Texte intégral
Radio France Internationale : Monsieur le ministre, vous êtes le Premier ministre des Affaires étrangères de la cohabitation. On a dit que votre position, coincée entre le Président de la République qui garde un rôle directeur dans la politique étrangère de la France, et le Premier ministre qui entend gouverner dans tous les domaines y compris la diplomatie, serait donc très difficile, très délicate, alors après plus d'un an d'expérience ?
Jean-Bernard Raimond : Et bien, cette position est en fait facilitée par le fait que, comme vous le savez, la politique étrangère française est fondée sur un large consensus depuis de longues années. J'ai, chaque semaine, un entretien avec le Président de la République pendant environ une heure, et je rencontre fréquemment M. Jacques Chirac, Premier ministre, qui m'a nommé ministre. Par conséquent, je connais bien la pensée de l'un et de l'autre. Évidemment, du fait de cette situation nouvelle, j'ai une marge de manœuvre, une marge d'initiative et de proposition que j'utilise. Dans les décisions que je suis appelé à prendre je tiens compte de la pensée du Chef du Gouvernement et de celle du Président de la République, et bien entendu lorsqu’un sujet revêt une importance grave, je les consulte.
Radio France Internationale : Paradoxalement donc, vous avez l'impression que le Quai d'Orsay que vous dirigez, le ministère des Affaires étrangères est plus puissant aujourd'hui qu'hier ?
Jean-Bernard Raimond : Ce serait présomptueux de dire qu'il est plus puissant mais, incontestablement, je suis amené à prendre des initiatives et des responsabilités. Cela m'est arrivé par exemple après le Sommet de Reykjavík. Je me suis trouvé le lendemain à Copenhague, on m'a demandé mon avis sur ce qui venait de se passer en Islande. Je l'ai donné sans consulter personne, et il s'est trouvé que finalement c'était ce que pensaient aussi le Premier ministre et le Président de la République.
Radio France Internationale : Alors, avant de rentrer dans le fond des dossiers quelques questions d'actualité, la première a trait à cette cohabitation justement, c'est l'affaire Albertini. Hier, le Président de la République a refusé les lettres de créance de l'ambassadeur d'Afrique du Sud, est-ce que c'était concerté ou est-ce que c'était une initiative de l'Élysée ?
Jean-Bernard Raimond : D'abord il ne faut pas dire que le Président de la République a refusé les lettres de créance de l'Ambassadeur d'Afrique du Sud. Il en a ajourné la présentation. C'est le Président de la République qui reçoit les lettres de créance des ambassadeurs étrangers. Ces cérémonies ont lieu de façon périodique. Elles regroupent quatre ou cinq ambassadeurs. Le Président de la République m'avait informé au cours d'une audience de son intention de différer la remise des lettres de créance de l'Ambassadeur sud-africain
Radio France Internationale : Vous approuvez cette initiative du Président de la République ?
Jean-Bernard Raimond : Je n'ai ni à l'approuver, ni à la désapprouver. Dans l’ordre des choses, c'est au Président de la République, de prendre sa décision, de fixer les dates. Ce serait très différent s'il s'agissait de refuser l'agrément d'un Ambassadeur. C'est un problème plus grave, mais là il s'agit simplement de ne pas le mettre dans le groupe des Ambassadeurs qui doivent être reçus à la fin du mois de juin. Il ne s'agit que d'un ajournement.
Concernant l'affaire Albertini, j'avais, de mon côté, pris la décision de convoquer le chargé d'affaires, qui est venu d'ailleurs avec l'Ambassadeur qui n'a pas encore remis ses lettres de créance, pour parler aux représentants de l'Afrique du Sud de la situation de M. Albertini comme je l'avais déjà fait à plusieurs reprises, et pour leur demander de manière la plus vigoureuse possible, qu'il soit mis fin à sa détention et qu'il soit rendu à sa famille et à la France.
Radio France Internationale : Monsieur le ministre, je veux poser une question en référence à ce que nous avons entendu durant le flash juste avant le commencement de notre émission. Comme vous le savez, la semaine dernière mon confrère d'ABC. Charlie Glass et deux Libanais, compris le fils du ministre de la Défense, ont été pris en otage dans un quartier de Beyrouth complètement pris en charge par les Syriens. Qu'est-ce que vous pensez que cela signifie puisque les Syriens avaient déclaré assurer la sécurité dans cette section de Beyrouth ? Leur crédibilité est-elle atteinte ? Est-ce qu'ils peuvent vraiment faire sortir les otages, comme ils le disent ?
