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Paris-Match : Cela fait un an que vous occupez la double fonction de ministre du Travail et des Affaires sociales. Or, sur cette période, le nombre de chômeurs a augmenté de 156 000 et le trou de la Sécu est toujours là. N’est-ce pas décourageant ?
J. Barrot : En fait, je suis un laboureur par mauvais temps. Pendant que les Français ont les yeux rivés sur le ciel menaçant, ils ne voient pas tout le travail de labourage et de semailles. Notre politique, très active, qui s’appuie sur des démarches concrètes, finira par porter ses fruits à condition d’avoir un peu de patience et de persévérance.
Paris-Match : Demander aux Français de rester patients alors que les chiffres du chômage s’aggravent, n’est-ce pas un peu indécent ?
J. Barrot : On oublie que la France compte dans le secteur privé, cet automne 1996, 30 000 emplois salariés de plus qu’il y a un an. C’est dire que nous créons suffisamment d’emplois pour remplacer ceux qui disparaissent, mais nous n’en dégageons pas assez pour accueillir les 150 000 actifs qui arriveront chaque année sur le marché du travail, jusqu’au début du siècle prochain. Depuis trois ans, l’économie française a dû faire face au surcroît d’une demi-million d’actifs… Dans le même temps, la Grande-Bretagne, citée en exemple par de bons esprits, en a perdu autant.
Paris-Match : D’ici 1997, selon les experts, la situation ne devrait pas s’améliorer. Pourquoi ne dites-vous pas aux Français la vérité : le chômage n’est pas que conjoncturel, il est surtout structurel. On sait parfaitement, par exemple, que le secteur bancaire va devoir réduire ses effectifs de 60 000, que la croissance soit au rendez-vous ou non !
J. Barrot : Les prévisions liées à la croissance offrent d’importantes possibilités de développement… Sous réserve d’un accroissement sensible des investissements. Et investir, c’est innover. Cette effort est primordial dans une période d’adaptation et de réorganisation, qui affecte certains secteurs comme la banque. Il faut miser sur les nouveaux métiers et les nouvelles technologies. Investir à temps et dans les bons secteurs, voilà deux conditions qui s’imposent aux entreprises pour créer les emplois de demain.
Paris-Match : Pour lutter contre le chômage des jeunes, vous misez sur l’apprentissage, moins sur les diplômes…
J. Barrot : Comme le dit le proverbe chinois, « Je travaille, donc j’apprends. » Il faut exorciser l’idée du tout-diplôme, coûte que coûte et avant tout. L’Education nationale a sa part de responsabilité : il faut qu’elle accepte et participe activement au développement de formations en alternance (école-entreprise). Pour 1997, nous espérons 220 000 entrées en apprentissage et, en y ajoutant les entrées en contrat de qualification, 320 000 en formation d’alternance.
Paris-Match : Vous venez de demander aux 100 premières entreprises françaises de s’engager pour l’insertion des jeunes. Moins de la moitié a répondu positivement à l’appel. Vous êtes déçu ?
J. Barrot : Je suis insatisfait des résultats actuels. Il y a heureusement des responsables patronaux et des PDG très actifs en la matière, comme Didier Pineau-Valencienne, pour ne citer que lui. La bataille pour l’emploi des jeunes est une priorité absolue, si on veut redonner le moral aux Français. Anne-Marie Couderc et moi-même, nous lui consacrons le meilleur de nos énergies.
Paris-Match : Pendant ce temps, les grandes entreprises multiplient les plans sociaux. Comment pensez-vous stopper cette hémorragie ? En rétablissant l’autorisation administrative de licenciement, comme les socialistes le souhaiteraient ?
J. Barrot : Ce n’est pas parce que l’automne est humide et froid qu’il faut chausser des lunettes noires ! Rappelons qu’il y a heureusement 40 % de moins de plans sociaux qu’en 1993. De nouveaux investissement voient le jour qui montrent que notre pays est attractif pour les plus grandes entreprises mondiales : Mercedes va créer 2 000 emplois en Lorraine ; IBM, 3 000 à Corbeil ; Atmel (500 emplois) et SGS Thomson (800 emplois) à Gardanne. Il faudrait citer aussi le japonais Sanden en Bretagne (600 emplois), General Motors à Douai (500 emplois). Il faut savoir dire aux Français que l’avenir d’une entreprise passe parfois par une réorganisation structurelle et par un plan social. Moulinex en fait la douloureuse expérience. Quant à l’autorisation administrative de licenciement, ce n’est pas la bonne réponse : elle n’a pas empêché, en 1985, 700 000 licenciements économiques.
Paris-Match : Les 3,058 millions de chômeurs sont loin de partager votre optimisme. Quels sont les moyens concrets de vos ambitions, voilà ce qui les intéresse.
J. Barrot : Nous avons une stratégie pour enrichir la croissance française en emplois. Pour cela, nous avons des outils efficaces : d’abord la baisse du coût du travail pour réduire le prix de revient et, donc, vendre moins cher, retrouver de nouveaux marchés. Depuis le 1er octobre, les entreprises qui emploient des salariés moins qualifiés dont le salaire est inférieur à 8 500 francs verront leurs charges patronales de Sécurité sociales diminuées parfois jusqu’à 60 %. Ensuite, ce sont les incitations au temps partiel, la création des emplois de service et l’aménagement-réduction du temps de travail sur mesure.
Paris-Match : Vous ne citez pas les heures supplémentaires ; pourtant, votre ministère estime qu’elles représentent 140 000 emplois. Allez-vous légiférer pour les limiter ?
J. Barrot : Nous verrons, s’il y a lieu, au cas où le bilan des négociations par branches ne serait pas assez ambitieux. Au-delà d’un certain volume d’heures supplémentaires, les entreprises doivent pouvoir dédommager les salariés par davantage de temps libéré. Les heures supplémentaires constituent, c’est vrai, un avantage financier pour certains ; mais la société française doit faire des choix : réduire le chômage des uns mérite quelques efforts de la part des autres. Tout cela se discute et se négocie.
Paris-Match : Le 17 octobre, fonctionnaires et médecins défileront dans la rue. Ne craignez-vous pas que la grogne s’étende ?
J. Barrot : Ce n’est pas à coups de grèves que l’on vient à bout des problèmes. Les pouvoirs publics sont là pour écouter et dialoguer, mais il leur faut rester fermes dans la volonté de sauver notre assurance-maladie. Au monde médical de s’engager dans la réforme de la Sécu pour en faire sa réforme. Que ses représentants fassent des contre-propositions, qu’ils s’engagent par contrat avec l’assurance-maladie à promouvoir le juste soin, et nous relèverons ensemble, soignants et assurés sociaux désormais munis du carnet de santé, ce grand défi : la consolidation d’une assurance maladie pour tous.