Texte intégral
France Inter - 15 janvier 1998
S. Paoli : Jusqu’où le mouvement des chômeurs va-t-il s’étendre et qui des associations, des syndicats, des mouvements d’extrême-gauche anime et contrôle le mouvement ? Les occupations de locaux se poursuivent désormais dans les mairies, à Grenoble par exemple, à Lannion, à Guingamp, occupation aussi hier soir de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris, après que le mouvement des chômeurs a obtenu le soutien d’une délégation d’étudiants de Normal sup. Les revendications de la journée d’action prévue samedi s’ouvriront-elles, outre le relèvement des minima sociaux aux 35 heures et à leur application immédiate dans les entreprises, thème que le comité CGT des chômeurs souhaite engager ?
« Manipulation », dit Mme Notat à propos du mouvement des chômeurs. Hier soir sur l’antenne de RFI, M Blondel disait que c’était folie de revendiquer contre ceux qui ont un emploi, de dresser au fond les uns contre les autres et vous, que dites-vous ce matin ?
L. Viannet : La première chose que je voudrais dire, c’est que je considère que c’est une très bonne chose que les chômeurs se donnent les moyens de se faire entendre et, ce faisant, prennent conscience qu’ils représentent une force et qu’ils ont les moyens, eux aussi, de s’insérer dans le mouvement social et de peser sur les choix et les décisions par rapport à des choses qui les concernent très directement. Cette explosion qui se produit parmi les chômeurs, elle est liée à une triple chose : premièrement, le fait que leur situation s’est dégradée, c’est-à-dire le niveau d’indemnisation, c’est-à-dire la réduction des périodes de dégressivité d’indemnisation, avec une course qui s’accélère vers véritablement le statut de celui ou de celle qui n’a plus rien. Vous savez, je reçois en ce moment beaucoup de lettres de chômeurs et je suis frappé par le fait que, dans cette lutte, beaucoup d’hommes et de femmes y voient le moyen de marcher vers la reconquête de leur dignité. Et ce sont des aspects qui interdisent toute forme de polémique stérile, voire même...
S. Paoli : De récupération ou de manipulation, mais d’où vient le mouvement ?
L. Viannet : Qu’est-ce qui vous permet d’employer ce mot-là !
S. Paoli : Oui, mais moi, je vous la pose aussi parce que c’est une question importante. D’où vient cette force que vous évoquez s’exprime-t-elle par elle-même, sont-ce les chômeurs eux-mêmes qui s’expriment en tant que tels, y a-t-il des syndicats aujourd’hui qui encadrent ce mouvement, sont-ce les associations qui s’expriment parce que les syndicats ne peuvent plus relayer leur discours, comment les choses se présentent-elles ? C’est une vraie question.
L. Viannet : Oui, c’est une vraie question mais je ne vois pas pourquoi faut faire compliqué quand les choses sont relativement simples. Je crois, je l’ai dit, qu’effectivement il a fallu beaucoup trop de temps pour parvenir à ce que se crée un climat, un courant de mobilisation des chômeurs. La CGT a engagé depuis plusieurs années des efforts importants pour tenter d’organiser les chômeurs et c’est vrai que c’est seulement depuis 18 mois que nous sommes parvenus à donner à nos comités de chômeurs un rayonnement et une audience qui justement conduit à ce qu’aujourd’hui, ce sont des chômeurs qu’il y a dans la rue.
S. Paoli : Mais vous dites aujourd’hui que c’est la CGT qui pilote et qui contrôle ce mouvement ?
L. Viannet : Mais ce n’est pas un problème de contrôler.
S. Paoli : Mais enfin qui l’organise, le structure ?
L. Viannet : Je n’ai pas une vision militarisée du mouvement social ! Je pense qu’il faut dépasser cela. Nous veillons, au contraire, à ce que les initiatives d’action, les décisions soient prises par les chômeurs eux-mêmes partout, partout où c’est possible. Et que dans ce cadre-là, il y ait un certain nombre d’associations qui se sont engagées déjà depuis un certain temps dans la défense des chômeurs en ayant, soit dit en passant, encore plus de difficultés que nous pour rassembler les chômeurs. Mais je considère que le problème est si grave qu’il n’y aura jamais trop de monde pour participer à la défense des chômeurs.
