Texte intégral
Q - Quelle est l’évolution de la France depuis un an sur les Affaires euro-méditerranéennes ?
R - Vous avez raison, je crois, d’insister sur le rôle de la France. Si les affaires euro-méditerranéennes concernent les vingt-sept partenaires du Processus de Barcelone, il est clair que certains Etats ont des responsabilités particulières ; je pense bien sûr aux pays méditerranéens de l’Union, tels que l’Espagne, et évidemment à la France qui a toujours eu un rôle d’initiative dans la mise en place de la coopération euro-méditerranéenne et a pesé de tout son poids dans le lancement du Processus de Barcelone. Je rappelle que c’est sous présidence française que les Quinze ont décidé de porter l’enveloppe financière pour la Méditerranée à près de 5 milliards d’écus, marquant ainsi un net rééquilibrage par rapport aux pays d’Europe centrale et orientale.
Nous continuons de penser que la Méditerranée est une responsabilité et une priorité. A cet égard, nous restons attachés au Processus de Barcelone. Il est vrai que le blocage du Processus de Paix a rendu les choses plus difficiles, s’agissant notamment de la mise en œuvre du volet politique. Mais il est notable qu’en dépit de ces difficultés, chaque partenaire a réaffirmé sa volonté de poursuivre dans la voie ouverte à Barcelone. Ce fut le cas lors de la Conférence de La Valette il y a un an, mais aussi, encore récemment, lors de la Cinquième Réunion ministérielle du Forum méditerranéen, les 20 et 21 avril dernier. En réalité, le Processus de Barcelone est devenu, pour les acteurs du dialogue euro-méditerranéens, la référence. Nous nous en réjouissons parce que c’est dans ce sens que nous avons travaillé depuis un an et que nous continuerons de le faire.
Nous ne le faisons pas seuls. L’implication des pays méditerranéens de l’Union et leur concertation sont des éléments essentiels du succès. C’est d’ailleurs à l’initiative de l’Italie et de la France, que se tiendra, à Palerme, les 3 et 4 juin prochain une conférence exceptionnelle des ministres des Affaires étrangères du Processus de Barcelone. Nous voulons faire de cette rencontre l’occasion d’un large échange de vues pour permettre la progression du Processus de Barcelone, dans ces trois composantes : le dialogue politique et la stabilité, la coopération économique et financière, le volet culturel, social et humain. Je crois cependant que le centre des discussions devrait être la question de la Coopération et du programme Meda, en tant qu’instrument d’accompagnement de la transition économique des pays méditerranéens. Il ne s’agit pas d’éluder les sujets sensibles et délicats. Le dialogue politique est crucial, de même que le thème de la stabilité en Méditerranée sur lequel il faut avancer progressivement. Mais nous avons une conviction simple, qui est la principale leçon que nous tirons de notre expérience de la construction européenne : un partenariat se construit autour de projets concrets et de réalisations pratiques. A cet égard, nous devons nous efforcer d’améliorer la mise en œuvre du programme Meda.
Q - Quelles sont les priorités, notamment économiques, de la France dans le cadre de la coopération multilatérale euro-méditerranéenne ?
R - Sur le terrain économique, le nouveau partenariat euro-méditerranéen vise à la constitution progressive d’une zone de libre-échange entre les deux rives de la Méditerranée, qui permette l’insertion des pays du Sud dans l’économie mondiale en facilitant l’intégration régionale. C’est parce que nous savons que ce processus est long et difficile que nous avons mis en place des politiques d’accompagnement à savoir des Accords d’Association dits « de nouvelle génération » et une coopération multilatérale rénovée.
