Interviews de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, dans "L'Express" du 5 septembre 1996 et à France-Inter le 12, sur l'affaire des "sans-papiers" de l'église Saint-Bernard, les propos de Jean-Marie Le Pen sur l'inégalité des races, le RMI, le financement des emplois de ville et le problème de l'intégration sociale.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC L'Express - France Inter - L'Express

Texte intégral

Date : 5 septembre 1996
Source : L’Express

L'Express : Pourquoi vous a-t-on si peu entendu dans l'affaire des sans-papiers ?

Éric Raoult : Il est possible d'agir sans discourir ! Il y a des coups de fil aussi utiles que des coups médiatiques. Je préfère régler des problèmes individuels dans mon bureau plutôt que de tenir une conférence au milieu de manifestants de Saint-Bernard. C'est un problème d'immigration clandestine qui relève de Jean-Louis Debré. Je m'occupe de ceux qui sont ici en situation régulière ; lui, de ceux qui veulent entrer. Il faut savoir qu'accorder un titre de séjour, c’est s'engager à donner une place de crèche, un banc d'école, un titre de travail et une clef d'appartement, qui sont les signes d'une intégration réussie. Il ne faut pas être irresponsable. Je ne suis pas sans émotion, mais l'on réclame de moi des solutions.

L'Express : L'intégration n'est-elle pas la première victime de cette affaire ?

Éric Raoult : L'été des sans-papiers, cc n'est pas la France des sans-pitié. Cette crise ne doit pas masquer qu'une France de l'intégration existe bel et bien. Elle sort chaque année des grandes écoles, et des Djamel Bouras rapportent des médailles d'or d'Atlanta. L'intégration est en marche et Saint-Bernard n'a été qu'un à-coup.

L'Express : Aurez-vous votre mot à dire lors de la révision des lois Pasqua ?

Éric Raoult : Les lois Pasqua doivent être adaptées et clarifiées pour une plus grande efficacité au niveau du traitement individuel. Si je n'ai pas été assez entendu, je souhaite l'être dans les prochaines semaines. On a un peu trop séparé le traitement du titre de séjour du suivi familial et éducatif. Cela ne sert à rien de faire du soutien scolaire si, par ailleurs, on sépare les familles. Si quelqu'un vient d'entrer, voilà trois semaines, sur le territoire, ne faudrait-il pas rendre plus rapide sa reconduire à la frontière ? Par ailleurs, est-il normal qu'il faille entre deux et cinq ans pour qu'il obtienne sa naturalisation ?

L'Express : Le dernier rapport de Banlieuscopies montre que les jeunes veulent s'intégrer. La France est-elle prête ?

Éric Raoult : Ils ne réclament pas des mosquées, mais des emplois. S'ils n'ont pas les mêmes racines, ils veulent les mêmes feuilles de paie. N'oublions pas que 11 millions de Français ont eu des grands-parents étrangers. La France de Clovis est aussi celle de Platini et de Yannick Noah.

L'Express : À quand une loi pour l'intégration ?

Éric Raoult : Une loi qui proclamerait l'intégration ne servirait à rien. L'opinion française est attentive à donner la même chance, mais pas à donner plus de chances. On ne veut pas une préférence étrangère, mais un rattrapage national. Jusqu'à présent, les politiques d'intégration se sont accumulées sans s'ajuster. Nous avons des circulaires, mais pas d'état d'esprit. Il manque un pacte nation entre les élus, les pouvoirs publics, la population et les élites issues de l'immigration. Et avec Jean-Claude Gaudin nous allons l’élaborer, comme une avancée, à la demande du Premier ministre.

L'Express : Quel sera son contenu ?

Éric Raoult : Un rappel de volonté et une perspective d’avenir. L’intégration est en fait un atout pour tout le pays. Un jeune mécanicien d’origine marocaine peut être un remarquable cadre commercial entre son pays d’origine et la France. Il faut qu’il y ait des policiers beurs et des maires de couleur. Il faut aussi un médiateur pour lutter contre la discrimination à l’embauche, au logement. Avec un dialogue sans tabous, nous pourrons avoir un autre regard sur le dernier arrivé.

L'Express : Êtes-vous prêt à ouvrir les portes du RPR aux jeunes beurs ?