S. Paoli : Il ne s’agit pas de militariser mais de porter une parole, de représenter !
L. Viannet : Ce n’est pas seulement représenter. Pour nous, c’est créer les conditions pour que les chômeurs eux-mêmes s’organisent, pour qu’ils puissent déterminer un certain nombre d’objectifs revendicatifs liés à la façon dont ils vivent leur situation aujourd’hui, leur détresse, le sentiment de rejet de la société qui frappe beaucoup de gens. Vous savez ce que c’est que de vivre avec 74 francs par jour ? C’est la situation que vivent aujourd’hui plusieurs millions d’hommes et de femmes. On ne peut pas se contenter de balayer... Je suis tout à fait conscient – et depuis longtemps – que le syndicalisme a une responsabilité vis-à-vis de la défense des chômeurs. C’est bien pour cette raison que la CGT a fait autant d’effort pour créer, organiser et faire se développer les comités de chômeurs.
S. Paoli : Certains se demandent si les syndicats sont encore présents dans cette affaire ?
L. Viannet : Lorsqu’on constate : 1) Des mesures, dans un premier temps, positives du Gouvernement mais qui ne font pas le compte et loin de là et les chômeurs ont raison de le dire et ils ont raison de poursuivre leur action ; 2) Un comportement patronal qui est un véritable comportement de blocage et de refus sur tout ce qui peut aller dans le sens d’ouverture de perspectives pour des créations d’emplois. Parce que les deux aspects qui expliquent cette explosion de colère aujourd’hui, c’est que d’une part les chômeurs sont dans une situation qu’ils ne peuvent plus supporter ; d’autre part, ils ne voient d d’emplois. Parce que les deux aspects qui expliquent cette explosion de colère aujourd’hui, c’est que d’une part les chômeurs sont dans une situation qu’ils ne peuvent plus supporter ; d’autre part, ils ne voient pas de perspectives d’amélioration de l’emploi et donc pas de perspectives de sortir, dans des délais relativement corrects, de la situation dans laquelle ils sont.
S. Paoli : C’est ce qui vous fait dire qu’outre les minima sociaux, il faut aussi les 35 heures payées 39 ? C’est ce que vous allez demander samedi ?
L. Viannet : 1) Il faut relever évidemment les minima sociaux ; 2) Il faut remettre en chantier les problèmes de l’indemnisation du chômage parce qu’on ne peut pas continuer d’accepter qu’on ait un patronat qui dit, comme a dit G. Jollès, que le CNPF n’est pas interlocuteur des chômeurs. Mais c’est bien ce qu’on lui reproche parce que s’il n’est pas interlocuteur des chômeurs, il porte une responsabilité écrasante dans le développement du chômage ! Il y a eu un million de licenciements en 1996 ! Il y a des plans sociaux qui continuent de tomber parce que la gestion des entreprises reste orientée avant tout vers la conquête du profit ! Et le patronat voudrait échapper à ses responsabilités ! Son positionnement par rapport aux 35 heures est, à partir de là, encore moins supportable parce que le patronat affirme, comme, cela, que 35 heures, cela ne créera pas d’emploi. Et que fait-il ? Qu’est-ce qu’il propose pour aller vers des créations d’emplois.
S. Paoli : Il y a une question importante parce que tout le monde se la pose et j’imagine vous comme les autres. Des minima sociaux plus élevés, est-ce que cela ne pose pas quand même la question du travail et de la réinsertion dans le circuit du travail et de l’emploi ?
L. Viannet : Vous savez quelle est la première revendication des chômeurs ? C’est de retrouver un emploi. Je crois qu’il faut arrêter cette façon de créer des oppositions qui n’existent pas !
S. Paoli : Ce n’est pas une opposition, c’est une question et vous le savez bien !
L. Viannet : Les chômeurs ne se battent pas aujourd’hui en opposition avec ceux et celles qui ont un emploi. Ils se battent pour améliorer leur situation de chômeurs et ils se battent pour que se créent des conditions qui leur permettent de retrouver un emploi. On dit beaucoup qu’il ne faut pas un statut des chômeurs, mais quand même...
