Texte intégral
RTL : 3 septembre 1996
J.-M. Lefèbvre : On l'impression que le PS, dimanche à La Rochelle, a un peu déclaré la guerre au Gouvernement ?
J. Lang : Le ton a en effet été vif et les sujets ne manquaient pas. La Corse, où l'ordre républicain n'est pas assuré, les sans-papiers qui ont été traités de manière qui n'était pas toujours correcte, et surtout, surtout, la situation économique et sociale qui étrangle le pays aujourd'hui.
J.-M. Lefèbvre : Est-ce qu'en vous-même, vous vous dites : on a peut-être, nous socialistes, une part de responsabilité dans cette situation économique après les 14 ans de pouvoir ?
J. Lang : Naturellement. L'œuvre qui a été léguée n'est jamais achevée par définition. Mais je crois que ce qui a été laissé au pays à ce moment-là, il y a 3 ans, était une situation financière saine. Simplement, nous n'avions pas réussi à trouver les voies qui permettent de juguler, de façon assez forte, le chômage. Sur ce plan là notre réussite était entachée de cette difficulté à endiguer l'hémorragie du chômage.
J.-M. Lefèbvre : Quand J. Chirac combat la sinistrose, multiplie les déclarations sur « l'optimisme raisonné » qu'en pensez-vous ?
J. Lang : Ce qu'on peut dire c'est que notre pays, qui est un pays florissant en vérité, plein de ressources intellectuelles, économiques, industrielles, connaît une déprime car il ne sait pas où l'on va. Il n'y a pas un dessein clairement dessiné, qui permette aux entrepreneurs, aux travailleurs, aux citoyens, de comprendre ou de saisir l'horizon vers lequel les gouvernants actuels veulent nous conduire. Notre économie qui ne demanderait qu'à aller de l'avant, a les ailes coupées, ou plutôt clouées au sol. Je crois qu'il faudrait que nous puissions trouver avec nos partenaires allemands et d'autres pays, un accord pour une baisse très forte des taux d'intérêt, qui permettrait d'alléger le poids des dettes publiques et de la dette, et de donner ainsi une marge de manœuvre permettant au Gouvernement de mener des politiques publiques dans le domaine de l'emploi, de l'éducation, de la recherche, dans tous les secteurs où l'État doit être plus activement présent.
J.-M. Lefèbvre : La rentrée scolaire a eu lieu aujourd'hui avec l'annonce de grève de la part des syndicats et la sérénité affichée de F. Bayrou.
J. Lang : Là encore, l'inquiétude n'est pas sans fondement. Lorsque nous étions au gouvernement année après année, nous étions sur une lancée, une dynamique. Chaque année nous avions créé environ 7 à 8 000 postes. Voici que l'on supprime des postes à l'école, dans les collèges, dans les lycées. Il est donc normal que les professeurs et les parents soient inquiets. Par ailleurs, il n'est pas certain que l'université qui a été étranglée depuis 3 ans, puisse se contenter des 2 800 ou 3 000 postes proposés. Là encore, même s'il y a ici et là quelques bonnes idées émises à un moment ou un autre, le dessein de la réforme n'est pas clairement dessiné. Et les étudiants, les professeurs, les parents, ne comprennent pas très bien où on veut les mener. Il y a des paroles charmantes, douces, heureuses, à la guimauve, mais ça ne se traduit pas des actes concrets et par des changements réels. L'Education nationale, comme beaucoup d'autres secteurs, aurait-elle aussi, besoin d'une politique plus volontaire et plus originale. Aujourd'hui, on parle de déflation. On n'a pas tort, il y a une déflation. Mais il y a aussi, à côté de la déflation monétaire ou la déflation financière, une déflation intellectuelle. L'imagination n'est pas là. Et nous devons, les uns et les autres, gouvernants et opposition, nous creuser la cervelle pour proposer au pays des voies nouvelles. Dans le domaine de l'éducation, je suis convaincu que nous devons, nous aussi, qui avions pourtant engagé d'heureuses réformes, imaginer pour demain des solutions radicalement nouvelles. Car l'homme à former pour les années 2010 n'est pas le même que celui qu'il fallait former dans les années 50. De même au plan du chômage, je pense qu'il nous faut prospecter des voies nouvelles, dans le domaine des emplois de qualité de vie, de l'innovation industrielle, dans le domaine de l'organisation du travail. Nous avons nous aussi, à gauche, du pain sur la planche. Je ne considère pas que nous ayons, pour l'heure, répondu à toute les questions qui se posent.
J.-M. Lefèbvre : Deux petites questions pour terminer, J. Lang : la première concerne les sans-papiers. Vous êtes intervenu pour conseiller au président Chirac d'agir, c'est vrai ?
J. Lang : Il se fait que, visitant l'église où se trouvaient ces personnes, je me suis proposé de saisir le président de la République. On est dans une démocratie.