Éric Raoult : C’est déjà fait ! Mais que de retard accumulé durant les années Mitterrand ! C’est vrai, on a offert par le passé plus de concerts que de postes d’élus. Mais cela va changer. Quand on prend l’habitude, à Dreux, (Eure-et-Loir), de voir Tayeb Touazi maire adjoint RPR, plutôt que Marie-France Stirbois, cela a un effet symbolique. Si nous ne voulons pas laisser le drapeau tricolore aux mains du FN, il faut qu’il soit porté aussi par des mains de couleur.


Date : jeudi 12 septembre 1996
Source : France Inter / Édition du matin

A. Ardisson : À la suite des assertions répétées de J.-M. Le Pen sur l'inégalité des races, les hommes politiques s'interrogent - un peu tard, mais s'interrogent. H. Emmanuelli va jusqu'à demander une interdiction du Front national, sans être suivi par le PS qui demande, en revanche, que le garde des sceaux ouvre une procédure pénale contre J.-M. Le Pen sur la base des lois antiracistes. J. Toubon, pour l'instant, est prudent. Et vous, qu'en pensez-vous ?

E. Raoult : On est loin des faux débats lorsque, il y a quelques semaines, M. Le Pen disait qu'il n'était pas d'extrême-droite. M. Le Pen a un parti qui s'est fascisé et lui, il se nazifie. C'est-à-dire que nous sommes aujourd'hui dans une situation où on est allé, petit à petit, de dérives en dérives, de dérapages en dérapages, vers des thèses que l'on a pu lire, plus dans Mein Kampf que dans Barrès. C'est très grave mais je ne pense pas pour autant qu'il soit indispensable, nécessaire ou utile d'interdire le parti de J.-M. Le Pen. Ce qu'il faut, comme on dit dans les banlieues, c'est « filer la honte » à ceux qui votent pour lui. Parce qu'aujourd'hui, M. Le Pen a franchi un pas qui doit choquer nos compatriotes et je crois qu'il est important que, chacun à sa place, pas sur les mêmes tribunes, nous puissions continuer à combattre ce qui n'est pas une thèse, ce qui n'est pas une idéologie mais ce qui est maintenant une honte.

A. Ardisson : Quand vous dites : « il est inutile », ce n'est pas plutôt : « il est impossible et vain » ?

E. Raoult : Je crois que le garde des sceaux l'a souligné hier en sortant du conseil des ministres : depuis un certain nombre d'années, avant la Seconde guerre mondiale, un certain nombre d'indications sont indispensables pour interdire un parti politique. Il faut qu'il y ait des violences - même si les violences verbales sont répétées dans le discours de M. Le Pen. Je crois que, ce qu'il faut désormais, c'est être particulièrement attentif à l'ensemble des déclarations de M. Le Pen, dans la mesure où il y a des lois, loi de 1972, loi Gayssot, qui interdisent de proférer de tels propos.

A. Ardisson : Précisément, est-ce que le gouvernement, par la voix du garde des sceaux, va engager des procédures ? Des plaintes ont été déposées, mais est-ce que le gouvernement va faire un geste ?

E. Raoult : Je crois que le garde des sceaux va être très attentif, dans les heures qui viennent, à peser mot pour mot les déclarations de M. Le Pen qui sont en infraction avec la loi.

A. Ardisson : Depuis quelques mois, J.-M. Le Pen avait adopté un profil plus mesuré, s'efforçant de capter un électorat bon genre, et puis, à nouveau, il repart. Est-ce qu'il y a une explication rationnelle, électorale à votre avis ?

E. Raoult : Je ne sais pas si M. Le Pen vieillit, je ne sais pas si, aujourd'hui, il est inquiet sur un certain nombre de difficultés dans sa formation politique, mais il est évident qu'il veut parfois rappeler qu'il est le patron. Mais en rappelant ainsi, sur l'inégalité des races, c'est-à-dire sur des propos que l'on a plus entendus au tribunal de Nuremberg que dans la presse, même polémique, de l'avant-guerre, je crois que les propos de M. Le Pen montrent que, créer des syndicats dans la police, assister aux élections des offices HLM, tout ça c'est pour la galerie, mais la réalité du FN, ce sont des propos racistes. Je ne m'adresse pas aux militants, aux dirigeants, on peut faire un trait sur eux, mais il y a plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions d'électeurs du FN, et ils devraient réfléchir.

