Texte intégral
Olivier Mazerolle : Quel enseignement politique tirez-vous de l’assassinat du préfet de la Corse ?
Claude Allègre : Aucun pour l’instant, j’attends la fin de l’enquête parce qu’on n’a aucune certitude que cette enquête conduira à une piste nationaliste. Ca peut conduire à une piste de groupuscules plus ou moins mafieux qui ne représentent pas l’ensemble de la Corse. Donc, j’attends pour tirer des conclusions politiques.
Olivier Mazerolle : Est-ce que les deux choses, mafia et nationalisme ne sont pas devenues extrêmement imbriquées ?
Claude Allègre : Oui mais relativement peu développées tout de même. Et donc, c’est un paradoxe mais je ne suis pas certain que le problème soit vraiment politique comme il le fut au moment des attentats d’Aléria ou de choses comme ça.
Olivier Mazerolle : Vous n’avez pas envie de dire comme P. Séguin que tous les gouvernements, de gauche comme de droite, sont allés trop loin dans le compromis par rapport à la loi républicaine en Corse ?
Claude Allègre : Je ne critique pas les gouvernements, ni passés, ni de droite ni de gauche, parce que c’est un problème très difficile. Personnellement, je ne suis pas partisan de la négociation secrète et de choses comme ça. La République rétablit l’ordre au grand jour et avec les moyens républicains. C’est un avis personnel. Mais je me garderais bien de critiquer car c’est un problème très difficile. Et M. Séguin devrait éviter de donner des leçons parce que s’il était à la place des gens qui gouvernent, je ne suis pas sûr qu’il ferait mieux.
Olivier Mazerolle : Dans votre domaine, avez-vous envie de parler du domaine culturel, de l’enseignement, de la spécificité corse ? C’est le moment d’en parler ?
Claude Allègre : Je n’ai pas envie d’en parler ce matin. On a fait déjà beaucoup. On enseigne la langue corse, on a une université à Corte. On a donné aux Corses de quoi développer leur identité culturelle. C’est bien.
Olivier Mazerolle : Parlons des enseignants. Est-ce qu’après l’électrochoc c’est-à-dire le mammouth, l’armée rouge, j’en passe et des meilleures, l’absentéisme etc, vous ne croyez pas qu’il faudrait trouver d’autres mots afin de convaincre les professeurs ?
Claude Allègre : Certains sont des mots que j’ai prononcés, d’autres que l’on m’a attribués. La vérité est que je ne crois pas que l’on puisse gouverner par le haut. Je crois qu’il faut déconcentrer pour entraîner. Et c’est la seule manière de gérer l’éducation nationale. Je vais vous donner un exemple : dans le primaire, il y a 2 % de cours qui ne sont pas assurés ; dans le secondaire, il y a 12 % de cours qui ne sont pas assurés pour des raisons multiples, ce qui fait plus de six mois dans la scolarité d’un enfant. Pourquoi ? Très simple : le primaire est déconcentré, on gère les choses près des gens ; le secondaire continue à être géré depuis la rue de Grenelle. Ce n’est pas possible. Il faut entraîner les enseignants, il faut leur donner plus de liberté. Et nous avons pour telle ou telle raison, sur lesquelles je n’ai pas envie de m’étendre, des corps intermédiaires qui empêchent cette déconcentration. Donc, c’est essentiel si nous voulons rentrer dans le 21ème siècle avec un enseignement qui soit souple, puissant, national mais adaptable facilement.
Olivier Mazerolle : Quand L. Jospin dit comme l’autre soir : je vais lui demander d’être un peu plus adroit.
Claude Allègre : C’est une plaisanterie.
Olivier Mazerolle : Mais tout de même, il a dit : au basket tu n’étais pas si mauvais malgré ta petite taille. Alors est-ce que ça ne veut pas dire : ton côté bougon, n’en rajoute pas trop.
Claude Allègre : Quand il a envie de me dire quelque chose, il ne passe pas par les discours de remises de prix.
