Article conjoint de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes et de M. Werner Hoyer, ministre allemand chargé des affaires européennes, dans "L'Européen" le 22 avril 1998, sur l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne, la réforme des institutions communautaires et le lancement de l'euro.

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Média : L'Européen

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Les citoyens de l’Europe sont à l’heure actuelle les témoins de décisions historiques, d’une portée considérable pour le visage de l’Europe de demain. Il y a maintenant près d’un mois, l’Union européenne a engagé le processus de son élargissement. Désormais, les négociations d’adhésion sont ouvertes avec cinq pays candidats ainsi que Chypre. Et dans moins de deux semaines, les chefs d’État et de gouvernement décideront des pays qui participeront au premier train de la monnaie unique européenne, l’euro. L’importance de ces décisions se situe dans le droit fil des grandes étapes fondatrices de la construction européenne. Aujourd’hui comme hier, la France et l’Allemagne sont le moteur d’une Europe économiquement et politiquement unie, symbole de paix, de stabilité et de prospérité.

La création de l’Union économique et monétaire n’aurait pu réussir sans une concertation étroite entre la France et l’Allemagne. S’agissant du processus d’élargissement, nos deux pays évoluent de concert. C’est ce message que nous avons voulu apporter à l’occasion de la visite commune que nous avons effectuée à Prague, les 15 et 16 avril. Ensemble, nous voulons vous rappeler notre volonté d’aider la République tchèque et tous les pays candidats sur le chemin difficile de l’adhésion à l’Union européenne.

Le défi qui nous attend est considérable. Nous voulons construire une Europe unie politiquement et reposant sur une communauté de valeurs démocratiques ; une Europe plus compétitive parce que plus forte économiquement ; une Europe capable enfin d’assurer sa propre sécurité et de défendre ses intérêts sur le plan extérieur. Espace de liberté, de sécurité et de droit, l’Europe élargie sera plus à même de protéger ses citoyens contre la criminalité internationale organisée et tous les autres risques. Nous n’avons d’autre choix que le succès.

Cette vaste entreprise n’ira pas sans difficulté. Nombre de questions restent à résoudre. La France et l’Allemagne, mais aussi les autres membres de l’Union, doivent en particulier répondre à un double impératif.

Il s’agit d’abord de préparer les pays candidats à leur entrée dans l’Union. Celle-ci passe en premier lieu par la poursuite des réformes courageuses et exigeantes qui ont été engagées dans les différents pays. L’adhésion signifie en effet la reprise par les futurs États membres de l’acquis communautaire, c’est-à-dire de l’ensemble des règles et des politiques communes élaborées par l’Union depuis les débuts de son intégration. Ces règles s’appliquent au territoire national de tous les États et s’adressent directement à leurs citoyens. L’expérience que nous en avons, montre que cette question est souvent l’objet de débats internes extraordinairement compliqués. Mais nul ne peut passer outre. La reprise de ces droits et devoirs est une condition sine qua non à l’adhésion. Il ne saurait y avoir d’exception. La négociation durera ce qu’elle doit durer. Naturellement, comme ce fut toujours le cas, des périodes de transition dans certains domaines précis, pourront être ménagées.

Il s’agit ensuite pour l’Union elle-même de se préparer à ce que sera l’Europe future sans rien renier de son identité. Le passage d’une Europe des Quinze à une Union qui comptera un jour vingt membres ou plus exige un inventaire et une réflexion sur les perspectives et le mode de fonctionnement de la communauté. Si les pays candidats ont de gros efforts à accomplir, l’Union, de son côté, ne pourra faire l’économie d’une réforme aussi nécessaire que délicate. Ce qui implique un débat politique de fond.

La Commission européenne a récemment rendu publics ses projets de réforme. Ils concernent la Politique agricole commune, les nouvelles orientations de la politique structurelle et la définition du futur cadre financier de l’Union pour la période 2000-2006. Ces questions complexes engagent naturellement les intérêts nationaux de chacun des États membres. La France et l’Allemagne seront attentives à ce que les revendications légitimes des uns et des autres ne prennent pas le pas sur ce qui constitue notre objectif principal. Préserver le modèle auquel nous croyons exige d’en accepter les nouvelles règles. C’est à cette condition que l’Europe pourra alors revendiquer son succès.

Une réforme des politiques communautaires ne sera toutefois pas suffisante. Avant d’ouvrir ses portes à de nouveaux membres, l’Union européenne doit engager une véritable réforme de ses institutions. N’oublions pas que ces institutions ont été imaginées à l’origine pour six membres et ensuite adaptées de façon purement arithmétique et au coup par coup au moment des premiers élargissements à neuf, à douze puis à quinze membres. Le système a atteint ses limites. Élargir sans réformer, c’est prendre le risque de la paralysie. Personne n’y a intérêt, ni les pays membres, ni les pays candidats. Nous voulons une Europe qui décide. Sur ce thème aussi, une coopération étroite entre la France et l’Allemagne sera une garantie de succès.

La construction de l’Europe future est une chance unique pour tous les citoyens européens. C’est une garantie pour la liberté, la paix et la prospérité. C’est la voie pour s’émanciper de notre histoire marquée par les guerres et les conflits, sans en oublier les leçons. Nous sommes convaincus que c’est la seule manière de répondre aux aspirations des citoyens européens.