La première des priorités est qu’il faut que cela marche ! La transition vers la zone de libre-échange euro-méditerranéenne est un véritable défi ; c’est pourquoi nous devons ajuster et améliorer la mise en œuvre de Meda. Il y a eu des lenteurs, à la fois dans l’adoption du règlement financier et dans les négociations de conventions-cadres entre la Commission européenne et les pays bénéficiaires. Cela a suscité, du côté des bénéficiaires, des déceptions ; j’observe cependant que ces difficultés se résorbent progressivement et que le programme Meda est désormais sur les rails. C’est une bonne chose ; car si les critiques des uns et des autres se cumulaient, il pourrait y avoir blocage, ou, à tout le moins, une tentation de réduire l’effort financier. En même temps, je crois que c’est normal qu’un programme tout à la fois ambitieux et novateur ait besoin d’une période de rodage. Mais maintenant il faut passer à la vitesse supérieure, il faut que les projets soient lancés.
De ce point de vue, je me réjouis de la relance de la coopération décentralisée qui doit être un instrument privilégié de la coopération entre les sociétés civiles des deux rives de la Méditerranée. Mais je suis convaincu qu’un élément majeur de l’intégration régionale Sud-Sud est le développement de projets d’infrastructures d’une certaine importance, y compris à l’échelle régionale et subrégionale. Ils pourraient être menés dans les domaines des télécommunications, des transports ou de l’énergie. Même si le programme Meda n’est pas d’abord destiné aux opérations d’infrastructure, dont le canal de financement privilégié est la Banque européenne d’investissements, nous pouvons cependant imaginer pour des chantiers de ce type, une alliance de dons Meda et de prêts de la BEI. Je crois qu’il y a là aussi un effort prioritaire à faire, qui est un effort d’équipement et de mise en réseaux.
Je voudrais quand même ajouter que, s’agissant des Accords d’Association, des progrès sont sensibles ; cinq Accords ont été signés, dont un est désormais en vigueur avec la Tunisie. C’est un premier résultat, mais il convient d’accélérer ce processus afin que l’Egypte, l’Algérie, le Liban et la Syrie rejoignent rapidement les autres partenaires méditerranéens.
Q - La Conférence de l’Eau qui vient de se dérouler à Paris aura-t-elle un impact sur les programmes euro-méditerranéens ?
R - La Conférence sur l’Eau et le Développement durable, qui s’est tenue à Paris, les 20 et 21 mars dernier, et qui a réuni plus de 80 pays, était une rencontre qui, par nature, s’adressait à la communauté internationale. Les principes qui y ont été retenus faisaient déjà partie de ce que je pourrais appeler les acquis du partenariat euro-méditerranéen. D’une certaine manière, je considère que le succès de la Conférence sur l’Eau a été rendu possible par l’existence d’une coopération à 27 sur la question de l’eau. De ce point de vue, nous avons ensemble, pays méditerranéens et pays européens, joué un rôle pionnier.
Rappelons que notre première réunion sur l’eau et la gestion de l’eau, dans le cadre du Processus de Barcelone, a eu lieu à Marseille en novembre 1996 et que, depuis, nos directeurs nationaux et nos experts se réunissent régulièrement. Nous avons donc sur cette question une avance et une expérience.
La France dispose d’une expertise reconnue dans ce domaine. Mais ce n’est pas seulement parce que nous aurions là des intérêts nationaux à mettre en avant que nous avons fait de l’eau une question prioritaire : le besoin, voire le manque d’eau est une donnée fondamentale des pays de la rive sud de la Méditerranée. Pour nous, cette question de l’eau constitue un thème central et symbolique de la coopération euro-méditerranéenne. En effet une bonne gestion des ressources en eau s’inscrit dans une logique qui dépasse les frontières et impose une coopération régionale et subrégionale, elle exige une mobilisation des autorités publiques, mais aussi des investissements privés et de la société civile. Si elle nécessite une approche économique, elle ne se laisse pas réduire à un traitement marchand. Enfin elle appelle au développement et à l’échange du savoir-faire et des connaissances à la fois techniques et administratifs, ainsi que de la formation, de l’éducation et de l’information.
Je viens de vous parler de la nécessité de construire des infrastructures. Celles concernant l’eau font partie des plus essentielles.