Olivier Mazerolle : Vous comptez sur la base, alors, pour contourner les corps intermédiaires ?
Claude Allègre : Je ne compte pas sur la base. Toute ma démarche est de donner le pouvoir à la base. Quand je fais les emplois jeunes - par parenthèse, j’en ai 32 000 sur le terrain, qui existent, qui sont des réalités - je laisse la base imaginer comment ils vont les faire travailler. Quand je fais les nouvelles technologies à l’école, je donne des moyens mais je laisse la base imaginer comment elle fait. Lorsque nous faisons la réforme des contenus, qu’est-ce qu’on fait ? On commence par un sondage en consultant tout le monde - et là je peux vous dire que les trois millions de lycéens qui ont répondu, à plus de 90 % dans certains endroits...
Olivier Mazerolle : On va en parler mais vous ne craignez tout de même pas que votre réforme capote par manque de méthode ?
Claude Allègre : Je crois qu’on peut toujours discuter sur la méthode. Simplement, j’ai remarqué les méthodes suivies par mes prédécesseurs et qui avaient des idées analogues aux miennes et qui n’ont pas pu déconcentrer, alors vous me laissez libre de ma méthode et nous jugerons à la fin. Ce n’est pas une volonté de C. Allègre, c’est une volonté du Gouvernement de déconcentrer. A ceux qui me donnent des leçons... j’ai entendu F. Bayrou ; à l’époque où je suis, il avait mis plus d’un million de personnes dans la rue, alors qu’ils arrêtent de me donner des leçons sur la manière d’opérer. Il faut quand même être correct. Moins de 30 % des enseignants ont fait grève, alors soyons raisonnables. On ne réforme pas dans ce pays sans avoir un certain courage. Comme moi je n’ai aucune ambition politique, je ne vise pas d’être Président de la République ou je ne sais pas quoi, je vise de transformer ce système. J’avance et je vous garantis que nous avancerons vers plus de souplesse et plus de responsabilité à la base.
Olivier Mazerolle : Les lycéens ont répondu en masse au questionnaire mais ils parlent beaucoup des professeurs justement alors qu’on ne leur posait pas de question sur eux. Ça ne risque pas d’accentuer encore le clivage entre profs et élèves ?
Claude Allègre : Ce sondage est fait par des professeurs. Trois millions de jeunes nous parlent. L’ensemble des questionnaires est dépouillé. 50 000 personnes sont dans le dépouillement de ce questionnaire. C’est unique en France. Et le message qui sera adressé par ces jeunes, s’adresse aux professeurs, au ministre sans doute, au pays tout entier parce qu’ils décrivent dans ces réponses une brisure de génération qu’il faut entendre. Ceux qui m’ont dit : « vous avez fait un questionnaire, c’était démagogique », je pense qu’ils se trompent complètement. Je pense que la violence, un grand nombre d’attitude de refus c’est parce qu’on refuse d’écouter les jeunes.
Olivier Mazerolle : Mais peut-on dégager des lignes directrices d’autant de réponses aussi multiples ?
Claude Allègre : Invitez P. Mérieux, il vous dira. Elles sont multiples mais finalement, elles se classent dans un certain nombre de catégories et c’est tout le travail...
Olivier Mazerolle : Mais quelle est la ligne directrice que vous retenez de cela ?
Claude Allègre : Je n’ai pas le résultat et je suis un scientifique, je ne commente pas les choses avant d’avoir les résultats. Mais parallèlement, il y a un questionnaire des enseignants qui nous dit aussi des choses sur l’école. Et puis il va y avoir, maintenant que les élèves ont répondu, un questionnaire pour les parents et nous écouterons là aussi les choses. Ce n’est pas un sondage, ce n’est pas mille ou deux mille...
Olivier Mazerolle : Mais les lycéens qui réclament plus d’écoute, ça ne peut pas mettre le désordre ?
Claude Allègre : Quand on réclame plus d’écoute, il est préférable d’écouter.