Texte intégral
DÉCLARATION DE FRANÇOIS HOLLANDE
En devançant la Droite de près de cinq points, la Gauche plurielle a incontestablement remporté les élections régionales. Elle est en mesure d'accéder à la présidence de nombreuses régions, alors qu'elle n'en détenait que deux depuis 1986/ Le rééquilibrage était souhaitable. Nous le souhaitions. Les Français l'ont réalisé.
Pour le Parti Socialiste, ce résultat satisfaisant - venant neuf mois après celui du 1er juin dernier - tient :
d'abord à la volonté de mettre l'emploi au premier rang des priorités des Conseils Régionaux, ensuite au parti du renouvellement, de la féminisation et du rajeunissement de ses candidats, et à la stratégie d'union qui a justifié la constitution des listes uniques des formations de la Gauche plurielle.
Il s'explique, enfin, par l'appréciation portée par les Français sur l'action du Gouvernement de Lionel Jospin qui a su redonner confiance au pays et espoir dans les changements en cours : pour plus de solidarité.
Il reste à s'assurer que cette victoire de la Gauche dans les urnes ce dimanche ne sera pas altérée, vendredi prochain, lors de l'élection des Présidents de régions.
Il reste aussi à prolonger cette dynamique à l'occasion du second tour des élections cantonales, afin de donner une majorité de Gauche à de nombreux départements.
Les socialistes entendent se montrer dignes du choix des Français et respecteront scrupuleusement leurs engagements dans les régions comme ils le feront pour le pays lui-même avec le Gouvernement de Lionel Jospin.
France 2 le 15 mars 1998
D. Bilalian : Des résultats peut-être sans aucun doute plus serrés que vous ne l'aviez imaginé ?
François Hollande : "Nous, nous n'avions rien imaginé. Nous étions en reconquête, puisque nous n'avions deux régions sur 22. Et nous voulions absolument que ce soir, la gauche plurielle fasse plus, que la droite RPR-UDF. Ce résultat est atteint, peut-être aurions-nous souhaité qu'il soit plus large, mais il est atteint. C'est-à-dire que nous faisons cinq points de plus que la droite RPR UDF: En nombre de régions, l'incertitude demeure, mais à entendre votre spécialiste, nous aurions cinq régions déjà acquises ; je le disais, nous n'en avions que deux, donc je considère qu'au cours de cette soirée, il ne peut nous arriver que de bonnes surprises. Nous avions deux régions à huit heures moins deux, déjà cinq à huit heures trois, eh bien j'espère qu'au fur et à mesure de la soirée, nous en aurons davantage. Je considère qu'après neuf mois d'exercice gouvernemental, le fait que la gauche soit en tête par rapport à la droite est plutôt une bonne indication."
France Inter le 16 mars 1998
J.-L. Hees : Vous êtes premier secrétaire du Parti socialiste. On a remarqué que L. Jospin et vous avez eu le triomphe plutôt modeste hier soir, peut-être parce que ce n'est pas tout à fait un triomphe, même si la gauche plurielle l'emporte, au moins relativement dans bon nombre de régions. Je voudrais tout de même qu'on parle tout de suite de l'abstention : que vient d'évoquer R. Cayrol, car si on fait les comptes tout de même, il y a un phénomène assez étonnant, au vu des résultats d'hier soir - 40% d'abstentions, 15 % pour l'extrême droite, quelques points de pourcentages pour l'extrême gauche. Ça fait 60 % des gens qui ne s'expriment pas, j'allais dire, traditionnellement, dans le jeu politique français. Est-ce que ça inquiète le responsable de parti que vous êtes ?
François Hollande : "Oui, parce que cette montée de l'abstention, on la relève depuis maintenant une dizaine d'années. Ce n'est pas un phénomène localisé pour ce scrutin-là. Même pour les élections législatives de juin dernier, après une dissolution, on avait un taux d'abstention de 30 %; ce qui est beaucoup pour une élection nationale. Alors comment l'expliquer ? Quelquefois on parle de la lassitude des Français, avec des scrutins qui se multiplient; il y a une part de vrai. Je crois qu'il y a aussi un écart qui s'installe - et sur lequel il faut, les uns et les autres, réfléchir - entre les citoyens et ceux qui les représentent Alors le rôle d'une formation politique, c'est de remporter les élections, ça c'est ce que nous avons pu faire ce dimanche ; mais aussi, d'interpréter les messages de ceux qui ne disent rien."
J.-L. Hees : Et comment vous l'interprétez alors, ce message ?
François Hollande : "Eh bien sans doute non pas par une désillusion - car je crois qu'ils n'attendent plus rien, et c'est cela qu'il faut arrêter, c'est-à-dire un retrait civique de ceux qui sont souvent les plus vulnérables, car on s'aperçoit que l'abstention est surtout forte dans les quartiers populaires, dans les quartiers difficiles. Et je crois que ça suppose que le Gouvernement, puisque nous sommes en charge des responsabilités du pays, s'attache d'abord à régler les problèmes de ceux qui n'attendent plus rien.".
J.-L. Hees : Alors si vous voulez, on va parler tactique tout de suite, parce que ça va nous intéresser toute cette semaine, jusqu'à vendredi pour l'élection des présidents de régions. Vous êtes soulagé finalement : la droite classique a dit : non, les voir du Front national n'étaient pas les bienvenues pour ses candidats ; donc il n'y a pas de problème a priori, il n'y aura pas de compromis, de compromission ou voire pire ?
François Hollande : "Je veux le croire, c'est-à-dire que j'ai bien entendu, et ce n'est pas nouveau d'ailleurs, tous les leaders de la droite dire qu'il n'est pas question d'une alliance avec l'extrême droite ou de prendre les voix qui se présenteraient naturellement sur des candidats de droite pour l'élection des présidents de région. Mais on a aussi des indications contraires au plan local. J'espère que les états-majors de droite feront vraiment l'impossible pour éviter une humiliation pour l'ensemble des formations politiques de la droite."
P. Le Marc : Comment expliquez-vous qu'il n'y ait pas eu dynamique de la part de la gauche plurielle dans cette élection. On pensait que l'addition des formations politiques créerait un mouvement, peut-être augmenté avec l'effet Jospin - l'effet de la politique gouvernementale -, et l'on s'aperçoit qu'il n'y a pas de dynamique et qu'au contraire, il y a même rétractation par rapport à 1997.
François Hollande : "Non, ça, je ne crois pas que l'on puisse le dire. Il y a confirmation, au plan régional et au plan départemental, du résultat de 1997 - des législatives - avec le biais du mode de scrutin qui éclate les représentations ; et la représentation proportionnelle, justement, à cet effet un peu destructeur pour: les grandes familles politiques. Mais pour le reste, le rapport de forces gauche-droite est le même qu'en 1997."
P. Le Marc: Avec une extrême gauche beaucoup plus importante.
François Hollande : "Voilà, avec une extrême gauche... Ce qui est normal puisque..."
P. Le Marc : Mais c'est un autre message aussi.
François Hollande : "Oui, mais ce qui est assez compréhensible puisque nous avions fait des listes uniques - Parti communiste, Parti socialiste, Verts, Radicaux, Mouvement des citoyens. Il est un peu normal que ceux qui veulent se distinguer se mettent sur des listes d'extrême gauche. Donc rapport de forces inchangé par rapport à 1997, alors même que nous sommes au Gouvernement depuis maintenant neuf mois. Ce qui veut dire que, pour le moment, il n'y a pas de volonté de sanctionner le Gouvernement. Il n'y a pas non plus une adhésion les yeux fermés à l'action du Gouvernement. Il faut travailler, il faut montrer des résultats, il faut marquer une détermination. C'est ce que le Gouvernement va faire ; c'est ce que la majorité et le Parti socialiste va lui conseiller de faire."
J.-L. Hees : D'où le triomphe modeste.
S. Paoli : Vous répondez à la question que je m'apprêtais à vous poser. Jeudi dernier, vous évoquiez ici-même la possibilité d'un rééquilibrage, et il a eu lieu. Il y a un message là-dedans quand même c'est les Français vous disent : continuez mais on est attentifs.
François Hollande : "Oui, les Français ne pouvaient plus admettre une situation que l'on vivait néanmoins depuis 12 ans : deux régions sur 22 gérées par la gauche et 20 par la droite. Ça, ils y ont mis un terme, et je crois, qu'ils ont eu raison. En même temps, ils n'ont pas voulu donner toutes les régions à la gauche. Et d'ailleurs, je crois que cela n'aurait pas été meilleur ; pas plus que n'était acceptable une situation où la gauche n'avait rien ; pas plus aurait été compréhensible au plan démocratique, une situation où la droite aurait été exclue de tout Donc on va vraisemblablement avoir une majorité de régions - si, bien évidemment, le Front national est laissé à sa place, c'est-à-dire hors-jeu. Nous allons pouvoir les gérer en conformité avec nos idéaux et avec la volonté de mettre l'emploi au coeur des priorités. Maintenant, la droite, elle existe dans ce pays - elle est divisée c'est vrai, elle est interrogative sur son avenir mais elle existe : en Alsace, en Basse-Normandie. Dans beaucoup de régions elle a des bastions, c'est normal qu'elle les garde."
S. Paoli : Est-ce que vous mettez ces résultats en parallèle avec les récents sondages qui mettent en gros L. Jospin et le Président de la République au coude à coude ?
