prestation qu'on met en l'air – mais on ne l'a pas dit dans la presse, mais moi je vous le dis –, c'est à l'ordre du jour. C'est à l'ordre du jour. On votera contre, bien entendu.
P. Lapousterle : La fin du gel de la rémunération des fonctionnaires vous satisfait ?
M. Blondel : Ah oui, ah oui, ah oui, ah oui !
P. Lapousterle : Ah, quand même !
M. Blondel : En 1996, rappelez-vous, 4 septembre, quand je vais le voir, en sortant de cet entretien, à ma question, il répond : « gel des salaires ». Pourquoi ? 30 milliards d'économies pour la réduction du déficit budgétaire. De 300 milliards, on descend à 270 milliards. Et puis là, Monsieur Arthuis a présenté ses intentions : toujours 300 milliards et on descend à 240 milliards. Cela fait 60 milliards d'économies. Et là, il dit : « eh bien, j'ouvre sur le principe d'une augmentation salariale ». Attendez, il faut savoir quand – moi je pense que ce sera à la fin de l'année, le plus près possible des élections – et puis il faut savoir combien, à quel niveau ? Alors, on va voir. S'il ouvre le dialogue, mes camarades fonctionnaires iront négocier : nous avons intérêt à négocier dans la fonction publique, ça sert de précédent dans le privé.
P. Lapousterle : Les fonds de pension, c'est une bonne idée ?
M. Blondel : Chacun connaît mes réserves. Je vais être clair sur deux ou trois interrogations. Première interrogation : moi, je trouve que c'est normal que ce soient les assurances, puisqu'il s'agit de l'épargne et que manifestement ça n'a aucune fonction sociale. Deuxièmement, permettez-moi de faire remarquer deux choses. Tout le monde se plaint – y compris le Gouvernement – du niveau de consommation qui serait trop bas. Et c'est à ce moment-là qu'on va inciter les gens faire de l'épargne ? On va faire un nouveau produit d'épargne. À la place d'augmenter les salaires, on pourra affecter les fonds de pension et alors ce sera abondé par le patron. Deuxièmement, pour qu'un fond de pension amène quelque chose aux salariés, il faut qu'il y ait des taux d'intérêt élevés, parce que c'est ça qui fait les produits. Or, je remarque simplement que tout le monde souhaiterait que les taux d'intérêt baissent. Donc, les fonds de pension, c'est exactement le contraire de ce qu'il aurait fallu faire. Il aurait mieux valu donner du pouvoir d'achat aux gens.
France 2: Mercredi 11 septembre 1996
G. Leclerc : Les sept fédérations de fonctionnaires se sont donc mises d'accord hier sur le principe d'une journée d'action de grèves et de manifestations vers la mi-octobre. Mais finalement est-ce que tout cela n'est pas un peu malvenu, cela n'a peut-être plus de raison d'être dans la mesure où le Gouvernement a annoncé dès ce week-end la fin du gel des salaires des fonctionnaires ?
M. Blondel : Regarder la question que vous venez de poser est intéressant. A. Juppé a annoncé la fin du gel. Moi, je ne pensais pas qu'il y avait gel des salaires des fonctionnaires. Le 4 septembre 1995, lorsque nous l'avons rencontré, à sa demande, je lui ai dit : « Qu'allez-vous faire pour 1996, pour le salaire des fonctionnaires ? » Il a répondu : « On n'augmente pas en 1996 », il ne m'a pas dit qu'on gelait Alors, nous attendions Monsieur Arthuis et la présentation de son budget pour 1997. Lorsque Monsieur Arthuis a dit 300 milliards de déficits, la même chose que l'année précédente, économies de 60 milliards, on avait compris qu'il n'y avait pas d'augmentation de salaire des fonctionnaires. Parce qu'on serre d'abord ce que l'on peut serrer, et quand on est le patron, on serre les salaires. Et, pour des raisons – je suppose peut-être de réponse aux organisations syndicales, à mes déclarations, en disant, moi je pense que tout est en place pour qu'il y ait des réactions – Monsieur le Premier ministre annonce la fin du gel du salaire des fonctionnaires, ce qui me semble quelque chose d'imprécis. Et tout simplement il laisse entendre qu'il va y avoir des augmentations. Maintenant le problème est de savoir quand et combien et est-ce qu'il a l'intention de rattraper justement le gel de 1996. Je crois que mes amis hier, avec les autres organisations syndicales, ont regardé ça dans le détail et ont décidé de laisser le temps au gouvernement de préciser les choses, à Monsieur Arthuis de dire, nonobstant les 60 milliards d'économie, je pourrai consacrer une partie du budget pour augmenter les salaires des fonctionnaires. Alors on va voir, on va attendre les précisions. On verra. Si Monsieur Perben convoque pour négocier, nous irons négocier. Si les résultats nous semblent satisfaisants, eh bien bravo. Sinon…
