Interview de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, à TF1 le 19 septembre 1996, sur la lutte contre la violence à l'école à la suite du décès par meurtre de deux jeunes adolescents.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • François Bayrou - Ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

(Les invités sont interviewés à tour de rôle, selon l’ordre suivant : en premier, D. Moussin, principal de collège, puis C. Kühne, de la FCPE, enfin F. Bayrou, ministre de l’éducation nationale).

TF1 : Que pensez-vous des batteries de mesures pour maintenir le calme : les appels du contingent, le partenariat, la police, le parquet. Est-ce que cela marche de temps en temps ?

D. Moussin : (Principal du collège Henri-Dunant à Colombes, dans le 92) : « Pas seulement de temps en temps, cela marche à tous les coups. Il est absolument important que dans des établissements qui reçoivent une population touchée par les problèmes sociaux – le chômage, la désespérance, les risques de dérive maffieuse – il faut absolument qu’il y ait un encadrement à la hauteur, des lieux de dialogue. Plus il y a d’adultes plus la parole des autres, des victimes peut être entendue, plus on peut intervenir, et plus les violences peuvent être prises en compte par les éducateurs que nous sommes. Nous pouvons réguler des situations et surtout éviter que quelques élèves – un petit noyau, un groupe qui se reconstitue à l’extérieur – fassent régner une terreur qui est dommageable pour tout le monde. Il faut briser cette loi du silence et intervenir avant que les problèmes existent.

TF1 : Vous n’hésitez pas à intervenir dans les familles elles-mêmes quand il y a des problèmes.

D. Moussin : Tout à fait. Je ne pense pas qu’il y a des terrains interdits pour un chef d’établissement. Quand on a choisi de travailler dans un quartier populaire, compte tenu des problèmes énormes dans lesquels se débattent les familles actuellement, nous avons un rôle d’accompagnement des élèves au-delà même de leur propre scolarité. Donc, une prise en compte de leurs difficultés, mais une mise en responsabilisation des parents et des gens du quartier. En tant que chef d’établissement, je suis très souvent alertée par des voisins, par des habitants du secteur sur toutes les petites exactions de la vie quotidienne que commettent des jeunes. Ils attendent de nous, chefs d’établissement ou professeurs, d’intervenir sur toutes les questions à leur place. Je suis désolée ! Nous avons notre rôle à jouer à l’intérieur de l’établissement. Nous le jouons, le mieux possible, avec des réussites ; nous en avons quotidiennement, le climat n’est pas un climat alertant ; nous travaillons, nous préparons des élèves à des examens. Mais nous avons absolument besoin que les autres membres de la société interviennent et que cette peur du jeune et cette phobie qui est en train de s’installer actuellement, surtout quand le jeune est de couleur ou d’origine étrangère, que cette phobie cesse et qu’enfin on responsabilise les jeunes et que tout le monde intervienne et leur rappelle les règles de vie en société.

TF1 : Vous avez à peu près 70 % d’élèves qui sont d’origine étrangère ?

D. Moussin : Tout à fait.

TF1 : Cela complique le problème ?

D. Moussin : Cela ne complique pas tant que ça le problème parce que de toute façon ce sont des enfants qui sont nés en France, qui sont Français, qui vont rester en France. Ou cela pose un petit peu plus de problèmes, c’est que leurs difficultés d’intégration future sont plus délicates et que dans le climat ambiant de haine ou de racisme qui se développe, c’est vrai qu’il faut leur donner espoir, il faut leur donner des buts dans la vie et leur montrer que l’école est la justement pour les aider, leur transmettre des savoirs. Il faut redonner du sens leur vie pour éviter qu’ils tombent dans des dérives.

TF1 : Qu’est-ce que vous attendez, vous, de l’enseignement ?

C. Kühne (parente d’élève, représentante FCPE) : Non seulement la mission première de l’enseignement est de faire passer un savoir mais il me semble aussi qu’il y a une autre mission qui me semble fondamentale et qui est une mission éducative. Or actuellement, dans certains endroits il y a des choses qui se font et il faut le reconnaître l’équipe éducative, le personnel enseignant d’une manière générale fait des efforts considérables mais ce n’est pas le cas partout. Or la concertation qui aura lieu demain, dans sa précipitation nous choque assez profondément. On s’aperçoit ici et là que des choses se mettent en place mais dans la précipitation. Or pour nous, la mission même de l’éducation nationale, ce n’est pas d’agir dans la précipitation mais de prendre le temps et d’agir en profondeur.