François Hollande : "Non, je crois que la cote du Président de la République n'a pas de signification politique au plan électoral - on s'en est aperçu. C'est-à-dire que le drapeau du Président de la République n'a pas été déployé. Vous avez entendu P. Séguin hier - la première phrase qu'il a prononcée était un Exocet en direction du Président de la République en disant que la dissolution n'avait pas encore fini de produire ses effets. Donc vous voyez que le Président de la République n'a pas vraiment été la caution de l'opposition dans cette affaire."
J.-L. Hees: Si vous étiez cynique F. Hollande, finalement... :
François Hollande : "Ce n'est pas possible, ça."
L.-L. Hees : On ne sait jamais, vous pourriez dire : c'est la situation idéale, j'ai une extrême droite qui est forte, qui est anormalement forte d'ailleurs dans ce pays ; j'ai une droite qui reste à recomposer - employez le mot qui vous plaira. Et puis voilà quoi. J'ai un boulevard devant moi : gauche traditionnelle.
François Hollande : "Oui. C'est peut-être un boulevard qui ne mène nulle part. Car ce qui est inquiétant dans le résultat de l'extrême droite, c'est pas tant son niveau - qui est déjà élevé, trop élevé, 15 % -, c'est le fait que le Front national est en train d'absorber, je dis bien absorber, la droite républicaine dans une partie des régions de ce pays. Ce qui est très frappant en PACA, c'est que c'est l'extrême droite qui a rythmé la campagne politique de la droite et de l'extrême droite. Et que bientôt - on peut s'interroger : est-ce qu'il y aura une droite en position de capter des suffrages et donc d'obtenir des responsabilités dans certaines régions du Sud de la France ? C'est ça qui m'inquiète. Alors comment y répondre ? D'abord en travaillant sur les questions du chômage, de l'intégration, de la sécurité bien sûr. Mais il faut aussi que la droite trouve une stratégie. Or, en entendant les leaders - M. Balladur ou M. Séguin - c'était la question de l'organisation : est-ce qu'on fait une grande formation ou est-ce qu'on rénove celle qui existe ? Alors qu'à mon sens, c'est un problème de projet politique. Or la droite parle souvent comme l'extrême droite dans le Sud de la France, et c'est l'extrême droite qui gagne. Elle devrait y réfléchir."
J.-L. Hees : Donc vous allez leur souffler un projet politique si j'ai bien compris ?
François Hollande : "Non, mais enfin on peut supposer qu'il faut une opposition qui en ait un."
P. Le Marc : Est-ce vous n'allez pas avoir affaire à des alliés beaucoup plus difficiles après ce scrutin ? Difficiles en ce qui : concerne les présidences, de régions bien sûr, mais difficiles aussi en matière d'orientation et de la politique gouvernementale ? On l'a déjà senti dans le discours de R. Hue, il y a un "gauchissement." Est-ce que vous ne craignez pas une surenchère de la part du PC dans les prochaines semaines et les prochains mois ?
François Hollande : "Non, pas de surenchère ; mais nous sommes une gauche plurielle où chacun a son identité. Le Parti communiste disait, avant les élections, qu'il faudrait aller "plus vite et plus loin", c'était son expression."
P. Le Marc : Les résultats vont l'inciter à le dire un peu plus...
François Hollande : "Je ne crois pas que les résultats aient été une déception : pour le parti communiste ; il va gagner des conseillers régionaux, comme il ne pouvait même pas en espérer seul."
P. Le Marc : Il y a l'évasion vers l'extrême gauche.
François Hollande : "Il y a la petite évasion vers l'extrême gauche qui, effectivement, est le produit de la stratégie électorale, puisque nous avons été en liste unique. Je crois qu'il ne faut surtout pas que le Gouvernement change de rythme ; il faut qu'il ne fasse ni pause, ni accélération ; qu'il continue à aller son chemin, sans perte de temps, vraiment sans perte de temps, sur les deux questions fondamentales : l'emploi - il faut qu'il y mette tous les moyens, et il n'y a rien à changer de ce point de vue, il faut qu'il y mette les moyens nécessaires, que la: répartition des fruits de la croissance se fasse en direction de l'emploi -, et deuxièmement, il ne faut pas qu'il y ait de relâchement sur la solidarité. La preuve : c'est que le prochain texte qui va être discuté à l'Assemblée nationale, ça sera la loi contre l'exclusion." ;
S. Paoli : Est-ce que ça ne va pas un peu secouer pour la gauche plurielle dans les jours qui viennent ? Parce que ; l'attribution de la présidence de région, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais, ça ne va pas être facile, facile.
François Hollande : "Mais rien n'est facile, vous savez, en politique. Quand vous gagnez, vous avez les problèmes de la victoire, c'est ce que l'on vit aujourd'hui. Quand vous perdez, vous avez les grandes questions de la défaite, c'est ce que la droite éprouve. Moi, je préfère encore être dans la première solution, dans le premier cas de figure. C'est plus satisfaisant. Je préfère donner un peu plus que de me serrer un peu plus la ceinture."
S. Paoli : Bien sûr. Mais le projet d'une région pour chaque partenaire, vous ne pourrez pas le tenir ?
François Hollande : "On verra. Ça dépend aussi du nombre de régions que l'on est susceptible de gagner. C'est vrai que, sur le papier, là, au moment où nous parlons, 12 régions peuvent revenir à la gauche - à peu près. Il n'est pas dit que nous obtenions ce résultat si la droite fait des alliances contre nature au plan local. Alors à ce moment-là, partager devient difficile. Ce que je ne voudrais pas c'est que - nous avons gagné et je suis très modeste ; c'est une victoire relative, nous avons la majorité relative dans beaucoup de régions ; et nous avons retrouvé à. peu près le rapport de forces de 1997, qui n'était pas un rapport de forces type raz-de-marée... Donc nous avons gagné, mais en même temps, nous pouvons perdre, sans que les électeurs y puissent quelque chose, vendredi prochain, au moment de la désignation..."
J.-L. Hees : Il y a une région que vous ne pouvez pas perdre, c'est le Nord-Pas-de-Calais. Donc votre cœur balance de quel côté, vous qui êtes premier secrétaire du Parti socialiste : vers Mme Blandin ou M. Delebarre ?
François Hollande : "A votre avis ? Étant premier secrétaire du Parti socialiste, j'éprouve, mais sans avoir quelque hostilité que ce soit pour qui que ce soit, plutôt des sympathies pour les socialistes. Or là, qu'est-ce qui s'est produit dans le Nord-Pas-de-Calais ? Chacun y est allé sous sa bannière; M. Delebarre fait de l'ordre de 30 %, Mme Blandin en-dessous de 10. Je crois qu'il y aura des discussions. Mais à partir de cette donnée-là, qui est une donnée incontournable aujourd'hui.",
P. Le Marc : Est-ce que le résultat d'hier change un peu la donne de la cohabitation par rapport à ces dernières semaines ? Est-ce que le Président ne va pas être contraint à un peu plus de prudence à l'égard du Premier ministre et de la politique du Gouvernement ?
J.-L. Hees : Pas de dissolution en vue ?
François Hollande : "Écoutez, il aurait dissous dimanche dernier, il ne l'a pas fait. Il ne pouvait pas le faire d'ailleurs ; il dissoudrait dans deux mois, il obtiendrait, on le sait maintenant, le même résultat qu'en 1997. A mon avis, je peux me tromper- je ne suis pas un expert en psychologie du Président de la République, loin s'en faut-, mais à mon avis, il va se retenir."
S. Paoli : Comment interprétez-vous les propos de M. Balladur hier soir à propos de l'explication de ces résultats des régionales, en disant au fond : même cause, même résultat, l'échec des législatives produit l'échec des régionales.
François Hollande : "Oui, d'ailleurs de ce point de vue, et P. Séguin, et E. Balladur ont fait le même constat sévère pour le Président de la République puisque cela a été l'explication par la dissolution ratée de l'année dernière. Ils n'y ont pas apporté les mêmes réponses : M. Balladur a plutôt souhaité la création d'une force unique de l'opposition, M. Séguin, rigoureusement là solution inverse. Moi, je n'ai pas de point de vue là-dessus. Ce que j'ai dit tout à l'heure, je le confirme, je crois que si on veut réhabiliter la politique - et elle en a bien besoin -, si on veut motiver les électeurs, et on voit bien qu'il y a un problème de ce côté-là, il faut leur proposer des alternatives claires et des projets politiques. C'est ce qui fait défaut à mon avis le plus. Alors, le Gouvernement et les partis de gauche sont jugés sur les résultats, c'est normal, et on sera jugé notamment, pas simplement, aussi sur le chômage. A la droite d'essayer sur ce sujet du chômage, sur le sujet de l'intégration, sur le sujet de l'insécurité, puisque c'est son terrain et qu'elle veut le prendre, et qu'elle a cette rivalité du Front national d'être capable de produire une alternative. Elle ne l'a pas fait pour l'instant."
P. le Marc : Est-ce que dans l'abstention catastrophique d'hier, il n'y a pas un autre message dont on ne parle pas et qui est important, c'est une certaine impatience de l'opinion et des citoyens à l'égard de la complexité du système de la décentralisation.
François Hollande : "Oui, vous savez qu'il y a quelques années, nous avions voulu regrouper tous les scrutins locaux le même jour. Et c'eût été sans doute une bonne formule pour susciter l'adhésion : de ... nos compatriotes pour : ces élections. Finalement, la majorité présente ne l'a pas voulu, de même qu'elle n'a pas souhaité changer le mode de scrutin. Mais moi, je crois qu'il faut - ce ne sera pas le facteur suffisant, absolument' simplifier la décentralisation, regrouper les élections..."
