Texte intégral
RTL - 22 mai 1998
R. Artz
On vient d’apprendre que la fédération Force ouvrière des transports appelle les routiers à faire grève le 26 mai, en disant que cela pourrait se prolonger pendant la Coupe du monde de football.
J.-C. Gayssot
- « Je crois que cette idée qu'il pourrait y avoir des blocages des transports pendant la Coupe du monde a été émise ici ou là, mais, ce dont je suis sûr, c'est que les dirigeants, responsables, les militants et les salariés concernés ont envie que la Coupe du monde se passe bien, non seulement dans les stades, mais également dans les différents transports pour se déplacer d’une ville à l'autre. J'ai entendu Mme Notat dire qu'il ne fallait pas dire la Coupe du monde en otage. »
R. Artz
Mme Notat c'est la CFDT, là c'est Force ouvrière.
J.-C. Gayssot
- « J'ai entendu B. Thibault, également, dire que, tout en précisant que bien entendu les revendications n'étaient pas mises entre parenthèses durant cette période, il écartait l’idée d’une action de grève, de blocage pendant la Coupe du monde. M. Blondel lui-même - et cela me ramène à l’information que vous donnez à l'instant - avait fait savoir que ni lui, ni M. Poletti, ne viserait à bloquer. »
R. Artz
Alors que se passe-t-il ?
J.-C. Gayssot
- « Le 27 mai, ce n'est pas la date de la Coupe du monde, donc je crois qu'il faut que le dialogue social, que les discussions soient menées. Bien sûr, il y a dans ce secteur-là, comme dans d'autres, des questions qui sont posées. La règle du jeu veut que les partenaires sociaux discutent. Pour ce qui concerne les routiers, je dois dire que depuis le dernier conflit, le Gouvernement avait pris des engagements, il les a tenus. Et je me bats aujourd'hui pour qu'au niveau de l'Europe, il y ait une véritable harmonisation sociale par le haut. Je ne dis pas que c'est facile, je ne dis pas que c'est acquis, mais c'est en tout cas la volonté du Gouvernement français, et je crois savoir que les syndicalistes également, à l’échelle de l'Europe, envisagent de ce point de vue de rassembler leurs forces pour cette harmonisation. »
R. Artz
Vous vous attendez à une attitude responsable, en fait ?
J.-C. Gayssot
- « Bien entendu, je crois que tout le monde y gagnera, à commencer par les syndiqués eux-mêmes, les salariés. »
R. Artz
On a parlé des transports routiers, mais il y a aussi un risque, semble-t-il, du côté des pilotes d'Air France ?
J.-C. Gayssot
- « Actuellement à Air France, il y a des discussions qui sont engagées, comme jamais peut-être, depuis très longtemps en tout cas, Air France est en capacité de voir son avenir avec une perspective positive. Nous avons non seulement fait les pistes de Roissy. Nous les faisons. Nous avons passé un accord avec les États-Unis qui ouvre des possibilités d'alliance. Air France vient de passer une alliance plus forte avec Delta, la grande compagnie américaine. »
R. Artz
Tout cela est très bien, mais c'est l'idée d'échanger des acquisitions d'actions de la compagnie contre des baisses de salaire qui ne passe pas très bien.
J.-C. Gayssot
« La proposition, ce n'est pas une baisse du revenu, puisqu'il s'agit d’échanger. C'est qu'une partie des salaires puisse être placée, non pas dans d'autres endroits, en bourse, mais en faveur d'Air France et j'ai ajouté, je l'ai dit avec beaucoup de force, qu'il fallait qu'il y ait un accord collectif au préalable. Bien entendu, cet accord collectif ne peut être passé qu'avec une organisation syndicale représentative. »
R. Artz
Autre sujet de votre domaine : les manifestations de motards en colère. Ils sont en colère contre un projet de loi qui vise à punir plus sévèrement les grands excès de vitesse ?