G. Leclerc : Et donc dans ce cas-là, il n'y aura pas de grève à la mi-octobre ?
M. Blondel : On ne va pas faire la grève des fonctionnaires sur les salaires à partir du moment où on obtient satisfaction.
G. Leclerc : La porte donc reste ouverte au Gouvernement. Si vous obtenez satisfaction d'ici là, il n'y aura pas de grève à la mi-octobre ?
M. Blondel : Cela me permet, une fois pour toutes, d'essayer de placer les choses : le rôle d'une organisation syndicale est de faire entendre le mécontentement. Le plus grave serait que l'on se taise. De faire entendre le mécontentement pour que le Gouvernement en tienne compte et qu'il essaie de répondre à nos revendications ou à nos soucis. À partir du moment où il répond, pourquoi voulez-vous que nous fassions des grèves ? Cela ne servirait à rien.
G. Leclerc : Vous annoncez pourtant déjà une grande journée de manifestations le 21 septembre. Pourquoi ?
M. Blondel : Mais c'est tout à fait autre chose.
G. Leclerc : Vous faites bande à part ?
M. Blondel : Non, je ne veux pas de bande à part, pas du tout. Cela, c'est ce que veulent dire ceux qui ont peur de venir avec moi, c'est tout autre chose. Non, non. Mon organisation a décidé ça le 3 septembre. Vous savez pourquoi ? À la lecture des annonces de licenciements dans les entreprises privées pour le second semestre 1996. Je vous donne le chiffre : 100 000. Et moi, je joue en dessous. Il y en a qui disent 120 000, il y en a qui disent 200 000. Moi, annoncer aux comités d'entreprise pour le second semestre 1996, 100 000 licenciements, avec la situation que nous connaissons à l'heure actuelle – je vous rappelle 1975, 400 000 chômeurs, 1996, 3 200 000 chômeurs, plus 945 000 RMIstes, c'est-à-dire 4 millions de chômeurs –, il faut changer la politique. Tout le monde le dit. Je vais faire de la publicité au Figaro Magazine. Pardonnez-moi – et je leur demande de me pardonner aussi –, on ne peut pas dire qu'il soit anti-gouvernement et non plus pro-FO. On a fait un sondage et on a expliqué que 93 % des gens considèrent que le Gouvernement n'est pas efficace ou très peu efficace pour régler le problème du chômage. Eh bien moi, je suis un citoyen français, ça pose des problèmes énormes pour tout le monde, ça va éclater. Ce n'est pas moi qui vais faire éclater, ça va éclater avec les jeunes qui n'ont plus aucun espoir pour l'an 2000. Moralité, c'est mon rôle de le dire et moralité, c'est de manifester le samedi 21 à la Bastille en disant, parmi les libertés démocratiques, il y a aussi le droit d'avoir du boulot. En fonction de quoi, on va le crier très fort. Il essaiera de modifier sa politique économique.
G. Leclerc : L'emploi stagnait au deuxième trimestre mais il y a un espoir que l'activité, nous dit le Gouvernement, reparte avant la fin de l'année. C'est votre opinion ?