Jean-Bernard Raimond : La présence syrienne au Liban est ancienne et les otages précédents ont été enlevés alors qu'il y avait déjà une présence militaire syrienne. Ce n'est donc pas un fait nouveau à ceci près que l'armée syrienne est plus présente à Beyrouth Ouest qu'elle ne l'était autrefois. Il est certain que le Gouvernement syrien, s'il pouvait contribuer à la libération des otages, le ferait. Mais la situation est telle au Liban, il y a tellement d'interférences extérieures des uns et des autres – celle notamment des Hezbollah depuis environ deux ans – qu'il est difficile aux Syriens de contrôler toutes ces affaires, d'intervenir en vue de la libération des otages. Je ne peux donc pas faire de commentaires vraiment significatifs sur ces récents enlèvements. L'expérience prouve qu'il faut d'ailleurs, toujours être prudent quand il y a un enlèvement, il faut prendre son temps pour savoir qui va le revendiquer et étudier dans quelles circonstances cela s'est fait. Ceci étant, on ne peut que regretter, déplorer, condamner ces enlèvements qui sont tout à fait inadmissibles. Il reste que les responsabilités ne sont pas toujours faciles à établir.
Radio France Internationale : C'est vrai il y avait une présence syrienne au Liban quand les autres otages ont été pris, mais pas la présence syrienne qui existe aujourd'hui où 7 000 soldats ont été envoyés dans ce quartier pour assurer une sécurité. On a l'impression qu'ils ne l'assurent pas.
Jean-Bernard Raimond : Je sais. C'est certainement difficile, même pour 7 000 hommes, de contrôler ce genre d'opérations qui se font à l'improviste. Les ravisseurs ont toujours un avantage. Je ne dis pas cela pour défendre l'armée syrienne, mais simplement pour expliquer que les enlèvements récents se sont faits selon un processus qui a été toujours le même dans le passé, avant la présence massive syrienne à Beyrouth Ouest.
Radio France Internationale : Deuxième question d'actualité, avant de revenir au Proche-Orient, à propos de l'Espagne et de l'attentat de Barcelone La coopération franco-espagnole dans la lutte contre le terrorisme s'est beaucoup développée depuis plusieurs mois, dès avant l'arrivée de M. Chirac au gouvernement, mais qu'est-ce qu'on peut faire de plus pour éviter ou pour prévenir des attentats comme celui qui a eu lieu â Barcelone, Est-ce que la coopération franco-espagnole va se développer ?
Jean-Bernard Raimond : Je voudrais dire d'abord que l'attentat de Barcelone est un événement tragique. Le Président de la République et le Premier ministre ont envoyé des messages de condoléances aux autorités espagnoles. Moi-même, j'exprime ici mes sentiments de sympathie vis-à-vis du peuple espagnol. Ces événements sont des événements que l'on ne peut que déplorer et condamner. La coopération franco-espagnole qui a été accentuée dès 1986, dans la lutte contre le terrorisme, va continuer et ne peut que se renforcer parce que la démocratie espagnole est un État de droit. Cette politique est de plus en plus admise. Les relations entre la France et l'Espagne étaient bonnes sous le précédent gouvernement, sous ce gouvernement elles sont excellentes et nous avons, sur tous les sujets, une coopération active, des échanges de vue et des contacts étroits.
Radio France Internationale : Je voudrais que l'on aborde maintenant le dossier du désarmement.
Monsieur le ministre, Mikhail Gorbatchev est la grande vedette des conférences internationales, Moscou multiplie les initiatives, il existe une logique soviétique quand aux rapports est-ouest. Comment sortir de cette logique et comment rétablir les vraies priorités en matière de désarmement entre l'est et l'ouest ?
Jean-Bernard Raimond : Je pense que peut être nous sommes en train de sortir de cette logique. Je ne dirai pas que M. Gorbatchev est la grande vedette internationale, il est simplement un dirigeant dont l'action est très mobile. Il faut dire que les Occidentaux n’étaient plus habitués, depuis longtemps à ce genre d'interlocuteurs. Ils avaient en face d'eux des dirigeants qui, incontestablement, avaient une politique mais qui étaient beaucoup moins agiles dans leur diplomatie que M. Gorbatchev. Concernant la maîtrise des armements la politique soviétique consiste à essayer d’éliminer d'Europe les armes nucléaires américaines qui y sont stationnées Les Européens savent qu'il y a 11 000 ou 12 000 mille têtes nucléaires en Union Soviétique, et donc en Europe, qui peuvent atteindre l'Europe occidentale. Il y a 11 000 ou 12 000 têtes nucléaires aux États-Unis ou sur des sous-marins. En Europe, il n'y a que quelques centaines de tètes américaines, la force nationale française qui aura d'ici la fin de l'année environ 259 têtes nucléaires, et la force britannique. Il y a donc une disproportion fantastique entre les arsenaux stratégiques des grandes puissances et les armes stationnées en Europe.
