Texte intégral
Patrick Poivre d'Arvor : Lionel Jospin a commis une boulette, non ?
Claude Allègre : « Attendez ! Au point de vue historique, j'ai entendu d’autres historiens, M. Agulhon qui est professeur au Collège de France, J.-N. Jeanneney dire le contraire de R. Rémond. Je ne veux pas me mêler des problèmes d'historiens, mais ce n'est pas aussi net que ce dit R. Rémond qui parle ex cathedra, mais je ne suis pas sûr que tous ses collègues soient d’accord. »
Patrick Poivre d'Arvor : Ce qui est clair, c'est que Gambetta était bien mort pour l'affaire Dreyfus !
Claude Allègre : « C'était un lapsus. La deuxième chose est que je crois que c'est beaucoup grossi, cet incident. Je crois que c'est un incident parlementaire qui ne correspond pas à l'état d'esprit de L. Jospin qui est un homme ouvert, prêt au dialogue ; et qui n'est pas du tout quelqu'un qui prône l'exclusion. Je crois que la droite a surréagi à ce propos qui était, peut-être, un peu vif sur le moment ? »
Patrick Poivre d'Arvor : Va-t-il s'excuser ?
Claude Allègre : « Il est assez grand pour savoir ce qu'il a à faire. Mais je pense en tous les cas, que cela a des proportions énormes. Je préférerais que l'on parle des problèmes de fond qui concernent les Français. »
Patrick Poivre d'Arvor : Au fond est-ce que ce n'est pas le début de l'incivisme (Question posée à la suite d'un reportage sur la violence dans les établissements scolaires, Ndlr) ?
Claude Allègre : « Aujourd'hui est le début de la mise en place du plan anti-violence à l'école que j'avais présenté au Conseil des ministres il y a un mois et demi. Donc je suis content que le Président de la République - je lui avais d'ailleurs demandé - aille dans ces quartiers difficiles. Je crois que, premièrement, la loi doit être respectée. Nous avons mis des emplois-jeunes dans les endroits difficiles, et les magistrats feront leur travail ; J.-P. Chevènement envoie des aides-policiers à la sortie pour éviter les violences. Les professeurs doivent être respectés. La loi doit s'appliquer. La deuxième chose, c'est que je crois que nous devons avoir un dialogue avec la jeunesse, un peu plus profond. Dans la consultation pour les lycées nous avons, pour la première fois, consulté les jeunes. Et je vois dans un certain nombre d'établissements qui s'organisent, où il y a des comités de jeunes qui discutent avec les professeurs (pour savoir, Ndlr) comment lutter contre la violence dont ils sont les premières victimes. Lorsqu'on les associe beaucoup de choses vont mieux. Alors, il faut dire aux enseignants : courage, courage, parce que c'est très difficile. Ils ont un métier très difficile. »
Patrick Poivre d'Arvor : Ce n'est pas ce que vous avez connu. Quand vous étiez jeune enseignant, c'est plus dur. On vous insulte, parfois il y a des agressions physiques.
Claude Allègre : « Il faudra donner des conditions de travail - y compris au point de vue horaire, à ces enseignants des zones difficiles - privilégiées par rapport à ceux qui sont dans des zones plus faciles. »
Patrick Poivre d'Arvor : Et même financières ?
Claude Allègre : « Financières, Lionel Jospin les a données quand il était ministre de l’Education nationale. Je crois que ce n'est pas seulement financier. Je pense que 19 heures, 18 heures de cours avec des corrections de copies dans des zones très difficiles, pour un professeur de français, par exemple, c'est une vie très pénible, très dure. Et ils l'assument très très bien souvent. Mais l'école n'est pas responsable du tout, l'école ne pourra pas tout résoudre. Vous avez raison, c'est pour ça que nous avons rétabli des cours d'instruction civique, des cours de morale civique. Mais également, je crois, une présence plus grande : je crois que, dans nos établissements, nous n'avons pas assez de présence non-enseignante, qui peut discuter avec les élèves et, surtout, encore une fois une association plus grande avec les élèves. »
Patrick Poivre d'Arvor : Ce n'est pas vous qui avait lancé cette consultation (le questionnaire national auprès des lycéens et des enseignants, Ndlr) ?