TF1 : Vous-mêmes vous êtes mère de famille, vous avez deux adolescents de dix-huit et seize ans. Ces derniers ont été, un jour, agressés dans une fête foraine. Vous les avez incités à porter plainte, n’est-ce pas ?

C. Kühne : Je vois que les secrets de famille ont été divulguées mais je rectifie tout de suite, cela a été une tout petite agression. Effectivement, nous avons réagi en tant que parents responsables et nous avons fait toute la procédure nécessaire au nom de mon fils, qui était mineur à l’époque. Je pense que c’est important que nous, en tant que parents d’élèves, on accompagne nos enfants. Lorsque nous n’avons pas cette possibilité-là, il me semble que la société doit avoir des parents-relais ou tout autre structure qui puisse aider ces enfants et ces parents à faire ce type de démarche. II me semble que c’est fondamental ! Si vous permettez juste encore un mot, j’aimerais assez que Monsieur le ministre de l’éducation nationale, F. Bayrou, nous certifie que cet effet d’annonce de concertation de demain ne se limite pas à cela. Et qu’effectivement, nous aurons du travail à faire, des décisions à prendre et notamment par la mise en place de comités d’environnement sociaux. Je crois qu’il peut inciter leur mise en place en tant que ministre. Ce sont des structures dans lesquelles tous les partenaires de l’équipe éducative et hors établissement travaillent ensemble et voient les problèmes d’une manière continue. Cela veut dire que l’enfant, qui est dans la structure école ou familiale, eh bien ! on ne peut le saucissonner. Ces problèmes sont abordés dans leur intégralité dans ce type de structures. On ne peut pas résoudre tous les problèmes à l’école mais il faut absolument que tous les partenaires de notre société actuelle se mettent autour de la table et travaillent ensemble.

TF1 : Que répondez-vous, F. Bayrou, à ces deux interpellations ?

F. Bayrou : Je suis d’accord avec ce qu’a dit la dame parent d’élève. Demain, les choses commencent. De dix heures à douze heures c’est un très grand enjeu – je vais dire dans une seconde pourquoi. C’est un mouvement en profondeur. Si c’était deux heures isolées, ça n’aurait pas de sens. Quel est l’enjeu de demain ? On l’a entendu lorsque cette adolescente parlait. La violence a pris les jeunes pour cible, elle leur a déclaré la guerre. Il y a beaucoup de victimes et il y a des morts. Ces jeunes garçons qui sont morts, d’une certaine façon ils nous disent la gravité du problème comme il se pose. La violence a déclaré la guerre aux jeunes. Maintenant il faut que les jeunes déclarent la guerre à la violence.

TF1 : Est-ce que seul le dialogue va pouvoir résoudre le problème ?

F. Bayrou : Non, surement pas le dialogue. Il faut, bien entendu, leur donner des repères, être capable de leur dire dans quel sens on va, et comme la vie se déroule, c’est-à-dire ce qui est bien, ce qui est mal et quelle est la loi. Parce que nous avons des lois en commun. Mais s’ils ne prennent pas les choses en main eux-mêmes, si ce n’est pas leur mouvement, si ce n’est pas eux qui décident qu’on va faire reculer la violence, on n’y arrivera pas.

TF1 : Qu’est-ce qui va se passer concrètement demain entre dix heures et midi ?

F. Bayrou : Concrètement les cours s’arrêtent dans toutes les écoles et tous les lycées, tous les collèges. Et dans chaque classe, les jeunes vont réfléchir ensemble, avec leurs enseignants à la violence qu’ils vivent, à leurs problèmes concrets de violence et aux réponses, aux remèdes qu’on peut apporter, qu’ils peuvent apporter eux-mêmes.

TF1 : Les parents peuvent venir aussi ?

F. Bayrou : Les parents peuvent venir dans les établissements. S’ils viennent, ils seront accueillis. Il y a les chefs d’établissement, des enseignants et des élèves qui les attendent. Mais dans la classe, les élèves entre eux vont essayer de dire qu’elle est leur réponse à eux Encore une fois, la violence fait des victimes. Ces victimes sont les jeunes, il faut qu’ils se défendent. Le seul moyen de se défendre c’est de déclarer, eux, la guerre à la violence.