P. le Marc : Simplifier, c'est-à-dire ?
François Hollande : "C'est-à-dire, clarifier les compétences entre la région, le département..."
P. le Marc: Et non pas supprimer un échelon ?
François Hollande : "Non, je ne crois pas qu'on y arrivera - à échelle humaine en tout cas. Donc il faut absolument que l'on clarifie les compétences, que l'on regroupe les élections sur le même jour, et il faut aussi que l'on change les modes de scrutin. Mais cela ne réglera pas la question civique fondamentale - les Français, pour aller voter, faut-il encore qu'ils soient convaincus que l'élection peut changer leur vie quotidienne. Nous n'avons pas encore, notamment au plan local, fait cette démonstration. Et pourtant les régions - nous l'avons dit dans la campagne - peuvent être un facteur déterminant de lutte contre le chômage."
P. le Marc : Un mot sur la région Ne-de-France - parce que ce n'est pas le tremblement de terre. C'est vrai que la gauche avance, mais ce n'est pas le tremblement de terre non plus?
François Hollande : "Ah si, c'est le tremblement de terre. La première victime d'ailleurs est celui qui l'avait annoncé. C'est souvent le cas. C'est celui qui constate le tremblement de terre qui finit par disparaitre ; c'est C. Pasqua, qui a perdu, y compris dans son propre département. Il y a eu séisme, il y a eu tremblement de terre. Il y a majorité, simplement relative, mais c'est quand même un résultat considérable que la première région de France vienne aujourd'hui à gauche."
Hier, le Parti socialiste s'est réuni, et vous êtes tombés d'accord à peu près sur la répartition des présidences entre la gauche plurielle ?
François Hollande : "Oui. Nous avions gagné ensemble les élections de dimanche dernier. Il était normal que nous répartissions ensemble les gains de cette victoire même s'il ne s'agit pas simplement de places mais surtout de politique. Qu'est-ce que nous allons faire demain avec les Conseils régionaux s'ils sont gouvernés par la gauche, et notamment par rapport à cette priorité essentielle qui est l'emploi ? Mais nous avons souhaité que tous ceux qui avaient contribué à ce succès de dimanche puissent contribuer maintenant à la réalisation de notre engagement." ;
Les Verts n'ont pas eu trop de mal à renoncer à la région Nord ? Is y tenaient beaucoup. Ils n'ont plus de présidence de région ?
François Hollande : "Si, je constate que cela a été difficile. Je salue tout à fait la responsabilité, notamment de M.-C. Blandin, qui a compris qu'elle n'avait pas fait un résultat qui lui permettait de continuer à être présidente de cette région, mais qui lui permettait quand même de peser avec les orientations qui avaient été les siennes pendant les six dernières années dans les choix de cette région. Ce sera le cas. Je suis sûr que M. Delebarre veillera à associer très étroitement M.-C. Blandin et les Verts en général dans la gestion de cette région."
Et les communistes auront la Picardie, sauf surprise ?
François Hollande : "Cela vaut pour tout le monde ! Je crains, on y reviendra, qu'il y ait quelques mauvais coups qui se préparent mais je pense qu'en Picardie chacun doit veiller à ce que, effectivement, cette région revienne à un de nos partenaires, en l'occurrence les communistes, et pour une femme. Ce sera, sans doute, la seule présidente de région en France. Donc, il faut absolument tout faire pour que ce soit le cas."
Combien de régions ? P. Séguin, hier, à France 2, disait qu'il en aurait onze, voire douze. Vous dites autant. Alors ?
François Hollande : "Disons qu'il y a dix régions qui, normalement, doivent nous revenir puisque nous avons la majorité relative. Et puis, il y en a trois où il y a aujourd'hui le même nombre de sièges, droite et gauche."
C'est Rhône-Alpes ?
François Hollande : "C'est Rhône-Alpes, c'est aussi Bretagne Franche-Comté. On peut ajouter Poitou-Charentes. Donc quatre. Dans ces régions-là, il y a encore une incertitude. Dans celles où nous avons la majorité relative, normalement, ces régions devraient nous revenir."
Par exemple le Languedoc-Roussillon ?
François Hollande : "Dans ces régions où nous avons la majorité relative, où nous avons gagné, il est à craindre que la droite passe des alliances avec l'extrême droite. Il est à craindre, mais comme l'on dit les responsables du RPR et de l'UDF, normalement, rien ne devrait être toléré avant le scrutin de vendredi puisque nous allons élire les présidents de région vendredi. Donc, il faut absolument que la droite soit conséquente avec ses déclarations et dise à ces candidats virtuels, qui voudraient capter ces régions où pourtant ils ont perdu sur le tapis vert des urnes, qu'ils ne récupèrent pas ces régions, sous la table, avec le Front national. Il faudrait donc que la droite soit parfaitement claire : dans ces régions, où nous n'avons pas la majorité relative, nous ne présentons pas de candidat comme cela, cela évitera au Front national de polluer le jeu. Ce n'est pas tout à fait le discours pour le moment donc, il faut absolument que vendredi tout soit clair, c'est-à-dire que la droite ne présente pas de candidat là où elle a perdu. Nous, en tout cas, là où nous n'avons pas la majorité relative, où nous avons perdu les élections, nous ne présentons pas de candidat donc, il n'y aura aucun risque."
Vendredi, on vote à bulletin secret. Prenons l'exemple l'Aquitaine avec M. Valade ou du Languedoc-Roussillon avec M. Blanc, s'ils sont candidats ils pourront toujours dire qu'ils ne savent pas par qui ils ont été élus ?
François Hollande : "Ils le sauront parfaitement puisque ce sera avec les voix du Front national et uniquement avec elles que la majorité aura été trouvée. Donc, ce qu'il faut pour éviter que le Front national apporte ses voix à M. Valade qui ne les récuse pas, à : - M. Blanc, même à M. Censi qui dit qu'il acceptera tout et il y en a bien d'autres qui le font comme M. Rufenacht qui est d'autant plus prêt à accepter les voix du Front national qu'il attendra même lundi après le second tour des élections cantonales comme cela on pourra le faire, et sans sanction, de la part des électeurs. Il faut absolument que P. Séguin, puisqu'il s'agit souvent de candidats RPR ou F. Léotard, puisqu'il s'agit aussi de candidats UDF, disent non, ne vous présentez pas. Vous avez perdu les élections. E. Balladur a perdu les élections en Île-de-France et dit très clairement qu'il n'est pas candidat F. Léotard a perdu les élections en Provence-Alpes-Côte d'Azur et il dit qu'il n'est pas candidat. Il faut que ces attitudes-là, qui sont tout à fait respectables, c'est le moins que l'on puisse dire, soient les mêmes que ce que l'on doit trouver en Picardie, en Languedoc-Roussillon, en Aquitaine, en Midi-Pyrénées. Sinon, nous aurions gagné, nous, la gauche, les élections dimanche dernier et nous les perdrions sans que les électeurs n'aient quoi que ce soit à faire ou à dire, vendredi."
Ce serait une sorte de captation des voir, de détournement ?
François Hollande : "Je le crains. Il faut vraiment que la droite soit très claire et interdise à ces candidats virtuels de l'être puisqu'ils ne pourraient être élus qu'avec les voix du Front national."
Il y a quand même un argument qui fait mouche souvent à savoir que le Front national veut inventer la droite plurielle comme après tout, F. Mitterrand avait fait alliance avec les communistes à l'époque pour avoir la majorité ?
François Hollande : "Sauf que le parti communiste est un parti républicain, installé dans nos institutions depuis des années, qui ne profère aucun propos raciste, qui a gouverné plusieurs fois le pays."
Mais à une certaine époque, la SFIO ne voulait pas s'allier aux communistes parce qu'elle les trouvait trop staliniens !
François Hollande : "C'était pour des raisons aussi d'idées. Nous n'étions pas : d'accord. Le Parti communiste approuvait un certain nombre de choix qui se passaient dans les pays de l'Est qui nous paraissaient totalement, à l'époque, complètement contradictoires avec nos propres engagements. Mais il n'y avait aucun reproche à faire sur le caractère démocratique, sur le caractère républicain du Parti communiste, même à l'époque."
Mais si le Front national évolue ?
François Hollande : "Donc, cela veut dire - il faut être tout à fait clair que pour la droite si on veut faire des alliances avec le Front national, pour la droite, au plan local, cela veut dire que demain on s'y prépare au plan national. Cela veut dire que J.-M. Le Pen sera membre d'un Gouvernement. Jusqu'à nouvel ordre, j'espère que la droite ne s'y résigne pas..."
RTL le mercredi 18 mars 1998
François Hollande : "Moi, je ne mets pas du tout en cause la sincérité de P. Séguin. Ce que je voudrais, c'est qu'il aille jusqu'au bout avant vendredi. Parce que vendredi, il sera trop tard. Vendredi, il y aura, on le sait, des candidatures de témoignages, quelque fois de mauvais témoignages qui se présenteront et qui, peut-être sans l'avoir voulu, obtiendront des voix qui viendront du Front national. C'est cela qu'il faut éviter. Le Front national est aujourd'hui tellement minimaliste dans ses exigences à l'égard de la droite qu'il est prêt, pour polluer le jeu, à voter pour des candidats de droite pour empêcher la gauche d'obtenir ce que les électeurs ont souhaité. C'est-à-dire confier à la gauche plurielle et aux formations politiques de gauche la responsabilité principale. Il ne peut pas être question, lorsque la droite n'a pas de majorité relative dans un Conseil régional clairement établie, qu'elle présente un candidat."