S. Paoli : Vous êtes quand même d’accord ! Il ne faut pas de statut social ?
L. Viannet : Cela fait plus de quinze ans que nous sommes à un seuil de chômage supérieur à 10 %, que le chômage de longue durée existe, c’est-à-dire que des centaines et des centaines de milliers d’hommes et de femmes sont, de fait, parqués dans un statut antisocial, asocial, qui les met en dehors de la société ! Et cela ne mérite pas un sursaut et un réflexe qui dit que cela ne peut plus durer ! On en peut plus accepte cela ! Moi, je crois que si tous ceux qui, comme moi, sont conscients que la responsabilité du syndicalisme est engagée alors, moi, je leur dis très franchement qu’ensemble il faut créer les conditions pour imposer un autre comportement du patronat. Ensemble, il faut créer les conditions pour remettre en chantier l’indemnisation du chômage et ensemble, il faut créer les conditions pour que le Gouvernement aille plus loin sur les minima sociaux et aussi sur une politique beaucoup plus dynamique de relance de la consommation et de création d’emplois.
RTL - mercredi 7 janvier 1998
O. Mazerolle : Qu’attendez-vous de cette journée où vont se tenir à la fois des manifestations de chômeurs et un conseil d’administration de l’Unedic ?
L. Viannet : D’abord ce que nous attendons, c’est une journée de manifestation puissante où vont se retrouver d’ailleurs, ensemble, effectivement des chômeurs mais aussi beaucoup de salariés dans la mesure où les problèmes posés sont particulièrement graves. Ils concernent en premier lieu les chômeurs, mais ils vont bien au-delà puisque cela implique la remise en cause de l’indemnisation du chômage mais surtout une dynamisation pour une politique de création d’emplois autre que toutes les mesures qui ont été prises jusqu’à maintenant.
O. Mazerolle : Alors est-ce que la CGT est vraiment unie sur cette affaire ? Par exemple N. Notat et d’autres responsables politiques ont cru percevoir, dans un premier temps, des différences entre la direction de la CGT, c’est-à-dire vous, et puis le comité de chômeurs de la CGT ?
L. Viannet : Quand je lis un certain nombre de commentaires fielleux ou perfides sur le sens, le contenu de ce mouvement des chômeurs, je suis…
O. Mazerolle : Mais sur la CGT, il n’y a pas de problèmes ?
L. Viannet : Non, rassurez-vous : la direction confédérale, depuis le début, soutient – et depuis le début puisque la première action forte qui s’est déroulée avec les chômeurs a en lieu le 4 décembre, à Marseille, où plus de 10 000 chômeurs ont manifesté dans la rue – et s’est positionnée sans aucune ambiguïté. D’autant moins d’ambiguïté que nous avons tenu, au printemps, une conférence nationale des privés d’emploi, où nous avons pris un certain nombre de dispositions pour intensifier l’organisation des chômeurs, pour aider à les rassembler, pour aider à la prise de conscience parmi ces hommes et ces femmes qui sont privés d’emploi, qui sont privés du droit de vivre, du droit de bâtir sa vie, favoriser la prise de conscience qu’ils ont un rôle à jouer dans le mouvement social.
O. Mazerolle : Mais les associations de chômeurs vous les jugez représentatives ? Elles devraient être admises à l’Unedic ?
L. Viannet : Vous savez, s’il y a. des associations de chômeurs – la nature a horreur du vide – c’est qu’à un moment donné, effectivement, il y a pu y avoir le sentiment qu’il y avait insuffisance d’engagement du mouvement social dans la prise en compte de la situation des chômeurs. Et moi, je ne vous cache pas que les efforts qu’a conduit la CGT pour essayer de les rassembler, pour les contacter, pour discuter avec eux, sont suffisamment présents à mon esprit pour savoir que c’est difficile, pour savoir que cela demande de la ténacité. D’autant que ce que nous voulons, nous, ce n’est pas parler à la place des chômeurs, ce n’est pas décider à leur place, c’est créer les conditions pour qu’ils se fassent entendre eux-mêmes, pour qu’ils expriment eux-mêmes leurs exigences. C’est ce qui est en train de se passer.
O. Mazerolle : Donc elles sont représentatives, ces associations ?
L. Viannet : En tout cas personne ne peut contester qu’en définitive, elles sont engagées dans la bataille sur la défense des intérêts des chômeurs.
O. Mazerolle : Elles devraient être à l’Unedic ?
L. Viannet : Cela est une autre question. Nous avons, nous-mêmes, fait un certain nombre de propositions pour que, d’une façon ou d’une autre, elles puissent être associées à la réflexion qui doit se faire en matière d’indemnisation du chômage.