J.-M. Lefèbvre : Ça vous semble normal comme démarche ?
J. Lang : Mais bien sûr. Personnellement, d'ailleurs, d'une manière générale, chaque fois qu'une anomalie se trouve sur mon chemin aussi bien en tant que maire de Blois ou en tant que responsable national, je ne trouve pas anormal de frapper à la porte des hauts responsables du pays. Nous sommes en démocratie, et le président Chirac en effet a bien voulu s'entretenir avec moi par téléphone à deux reprises. Une voie de conciliation avait été imaginée. Je crois que quelques mesures humanitaires ont été prises. Pour le reste, c'est vrai que la solution qui a été finalement retenue n'est peut-être pas la meilleure. Mais j'espère en tout cas… disons tournons-nous vers les prochaines heures ou les prochains jours. Je souhaite personnellement que cette affaire puisse se clore humainement, dans un esprit de justice, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas mener avec énergie le combat contre l'immigration clandestine.
J.-M. Lefèbvre : B. Tapie a officiellement démissionné de son mandat de député. P. Séguin l'a annoncé tout à l'heure. Vous n'avez jamais été un farouche critique vis-à-vis de l'homme d'affaires ?
J. Lang : En général, moi je n'attaque pas les personnes. Je préfère me situer sur le plan des projets, des idées, des propositions. B. Tapie est un personnage complexe. Je ne peux pas, comme cela, en quelques secondes en parler. Je n'oublie pas qu'il a été un combattant en première ligne contre les idées extrémistes. II l'a fait avec talent et énergie. Je ne partage pas, et loin de là, toutes ses actions et toutes ses convictions. Bien ! Il quitte la vie politique. Le moment viendra où on pourra peut-être plus sereinement porter une appréciation sur l'action qui a été la sienne. Voilà ce que je peux dire pour l'heure.
France Inter : vendredi 27 septembre 1996
A. Ardisson : Le terme même de processus de paix n'est-il pas dépassé ? Ne faudrait-il pas parler de processus de guerre ?
J. Lang : Oui. En même temps, comme l'expliquait très justement à l'instant B. Guetta, l'immense majorité des Israéliens, ceux qui ont voté pour S. Pérès mais aussi une bonne partie de ceux qui avaient voté pour l'actuel Premier ministre, souhaitaient et souhaitent la paix. En tournant le dos aux accords d'Oslo, en s'enfermant dans un système qui mène à l'impasse, la violence, le Premier ministre actuel – qui continue à se conduire en boutefeu, en pousse-au-crime, en cassant l'œuvre de S. Pérès – gaspille du temps, gaspille des vies humaines, ce qui est beaucoup plus grave encore. Par conséquent, cela nous conduit à l'impasse. Il ne suffit pas de rouler des mécaniques ou de faire les gros bras, il faut tenir compte des réalités. Ce Premier ministre fait penser à certains colonialistes que nous avons connus dans le temps, qui refusaient de reconnaître la dignité des peuples et s'entêtaient pour imposer des solutions, à l'évidence, absurdes. Alors, on aimerait que, le plus vite possible, le bon sens l'emporte sur cette obstination bornée.
A. Ardisson : Les responsabilités ne sont-elles pas partagées ? On a l'impression que, dans l'autre camp, on meurt d'envie d'en découdre.
J. Lang : Je ne suis pas là pour arbitrer. Je suis un ami d'Israël. En même temps, je me suis beaucoup battu pour que la Palestine se voie reconnaître des droits à l'identité et à la souveraineté. En l'occurrence, si j'ai bien suivi les choses, Arafat a joué, même s'il y a eu quelques faux pas ici ou là, pleinement le jeu des accords d'Oslo. Aujourd'hui, ces accords, c'est le Premier ministre qui cherche par tous les moyens à les déchirer comme un chiffon de papier. Donc, la responsabilité aujourd'hui, si on la cherche, elle est du côté du Premier ministre. Je ne veux pas l'accabler : ce qui nous soucie tous en France, un peu partout dans le monde, c'est que ce pays, ces deux nations puissent retrouver la paix, puissent apprendre à vivre ensemble. Ce n'est pas le chemin qu'a emprunté le Premier ministre israélien.
A. Ardisson : Que peuvent faire les puissances qui ont une influence au Proche-Orient ?
J. Lang : Exercer auprès des amis d'Israël, un peu partout non une pression mais entreprendre un travail de persuasion et de dialogue pour montrer qu'aujourd'hui, Israël se trouve dans une situation qui ne peut conduire qu'à la reprise des hostilités, qu'à l'insécurité, qu'à la violence et que le seul moyen de sortir de cette nasse, c'est de respecter pleinement les accords d'Oslo, d'aller de l'avant dans le processus de paix. Il n'y a pas d'autre voie que la paix. Comme le rappelle B. Guetta, qui sur ce point est un observateur remarquable, le chemin de la sécurité, c'est la paix. La paix est le seul chemin vers la coexistence pacifique entre les deux communautés ou les deux peuples qui vivent sur cette terre.