M. Gorbatchev s'est aperçu que ses prédécesseurs avaient fait une erreur, parce qu'en déployant en Europe les SS 20 qui sont des missiles d'une portée, disons, de 5 000 kilomètres, ils ont réussi à amener sur le sol européen, pour la première fois, des missiles intermédiaires nucléaires américains pouvant atteindre le territoire soviétique à partir de ce sol européen.
Étant donné que les Occidentaux avaient proposé le retrait des missiles américains de moyenne portée, c'est-à-dire les Pershing et les missiles de croisière si les Soviétiques retiraient les SS 20. M. Gorbatchev s'est dit qu'il pouvait réparer cette erreur il a repris la proposition occidentale c’est ce qu’on a appelé l'option zéro.
Ensuite, il y a eu une deuxième option zéro portant sur les missiles de plus courte portée mais je ne veux pas entrer dans ces détails. C'est une affaire qui théoriquement ne concerne pas la France puisque nous avons notre force nucléaire, puisque nous ne sommes pas dans l'OTAN, puisque nous n'avons pas de missiles américains sur notre sol. Donc a priori nous pouvions nous en désintéresser. Mais nous avons estimé que la solidarité européenne, la solidarité de l'Alliance nécessitait notre avis. Les deux options zéro étant acceptées par nos partenaires de l'Alliance, nous nous sommes dit solidaires de cette décision.
Maintenant l'Alliance Atlantique s'est mise d'accord, au niveau du Conseil Atlantique, là où la France est pleinement représentée comme ses partenaires, pour réfléchir sur les problèmes du désarmement pour faire une sorte de pause qui n'empêche pas la négociation des deux options zéro. Bien entendu. Par cette pause et par cette réflexion nous allons peut-être construire notre propre logique occidentale compte tenu du contexte actuel, et ne pas simplement donner l'impression, comme ça été le cas jusqu'à présent, de réagir aux initiatives soviétiques qui étaient de surcroît prévisible.
Radio France Internationale : Monsieur le ministre, j'ai une question assez simple à vous poser.
Dans la perspective d'un accord soviéto-américain sur le désarmement où je pense que les Allemands vont vous poser une question (ils vous l'ont d'ailleurs probablement déjà posée). Où est la ligne de défense française, est-ce qu'elle est sur le Rhin ou sur l'Elbe ?
Jean-Bernard Raimond : La question ne se présente pas de cette manière et ce n'est pas une question simple. Je crois que pour bien la présenter, il faut très brièvement dire qu'autrefois, les Allemands ont craint, au moment où s’est constituée la force stratégique française, d'avoir à choisir entre Paris et Washington, entre l'Europe et l'Alliance. Ce problème est dépassé. Ils savent maintenant que, comme l'a dit le Premier ministre, la sécurité de la France commence aux frontières de ses voisins, et qu'il n’est pas concevable qu'il y ait par exemple une bataille allemande sur l'Elbe et puis ensuite une bataille française sur le Rhin Donc c'est déjà une attitude française qui va au devant du problème qui est posé et qui est celui de la défense européenne Les Européens prennent de plus en plus conscience de leurs problèmes de sécurité qui sont complexes, notamment en face de la négociation soviéto-américaine. Donc, votre question est une bonne question et la réponse qui doit en être faite doit être une réponse pragmatique.
Radio France Internationale : Donc la défense est sur l'Elbe, si je vous ai bien compris.
Jean-Bernard Raimond : J'ai dit que la réponse à ce problème doit être une réponse pragmatique. Il y a de plus en plus sur le plan pratique une coopération militaire étroite entre la France et l'Allemagne. Il faut savoir que dans dix ans, tous les officiers allemands seront passés par l'armée française.
Radio France Internationale : Est-ce que tous les officiers français sont passés en Allemagne ?
Jean-Bernard Raimond : Bien sûr.
Radio France Internationale : Il me semble quand même que l'Allemagne soit au centre de ce problème de la défense européenne, même si la coopération pratique entre les armées allemande et française s'est développée. Il n'en reste pas moins que la question qui nous a été posée reste ouverte et que la doctrine française n'est pas très claire, peut être sciemment. Mais je voudrais revenir au problème du désarmement et de la double option zéro, et vous demander si vous ne pensez pas finalement que Gorbatchev poursuit la même politique que Brejnev : en installant les SS 20, Brejnev a essayé de déstabiliser l'Allemagne occidentale, susciter et encourager les mouvements pacifistes, ça n'a pas réussi, mais le but c'était la déstabilisation de l'Allemagne occidentale. Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'en proposant la double option zéro Gorbatchev poursuit le même but et que finalement le problème allemand avec tout ce que cela comporte c'est-à-dire les espoirs de réunification, où les espoirs simplement d'amélioration entre les deux États allemands, va être au centre de la politique européenne dans les prochains mois ?