O. Mazerolle : Il y a de plus en plus d’occupations de bureaux des Assedics. M. Aubry a parlé d’actions illégales et d’ailleurs on voit les forces de l’ordre qui interviennent de plus en plus souvent pour évacuer ces bureaux.
L. Viannet : Je voudrais d’abord faire un premier constat : en définitive, personne, y compris ceux qui font des commentaires perfides, ne conteste que les chômeurs connaissent une situation difficile. Personne ne conteste la légitimité.
O. Mazerolle : On y revient dans un instant mais sur l’occupation et les forces de l’ordre qui interviennent.
L. Viannet : Moi, je considère que si le Gouvernement prend la responsabilité d’inciter à des affrontements entre les forces de l’ordre et les chômeurs, il prendra une lourde responsabilité. Nous avons toujours dit, depuis le début, qu’effectivement l’Unedic n’était pas seule responsable de la situation des chômeurs. La CGT a même veillé à bien établir les responsabilités du CNPF, qui sont écrasantes, et son attitude, hier, dans la réunion paritaire où pratiquement il a bloqué toute perspective de modifier la situation des chômeurs, la situation de ceux qui sont dans une situation difficile, me conduit à dire : jusqu’où veulent-ils pousser ce vent de révolte ?
O. Mazerolle : Revenons-en à ce, que disait Notat dans Libération lundi. Elle a parlé de « manipulation de la détresse » parce que, dit-elle, finalement, on ne peut pas distribuer cet argent qui est demandé car il n’y en a pas.
L. Viannet : Je considère que le problème est suffisamment grave et qu’à partir de là, il est dangereux de tricher avec le réel. Dès lors que personne ne conteste la légitimité, des questions que posent les chômeurs, vouloir spéculer sur une quelconque machination ou manipulation, d’abord c’est insultant pour les chômeurs et ensuite je pense que cela prépare des réveils douloureux parce que nous sommes en présence de quelque chose de fort et de profond et qui va porter loin. Je serais presque tenté de dire que ce qui se produit, cela devait se produire. À partir du moment où depuis 18 mois nous avons connu un certain nombre de décisions, au niveau du gouvernement Juppé et au niveau de l’Unedic, qui ont abouti à une dégradation de la situation des chômeurs, à un affaiblissement de leurs droits, à une diminution du niveau d’indemnisation, de la durée d’indemnisation et que, dans le même temps, ces hommes et ces femmes ne voient pas de perspectives d’amélioration sur le terrain de l’emploi, comment voulez-vous qu’à un moment donné, cela n’explose pas ?
O. Mazerolle : Est-ce que cela devait se produire, d’autant plus que les attentes sont plus fortes de la part d’un gouvernement de gauche que d’un gouvernement de droite ?
L. Viannet : Je pense que toutes les spéculations politiciennes qui sont lieu en ce moment sont complètement hors du sujet. Comme est hors du sujet la déclaration de M. Aubry considérant les occupations illégales. Pour les chômeurs, il faut bien comprendre que l’Unedic c’est leur interlocuteur, c’est l’endroit où ils viennent, c’est l’endroit où ils viennent pour toucher leurs indemnités, c’est l’endroit où ils viennent pour demander des secours.
O. Mazerolle : Qu’est-ce que vous attendez du Gouvernement ? Vous dites qu’il n’y a pas de manipulation politique – très bien – mais le Gouvernement a un rôle à jouer sans doute là-dedans ?
L. Viannet : Évidemment. D’abord il y a une première décision qu’il peut prendre tout de suite, c’est relever dans une proportion autre que ce qui a été décidé. On nous annonce l’octroi de 500 millions pour l’Unedic mais cela est une dette que le Gouvernement règle.
O. Mazerolle : Alors combien ?
L. Viannet : Non, ce n’est pas un problème de chiffres. Soyons clairs : les problèmes qui sont posés aujourd’hui touchent premièrement à une remise en chantier des mécanismes de l’indemnisation du chômage. Il faut rétablir les chômeurs dans leur droit ; ensuite, il faut revoir le fonctionnement et aussi le niveau de financement des fonds sociaux de l’Unedic. Enfin, il faut regarder comment on peut mettre en commun et en convergence les différents fonds sociaux pour que, précisément, les chômeurs ne restent pas dans la situation de détresse qui est la leur. Enfin, je considère qu’il y a une mesure immédiate à prendre pour les minima sociaux et aussi pour la prime que demandent les chômeurs. Parce qu’on nous dit : la prime, ce n’est pas la solution. Cela peut pas être seulement une mesure ponctuelle et on ne peut pas enfermer les chômeurs dans l’assistanat. Bien ! Moi je ne dis pas que la prime constitue la solution parce que la solution passe par une autre politique de dynamique de l’emploi. La solution passe par la remise en chantier de l’indemnisation du chômage.