A. Ardisson : On a parlé ce week-end d'instiller une dose de proportionnelle, évidemment, une dose de proportionnelle, ça peut permettre à des partis minoritaires, comme le FN, d'arriver à l'Assemblée. Quelle attitude est la bonne, à votre avis, avec J.-M Le Pen : est-ce qu'il vaut mieux l'ignorer ou le combattre point par point, quitte, par la nature des choses, à le valoriser un peu ?

E. Raoult : Dans un débat avec quelqu'un, on peut répondre point par point. Moi, je combats mieux Le Pen face à mes élus FN dans mon conseil municipal que par médias interposés. Mais on ne fait pas une modification du mode de scrutin uniquement par rapport à J.-M. Le Pen. M. Le Pen n'est pas le nombril honteux de la vie politique française, c'est aujourd'hui un autre débat qu'il s'agit d'instaurer pour cette éventuelle réforme du mode de scrutin, qui ne s'adresse pas simplement aux législatives mais d'abord au scrutin régional. Il y a des écologistes et puis il y a aussi le fait que nous avons tout de même à considérer que plusieurs millions d'électeurs doivent avoir des représentants mais il est évident que les propos de M. Le Pen éloignent peut-être toute possibilité de justifier la présence des minorités à l'Assemblée nationale. Il y a des minorités que l'on souhaite voir rester longtemps minoritaires.

A. Ardisson : Hier, il y a eu beaucoup d'émoi autour du RMI, à la suite d'une information donnée par Le Monde, selon laquelle les familles devraient aider les jeunes RMIstes avant qu'ils ne bénéficient de cette prestation. L'information a été partiellement démentie par le ministère des affaires sociales, qui a quand même confirmé qu'il y réfléchissait pour les familles aisées. Tout ça c’est un petit peu compliqué et les gens vont se dire qu'il y a anguille sous roche. Vous-même, je suis sûr que, dans votre ex-circonscription, on va vous poser des questions. Qu'en est-il vraiment ?

E. Raoult : Le RMI, ça coûte cher mais c'est nécessaire. Le RMI est un argent de survie mais ce n'est pas un argent de poche. J'avais eu l'occasion, dès mon arrivée au gouvernement, de poser le problème.

A. Ardisson : Vous aviez parlé de culture RMIste ?

E. Raoult : Peut-être avec un peu de maladresse, parce qu'en s'adressant à des hommes et à des femmes qui sont en situation d'exclusion, on doit toujours faire attention. Je crois que ce qui est aujourd'hui en discussion, c'est qu'au-delà de faire des économies - 500 millions sur tout de même plus de 24 milliards de francs -, le RMI doit être recentré et doit être dynamisé. Recentré vers ceux qui en ont le plus besoin et pas les étudiants qui peuvent peut-être faire appel à leurs parents ; et dynamisé comme nous le faisons à travers les emplois de ville, comme D. Perben l'avait fait dans les départements d'outre-mer. Tout ce qui peut servir à changer le « i » du RMI, c'est-à-dire faire en sorte que ce soit vraiment l'insertion et pas l'inactivité, est une bonne chose. Donc, le RMI n'est pas un monument de bienfaisance, c'est une allocation qui mérite, année après année, d'être perfectionnée. C'était le souhait du législateur en 1988 et, je le rappelle également, on a découvert hier une disposition législative que nous n'appliquons pas.

A. Ardisson : Hier, vous avez reçu un certain nombre de maires qui rouspétaient contre les emplois de ville et qui disent : « les villes qui en ont le plus besoin, finalement, la part qui leur reste à financer, elles ne peuvent pas le faire, les 45 % qui restent, nous, on ne peut pas payer ». Est-ce que vous les avez rassurés ?

E. Raoult : Je crois qu'ils sont entrés peut-être pour rouspéter mais qu'ils sont ressortis en ayant compris un certain nombre de préoccupations gouvernementales. Avec J.-C. Gaudin, nous les avons reçus. Et nous avons pu voir que ces maires méritaient d'être particulièrement aidés. Il y a une part résiduelle locale pour le financement des emplois de ville, nous allons mobiliser les départements et les régions parce que c'est vrai qu'il est plus difficile d'être maire de Mantes-la-Jolie ou de Bondy que d'être maire d'une beaucoup plus grande ville. Donc, leurs préoccupations sont aussi les nôtres et, avec J.-C. Gaudin, nous allons les soutenir pour qu'au Sénat, on puisse tenir compte de cette particularité. Nous allons également les soutenir en mobilisant les présidents de région, les présidents de département.