RMC : jeudi 19 mars 1998
P. Lapousterle
F. Hollande
Philippe Lapousterle : Malgré tout, la campagne continue pour vous ?
François Hollande : "Oui, la campagne des cantonales."
Philippe Lapousterle : Quelle est votre réaction devant ce qui se passe dans l'opposition avec certains élus qui bravent les consignes nationales de leur parti et ouvrent des négociations avec le FN. Est-ce un tournant dans la vie politique française ?
François Hollande : "Ça peut l'être. Ce n'est pas encore fait, beaucoup doivent s'interroger, on le voit. Et les états-majors du RPR et de l'UDF, pour le moment, ont l'attitude qui convient, c'est-à-dire de dire : on ne doit pas accepter les voix du FN. Et je parle notamment pour l'élection des présidents de région demain. Mais il y a aussi les désistements aux cantonales que l'on obtient entre FN et droite et qui méritent aussi d'être sanctionnés. Je crois qu'on vit un moment important de notre vie politique où les élus du RPR et de l'UDF résistent autant qu'ils le peuvent à cette tentation du diable ou alors ils y cèdent et c'est eux qui perdront."
Philippe Lapousterle : Vous aviez mis en doute la sincérité des partis de droite dans leur affirmation qu'ils ne feraient pas d'accord avec le FN. Est-ce que les exclusions prononcées hier vous paraissent une garantie, un témoignage de sincérité ?
François Hollande : "Je n'ai jamais mis en cause leur sincérité. J'ai mis en doute leur détermination. Je crois que M. Séguin, M. Léotard ne veulent pas d'une alliance avec le FN. Maintenant, sur les moyens à mettre en œuvre, ils sont quelquefois hésitants parce qu'exclure un homme ou une femme du RPR ou de l'UDF parce qu'il est prêt à faire alliance avec le FN, c'est une chose, mais il faut aller plus loin. Il faut dire à ceux qui ont été élus comme RPR et comme UDF dans les conseils régionaux et qui ont perdu parce que les électeurs n'ont pas voulu leur donner de majorité relative : vous devez absolument admettre votre défaite, laisser la gauche se présenter seule à la présidence du conseil régional et lui permettre de l'emporter ; pour que le FN n'ait aucune prise dans l'élection." :
Philippe Lapousterle : C'est ce que vous demandez encore ce matin ?
François Hollande : "Jusqu'à présent, il y a encore beaucoup d'hésitation aussi parce qu'ils doutent, et je me mets, si c'est possible, à leur place, de la détermination de leurs propres troupes. Et c'est ça qui est très grave. Je ne voudrais pas faire de polémique politicienne. Je crois qu'en ce moment le problème pour le RPR et pour l'UDF, c'est la maîtrise, non pas de leur base électorale, parce qu'elle ne veut pas d'alliance avec le FN, mais de leurs cadres, de leurs notables, de leurs élus qui, parce qu'ils ont des places, des pouvoirs à garder, sont prêts à aller avec le FN."
Philippe Lapousterle : Vous pensez que la fronde actuelle de certains élus de l'opposition, c'est uniquement pour conserver des places ?
François Hollande : "Je crois que c'est une porosité intellectuelle. M. Peyrat était au FN il y a quelques années ; il a été accepté au RPR, en fait il pense comme le FN. Beaucoup d'élus du RPR et de l'UDF n'ont pas de différence idéologique quelquefois avec le FN même si certaines déclarations de J.-M. Le Pen peuvent les choquer et qu'ils ne les feraient pas. Mais je crois qu'il y a eu ce mouvement intellectuel, si l'on peut dire, en tout cas de déviation intellectuelle ; et puis il y a aussi cette tentation des places. Parce que, ce qui est en cause demain, pour les élections du Conseil régional, c'est bien de garder la maîtrise d'un conseil régional alors qu'on a perdu les élections, et de le faire avec le FN. Il faut bien se rendre compte que ce qui serait donné symboliquement au FN dans cette affaire, demain, serait le premier pas d'une alliance plus durable avec le FN, y compris au plan de la majorité nationale et, demain, du Gouvernement."
Philippe Lapousterle : A 24 heures de ces élections, vous craignez que les voix soient mêlées ?
François Hollande : "On sait qu'il y a des contacts, des réunions même quelquefois, que la tentation est très forte. Il faut dire, surtout à ceux qui ont eu ou ont encore des responsabilités, à Bordeaux, à Amiens, à Toulouse, partout : attention, vous êtes des hommes responsables, vous avez une image, un passé mais faites attention de ne pas avoir d'avenir."
Philippe Lapousterle : Vous avez cité hier le Président de la République qui n'a jamais caché son hostilité au FN. Voudriez-vous qu'il intervienne dans ce débat ?
François Hollande : "Ce n'est pas à moi de le dire. Il y a des formes qui n'ont pas besoin d'être rendues publiques. Mais je crois qu'il a suffisamment d'autorité dans son camp. J. Chirac était il y a peu, le président du RPR. Il a aujourd'hui une fonction qui peut lui permettre peut-être de ramener l'autorité qui pour l'instant n'arrive pas à être établie."
Philippe Lapousterle : Pensez-vous qu'il y aura des conséquences politiques très graves ?
François Hollande : "D'abord, beaucoup de Français seraient choqués qu'il puisse y avoir confusion des voix entre les élus républicains, ou qui l'étaient, et l'extrême droite. Et deuxièmement, ils seraient également froissés de voir que ce qu'ils ont voulu exprimer dans les urnes ait été à ce point bafoué. C'est-à-dire que la gauche, qui normalement pourrait gagner, devrait gagner la présidence d'une région, la perdrait parce qu'il y aurait cette compromission honteuse. Et puis enfin, je crois que beaucoup seraient inquiets parce que ça préfigurerait d'autres franchissements de ligne. Car on ne voit pas pourquoi ce qui est possible au moment des élections cantonales avec des désistements, ou au moment d'un choix d'un président de région, cette alliance entre la droite et l'extrême droite, ne le serait pas à un moment beaucoup plus sensible pour notre vie politique, c'est-à-dire le choix d'un gouvernement, d'une majorité nationale."
Philippe Lapousterle : Cela dit, ça s'est déjà fait en 1986 ?
François Hollande : "Oui mais on ne savait peut-être pas - je ne veux pas excuser ceux qui l'ont fait -, certains pouvaient dire : je ne savais pas ce qu'était le FN, je pensais qu'il ne durerait pas comme force politique, je pensais même le faire éclater. Chacun sait aujourd'hui où en est le FN et quel est son discours."
Philippe Lapousterle : Quand M. Séguin estime que certaines personnalités socialistes ont, à un moment donné, il y a quelques années, favorisé le FN pour qu'il existe en tant que force politique, est-ce qu'il a tout à fait tort ?
François Hollande : "C'est un procès qui a été fait plusieurs fois par la droite et qui est injuste parce qu'il n'a pas de sens. Jamais la gauche n'a favorisé en quoi que ce soit le FN. Laisser penser même qu'il ait pu en profiter, comme c'est souvent exprimé par la droite, ça revient à exonérer ceux qui voudraient justement faire une alliance avec le FN, puisqu'on laisse supposer que la: gauche pourrait être la gagnante de ce processus. Nous n'avons jamais souhaité ce processus. Nous pourrions dire que ce processus d'alliance va dans notre sens puisqu'ils vont se déconsidérer et ce sera la gauche qui en sera la bénéficiaire. Non, pas de calcul, pas de préjugés, pas de prétextes. Je crois qu'il faut essayer d'éviter quand on est un responsable de droite justement de faire confusion. Il reste finalement 24 heures, il faut faire tout pour la clarté."
Philippe Lapousterle : Vous avez essuyé un reproche de la part de M. Gremetz qui a été choqué que vous ayez vous-même, au PS, désigné les candidats communistes en Picardie.
François Hollande : "Déjà, M. Gremetz en tant que communiste devrait être assez satisfait que, alors que nous pourrions revendiquer cette région - nous avons plus d'élus socialistes que communistes pour la région Picardie - nous acceptions, parce que je crois que c'est un bon principe, de partager les fruits de la victoire et de laisser cette région à la direction communiste bien sûr avec une majorité de gauche plurielle. Alors maintenant, nous avions fait cette proposition parce que c'était une femme. S'ils en veulent une autre ou un autre, libre à eux. Nous, nous voulons surtout donner l'image que la gauche plurielle a gagné ensemble ; elle doit, dans les régions comme dans le pays, gouverner ensemble."
Philippe Lapousterle : Ça n'a pas été le cas dans le Nord quand même ?
François Hollande : "Non parce que là il y avait eu deux listes séparées et que visiblement la liste des Verts n'avaient pas convaincu autant que la liste socialiste et communiste."
Paris Normandie le jeudi 19 mars 1998
Paris Normandie : Vous fustigez la tentation des alliances entre certains hommes de droite et le Front national. Votre soupçon concerne-t-il la Haute Normandie?