Claude Allègre : « Je crois qu'il y a déjà une erreur. Ce questionnaire a été fait par un groupe de professeurs animé par P. Mérieux, car toute cette consultation n'est pas faite par le ministre. »
Patrick Poivre d'Arvor : Vous l'avez encouragée en revanche ?
Claude Allègre : « J'ai désigné P. Mérieux. Le questionnaire a été conçu par les enseignants, diffusé par les enseignants, sera dépouillé par les enseignants et dans toute la France. Ce qui gêne beaucoup de gens, c'est que l'on s'adresse à tout le monde. Pour la première fois, on s’adresse aux gens de base. On s’adresse à tous les professeurs. On s'adresse aux élèves, aux parents d'élève, à tous les acteurs du système éducatif sans passer par les... »
Patrick Poivre d'Arvor : Les syndicats d'enseignants qui disent qu'il ne faut pas répondre.
Claude Allègre : « Il y a même des syndicats d'enseignants qui donnent les réponses, ce qui rappelle fâcheusement des pratiques que l'on croyait, d'ailleurs, d'autres temps. Mais je crois que ce sont des détails. Je pense que l'ensemble du système éducatif - ce sont les informations que me donne P. Mérieux - répond. Dans ce système éducatif, ce qui est important finalement c'est qu'est-ce qu'on enseigne à l'école avec le but ultime : pourquoi on exclut ? Vous parliez tout à l'heure de l'exclusion, l'école exclut trop de gens ! L'école sélectionne trop. Il faut que tous les talents soient reconnus, il faut que la diversité s'instaure. C'est comme cela que l'on va gagner la bataille du XXIème siècle, en reconnaissant les talents. Je crois que les talents sont beaucoup plus nombreux que ceux qui sont simplement bons en latin ou bons en mathématiques. »
Patrick Poivre d'Arvor : Dépouillement de la consultation à quel moment ?
Claude Allègre : « Ce n'est pas simplement la consultation. Le dépouillement du questionnaire... mais attendez, attendez ! C'est un début ! Il va y avoir dans chaque lycée, un colloque ; dans chaque académie, un colloque ; puis, un colloque national. Les gens vont parler entre eux. C'est une grande consultation, une grande mobilisation dans laquelle, moi, j'invite non seulement tous les enseignants, tous les élèves, mais tous les Français, à participer. Il faut qu'ils bâtissent eux-mêmes leur système d'éducation. Le lycée est le nœud parce qu'il est intermédiaire entre l'enseignement obligatoire, et puis l'université. C'est un nœud. Il faut donc que toute le monde s'engage et sans exclusive ! Les syndicats y participeront. »
Patrick Poivre d'Arvor : Pour l'instant, ils s'attendent à une série de grèves : le 20 janvier pour les instituteurs ; le 1er février une manifestation nationale...
Claude Allègre : « Mais les instituteurs ce n'est pas le problème du lycée. Mais je pense que lorsqu'on cherche à changer les choses, il y a des oppositions parce qu’il y a des conservatismes. Cela a toujours été le cas. Est-ce qu'il faut ne pas changer cela ? Est-ce qu'il ne faut pas adapter notre école ? Est-ce qu'il ne faut pas que les savoirs soient adaptés au monde du XXIème siècle avec cette formidable explosion de l'information, de la biologie, de la chimie, de tant de choses ? De l'image ! De la synthèse de la culture de l'écrit et de l'image ! Est-ce qu'il ne faut pas faut pas faire cela ? Moi, je crois que mon devoir, c'est de mettre la France à l'heure du XXIème siècle. Et c'est ce que je fais en essayant d’entraîner tout le monde, et d'abord bien sûr les enseignants. Car ce sont eux qui feront cela. »