M. Blondel : Il y a un espoir que ça reparte avant la fin de l'année, je suis navré : on nous a déjà fait ça au début de l'année dernière. Au demeurant, on pourrait s'amuser à faire remarquer que c'était le report des grèves de novembre et décembre qui a donné une euphorie de janvier et février.
G. Leclerc : Et donc, d'ici la fin de l'année, vous pensez que le chômage va encore s'aggraver ?
M. Blondel : Je suis persuadé qu'à la fin de l'année – c'est malheureux de prendre des paris aussi stupides, c'est grave – il y aura 120 000 chômeurs en plus, en solde, C'est clair. Mais écoutez, regardez ce qui est en train de se passer dans l'armement. Je ne veux pas faire de politique mais si vous étiez le maire de Cherbourg, vous soutenez les gens de l'arsenal puisqu'il y a la moitié du personnel qui va foutre le camp. Vous êtes président du Conseil général, vous soutenez les gens de l'arsenal. Or il se trouve qu'il y en a un qui est de la majorité et l'autre de l'opposition. Tout le monde s'inquiète dans ce problème, personne n'est satisfait, y compris les gens qui sont en ce moment au Gouvernement. La politique économique étant une politique économique restrictive, les conséquences sont simples : baisse d'activité, chômage sans espoir. L'histoire de l'armement, tout le monde va dire que c'est parce que maintenant… à la vérité, c'est le contraire. On fabrique moins d'armement, on va fabriquer moins d'armement qu'on en fabriquait précédemment. Nous étions le quatrième exportateur d'armes, il faut quand même que nous le sachions. Les autres pays n'achètent plus, tant mieux, c'est qu'il y a moins de guerres, enfin on peut le supposer. Mais le problème est que cela fait 50 ou 60 0000 postes de techniciens qui vont disparaître, qu'est-ce que l'on fait après pour les jeunes qui sortent des IUT et autres ? Comment vont-ils trouver du travail ? Qu'est-ce qu'il y a comme substitut ? Qu'est-ce qu'on nous donne comme projet industriel ? Que fait le Gouvernement ?
G. Leclerc : En même temps, le Gouvernement va vous répondre que vous, d'une certaine façon, êtes en train également d'entretenir le pessimisme, la morosité qui est une des causes de la situation actuelle ?
M. Blondel : Qu'est-ce que vous voulez que je fasse au milieu des types qui sont au chômage, des gens qui ne sont pas contents, etc. Que je ne regarde rien, pour être tranquille et ne pas être dénoncé par le Gouvernement, mettre mes mains dans les poches et siffler comme si tout allait bien ? Je ne peux pas faire ça. Mon rôle dans la société est de faire le contraire. Mon rôle, c'est d'avertir le Gouvernement que c'est très sérieux et que ça risque effectivement de péter. Il ne faut pas confondre le message et le messager. Moi je dis en fait que c'est très grave et je suis stupéfait que le Gouvernement ait l'air de continuer son chemin tout à fait tranquille comme si de rien n'était. C'est évident.
G. Leclerc : Alors il n'y a pas d'améliorations ? Vous ne pensez pas que la baisse des impôts, tout cela, améliorera les choses ?
M. Blondel : Non, mais attendez, la baisse des impôts, vous voulez qu'on en discute ? Comment on donne quelque chose de la main droite et comment on reprend de la main gauche ? Enfin ! Je ne comprends pas, voilà.
RTL : Vendredi 20 septembre 1996
M. Cotta : Croyez-vous à la montée de la violence jeune ? Qu'attendez-vous du ministère de l'Éducation nationale ?
M. Blondel : Je ne crois pas à la montée de la violence jeune, je la constate. C'est clair. Par contre, je suis quelque peu surpris de la méthode de M. Bayrou. L'école, ce n'est pas un lieu de vie. Il ne faut surtout pas que ce soit un lieu de vie. La vie, ce sont les tensions. La vie, c'est un combat permanent. La vie, ce sont les injustices. L'école, ça doit être une zone protégée où tous les enfants doivent être considérés au même niveau, à égalité. Alors, pour moi, je vais peut-être apparaître un peu ringard, mais il faut redonner de l'autorité aux enseignants. Il faut qu'il y ait suffisamment d'enseignants. Il faut remettre des « surgés ». J'ai connu ça : ce n'était pas plus mal. Il faut remettre des pions.