François Hollande : « Si Antoine Rufenacht ne veut pas faire alliance avec le Front National, tant mieux ! Mais alors qu'il ne présente pas sa candidature. Pas plus qu'une autre venant du RPR ou de l'UDF. On sera alors sûr qu'il n'y a aucun compromis, et qu'Alain Le Vern sera le président de cette région comme les électeurs l'ont voulu en lui : confiant la majorité relative. Le plus tôt sera le mieux, car il est encore temps de faire les choses dans la clarté, dans la transparence... »
Paris Normandie : De votre côté, la question des alliances se pose aussi d'une part avec les Verts, qui ont fait liste à part dans la région -et ne partagent pas vos idées sur le nucléaire, sujet important et Seine-Maritime, d'autre part avec l'extrême gauche....
François Hollande : « Nous appartenons - Verts; communistes, radicaux et socialistes - à une majorité, à un gouvernement pluriel. Sur quelques questions - comme le nucléaire, puisque vous en parlez, - tous les ministres n'ont pas la même idée, les mêmes choix. Et des décisions sont néanmoins prises ! Cela veut bien dire qu'il faut en discuter, accepter le point de vue majoritaire, respecter le minoritaire et trouver l'intérêt général. Je ne doute pas que ce qui existe au plan national avec Lionel Jospin existera demain au plan régional avec Alain Le Vern qui arbitrera. Les différentes composantes feront tour à tour prévaloir leur point de vue... . Quant à l'extrême gauche dans votre région, elle a toujours été dynamique. Lutte Ouvrière est implantée dans les entreprises, possède une tradition électorale. Mais je ne veux pas croire que ce groupe d'extrême gauche puisse ne pas être à gauche. Qu'il puisse nous renvoyer les uns et les autres dos à dos. Ou alors je ne comprends rien à la géographie politique ! Je suis persuadé que Lutte Ouvrière saura préférer choisir ceux qui défendent les ouvriers... »
Paris Normandie : Vous espérez contrôler combien de Régions au terme de l'élection des présidents ?
François Hollande : « On en a gagné onze, à la majorité relative. Il faudrait quand même qu'on en retrouve onze. Mais tout est à craindre. Si je ne mets pas en cause la sincérité des dirigeants de I'UDF et du RPR, je mets davantage en cause leur capacité à pouvoir empêcher le pire. C'est un problème de méthode : en laissant des candidats battus se présenter, sans majorité relative, ils laissent une très grave dérive s'installer. La droite se met de cette façon en danger elle-même... »
Paris Normandie : Le faible taux de participation à ces deux élections pose à nous veau la question de la légitimité démocratique des collectivités décentralisées et de leurs exécutifs. Ou situez-vous la responsabilité des politiques dans ce désintérêt des électeurs ?
François Hollande : « Sans la dissolution de l'Assemblée nationale décidée par Chirac, les régionales et les législatives auraient eu lieu en même temps. La déconnexion des deux scrutins a fait que beaucoup de Français ont considéré qu'ils avaient déjà voté... Mais pour améliorer la participation, nous devons aussi nous attacher à mieux identifier la responsabilité des collectivités : qu'est-ce que la Région ? Le Département ? Comment peuvent-ils l'un et l'autre modifier la vie quotidienne ? Troisièmement, le : corps électoral ne trouve sans doute pas de clarté et de lisibilité dans les modes de scrutin... Le PS voulait ce changement, mais nous n'avons pas eu le temps de le faire. Cette année, il ne faut plus attendre : nous devons changer le mode de scrutin des régionales et aussi adapter la structure cantonale à la réalité des agglomérations. Il faudra également réfléchir aux sénatoriales, parce que tout cela repose sur des réalités politiques qui ont beaucoup changé, et aussi ramener la durée de tous les mandats à cinq ou six ans... »
L'évènement du jeudi le 19 mars 1998
L'évènement du jeudi : Environ 60% des Français ont adressé et à la droite et à la gauche de gouvernement un énorme bras d'honneur à l'occasion de ces régionales. Que leur répondez-vous ?
François Hollande : Il n'est pas acceptable de confondre les abstentionnistes, les électeurs du Front national et les votes d'extrême gauche. Oser une telle équivalence me parait choquant à l'égard d'un certain nombre de citoyens qui n'ont pas été mobilisés par l'enjeu parce qu'ils l'estiment, à tort, sans signification, infamant à l'égard des électeurs de gauche, qui ont exprimé leur envie d'aller plus loin, mais qui n'ont pas, pour autant, mérité d'être identifiés à des électeurs d'extrême droite.
L'évènement du jeudi : Vous ne pouvez pas nier un mouvement de fronde à l'égard des for mations classiques ?
François Hollande : Premièrement, ces régionales et ces cantonales interviennent neuf mois après des législatives, considérées comme un scrutin majeur. Elles ont donc pu apparaître comme un rendez-vous secondaire. Il faut bien se souvenir aussi que chaque élection a sa logique propre. La présidentielle au second tour obéit à une mécanique de bipolarisation; les élections législatives, à une logique de choix de majorité; les régionales comme les européennes sont des élections à la proportionnelle qui encouragent des formes d'expression multiples. Si, demain, nous avions des élections législatives -ce que je ne souhaite pas - ou après-demain une élection présidentielle, nous ré trouverions la bipolarisation gauche-droite qui structure la vie politique française.
L'évènement du jeudi : Droite et gauche vont gouverner les Régions avec une légitimité de 40% d'inscrits. Cela ne pose-t-il pas un problème de représentativité ?
François Hollande : Bill Clinton n'a été élu que par 15 à 20% des Américains. Est ce qu'on lui dénie la légitimité de prendre des décisions sur le plan international ?
L'évènement du jeudi : Une réforme du mode de scrutin régional, n'est-elle pas désormais plus qu'urgente ?
François Hollande : Elle devrait intervenir dans l'année qui vient. Il faudrait adopter une circonscription 2 régionale et un scrutin sur le modèle municipal, c'est-à-dire la proportionnelle avec une prime majoritaire. Ce système permettra une représentation de toutes les sensibilités qui font plus de 5 ou 10% des suffrages. Il donnerait aussi l'assurance d'une stabilité dans la gestion des Régions. Nous devrions en profiter pour revoir aussi le scrutin cantonal dans les grandes villes et le mode d'élection sénatorial. On nous reproche de ne pas l'avoir fait. Mais depuis neuf mois, il y avait d'autres urgences.
L'évènement du jeudi : Que dites-vous aux élus de droite qui comptent conserver leur Région par un accord subreptice ou avoué avec le FN ?
François Hollande : Je dis que c'est un piège mortel. L'extrême droite sera la grande bénéficiaire de ces petits arrangements. Ils aboutiraient, à terme, à des désistements de la droite en faveur du FN. Si la droite cède à la tentation d'accords, nous y perdrons des Régions, mais elle y perdra son honneur, son identité et son avenir... C'est beaucoup!
L'évènement du jeudi : Si, demain, elle succombe à la tentation d'accords, pensez-vous la gauche capable, à elle seule d'opposer une digue au FN?
François Hollande : Il ne faut pas exagérer l'importance de l'extrême droite. 15%: le score qu'elle obtient aujourd'hui n'a pas empêché la droite en 1992 et 1993 de gagner des élections. Cela n'a pas empêché Jacques Chirac en 1995 de devenir président de la République. La présence de l'extrême droite n'interdit pas à la droite d'être une force d'alternance.
L'évènement du jeudi : Deux images ont marqué ce scrutin : l'évacuation de sans-papiers par la police dans une église parisienne et l'occupation du siège de campagne du PS par des chômeurs. Le sort des exclus ne laisse-t-il pas la gauche trop indifférente?
François Hollande : Dès lors qu'un gouvernement fait le maximum pour agir contre la précarité à travers son projet contre l'exclusion, ou par des régularisations. Il ne faut pas exagérer l'importance de l'extrême droite. » De personnes sans papiers, un certain nombre d'occupation ne se justifient guère. Mais le dialogue avec tous reste notre méthode.
L'évènement du jeudi : Pourquoi le gouvernement donne-t-il l'impression tenace d’œuvrer d'abord pour les inclus, et d'abord pour les classes moyennes?
François Hollande : La gauche d'aujourd'hui n'est plus celle de la fin des années 80. Les emplois-jeunes, la réduction du temps de travail, le soutien de la consommation, les augmentations des allocations, du Smic, la volonté de lutter contre l'exclusion, le droit au logement, le droit à la santé pour tous: ces me sures montrent assez que nous prenons en compte la situation des plus démunis dans notre pays. Non pour les assister, même si c'est parfois une nécessité, mais pour les remettre dans une démarche de retour vers l'emploi.
L'évènement du jeudi : Pourquoi n'allez-vous pas plus loin dans vos efforts de redistribution?
François Hollande : Il faut d'abord tenir notre rythme, dicté par l'exigence de l'emploi. Ralentir, ce serait renoncer à respecter la totalité de nos engagements. Vouloir aller plus vite et plus fort risquerait de casser la reprise de la croissance, au détriment de l'emploi et des plus modestes de ce pays.
L'évènement du jeudi : Lorsque Renault s'apprête à licencier plusieurs milliers de salariés, alors que ses résultats sont florissants, vous ne dites rien?
François Hollande : Quand Renault demande des fonds publics pour financer des préretraites, il faut que l'Etat lui fasse comprendre qu'il vaudrait mieux envisager une réduction du temps de travail. Et que les aides publiques seront conditionnées à cet engagement.
L'évènement du jeudi : Lionel Jospin n'est-il pas en train de faire adhérer les Français à une Europe libérale en les abreuvant, par ailleurs, d'un discours de défense et d'illustration du modèle républicain?