J.-C. Gayssot
- « Il y a actuellement en France une situation tout à fait injuste. 8 000 personnes trouvent la mort chaque année sur les routes de France, deux fois plus qu’au Royaume-Uni, qu'en Suède ou ailleurs, ce n'est pas normal. Même s'il y a eu de gros effort ces dernières années, il faut enrayer cette hécatombe sur nos routes. Nous avons proposé, le Gouvernement a proposé, de réduire de moitié le nombre de tués. Parmi le nombre de tués, il y a 800 motards qui, chaque année, perdent la vie sur les routes de, France. Ce que je propose, c'est une politique de formation, d'éducation pour changer le comportement, et pour ce qui est des sanctions, il s'agit d'instaurer, comme l'a approuvé d'ailleurs d'ores et déjà le Sénat à l'unanimité des groupes, un délit de récidive pour grande vitesse lorsqu'on dépasse de 50 km/h In vitesse prescrite dans les villages, sur les routes départementales ou sur les autoroutes. »
R. Artz
Il n'y a pas que cela, il y a aussi une amende importante pour ceux qui vont trop vite, et puis la demande aux propriétaires de véhicules qui refusent de dénoncer le conducteur en infraction, c'est lui qui sera sanctionné. On lui demande de dénoncer celui qui conduisait ?
J.-C. Gayssot
- « Non. Cela c'est une chose qui a pu être proposée sous le gouvernement précédent, mais je le dis avec beaucoup de netteté, mon projet de loi est un projet anti-délation. Pourquoi ? Parce que c'est le propriétaire - et la sanction est uniquement pécuniaire - et lui seul qui sera concerné. Vous pourrez dire que ce n’est pas vous qui conduisez, cela ne fait rien : sanction ! Vous la volez, c'est vous qui aurez la responsabilité. Donc c'est un projet de loi qui est anti-délation et je crois - comme je l'ai fait comprendre aux sénateurs - que les motards le comprendront. En tout cas, dans mon projet de loi, je vise à protéger en particulier la sécurité des motards. »
R. Artz
Pensez-vous qu'il y a une tension, en ce moment, qui peut être redoutable pour la cohabitation ?
J.-C. Gayssot
- « Sur cette question des affaires, j’ai décidé, et le Premier ministre nous a invités à faire ainsi, à ne pas faire de commentaire, à ne rien ajouter au climat détestable qui existe aujourd’hui et je n’ajouterai rien. Je crois qu’il faut travailler à réconcilier les Français avec la politique. Travaillons sur les problèmes concrets, voyons comment on peut mieux les associer à participer aux décisions, et là, la démocratie y gagnera. »
R. Artz
Vous êtes allé aux États-Unis la semaine dernière. C'est la première fois qu'un ministre communiste français était invité du gouvernement américain. Vous avez vu vos homologues là-bas. Quelles sont vos impressions ? C'est un grand pays capitaliste ?
J.-C. Gayssot
- « Vous avez raison de dire que c'est la première fois qu'un communiste, ministre, est invité et participe donc à des rencontres officielles. J'ai rencontré le ministre du logement, le ministre des transports, nous avons eu des discussions très intéressantes. Bien sûr, il s'agit d’un pays capitaliste et vous connaissez ma sensibilité, moi je suis pour le dépassement du capitalisme. Mais je crois qu'il est important à la fois de se connaître pour se comprendre, et y compris il est important de travailler à une coopération mutuellement avantageuse. Je suis allé là-bas non pas pour faire du tourisme, je vous prie de le croire. Outre les rencontres que j'ai eues avec les ministres, j'ai en également des rencontres avec des responsables, des dirigeants d'entreprise - je parlais tout à l'heure d'Air France et de Delta, mais c'est vrai pour le moteur Snecma avec General Electric, où là des perspectives nouvelles s'offrent pour le développement de la coopération, et donc l'intérêt de nos entreprises, et donc de l'emploi en France. »
R. Artz
C'était aussi, la semaine dernière, le 150e anniversaire de la publication du Manifeste communiste de K. Marx. C’est loin tout cela ?