O. Mazerolle : Mais s’il y a des indemnisations plus fortes, on vous dit : il y aura moins d’incitation à chercher du boulot et on va enfermer des gens.
L. Viannet : Mais le problème d’aujourd’hui, ce n’est pas de chercher du travail, c’est d’en trouver. Et tous ceux qui spéculent sur le fait qu’en définitive un niveau d’indemnisations digne serait un élément dissuasif pour chercher du travail, ce sont eux qui trompent l’opinion. Ecoutez-les, ces chômeurs, écoutez-les, ces hommes et ces femmes, lorsqu’ils parlent de leur situation ! La première chose qu’ils disent : "Ce qu’on veut, c’est un emploi ; ce qu’on veut, c’est du travail !" Et c’est cette question-là qu’il faut répondre. Sauf qu’en attendant, il y a la situation qu’ils subissent et qu’ils subissent d’une façon d’autant moins tolérable que dans le premier quotidien que j’ouvre, ce matin, je lis : 1997, année record de la Bourse de Paris ! Il y a de l’argent dans ce pays, il y a des besoins d’emplois dans ce pays. Jamais les dividendes versés aux actionnaires n’ont été aussi importants. C’est à toutes ces questions-là va bel et bien falloir s’attaquer.
O. Mazerolle : Et que vous posez au Gouvernement.
France 2 - vendredi 9 janvier 1998
F. Laborde : Hier vous étiez avec le Premier ministre.
L. Viannet : Tout à fait.
F. Laborde : Comment était l’ambiance : décontractée, tendue ?
L. Viannet : L’ambiance n’était ni décontractée ni tendue mais sérieuse et préoccupée, puisque nous sommes quand même en présence de problèmes graves pour lesquels il est absolument indispensable que l’on travaille la construction de réponses à la fois urgentes et aussi à plus long terme.
F. Laborde : Avant d’aborder les réponses, une question : le Premier ministre a dit qu’il souhaitait que l’on cesse l’occupation des Assedics pour pouvoir travailler sereinement et vous, à la sortie, vous avez dit au contraire qu’il fallait poursuivre l’action. Vous n’êtes pas tout à fait d’accord là ?
L. Viannet : Ça, c’est incontestable que nous considérons qu’il faut poursuivre l’action parce que le Gouvernement n’est pas le seul interlocuteur dans ce problème. Nous sommes face à un patronat qui porte une responsabilité extraordinaire ; il porte une lourde responsabilité parce que, pour l’essentiel, il est quand même responsable de la situation de l’emploi telle qu’elle existe dans le pays. Il est responsable en grande partie de la situation des chômeurs, de la dégradation de la situation des chômeurs, de parce que c’est lui qui, dans le Conseil d’administration de l’Unedic, a pesé pour diminuer leurs droits, pour réduire la durée des indemnisations. Autrement dit, quel est le mécanisme ? On et en présence d’une institution d’indemnisation du chômage qui tend progressivement à diminuer le nombre de ceux qu’elle indemnise et à rejeter les autres sous la responsabilité de la solidarité nationale. Et ça conduit à quoi ? Cela conduit à ce que les salariés paient deux fois : ils paient leur cotisation-chômage et ils paient en tant que contribuable pour la solidarité nationale. Ça va durer longtemps, alors qu’il y a des milliards ? Vous vous rendez compte que pour la seule année 1997, plus de 4 000 milliards de capitalisation boursière, avec des dividendes qui sont votés, qui sont versés aux actionnaires, qui augmentent d’une façon considérable ; il y a vraiment quelque chose d’indécent, je crois, dans l’argumentation.
F. Laborde : Sur cela, il n’y a pas vraiment d’accord entre syndicats, parce que N. Notat à France 2 tenait le raisonnement inverse. C’est-à-dire qu’elle disait : l’assurance-chômage peut indemniser seulement les chômeurs et le reste, ça relève de l’État et de la solidarité. Tout ce qui relève de l’exclusion, ce n’est pas à nous de le faire. Elle disait ça en tant que présidente de l’Unedic. Vous n’êtes pas d’accord avec elle ?