François Hollande : Lionel Jospin montre qu'on peut être européen et redistributeur. L'Europe n'est plus idéalisée, elle n'est pas non plus diabolisée. Elle doit être notre espace politique, diplomatique, sans pour autant nous priver de l'exercice de nos responsabilités en France. Jospin réussit à réconcilier l'Europe et la nation.
Europe 1 le vendredi 20 mars 1998
François Hollande : "C'est vrai que nous sommes extrêmement inquiets parce que, malgré les appels au civisme et à la responsabilité qu'ont lancés hier aussi bien le Premier ministre d'abord, puis le Président de la République ensuite et qui avaient été repris voire anticipés par les dirigeants de la droite RPR-UDF, semblent ne pas être totalement entendus. M. Blanc, qui avait été investi par M. Séguin et M. Léotard dans la région Languedoc-Roussillon, avoue maintenant tout crânement qu'il prendra les voix d'où qu'elles viennent. Et moi je ne voudrais pas simplement dire que nous protestons parce que nous risquons de perdre des régions, c'est fâcheux, c'est grave, c'est scandaleux, mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel c'est que la droite, ou une partie d'entre elle, au plan local, au plan régional, voire au plan cantonal parce qu'on sait qu'il y a des accords de désistement, est prête à s'allier avec l'extrême droite. Et ça, ça dépasse la gauche, la droite ; ça a une portée bien plus grande sur l'ensemble de l'avenir de nos institutions, sur la République et sur l'image de la France. Quelle serait cette image de la France, terre des droits de l'homme, si on apprend que dans beaucoup de régions françaises, droite et extrême droite ont fait leur affaire ensemble."
TF1 le vendredi 20 mars 1998
Claire Chazal : N. Sarkozy parlait "de sel sur la plaie" et je dirais de "dramatisation excessive opérée par L. Jospin hier."
François Hollande : "Cette dramatisation était nécessaire, quand on voit ce qui se produit aujourd'hui. C'est un événement exceptionnellement grave qui s'est déroulé dans les conseils régionaux. En effet, le suffrage universel a été bafoué. Dans cinq régions, les élus conseillers régionaux RPR-UDF, ont préféré s'allier avec le Front national plutôt que d'accepter le verdict des urnes. La gauche a été, en définitive, privée de sa victoire ; mais ce n'est pas ça le plus grave. Je veux dire que ce n'est pas le fait que la gauche ait été volée car elle l'a été, privée de sa victoire, car elle l'a été ; c'est que, en définitive, cette droite RPR-UDF dans cinq régions et peut-être dans quatre autres, puisque le scrutin a été reporté à lundi dans quatre grandes régions, notamment l’Île-de-France et PACA, eh bien cette droite RPR-UDF - les élus, conseillers régionaux de ces assemblées-là -, aient préféré faire un contrat, car il s'agit bien d'un contrat, avec le Front national. Ce qui' m'inquiète, au-delà des polémiques politiques qui ne m'intéressent pas, ce qui m'inquiète, au-delà même de ce vol de conseils régionaux que la gauche avait gagnés, démocratiquement, c'est qui m'inquiète c'est qu'une alliance en bonne et due forme ait préfiguré aujourd'hui, entre une partie de la droite - je ne dis pas toute la droite - mais une partie de la droite - qui va bien au-delà de l'UDF hélas - et l'extrême droite. Et que cela va peut-être avoir des conséquences très préoccupantes pour la République. Je pense qu'on ne doit avoir, comme citoyens, que la République aujourd'hui comme référence. Et savoir que, pour ces élections-là, on ait tu en définitive ce qu'on allait faire, on a caché, on le fait maintenant, on se désiste dans les élections cantonales avec le Front national et le RPR et l'UDF. Et puis demain, ça sera quoi ? Ça sera peut-être, pour des élections législatives d'autres alliances ? Moi je ne fais pas de polémique. Tant mieux si le RPR, l'UDF, essaient de mettre une digue. Mais ce que je constate ce soir, c'est que la digue principale a sauté et qu'aujourd'hui, c'est un fleuve qui se répand. Et je ne sais pas jusqu'où il ira. C'est pourquoi, tous les républicains, vraiment d'où qu'ils viennent - de la gauche, de la droite -, doivent être ce soir très émus, parce que c'est la démocratie qui a perdu. Je crains que ce soit l'extrême droite, l'extrême droite, raciste et xénophobe qui l'ait emporté, à cause de ces élus RPR-UDF qui n'ont pas compris quel était l'enjeu véritable du scrutin."
Claire Chazal :Ne pouvait-on pas éviter cette situation d'implosion ou d'explosion de la vie politique, en modifiant tout simplement le mode de scrutin ?
François Hollande : "Oui, la droite d'ailleurs avait hésité pendant quatre ans à le faire. Nous, il nous est apparu, quand nous sommes arrivés aux responsabilités, au mois de juin, que nous ne pouvions le faire à quelques mois du scrutin que si toutes les formations politiques étaient d'accord. J'ai consulté moi-même l'ensemble des acteurs politiques, je leur ai demandé : peut-on changer le mode de scrutin et être ensemble cohérents, c'est-à-dire ne pas se diviser là-dessus, parce qu'on ne change pas une règle du jeu quelques mois avant un scrutin. La droite ne l'a pas voulu ; une partie de nos partenaires non plus d'ailleurs ; c'était trop tard. Alors, on est allés avec ce mode de scrutin. Mais ce n'est pas un mode de scrutin qui arrête une alliance. Cette alliance, on le voit, elle se fait dans un contexte régional, dans cinq contextes régionaux, peut-être davantage, on le saura lundi. Mais elle se fait aussi dans les élections cantonales. On voit bien qu'il y a des accords de désistement. Et puis il y a des élus du RPR et de l'UDF du Sud de la France qui disent : il faut faire alliance avec le Front national. C'est ça qui se produit sous nos yeux. Et je le dis, je ne déplore pas ici des conseils régionaux perdus par la gauche - ce serait pourtant tout à fait mon droit et le droit de toute la gauche plurielle. Ce que je défends, c'est quand même l'image de notre République à l'extérieur. Et c'est pour ça que je pense que le Premier ministre a eu raison, hier, déjà, de mettre en garde. Et je pense aussi que J. Chirac, sentant bien ce qui se passait, avait raison de demander qu'on ne "transgresse pas les limites de la République." Elles ont été, dans trop de régions françaises transgressées. Ce qu'il faut demander, c'est bien entendu que ces présidents qui ont été élus par l'extrême droite démissionnent. Il faut qu'ils démissionnent ; ils sont entachés aujourd'hui ; ils ont accepté de négocier avec l'extrême droite ; ils ont accepté leurs propositions. Et puis il faut aussi que tous ces élus - RPR-UDF - qui ont donné leurs vois avec le Front national, soient également mis au ban de leur parti. Je pense que c'est suffisamment grave aujourd'hui pour que, je l'ai dit, on ne fasse pas de polémique politique; on ne voit pas les intérêts des uns et des autres. On ne pense qu'à la République. C'est la République qui est en cause ce soir." ;
Claire Chazal :Avez-vous une réaction aux propos qui ont été tenus par R. Hue ?
François Hollande : "Oui, il faut effectivement que les républicains et les démocrates ne laissent pas ces actes impunis. R. Hue parlait de riposte, d'initiative. Je pense qu'il faudra en prendre, il faudra en discuter. Il faut que l'on obtienne la démission de ces présidents qui ont été élus dans la honte. Il faut aussi que nous ne jouions pas avec l'implosion de la droite, car on le voit bien sous nos yeux, elle est en train d'éclater. Nous, nous voulons jouer la cohérence des institutions, de notre République mais, en même temps, il faut que la droite évite les polémiques et, elle aussi, fasse ce qu'elle n'a pas fait suffisamment, c'est-à-dire remettre de l'ordre dans ses partis, remettre de l'ordre dans ses fonctionnements, car ceux qui ont fait défaut dans les votes de conseils régionaux, ce sont des anciens ministres, ce sont des parlementaires, ce sont des maires de grande ville, ce sont des élus ou des responsables de l'UDF et du RPR très importants. On ne pourra pas vivre dans cette schizophrénie où au sommet on condamne et où, non pas à la base, mais dans les conseils régionaux eux-mêmes ou dans les conseils généraux demain ou à l'Assemblée nationale ou au Sénat, après-demain, on puisse avoir des droites qui, en définitive, s'accommode d'alliances avec l'extrême droite, c'est pour ça que je crois que ce qui s'est produit aujourd'hui est, à tous les sens du terme, un moment historique. Il faut que chacun, à droite bien sûr, à gauche, mais dans le pays, au-delà des formations politiques, en prennent véritablement conscience. Dimanche il y a une élection cantonale, je pense que ce sera aussi un moyen de faire entendre cette voix."
Claire Chazal :Une dernière réaction ?
François Hollande : "Ce qu'a dit M. Mégret est très important ; c'est que ces alliances-là doivent conduire un parti comme celui de M. Mégret - xénophobe, raciste -, au gouvernement. Il a prononcé le mot car c'est de cela qu'il est en définitive question ; c'est ça le processus qui a été engagé. Quant à M. Douste-Blazy, s'il veut rester lui-même, qu'il soit vraiment lui-même et qu'il cesse de penser qu'il y a toujours des pièges. Les socialistes ne veulent pas faire de pièges à la droite. Ce qui a piégé la droite, cet après-midi, c'est la droite elle-même. Ce qui a piégé M. Douste-Blazy, c'est Monsieur Madelin, c'est Monsieur Blanc. Ils appartiennent au même parti que lui. Ce n'est pas Monsieur Jospin ou le Parti socialiste hélas ! Je voudrais qu'il sorte de cette idée fausse, qui est de penser qu'il s'est mis dans un piège qu'on aurait tendu. Ce qui a été en cause, c'est le piège que le Front national a tendu à la droite, et c'est les arnis de M. Douste-Blazy qui sont tombés dedans. Il ferait quand même mieux de s'en apercevoir."