Jean-Bernard Raimond : Il y a plusieurs questions dans votre question. Je vais d'abord répondre à la première idée. En effet, je l'ai dit d'ailleurs récemment devant l'assemblée nationale, jusqu'à présent en politique extérieure M. Gorbatchev, qui est un homme imaginatif sur le plan interne à poursuivi les objectifs traditionnels soviétiques. Donc certainement dans sa politique il y a le problème allemand et dans ses propositions de désarmement sur l'Europe, il y a un aspect proprement politique qui est l'Allemagne. Vous avez tout à fait raison.
Je dirais cependant que je pense qu'il est moins systématiquement expansionniste que Brejnev et qu'il a également d'autres soucis. Lorsqu'il s'attaque à l'initiative de défense stratégique il a le souci d'éviter d'entrer dans une nouvelle course aux arguments, de surcharger son économie. Mais lorsque la possibilité s'offre, à lui, de prendre des mesures de désarmement et que ces mesures vont dans le sens de la politique traditionnelle soviétique, qui est d'obtenir le départ des armes nucléaires américaines d'Europe, je crois qu'il saisit celte occasion, et il le fait plus habilement, à mon avis, que Brejnev, parce qu'au lieu de tenter de l'obtenir par du surarmement, il tente de le faire par du désarmement, ce qui plaît à l'opinion occidentale. Les Occidentaux sont dans une situation plus difficile : ils sont obligés de dire : attention qui dit désarmement ne dit pas forcément renforcement de la sécurité.
Radio France Internationale : Je voulais ajouter un point à cette question le chancelier Kohl a très récemment fait une proposition de création d'unité commune. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Jean-Bernard Raimond : Je pense que cette proposition s'inscrit précisément dans le pragmatisme que j'évoquais tout à l'heure C'est une proposition qui doit être examinée dans la conception pragmatique que nous avons de la coopération avec l'Allemagne, qui est quelque chose de fondamental pour la France et l'Allemagne, fondamentale pour l'Europe et fondamentale d'une manière générale pour la sécurité internationale.
Radio France Internationale : Est-ce que vous êtes inquiet, Monsieur le ministre, lorsque vous entendez le Président de la République fédérale allemande. M. Von Weiszacker déclarer à peu de chose près : notre politique doit nous conduire à n'avoir aucun ennemi ?
Jean-Bernard Raimond : D'abord je ne suis pas inquiet par nature. Ensuite je n'ai pas à commenter ce que dit M. Von Weiszacker. En revanche ce que je dis en ce qui concerne la politique française, c'est que la politique française ne consiste pas à n'avoir que des amis, mais, elle consiste à dialoguer avec tout le monde Mais je pense que M. Von Weiszacker a voulu dire quelque chose de voisin.
Je ne crois pas qu'il souhaite que l'Allemagne n'ait que des amis, ce qui serait peu réaliste, mais qu'il pense à un dialogue qui concerne fondamentalement les Allemands de l'ouest, c'est celui avec les Allemands de l'est, et par exemple au dialogue avec l'Union soviétique.
Radio France Internationale : Au sujet de l'Europe, vous avez un Sommet à Bruxelles, je pense la semaine prochaine, fin du mois de juin. Je vais vous poser une question qui peut être considérée un peu brutale, mais il y a des observateurs qui disent qu'il n'y a pas d'Europe, que votre Europe économique est très faible, que vous avez des grands problèmes agricoles, que vous n'avez vraiment pas une politique commune, vous n'avez aucune défense européenne, mais où est cette Europe de laquelle on parle ?
Jean-Bernard Raimond : L'opinion dans les 12 pays européens, les fonctionnaires, même les membres des gouvernements, ont l'impression en effet qu'il y a énormément de difficultés, que l'on ne va pas assez vite, qu'il n'y a pas de grande idée européenne, que donc la construction européenne est difficile. De 1958 à 1971/72, l'Europe s'est construite difficilement dans une période d'expansion économique qui était donc une période favorable. Elle s'est construite difficilement, mais elle s'est construite, à travers des épisodes très compliqués, celui de la chaise vide, celui de l'entrée de la Grande-Bretagne, mais elle s'est bien construite. Ensuite il y a eu la crise, la récession économique, on aurait pu penser que l'Europe allait lâcher. Or elle a continué à se développer la crise n'est pas finie mais on avance encore, l'acte unique vient d'être ratifié. Il y a évidemment des gros problèmes financiers, agricoles, etc., mais on arrivera à les surmonter. Voilà ma première réponse.