L. Viannet : Bien sûr que non parce que le problème n’est pas de contester la gestion de l’Unedic. Lorsqu’à un moment donné, l’Unedic se trouve en présence d’une masse financière donnée, il est bien évident qu’elle distribue la masse financière dont elle dispose. La question qui est posée, c’est de remettre en chantier les mécanismes d’indemnisation du chômage, c’est-à-dire…
F. Laborde : Et que le patronat verse plus ?
L. Viannet : … y compris le financement, y compris le champ d’indemnisation, y compris le fonctionnement du fond social de l’Unedic. C’est tout cela qu’il faut mettre en chantier. Mais pour le remettre en chantier, il faut que le syndicalisme, ensemble, fasse preuve de beaucoup plus de fermeté devant le patronat. Et c’est là finalement la source des divergences qu’il peut y avoir entre organisations syndicales, pour ce qui nous concerne vraiment Je ne dis pas que nous faisons vraiment tout...
F. Laborde : Vous n’êtes pas gênés, vous, en tout cas par les associations de chômeurs ?
L. Viannet : …mais nous avons la conscience tranquille face aux chômeurs. Et nous pouvons leur parler en face et leur dire : oui, faut continuer l’action. On ne peut pas laisser le patronat dans son attitude provocatrice actuelle.
F. Laborde : Ça veut dire que, quand N. Notat parle de manipulation, vous dites que… ?
L. Viannet : Non, là, vraiment, c’est une polémique sans intérêt. Moi, je comprends tout à fait qu’à un moment donné, on se sente mal à l’aise en mesurant ce que l’on aurait dû faire mieux et autrement. Mais ça, c’est son problème.
F. Laborde : Vous, vous demandez quoi concrètement ? La revalorisation des minima sociaux, tout de suite ?
L. Viannet : Bien sûr.
F. Laborde : La loi sur l’exclusion plus rapidement et puis quoi d’autre encore ?
L. Viannet : Ce qu’il faut, c’est un : le relèvement des minima sociaux. Deux, effectivement, que la loi qui va être votée contre l’exclusion prenne en compte l’importance de la dégradation de la situation. Trois : nous continuons d’exiger la remise en chantier des mécanismes d’indemnisation du chômage, du fonctionnement des fonds sociaux. Quatre : il faut que, côté Gouvernement et côté patronat, il y ait des propositions pour donner une dynamique nouvelle au dispositif qui permet des retraites anticipées, compensées par des embauches de jeunes, c’est-à-dire une nouvelle dynamique pour des créations d’emplois. Enfin, nous avons dit au Gouvernement très clairement qu’il faut qu’il se donne des marges financières plus importantes, sinon il n’y aura pas de véritable dynamique de création d’emplois dans ce pays. Et ça, c’est la question fondamentale. Bien évidemment, nous porterons jugement sur les annonces que va faire le Premier ministre ce matin en fonction de leur contenu mais je souhaite qu’elles soient significatives. Cela étant, même si elles sont significatives, je pense que ça ne suffira pas pour régler le problème.
F. Laborde : Justement, est-ce qu’on ne joue pas un peu avec le feu dans ce conflit ? Il y a à peu près sept millions de personnes, d’après un rapport du Plan, qui, sont en marge du marché du travail ; on sait bien qu’on ne va pas pouvoir satisfaire à toutes leurs revendications. Est-ce qu’on ne va pas crier encore davantage de désespoir ?
L. Viannet : Non. Évidemment, on sait bien qu’on ne va pas pouvoir répondre à toutes les revendications, en particulier à toutes les revendications tout de suite. Mais le problème qu’ont posé les chômeurs en demandant une prime au moment de la fin d’année – ce qui est tout à fait légitime –, c’est qu’ils ont demandé un premier signe qui soit à la fois un signe d’espoir et aussi un petit souffle d’air pur par rapport à la situation immédiate. Et ce signe prendra d’autant plus d’importance s’il se mule dans l’annonce d’un dispositif où l’on va sentir des perspectives d’amélioration de la situation. Parce que ce qui pèse aujourd’hui, c’est que précisément, personne ne voit de perspective d’amélioration, ni à court ni à moyen terme d’ailleurs.