France 3 le 20 mars 1998
François Hollande : "Il ne s'agit pas simplement pour la gauche de se plaindre parce qu'elle a été volée de plusieurs présidences de région - c'est déjà grave. Il ne s'agit pas de se dire que les électeurs n'en ont pas été informés, ce serait pourtant suffisant pour protester. Il s'agit de se dire qu'il y a une alliance droite- Front national assumée, qu'elle a eu lieu dans les conseils régionaux aujourd'hui, qu'elle se passe aussi dans certains cantons où il y a des désistements réciproques entre droite et Front national et que ce processus ne pourra plus s'arrêter si on ne le casse pas dès à présent par une protestation énorme, d'abord des citoyens, bien sûr des partis politiques, mais surtout de tous ceux qui, quelle que soit leur famille politique, sont attachés d'abord au respect du suffrage universel et à l'image de la France et de la République."
TF1 le 22 mars 1998
François Hollande : "Ce second tour des élections cantonales confirme le bon résultat que nous avions obtenu à la fois au premier tour et. au moment des élections régionales. Ça allait dans le sens d'un rééquilibrage entre la gauche et la droite sur le plan territorial. Il n'était pas normal que la gauche n'ait que deux régions sur vingt-deux. Elle aurait dû, s'il n'y avait pas eu ces alliances avec le Front national, en avoir onze ou douze. Et là, on voit bien qu'au niveau des conseils généraux, nous devrions en gagner une douzaine - davantage peut-être, on le saura ce soir assez tard. Mais d'une manière générale c'est le rééquilibrage qu'ont souhaité les électeurs. C'est d'autant plus grave qu'on assiste à ce bon succès de la gauche pour ce second tour des élections cantonales, et de voir cette même gauche privée de son résultat pour les élections régionales dans les conseils de vendredi.
Maintenant les électeurs ont parlé. Sans doute il y a eu une forme d'abstentionnisme de droite, d'électeurs républicains de droite - qui sont, à mon avis nombreux - qui n'ont pas voulu dans les régions où avaient été passées des alliances, participer de ce cautionnement-là. Et c'est bien, et je m'en félicite. Il faut aller maintenant dans la logique : si on partage l'analyse que le Front national fait un piège - qui est un piège à la droite, mais beaucoup profondément à la démocratie -, il faut qu'on essaye de s'en souvenir collectivement. La bonne méthode c'est de faire démissionner les présidents qui ont été élus avec des voix de l'extrême droite. Les résultats d'aujourd'hui les sanctionnent. Il faut qu'ils démissionnent. Deuxièmement, je crois que cela devrait dissuader tous ceux qui voudraient demain continuer à accepter les voix de l'extrême droite à le faire.
Premier résultat, la gauche l'a emporté pour ces élections : elle a gagné des sièges, la droite en a perdus. C'est une élection au scrutin majoritaire à deux tours, réplique des élections législatives du mois de juin dernier. C'est le premier enseignement du scrutin : après neuf mois d'exercice gouvernemental, les Français ont globalement confirmé leur choix des législatives dernières. On sait très bien qu'il y a une espèce de loi traditionnelle qui fait que les élections locales sont très difficiles pour le Gouvernement. Ça n'a pas été le cas. Deuxième enseignement : 13 % des électeurs pour le Front national pour ces élections cantonales. Ils ne vont avoir qu'une demi-douzaine de sièges de conseillers généraux. C'est cela le Front national ! Si on le laisse à sa place, le Front national reste un parti structurellement marginal. Ce qui ne veut pas dire que l'on ne doit pas lutter contre les causes du processus : chômage, insécurité... Si on le laisse à sa place, il n'est pas nuisible. Il ne devient nuisible que lorsqu'on commence à dialoguer avec lui. C'est ce qui s'est produit dans les conseils régionaux vendredi dernier. A ce moment, il réussit ce à quoi il ne peut pas prétendre : être un parti qui veut gouverner. Quand Monsieur Le Pen dit : nous avons obtenu vendredi dernier notre label de parti de gouvernement, c'est là qu'est le problème. Et c'est sans doute pour cela que beaucoup d'électeurs de droite ne sont pas venus voter.
Ce que les électeurs ont voulu c'est que nous continuions dans le même cap et dans la même direction. Par rapport à une situation de grand désordre avec une droite qui a explosé, avec une extrême droite qui pèse dans ses choix, il était très important que les Français confirment l'orientation de ce Gouvernement. Ce que j'espère c'est qu'on va pouvoir amplifier encore les actions en matière de lutte contre le chômage, de lutte contre l'exclusion, de lutte contre les inégalités. Nous avons quatre ans devant nous sans élections nationales majeures - il y aura les élections européennes. Il faut que ce Gouvernement puisse continuer à travailler, et que par rapport au désordre - il y a désordre dans la vie politique, il y a eu confusion, des images que nous n'aurions jamais voulu voir sur les écrans de télévision - le Gouvernement, cette majorité de gauche fait bloc, fait facteur de stabilité, fait pôle de cohérence. Face à ce désordre, il est très important que la cohérence gouvernementale soit préservée."
France 2 le lundi 23 mars 1998
Daniel Bilalian : J. Chirac, bien entendu, a étalé les fautes de chaque côté, "la fin ne justifie pas les moyens" quant à un accord avec le FN, du côté de l'opposition, de la droite. Mais en même temps : "la gauche a jeté de l'huile sur le feu", et il a un peu redit que c'était là gauche finalement, qui avait inventé le Front national.
François Hollande : "Enfin il l'a dit parce qu'il avait surtout un message à faire passer à la droite ; il était temps d'ailleurs, que le Président de la République s'essaye à faire cesser la crise que traverse la droite dans ses rapports avec l'extrême droite. Et je crois qu'il a eu des mots utiles et des mots bienvenus. En effet, en disant que "le Front national était un parti raciste et xénophobe", et en disant que certains de ses propres amis avaient sans doute perdu leur âme, il les a conduits - et je pense qu'ils en tireront les leçons -, à refuser l'alliance avec l'extrême droite. Et sans doute les cinq qui ont été élus avec les voix de l'extrême droite, à démissionner. C'était cela le message et je crois qu'il était très important à prononcer, vis-à-vis de la droite qui s'était fourvoyée avec..."
Daniel Bilalian :Et la partie de la faute sur la gauche ?
François Hollande : "C'est un débat ancien. Ce que je constate, c'est que, pour le moment, la gauche a la confiance des Français ; c'était le résultat des élections cantonales. Et je ne vois pas pourquoi le Président de la République aurait raison - et il a eu raison - de mettre en garde ses propres amis par rapport à la tentation de l'extrême droite et pourquoi le Premier ministre et la gauche auraient tort parce qu'ils demandent la même chose."
Daniel Bilalian :Un mot sur la réforme du scrutin. Réforme de scrutin au lendemain d'une élection, c'est toujours ce que l'on dit aux hommes politiques : vous auriez pu y penser avant ?
François Hollande : "Oui, bien sûr, et le chef de l’État en a d'ailleurs fait la confession : tous les responsables, et notamment ceux qui ont gouverné le pays pendant quatre ans - et il était concerné - auraient dû changer le mode de scrutin. Nous ne le pouvions : pas après les élections du mois de juin, on n’avait pas huit mois..."
Daniel Bilalian :Mais dans six ans, cela sera fait ?
François Hollande : "Je pense qu'il faut saisir l'occasion. Le Président de la République a dit "réforme du mode de scrutin", "limitation du cumul des mandats", nous y sommes favorables, "place des femmes", parité hommes-femmes dans les institutions, nous y sommes favorables, et s'il faut aller plus loin, notamment sur la durée des mandats nous pensons qu'il faut les raccourcir et les harmoniser. Eh bien pourquoi pas ? Que l'on tire de tout ce spectacle, qui était effectivement assez désagréable à regarder, une réforme positive. Nous, nous sommes prêts à jouer le jeu."
(En réponse, à P. Douste-Blazy : voir prise de parole sur France 2 20h 00. Ndlr)
Daniel Bilalian : Il reste cinq présidents de région de votre mouvement qui ont passé une alliance avec l'extrême droite.
François Hollande : "Que ceux qui n'ont pas accepté les voix du Front national méritent notre salut, c'est tout à fait normal, mais que ceux qui les ont acceptées méritent notre leçon, je le crains. Eh bien oui, il faut en tirer les leçons : il faut qu'ils démissionnent."
L'Humanité le 23 MARS 1998
Lin Guillou :Pour vous, le second tour des élections cantonales est « un succès pour la gauche »?
François Hollande : Oui, c'est vrai en nombre d'élus gagnés (plus de 300), en nombre de voix, car la gauche arrive en tête et parce qu'une dizaine, au moins, de départements passent de droite à gauche. Permettez-moi de souligner qu'il s'agit là d'un bon résultat pour l'ensemble des composantes de la gauche plurielle qui, toutes, tirent bénéfice de l'union. Il y a eu d'excellents reports à gauche, une véritable dynamique. C'est le succès d'une stratégie de rassemblement qui ne peut que renforcer le gouvernement et sa majorité.