Lorsque vous sortez de l'Europe des 12, soit que vous alliez par exemple dans des pays neutres européens comme la Suisse, l'Autriche, ou dans des pays d'Amérique latine comme le Brésil ou l'Argentine, vous vous trouvez en face d'hommes responsables qui disent ; c'est un géant économique que vous êtes en train de construire, vous allez taire un marché intérieur, c'est très inquiétant pour nous. Comment pourrions-nous y êtes associés ? Quel genre d'accord pourrions nous passer avec la CEE pour profiter de ce dynamisme européen ? Aussi, ce qui parait faible et non construit de l'intérieur, apparaît de l'extérieur comme une sorte de mastodonte. Et quand les États-Unis se fâchent parce qu'ils ne peuvent plus faire entrer soi-disant de maïs en Europe, et qu'ils prennent des mesures de rétorsion sur les alcools, en particulier les alcools français, on ne peut pas dire qu'ils ne prennent pas l'Europe au sérieux. Les gros conflits que l'on a eu durant les 15 derniers mois ont été des conflits avec les États-Unis et ce qui a été remarquable, c'est que finalement sous l'impulsion de la France, une solidarité européenne s'est manifestée. Nous sommes arrivés après de très longues négociations à des accords raisonnables avec les Américains.
Radio France Internationale : On a abordé les questions économiques, mais il y a aussi les questions économiques en rapport avec le Tiers-Monde ?
Ma question, Monsieur le ministre va porter sur les problèmes économiques. On a parlé de dette, on a parlé de chiffres de coût et la Côte d'ivoire s'est déclarée en état de cessation de paiement. Pour payer ses dettes, il faut avoir de l'argent, or avec la chute brutale du coût des matières premières, eh bien la Côte d'Ivoire est pratiquement sans ressource. On a donc l'impression, sur le plan international que les grands se sont solidarisés contre les pauvres. Quelle est la position de la France quant à un secours éventuel à nos pays et deuxièmement est-ce qu'on pourrait évoluer vers la fixation de prix préférentiels d'État à État entre une nation comme la France et nos pays ?
Jean-Bernard Raimond : Vous avez tout à fait raison. Le grand problème a l'heure actuelle c'est le problème du Tiers-Monde, de son endettement, du fait que justement, les flux financiers ne vont plus vers les pays du Tiers-Monde, que même beaucoup de pays consacrent toutes leurs ressources à payer leurs dettes et ne reçoivent plus de flux financiers Comme vous le savez, le Premier ministre. lorsqu'il était à Washington, a développé celte idée pour sensibiliser ses interlocuteurs américains, il l'a fait également à Moscou, et le Premier ministre et le Président de la République l'un et l'autre, l'ont fait à Venise, et ont obtenu de leurs partenaires que l'objectif de 0,7 % du PNB soit retenu, que l'on envisage des facilités de crédits pour le rééchelonnement des dettes en allongeant de 10 à 20 ans les remboursements, en diminuant les taux d'intérêt Ils ont également soutenu l'idée du directeur général du Fonds Monétaire International, M. Camdessus qui est d'augmenter ce qu'on appelle les facilités d'ajustement structurels pour les pays du Tiers-Monde, ce qui consiste à augmenter les crédits. Donc, il y a tout un mouvement dans ce sens. Le problème de la stabilisation des produits de base a été également posé par le Gouvernement français, parce qu'il n’y a plus que 2 ou 3 accords internationaux qui fonctionnent.
On dit qu'au point de vue du niveau de revenus à partir des produits de base, on est revenu au niveau de 1930, ce qui explique qu'un pays, comme la Côte d'Ivoire, ait pris la position qu'il a prise. C'est une position presque symbolique parce que la Côte d'ivoire passe précisément pour un pays qui est très bien géré économiquement, qui est relativement prospère, et ce pays-là, lui-même, est en difficulté Concernant la deuxième question je crois que déjà les trois accords de Lomé ont répondu à votre préoccupation, Nous avons été, en tant que Français, lorsqu'il y a eu l'élargissement, à l'Espagne et au Portugal soucieux de ne pas voir interrompus les courants d'échanges entre les pays méditerranéens et le marché commun.
Radio France Internationale : En ce qui concerne la dette, Monsieur le ministre, est-ce que vous seriez partisan d'institutionnaliser une pratique qui a été je crois mise en évidence par le Pérou, qui serait de rembourser les intérêts de la dette, seulement en fonction des gains d'exportation, du surplus à l'exportation des pays en voie de développement ?
Jean-Bernard Raimond : Vous savez que le Pérou a eu des idées originales en ce qui concerne le remboursement de sa dette, ce qui a compliqué les procédures de rééchelonnement de celle-ci. Pour le moment, on en reste au processus du Club de Paris. Lorsque j'ai vu mon collègue Péruvien à Paris, M. Wagner, je lui ai expliqué la manière dont on avait traité le problème au Brésil. Il a paru intéressé.