Il ne s’agit pas de comparer, mais je suis convaincu que, si nous en avons la volonté politique, l’eau pourrait avoir, dans le monde méditerranéen, le rôle qu’a eu le charbon et l’acier pour la construction européenne : un facteur de développement, de réconciliation et de paix.
Q - La France a pris le leadership de la Coopération euro-méditerranéenne dans le domaine du tourisme entre 1992 et 1994. Aujourd’hui, elle n’en parle plus. Cette position ne devrait-elle pas évoluer alors que la France est le premier pays touristique du monde ?
R - Je ne sais pas si nous n’en parlons plus, mais nous continuons d’être très actifs dans ce domaine de la Coopération. Comme vous le savez c’est un des thèmes du volet régional de Meda et nos partenaires du Sud sont très demandeurs, ne serait-ce que parce qu’il y a là une source de revenus importante et des recettes en devises qui peuvent être considérables. Les axes de cette coopération sont très diversifiés puisqu’ils concernent aussi bien les questions macro-économiques et micro-économiques, la formation, les aménagements législatifs et administratifs, la protection du patrimoine culturel et naturel, les infrastructures. C’est un des secteurs dans lequel la coopération décentralisée peut avoir un rôle important.
Q – Etes-vous optimiste sur l’avenir du Processus de Barcelone ?
R - L’essentiel de notre entretien a été consacré à ce qu’on appelle le second volet du Processus de Barcelone. Notre ambition est de réduire les écarts entre les deux rives de la Méditerranée, faute de quoi nous ne serons pas capables de construire de véritable partenariat. C’est sans doute sur ce second volet que les attentes et les besoins sont les plus forts et les plus immédiats. J’ai fait état de quelques difficultés. Aucune d’entre elles ne me paraît insurmontable. Et je le sentiment que, tout compte fait, les choses sont plutôt bien engagées.
Mais Barcelone est un processus global. Notre partenariat s’étend à l’ensemble de nos relations, politiques, économiques et culturelles. Aucun de ces éléments ne doit être négligé. C’est ainsi que je regrette, pour ma part, que soit, trop souvent, oublié le volet social, culturel et humain. La rencontre entre les cultures, le dialogue des religions, le partage de nos héritages, souvent communs, les échanges humains, tout cela est essentiel pour combattre l’ignorance de l’autre, le repli sur soi, pour en finir avec le soi-disant « choc des civilisations » et rappeler que la Méditerranée, depuis l’Antiquité, est une mer qui unit. Nous réfléchissons aux moyens de lancer de véritables projets culturels ; ce sera, en tout état de cause, un des thèmes que nous devrons soulever à Palerme.
Je ne cache pas que c’est sur le terrain politique que nous avançons le plus lentement. Il est clair que le Processus de Barcelone est affecté par le blocage du Processus de Paix. Je reste convaincu cependant qu’il y a une voie de progression. Il faut d’abord souligner que ces deux « processus » sont bien distincts ; c’est d’ailleurs la position des 27 partenaires. Chacun doit prendre ses responsabilités dans ces deux cadres. L’Europe, pour sa part, s’efforce de jouer son rôle politique pour trouver une issue permettant la relance du Processus de Paix, tandis qu’elle apporte la première contribution économique et financière. En même temps, et c’est un élément essentiel, les progrès, accomplis et à venir, dans le cadre du Processus de Barcelone ne peuvent qu’avoir une influence favorable sur le Processus de Paix. Comment en effet imaginer que le développement d’une coopération concrète, que les efforts pour construire un partenariat à 27, que la réaffirmation commune du respect de l’état de droit et des principes de bon voisinage, que la volonté d’inscrire ensemble notre action dans le long terme ne contribueraient pas à l’établissement d’un climat de confiance. En poussant le paradoxe, je dirai que le blocage du Processus de Paix rend plus vital encore les progrès du partenariat euro-méditerranéen. A cet égard que le Processus de Barcelone ait fini par s’imposer comme une référence - je le notais, il y a un instant - est encourageant.
Pour répondre à votre question, je suis optimiste. C’est l’optimisme de la volonté./.