M. Cotta : Ça ne dispense pas d'une réflexion sur la violence à l'école ?
M. Blondel : Oui, mais j'ai peur de cette réflexion, parce que je crains que ce soit de l'autogestion et que, par exemple, on trouve des enfants qui jouent aux gendarmes et aux voleurs pour de vrai. Ce serait la pire des catastrophes. Il y aurait des petits-enfants qui se considèrent comme des justiciers. Il faut isoler l'école, il faut la protéger.
M. Cotta : On n'est pas à l'école pour réfléchir à la violence ?
M. Blondel : Non. On n'est pas là pour jouer aux gendarmes et aux voleurs pour de vrai, c'est-à-dire tordre le bras du petit copain. Si on suppose que, dans sa poche, il a un couteau, ça fait partie des responsabilités des enseignants et aussi de la famille. Quand j'entends des parents dire « Mon fils ou ma fille se droguaient, je ne m'en suis pas rendu compte », je pense qu'il y a eu une faiblesse, parce qu'on doit quand même se rendre compte si son enfant prend des voies de ce type, On doit quand même prendre en charge son enfant, si ce n'est que pour que celui-ci, une fois père ou mère, prenne en charge ses propres enfants.
M. Cotta : La visite du Pape choque-t-elle le laïque que vous êtes ?
M. Blondel : Elle ne me choque pas. Il faut bien préciser les choses : ça ne changera rien sur la laïcité de la France pour la simple et bonne raison que nous sommes un pays laïc de manière constitutionnelle. Nous sommes d'ailleurs l'un des seuls pays d'Europe à avoir une Constitution qui ne fasse pas de référence à la ou aux religions.
M. Cotta : Personne ne menace ça ?
M. Blondel : Non. Deuxièmement, le Pape est l'invité des catholiques : eh bien, il est reçu par les catholiques. Il faut que l'État prenne les précautions pour qu'il ne lui arrive pas de pépin, à ce brave homme. C'est normal. Par contre, il ne faut pas faire de confusion entre le Pape chef d'État, chef du Vatican. Quand M. Castro a été invité, c'est un chef d'État, il ne s'est pas adressé à la population. S'il était là en tant que chef d'État, il devrait être à l'Elysée-Marigny. Il serait très bien reçu. C'est normal. S'il vient voir les catholiques, les catholiques prennent en charge les manifestations, comme je pendrai en charge celle que je fais demain.
M. Cotta : Vous avez dit hier dans le Puy-de-Dôme que la manifestation de samedi est un avertissement au Gouvernement en général et particulièrement à A. Juppé. Pourquoi manifestez-vous ? C'est le chiffrage des suppressions de postes des plans sociaux à 120 000 ?
M. Blondel : Vous répondez à la question, je crois que c'est intéressant.
M. Cotta : Dites oui ou non.
M. Blondel : C'est le 3 juillet qu'on a décidé qu'on ferait une manifestation dans le courant du mois de septembre. On l'a dit assez tôt parce qu'il fallait aussi vérifier le degré de mobilisation de nos camarades. Mais pourquoi ? Parce que le 3 juillet, nous avions déjà les relevés des intentions des entreprises privées, par les comités d'entreprise, du nombre de personnes dont elles voulaient se débarrasser : 97 000 dans le second semestre 96. C'est quand même une catastrophe. Si on juge du chômage non pas d'un mois sur l'autre mais sur série, de 74 – 400 000 – à maintenant – 3,2 millions –, ça veut donc dire qu'on ne stabilise même pas le chômage et que, l'année prochaine, il risque d'y avoir encore plus de chômeurs. Selon nous, à peu près entre 120 000, voire 150 000 en solde de chômeurs en plus. Ça mérite qu'on relève la tête, qu'on n'accepte pas la déclaration un peu curieuse du président de la République le 14 juillet qui semblait dire qu'il était impuissant devant cette affaire. Au moment où il a dit qu'il était impuissant devant le chômage, il a rappelé qu'il y avait 20 millions de chômeurs en Europe et il a dit aussi qu'il ne pouvait pas interférer dans la banque. À partir de ce moment-là, il faut que nous donnions la force au président de la République de changer la politique. Pour ce faire, on fait une démonstration publique, participation élevée si possible, et ça devient un avertissement pour le Gouvernement par rapport à ses orientations économiques.