Radio France Internationale : Monsieur le ministre, je voudrais vous poser deux questions concernant la France dans l'Europe et dans la Méditerranée, le problème des frontières. Première frontière à l'intérieur même de l'Europe : ne pensez-vous pas que l'Allemagne fédérale constitue un des vecteurs structurants de l'Europe occidentale, elle est liée par des rapports culturels, économiques, financiers de plus en plus intenses avec la République Démocratique Allemande, et au fond, peut être qu'un tour on verra bien la réunification se faire. Quelle est la position de la France sur ce terrain ? Deuxième question : l'intégration de l'Espagne et du Portugal dans l'Europe des Douze a fait apparaître une nouvelle frontière pour la CEE, qui est la frontière de la Méditerranée et la redéfinition de ses rapports avec le Maghreb puisque la plupart des produits exportés traditionnellement par le Maroc et la Tunisie sont des produits qui rentrent en compétition avec ceux de l'Espagne et du Portugal. Qui plus est, l'Algérie en particulier demande un accès pour un certain nombre de produits industriels sur le marché de la CEE. Quelle est la position de la France dans le cadre de la renégociation des rapports entre la CEE et le Maghreb ?
Jean-Bernard Raimond : Je réponds d'abord à la première question Il est tout à fait normal que l'Allemagne ait des rapports croissants avec la RDA puisque le peuple allemand est un peuple divisé. Si l'on parle de la réunification cela devient compliqué. La République Fédérale d'Allemagne qui depuis 1945 a construit une démocratie qui repose sur toutes les libertés, ne fera pas de réunification avec l'Allemagne de l'est, aux dépens de celle-ci. Ce qui veut dire que parler de la réunification c'est parler d'une réunification par élections libres. Ce qui pose un problème à l'Allemagne de l'est, ce qui pose donc un problème au système soviétique. Par conséquent, l'Occident ne peut pas être sur la défensive en ce qui concerne la réunification allemande. S'il devait y avoir une réunification par élections libres, cela voudrait dire que l'Allemagne de l'est cesse d'être socialiste avec toutes les conséquences que cela aurait pour les pays socialistes. Les positions qui ont été prises à Moscou et en RDA lorsque cette idée est dans un journal de la Ruhr ont été, immédiatement négatives.
Radio France Internationale : Les rapports entre l'Europe et les pays méditerranéens ?
Jean-Bernard Raimond : Je voudrais dire simplement que le souci de la France a toujours été de préserver les courants d'échanges. Il y a eu de longues discussions au sein de la CEE et finalement la commission a reçu un mandat de négociations sur le plan commercial avec tous les pays méditerranéens, qui est relativement satisfaisant. Nous avons des discussions sur ce sujet, avec les trois pays du Maghreb. D'autre part, récemment, nous nous sommes mis d'accord sur l'augmentation des protocoles financiers en faveur du Maghreb. La France a joué un rôle d'impulsion.
Radio France Internationale : Un autre problème de frontière, en Afrique cette fois. Hissène Habré avec l'aide de la France a reconquis le nord du Tchad : s'il partait à la reconquête de la bande d'Aouzou quelle serait l'attitude de la France et quelle est la position de principe du Gouvernement français sur l'appartenance de la bande d'Aouzou au Tchad ?
Jean-Bernard Raimond : Si on nous demande des documents sur cette affaire, ils montreront qu'en effet la bande d'Aouzou fait partie du territoire tchadien. D'autre part. vous savez que l'OUA, en 1964, a décidé que les frontières des pays africains devraient titre les frontières de la colonisation. Cela dit, c'est un problème qui concerne la Libye et le Tchad et c'est un problème qui est étudié en ce moment au sein d'un comité ad hoc de l'OUA présidé par le Gabon. Je crois qu'il faut laisser les instances africaines régler ce problème. En ce qui nous concerne, nous sommes pour sa solution pacifique.
Radio France Internationale : Et si les Tchadiens vous suggèrent qu'ils souhaiteraient reprendre Aouzou de force, qu'est-ce que vous leur dites ?
Jean-Bernard Raimond : Nous n'avons pas de double langage, nous tiendrons exactement le langage que je viens de tenir.
Radio France Internationale : Y avait-il des soldats des forces françaises spéciales au nord du Tchad ?