J.-C. Gayssot
- « À ce moment-là, j’étais aux États-Unis, en rencontre avec des universitaires de l'Université de Columbia, à New York. Nous avons évoqué tout cela. C’est loin. Mais en même temps, cela prouve que le communisme, l’idée du communisme n'a pas commencé avec le siècle, mais bien avant, premièrement. Deuxièmement, il y a une idée majeure dans le Manifeste, c’est que, du libre développement de chacun dépend le libre développement de tous. Je crois que cette idée de liberté de démocratie, d'individu et de collectif est tout à fait d’actualité. »
Europe 1 - mercredi 27 mai 1998
M. Tronchot
Depuis la grève des routiers vous avez la réputation d’avoir un certain talent pour désamorcer les conflits sociaux. Est-ce que celui qui se présente à Air France vous inquiète ?
J.-C. Gayssot
- « C'est vrai que j'agis pour le dialogue social. Je considère que dans notre pays, trop longtemps et trop souvent, ce qui a prévalu ça a été l'autoritarisme, les décisions à sens unique et qu'il faut au contraire favoriser le partenariat, favoriser le débat, favoriser la confrontation d'idées également ; écouter les propositions dans le dialogue social, c'est-à-dire dans le respect des personnels, des organisations syndicales est pour moi tout à fait essentiel. »
M. Tronchot
Vous avez écouté hier soir le principal syndicat des pilotes de ligne, ça n'a pas eu l’air de donner beaucoup de résultats. Qu’est-ce qui coince ?
J.-C. Gayssot
- « J'ai reçu effectivement le SNPL hier soir. Je vais recevoir toutes les autres organisations syndicales aujourd'hui pour dire deux choses : la première, qu'on voit bien, qu'on mesure bien à quel moment se trouve la compagnie Air France. Je crois qu'il faut apprécier la situation nouvelle dans laquelle se trouve la compagnie, comme une formidable possibilité de développement qui est là, devant nous, qui n'est pas acquise parce qu'Air France est encore dans une situation de convalescence. Nous venons de vivre une période tout à fait significative. Il y a eu des milliers et des milliers de suppressions d'emploi à Air France, les investissements ont été bloqués, plus d'achat d'avions, il y avait l'accord bilatéral avec les États-Unis qui était rompu et qu'on n'arrivait pas ressouder, il y avait les pistes de Roissy qui étaient discutées, il n'y avait plus de formation des pilotes, la formation des pilotes avait été interrompue. Bref, je pourrais continuer l’énumération.
Aujourd'hui, sur toutes ces questions le déblocage a en lieu. Aujourd'hui Air France est en capacité d'envisager développement de l’ordre de 15 % dès cette année en direction du trafic, en direction des États-Unis. Aujourd'hui nous embauchons des pilotes par plusieurs centaines. Aujourd'hui, avec la réalisation des pistes de Roissy, la France se trouve dans une situation positive et favorable comparée aux autres aéroports internationaux européens. On est en capacité d'acheter des dizaines d'avions ; on est à ce moment-là. J'en appelle à la raison : faisons en sorte que dans le dialogue social on fasse que le personnel de cette compagnie - y compris les pilotes - soient gagnant dans cette perspective de développement, dans cette perspective de rayonnement nouveau. »
M. Tronchot
Mais c'est précisément le problème. Eux n’ont pas l'impression d'être gagnant. On leur propose de réduire leur salaire, même en le compensant, en distribuant des actions de la compagnie. C’est d'ailleurs quelque chose qui vous aurait fait bondir il y a quelques années en tant que dirigeant communiste ?
J.-C. Gayssot
- « Il faut dire les choses dans leur réalité. Il y a un problème qui est réel et qui est posé dans le cadre de la concurrence lorsqu'il s'agit des très hauts salaires, de la comparaison avec d'autres compagnies. »
M. Tronchot
Là les Français sont manifestement les plus hauts en Europe ?