M. Cotta : Pourquoi n'avez-vous pas voulu faire une manifestation unitaire ?
M. Blondel : Pourquoi vous me posez la question, à moi ? Si vous demandiez aux autres pourquoi ils ne viennent pas ? En fait, c'est relativement simple. Vous me dites à moi, Blondel : « vous n'avez pas voulu faire une manifestation unitaire ». Vous n'en savez rien.
M. Cotta : Vous avez essayé d'avoir les autres ?
M. Blondel : Tenez, quelque chose de curieux : mon camarade Viannet, depuis quelques jours, il ne dit rien. Il va remonter, vous allez voir. Lundi, il lève le ton et très fort. Alors tout ça, c'est un petit jeu qui ne m'intéresse pas.
M. Cotta : Revenons au Budget 97 qui est quand même important pour le leader syndical que vous êtes.
M. Blondel : Pas si important que ça. Si vous permettez, Madame, une petite considération sur le Budget : on se bagarre sur le Budget, les députés vont se bagarrer, et on ne l'applique jamais.
M. Cotta : Vous avez néanmoins dit que c'était un Budget restrictif qui manquait de souffle.
M. Blondel : C'est un Budget restrictif et surtout, c'est un Budget qui, à mon avis, a été fait avec le résultat. On a dit : voilà, il faut qu'on tombe à tel résultat pour laisser supposer qu'on pourrait rentrer dans les critères de convergence de Maastricht, alors il faut donc un déficit qui soit limité à tant. À partir de là, on a mis debout les différentes données, notamment 2,3 de croissance. Je voudrais bien savoir comment on va les faire avec un Budget qui est justement atone, avec un Budget qui n'a aucun souffle et qui, au contraire, désengage l'État. C'est l'État qui soutient le développement de la croissance. Il y a des contradictions, là-dedans.
M. Cotta : La fin du gel des fonctionnaires, vous l'avez pris comment ?
M. Blondel : Pas le gel des fonctionnaires, vous vous rendez compte ? Le gel des salaires des fonctionnaires. Encore une fois, je vais essayer de montrer combien les choses peuvent être délicates. Lorsque nous sommes allés voir le Premier ministre le 4 septembre 1995, il nous a dit qu'il n'y aurait pas d'augmentation en 1996, il ne nous a pas dit qu'il gelait les salaires des fonctionnaires quasiment d'une manière définitive et qu'aujourd'hui, il lèverait. Je pose la question, elle est simple : je suis d'accord pour aller discuter le montant et quand on l'applique, Et je vais poser une question à la Hollinger, un peu méchante : où va-t-on aller chercher, dans le Budget qu'on nous propose, l'argent nécessaire pour augmenter les fonctionnaires ?
M. Cotta : Vous êtes candidat à la présidence de l'Unedic…
M. Blondel : Oui, youpi.
M. Cotta : Vous pensez que vous avez une chance ?
M. Blondel : Quand on me connaît un petit peu, on sait très bien que je ne me présenterais pas si je considérais que je n'avais aucune chance. Mais le problème, ce n'est pas ça, ce n'est pas une envie personnelle. C'est tout simplement parce que je considère que mon organisation, dans le cadre du paritarisme dans ce pays, depuis quarante ans, a lutté pour ça ; eh bien, ce serait anormal que nous n'existions pas. Donc je présente ma candidature.