Jean-Bernard Raimond : Absolument pas. Jusqu'à une date récente la limite d'intervention du dispositif Épervier, qui était un dispositif aérien, étant fixée au 16e parallèle, c'était non une ligne de démarcation, mais une ligne de protection et de défense. Ceci se situait dans un contexte où il y avait guerre entre des Tchadiens. La politique du président Hissène Habré a abouti à la réconciliation des Tchadiens Il a réunifié en quelque sorte le Tchad, sauf la bande d'Aouzou. Nous sommes prêts à lui apporter, dans l'ensemble du Tchad, la coopération économique, militaire qu'il souhaite et sur laquelle nous nous mettrons d'accord avec lui.
Radio France Internationale : Vous faites tout de même une différence entre le nord du Tchad et la bande d'Aouzou ?
Jean-Bernard Raimond : La bande d'Aouzou a été occupée par la Libye, elle pose un problème incontestable. Il y a un comité de l'OUA qui est en train de s'en occuper, qui essaie de régler le problème entre la Libye et le Tchad. Il y a un processus en cours, laissons faire ce processus.
Radio France Internationale : S'agissant justement du Tchad, tout le monde a eu l'impression que la France a mis trop de temps à voler au secours de N'Djamena. Qu'est-ce qui explique la lenteur de la France dans ses secours à N'Djamena, quand bien même vous n'avez pas d'accord de défense avec le Tchad ?
Jean-Bernard Raimond : En effet, nous n'avons pas d'accord de défense avec le Tchad. Nous avons agi à la demande du Gouvernement légitime du Tchad et nous avons voulu intervenir pour la défense des Tchadiens. Je sais qu'il y a eu des discussions pour savoir à quel moment cela devait être fait, mais l'essentiel finalement c'est que cela ait réussi, et que la réunification du Tchad ait été l'œuvre des Tchadiens eux-mêmes, avec une aide logistique de la France. La question que vous me posez, c'est une question tactique plutôt qu'une question de fond.
Radio France Internationale : Monsieur le ministre, sur le Tchad, j'ai encore deux petites questions à vous poser : on a parlé un peu de malaise, de tension entre Paris et N'Djamena, de compétition avec les États-Unis, d'ailleurs Hissène Habré est aux États-Unis en ce moment : que répondez-vous à cela ? Quel a été le rôle de la France pour essayer de pousser Goukouni à se réconcilier avec Hissène Habré ?
Jean-Bernard Raimond : Nous avons eu des rapports très étroits avec le Gouvernement tchadien aux moments les plus difficiles de son combat. Il sait très bien l'aide et la sorte de garantie que nous lui avons apportées. Lorsque vous avez des rapports aussi étroits avec un pays, que vous le défendez, vous avez inévitablement de temps en temps de petites difficultés. Mais il ne faut pas les exagérer. D'ailleurs, nos rapports sont tout à fait excellents en ce moment. Et nous ne pouvons que nous féliciter qu'Hissène Habré soit aux États-Unis. Cela signifie d'abord qu'il peut quitter son pays, qu'il peut aller à l'étranger et qu'il a une stature internationale.
Nous étions nous-mêmes favorables à la réconciliation tchadienne. Mais je crois que c'est plutôt les amis africains du Tchad qui ont aidé à cette réconciliation.
Radio France Internationale : Est-ce que le Gouvernement français est inquiet de la décision des Américains de déployer les forces navales dans le Golfe ? Est-ce qu'il pense que cela peut aggraver la guerre entre l'Iran et l'Irak ? Comment voit-il ce qu'ont fait comme pressions les Américains aux autres Occidentaux pour qu'ils participent avec eux dans cette démarche ?
Jean-Bernard Raimond : Il est bien évident que la France est résolument pour la liberté de navigation dans de Golfe et nous agissons pour aider à la garantie de cette liberté de navigation Nous avons des bâtiments militaires à proximité du Golfe et qui y entrent périodiquement, nous avons décidé de ne pas escorter nos navires marchands, mais d'être prêts à les aider si ils étaient attaqués, nous avons aussi toujours été soucieux de tenir compte de l'opinion des riverains du Golfe qui est une opinion évidemment tout à fait favorable à la liberté de navigation, et qui souhaite maintenant de plus en plus qu'en effet, les autres puissances marquent leur intérêt pour cette liberté de navigation. Les idées américaines de force multinationale n'ont pas été finalement formulées à Venise, et je pense que cette idée n'était pas bonne car il faut mieux en rester à des formules pragmatiques. Le commandement des forces navales françaises dans l'océan Indien est en liaison d'informations avec le commandement des forces américaines. Tout ceci fonctionne très bien. Ce qu'il faut éviter, mais c'est une affaire très difficile, c'est que la liberté de navigation du Golfe devienne l'enjeu d'une crise internationale et que cela se retourne contre les intérêts des États riverains. Cependant il est normal, à mon avis, que les Américains renforcent leur présence : militaire dans la région.
Radio France Internationale : Est-ce que c'est une mauvaise ou une bonne idée de mettre des drapeaux américains sur des navires de Koweït et les escorter dans le Golfe ?