J.-C. Gayssot
- « Oui, il y a des différences qui sont notables. Les pilotes discutent de ça en disant : nous, nous avons une autre productivité, etc. Il y a donc ce différentiel qui existe. Pour se mettre en position d'efficacité par rapport aux autres compagnies, pour se mettre en position, y compris de développement de la compagnie, une proposition est faite, une proposition qui consiste à échanger une partie du salaire contre des actions, et sans qu'il y ait remise en cause du revenu. En d'autres termes, ce qui est proposé c'est qu'une partie du salaire soit transformée en actions qui vont, elles, être dans la compagnie, et servir le développement de la compagnie. Mais le président Spinetta ne s'est pas contenté de dire ça. Il a dit : puisque ce sera sur la base du volontariat, pour ceux qui ne voudront pas on maintiendra le salaire pendant plusieurs années sans les développements, sans les progrès qui étaient normalement prévus. Donc négociation, appel à la négociation sans préalable, discutons, discutons. Je crois qu'il y a un problème de confiance. Je suis sûr qu'après toutes les épreuves et les efforts qu'ont faits toutes les catégories de personnel de cette compagnie pendant des années, aujourd'hui ce dont on a besoin, c'est que de part et d'autre on se dise : oui, on a confiance, on va vers quelque chose qui sera positif, on va vers des milliers d'embauches à Air France, ce qui n'avait jamais été le cas depuis 1993. »
M. Tronchot
M. Spinetta à toute votre confiance ?
J.-C. Gayssot
- « Oui. »
M. Tronchot
Considérez-vous que les craintes des pilotes sont infondées ? Pensez-vous qu'il y a quelque chose à négocier aujourd'hui ou pas ?
J.-C. Gayssot
- « Allons d'abord à la table des négociations. Le président dit : négociations sans préalable. Allons-y, discutons. C'est bien la preuve qu’il y a à négocier. Et de toute manière, franchement, le point de vue des principaux dirigeants des organisations syndicales confédérées - CGT, CFDT, FO - ont tous dit : au moment où le monde entier va regarder la France, ne faisons rien qui gâche non seulement la fête du foot mais qui gâche l'image de la France et de nos entreprises. »
M. Tronchot
Par tempérament, par culture politique n'êtes-vous pas plus proche, plus facilement solidaire d'un transporteur routier que d'un pilote de ligne ?
J.-C. Gayssot
- « Non je crois que notre pays a besoin de tous les salariés et de toutes les catégories de salariés ; que dans une entreprise il n'y a pas une seule catégorie qui doit être prise en compte, il y a toutes les catégories de salariés. Là encore, trop souvent, on a considéré les salariés comme étant le coût de l'entreprise ; en réalité ce sont eux qui produisent les activités, qui produisent les services, les richesses dont notre pays a besoin. Ils ne sont pas seuls, il y a aussi les artisans, les commerçants, les petits entrepreneurs. Tout ceux-là ce sont les forces vives, je crois qu'il faut être près, très près de toutes les catégories de salariés quel que soit le niveau de la hiérarchie dans l'entreprise. »
M. Tronchot
Le gouvernement de L. Jospin aura bientôt un an. Vous y êtes depuis un an. Quel bilan faites-vous ? Vous sentez-vous bien dans votre peau ? Hier soir R. Hue a dit y avait des choses à revoir et il s'est inquiété d'un retour des « pratiques hégémoniques » du Parti socialiste et même du Gouvernement, que l'écoute à l’égard des partenaires de la gauche plurielle s'était un peu rétrécie. Partagez-vous ces inquiétudes-là ?
J.-C. Gayssot
- « R. Hue hier soir a dit d'abord qu'un travail constructif avait été entrepris depuis le mois de juin. Il s'est situé totalement dans la majorité. Ensuite il a posé comme question la nécessité que cette majorité gagne, mais non pas par défaut parce que la droite dans la déconfiture, mais qu'elle gagne par l'adhésion toujours plus majoritaire du peuple de France. Cela nécessite, a-t-il dit, que non seulement nous n'interrompions pas les changements mais que les réformes, y compris les réformes profondes, progressistes soient menées à bien parce qu’il y a des attentes et parce qu’il y a des nécessité. C'est vrai que pour transformer les choses, pour transformer la société il faut vraiment s'attaquer aux difficultés. »
M. Tronchot
Et il n'a pas d'eau dans le gaz ?
J.-C. Gayssot
- « Il y a des questions qui sont posées et pour que cette majorité soit la plus efficace possible, il est bien évident qu'aucun hégémonisme ne doit l'emporter sur le débat, sur la discussion de cette majorité plurielle. C'est en tout cas l'esprit de sa déclaration et vous comprendrez que je la partage. »