A. Ardisson : Notre climat politique est pour le moins bizarre : le président de la République a été obligé de voler au secours de son Premier ministre dans les journées parlementaires du RPR. En plus, on a les Français qui, massivement, croient à une rentrée sociale explosive. On ne sait pas très bien d'où ça va partir. Comment voyez-vous les semaines et les mois à venir ?
J. Lang : Ce n'est pas facile. Je ne suis pas prophète ou lecteur de marc de café. Pour l'heure, on peut s'en amuser mais on peut aussi parfois s'en attrister : c'est un peu la cour du roi Pétaud. On s'invective, on se prend à partie, un coup de poignard par-ci, un coup de poignard par-là. Tout ça peut amuser les éditorialistes, les dessinateurs ou les caricaturistes, mais le pays a besoin d'autre chose. Le pays a besoin d'un gouvernement qui, à partir d'une vision claire, mobilise le pays, aille de l'avant Aujourd'hui, beaucoup de nos concitoyens souffrent, parce qu'ils ne savent pas vers quel destin on veut les conduire. C'est ça le plus grave, ce n'est pas tellement le petit mot de tel ou tel.
A. Ardisson : Et le climat social ?
J. Lang : Le climat social, il naît aussi de tout cela : d'un côté, on prélève des ressources, on ne donne pas le sentiment de vouloir réparer les injustices et les inégalités ; de l'autre, aucun horizon n'est dessiné sur ce que doit être le développement économique, social et culturel d'un pays comme le nôtre.
A. Ardisson : En même temps, on ne sait pas très bien d'où peut venir le conflit qui mettrait le feu aux poudres.
J. Lang : Je n'appelle pas le conflit pour le conflit. Je ne veux pas mettre le feu aux poudres. Ce n'est pas du tout la préoccupation d'un homme responsable de l'opposition.
A. Ardisson : Les Français le craignent.
J. Lang : Oui. Nous sommes à 14 mois des élections prochaines : une responsabilité plus importante que jamais pèse sur nos épaules, sur ceux qui ont une chance d'être choisis par le peuple le moment venu. Un des moyens aussi de redonner espoir à notre pays, qui est perdu, qui est déboussolé, c'est qu'il sente qu'une alternative se prépare. Notre devoir absolu, c'est, dans les prochains mois, de parfaire nos propositions. Nous l'avons déjà fait sur l'Europe ; en juin sur la démocratie ; nous l'entreprenons pour les deux mois qui viennent sur la politique économique et sociale. Il faut que nos concitoyens sachent que l'opposition est décidée à aller de l'avant et à gouverner de façon sérieuse, solide et imaginative.
A. Ardisson : Lundi, il y aura une grande manifestation d'enseignants. L'éducation n'est pas un secteur exposé sur le front de l'emploi. Comment expliquer que ça parte de là ?
J. Lang : Sur ce sujet, comme sur d'autres, il y a premièrement un divorce entre les paroles et les actes. Rien ne contribue plus à la démoralisation de nos concitoyens que cette manière qu'ont certains dirigeants à ne pas faire ce qu'ils disent. Quand on fait voter une loi-programme sur l'éducation, un contrat sur l'école, et que la moitié des dispositions ne sont pas appliquées, comment voulez-vous ne pas démoraliser les premiers serviteurs de l'Éducation nationale, les professeurs, les éducateurs, ceux qui encadrent les enfants, les parents ? Comment voulez-vous ne pas créer dans le pays un sentiment de doute ? Ce non-respect de la loi s'est aggravé par la restriction des moyens. On ne peut pas d'un côté dire « guerre à la violence » – je suis pour, j'avais moi-même pris toute une série de mesures pour mettre hors-la-loi cette violence – et en même temps diminuer de 5 000 postes les moyens de l'Éducation nationale, l'encadrement par des adultes. La deuxième chose qui crée l'inquiétude et l'angoisse, à l'Éducation nationale comme ailleurs, c'est ce que M. Balladur appelle, si j'ai bien compris, le conservatisme.
Ardisson : C'est vous qu'il accuse de conservatisme !
J. Lang : J'ai bien compris ! Mais l'absence de vision, l'absence de perspective ! L'Éducation nationale mérite, j'en suis convaincu, le jour venu, un véritable changement. Là, je me tourne vers nous, si j'ose dire : en effet, nous devons nous creuser la cervelle, ne pas reproduire certains schémas du passé, échapper à certains réflexes et être capables de proposer au pays un projet moderne pour l'Éducation nationale, pour l'économie, pour la culture et pour le développement social du pays. C'est sur ce plan, cette capacité d'imagination et d'audace, que nous serons jugés.