Jean-Bernard Raimond : Je n'ai pas d'appréciation à porter sur ce qu'ont fait les Américains, qui ont répondu à une demande du Koweït. Je constate pour le moment que les autres États riverains n'ont pas formulé la même demande. Le Koweït est dans une situation particulière, il est à 18 kilomètres du front, il est particulièrement menacé par les Iraniens. On comprend sa position Les Américains ont répondu, les Russes aussi. Je n'ai pas de vrai jugement à porter, car c'est un cas particulier. Si cela devait se généraliser peut-être en serait-il autrement. En ce qui nous concerne, nous estimons, pour le moment, qu'il vaut mieux en rester à ce que nous faisons.
Radio France Internationale : En France, en particulier au niveau des média, un langage se développe sur le terrorisme assimilant tout acte de violence au Moyen-Orient à des actes terroristes. J'aimerais vous demander, sachant que la France soutient le droit des Palestiniens à avoir une patrie, si vous considérez un acte de violence commis dans les territoires occupés, par des combattants palestiniens, comme un acte de terrorisme ou comme un acte de résistance ?
Jean-Bernard Raimond : Ma réponse sera claire : la France condamne tous les actes de terrorisme, sans distinction.
Radio France Internationale : Est-ce que dans les territoires occupés par Israël, je répète bien, quand un combattant palestinien fait la même chose que ce que faisait un résistant français pendant la guerre 39/45, est-ce que c'est du terrorisme ou de la résistance ? Puisque vous reconnaissez que ces territoires sont occupés de manière illégale en tant qu'État.
Jean-Bernard Raimond : Je répète que nous condamnons tous les actes de terrorisme.
Radio France Internationale : La présence israélienne dans les territoires de Cisjordanie, est-elle considérée par l'État français comme étant une occupation légale ?
Jean-Bernard Raimond : La position du Gouvernement français est bien connue nous reconnaissons la résolution 242, et par conséquent s’il doit y avoir un règlement au Proche-Orient il doit se traduire par le retrait des troupes israéliennes des territoires occupés
Radio France Internationale : Donc le combat contre ces troupes quand il est mené par les combattants palestiniens est-ce qu'il est légitime ?
Jean-Bernard Raimond : Vous ne me ferez pas changer ma réponse : nous condamnons tous les actes de terrorisme.
Radio France Internationale : Est-ce que vous avez des informations selon lesquelles certains otages français enlevés au Liban pourraient être détenus à Téhéran et est-ce que l'arrestation d'un réseau terroriste qui semble lié avec l'Iran, avec l'Ambassade d'Iran à Paris, a rendu plus difficiles les négociations que vous menez depuis plusieurs mois avec le Gouvernement de Téhéran ?
Jean-Bernard Raimond : Première question : je n'ai pas d'information de ce genre. Deuxième question : il y a en France des problèmes de terrorisme et nous sommes amenés à prendre des mesures soit de reconduite à la frontière, soit d'expulsions. Les Français ne comprendraient pas que l'on épargne tel ou tel lorsqu'il est soupçonné d'avoir une activité terroriste. D'autre part, en mars 1986, le nouveau gouvernement a décidé d'essayer de normaliser nos rapports avec l'Iran. Cette normalisation est très complexe puisqu'elle porte surtout sur un contentieux économique et financier. Le processus est très long. Je reconnais que nous sommes en ce moment dans une phase plutôt lente mais il y a des négociations qui sont en cours, notamment entre certaines sociétés privées ou semi-publiques et les autorités iraniennes. Ce processus se poursuit, et il n'y a pas de lien entre lui et les affaires que vous mentionnerez. Nous espérons d'ailleurs qu'il n'y aura pas de lien.
Radio France Internationale : Il n'y a pas de lien car on ne le fait pas, ou parce qu'il n'y en a pas dans la réalité ?
Jean-Bernard Raimond : Il n'y a pas de lien. D'une part vous avez une enquête du ministère de l'Intérieur et un examen par les autorités judiciaires de charges qui pèsent contre un certain nombre de personnes qui sont accusées d'avoir participé ou d'avoir indirectement aidé des actes de terrorisme. Des mesures d'expulsion ont été prises, concernant des Iraniens mais aussi un Algérien, un Marocain ou deux, des Libanais. D'autre part, nous avons le processus dont je parlais et nous en avons un second qui est d'essayer d'obtenir la libération de nos otages. Nous savons simplement quo les autorités iraniennes peuvent faire quelque chose pour la libération de ces otages. Elles l'ont déjà fait. Cinq Français détenus ont été libérés. Il n'y a pas de raison d'abandonner ce second processus, ni de désespérer de lui.