Lin Guillou :Quelles sont selon vous les - conséquences immédiates de ce scrutin ?
François Hollande : Les leaders de la droite RPR UDF viennent d'être sanction nés. Les électeurs de veulent pas d'alliance avec l'extrême droite, ils ne veulent pas du troc que leur propose Le Pen. Les cinq présidents de région élus avec les voix du FN ont été désavoués dans leur propre région, où la gauche enregistre au second tour des élections cantonales des résultats plus amples, significatifs de l'opinion des électeurs. Comme je l'ai dit, ces cinq présidents doivent démissionner. Dans les quatre régions où les présidents restent à élire : le vote de dimanche va contribuer à empêcher le FN de polluer le jeu. Les électeurs vont retenir la droite de commettre le même forfait que vendredi dernier.
Lin Guillou :Vous parlez d'encouragement pour le gouvernement, la majorité, n'y a-t-il pas pourtant matière à réflexion ?
François Hollande : Je pense que l'action gouvernementale est confortée par ce vote de dimanche. Mais il ne s'agit pas d'un blanc-seing. Les Français souhaitent que nous gardions le cap, que nous travail lions sur la durée, mais ils ne veulent pas de pause. Ils souhaitent que le temps soit utilisé pour des réformes audacieuses en matière de lutte contre le chômage, de solidarité. Ils veulent voir continuer l'action entreprise à un rythme élevé.
Lin Guillou :L'abstention aussi massive ne pose-t-elle pas problème ?
François Hollande : Elle était effectivement forte le 15 mars. Celle du dimanche 22 est sans doute en partie due à des électeurs de droite désapprouvant les manœuvres honteuses avec le FN. Mais elle concerne aussi des électeurs de gauche. Il nous faut donc travailler à donner un sens, un espoir, une perspective. Pas seulement dans la lutte contre l'extrême droite. Il faut accompagner cette mobilisation, nécessaire, d'actions vigoureuses en matière économique. Il n'y aura de regain de civisme en France que s'il y a à nouveau espoir dans une amélioration de la vie quotidienne des Français.
L'hebdo des socialistes le 20 mars 1998
Une légitime satisfaction
Les élections régionales, comme le premier tour des élections cantonales, constituent un succès indéniable. La gauche devance une nouvelle fois la droite et, en obtenant la majorité relative dans 10 régions sur 22, elle parvient au rééquilibrage espéré. Ce bon résultat, nous le devons d'abord à la stratégie d'union de la Gauche plurielle. Il doit aussi beaucoup au pari du renouvellement, de la féminisation et du rajeunissement de nos listes. Mais il s'explique principalement par les premiers actes du gouvernement de Lionel Jospin qui a su redonner confiance au pays et espoir dans les réformes en cours. Le gouvernement sort renforcer de ce rendez-vous électoral alors que les majorités en place sont généralement sanctionnées à l'occasion des élections intermédiaires.
Cette satisfaction légitime ne doit cependant pas nous faire oublier le nombre trop important de Français qui ne sont pas venus voter. Le taux d'abstention s'explique notamment par le manque d'enjeu d'un scrutin victime de sa proximité avec les élections législatives de juin dernier, et de la complexité d'un système électoral que nous ne pouvions modifier 8 mois avant la date de la consultation, et alors qu'il n'y avait aucun consensus des formations politiques. Il nous revient donc de réformer le mode de scrutin des élections régionales et cantonales - sans oublier les sénatoriales-, de clarifier la décentralisation et de rénover la vie publique. Le projet de loi sur le cumul des mandats en est une première étape.
Mais, au moment où ces lignes sont écrites, nous ne savons pas encore si les états-majors du RPR et de l'UDF par viendront à empêcher les alliances et les compromissions de toute nature entre la droite et l'extrême droite. La sincérité des dirigeants n'est pas en cause, mais c'est l'intensité de leur détermination qui fait problème. En acceptant de laisser présenter des candidats à la présidence de région, là où la majorité relative est clairement à gauche, ils prennent le risque de tous les glissements et de toutes les dérives. La droite est soumise au supplice de Tantale, faute d'avoir établi l'étanchéité des hommes et des idées. Dans cette épreuve, elle joue sans doute son avenir mais aussi, sans qu'elle en est forcément conscience, celui de la République. Il reste à la gauche à montrer l'exemple et à espérer qu'au moins la clarté sera contagieuse.
Point de presse
« Les Français viennent de nous confirmer leur confiance »
Les résultats de l'élection de dimanche confirment ceux de l'élection de juin dans un autre contexte et une autre configuration. Un autre contexte car, depuis maintenant neuf mois, le gouvernement travaille et, bien que la majorité plurielle puisse aujourd'hui faire valoir un certain nombre de résultats, il est de coutume de parler de déception après un an d'action gouvernementale. Nous ne l'enregistrons pas aujourd'hui car il y a maintien du rapport de force politique depuis les élections législatives de juin 1997. La configuration est, elle aussi, différente car nous sommes dans le cadre d'un scrutin à la proportionnelle avec une dispersion des suffrages liée à la multiplication des listes. Il n'y a rien d'étonnant au fait que le score de la gauche plurielle soit différent de ce qu'il était en juin dernier. Mais si l'on regarde les deux blocs principaux, gauche et droite, on voit bien une avancée significative de la gauche. Lors du point de presse du lundi 9 mars (voir n°55 de l'Hebdo), nous avions donné plusieurs critères d'interprétation de ces élections régionales. Le premier de ces critères était purement électoral et consistait à savoir qui de la gauche plurielle ou de la droite républicaine arriverait en tête sur le plan national. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer que la gauche plurielle, quelles que soient les additions, a fait cinq points de mieux que la droite républicaine. La gauche plurielle a donc gagné les élections régionales. Le second critère était la progression en terme de régions. Sans qu'il soit possible de dire exactement combien de Régions nous allons pouvoir gouverner dans quelques jours, nous sommes en mesure d'en avoir une dizaine alors qu'il y a quelques heures nous n'en dirigions que deux. Parmi ces Régions, nous constatons que les deux principales que sont l’Île-de-France et la Provence-Alpes-Côte d'Azur vont basculer à gauche. Ce critère nous permet, lui aussi, de conclure que la gauche a gagné les élections régionales. La droite craignait une déroute, elle a simplement une défaite. Aujourd'hui, nous sommes encore dans une période d'incertitude tant pour les régionales que pour les cantonales.
UNE DROITE INCERTAINE DANS LA DÉFAITE
En ce qui concerne les régionales, nous avons gagné dans les urnes mais nous ne savons pas encore si nous aurons autant de présidences de régions que les résultats nous le laissent espérer. Tout dépendra du comportement de la droite. Actuellement, rien ne laisse penser que la droite va se livrer à un quelconque jeu avec le Front national. Mais tout laisse craindre que certains à droite puissent se laisser tenter localement. Pour résoudre cette contradiction, nous attendons la fermeté la plus absolue, des dirigeants de la droite dans les heures qui vont suivre. De leur détermination, de leur fermeté et capacité à faire valoir la seule règle qui avait été admise par tous avant le scrutin, va de pendre le résultat des élections régionales en termes de présidences de régions. La deuxième incertitude concerne les Élections cantonales. Dans cette élection à deux tours, la dynamique de l'union doit se retrouver. Dès ce matin, le Parti socialiste demande à tous ses candidats arrivés derrière un autre candidat de gauche, de se désister afin d'assurer la victoire de la gauche plurielle dans les départements et ainsi faire basculer le maximum de conseils généraux de la droite vers la gauche. Car, de la même manière que nous avons atteint l'objectif que nous avions fixé, à savoir le rééquilibrage de l'influence de la gauche sur le territoire en terme de régions, nous souhaitons qu'il y ait ce même rééquilibrage au niveau des conseils généraux, bien que cela prenne plus de temps car les élections cantonales ne concernent que la moitié des cantons. En définitive nous savons qui a perdu les élections : la droite. Elle a même accusé son chef principal d'avoir, par la dissolution, provoqué cette défaite. Il est donc assez facile d'identifier qui a gagné, à savoir la gauche plurielle qui est arrivée en tête des formations républicaines. En ce qui concerne l'analyse politique, ce résultat est lié à trois paramètres. Le premier est le souci qui a été le nôtre de mettre l'emploi et la solidarité au cœur de notre campagne. Le second paramètre est la stratégie de rassemblement sur des listes communes de l'ensemble des formations de la gauche et des écologistes ainsi que la volonté de rajeunissement et de renouvellement des listes et de leur féminisation. Il faut noter que sur l'ensemble des femmes élues conseillères régionales, 140 sont du Parti socialiste, 38 du Parti communiste, 15 divers gauche, 24 sont des Verts, contre 80 pour le RPR et 63 pour l'UDF. Le dernier paramètre est la confiance que portent les Français vis-à-vis de leur gouvernement après neuf mois d'action. Il faut donc garder le cap. Il ne doit y avoir ni pause ni précipitation. Les résultats des élections vont dans le sens de la poursuite de l'action engagée, c'est-à-dire changer le pays dans la durée. Nous avons été élus pour cinq ans, nous devons donc gouverner durant ces cinq années en donnant la priorité à la lutte contre le chômage et à la solidarité Les Français nous avaient élu pour cela, ils viennent de confirmer leur volonté.
Le monde le 24 mars 1998
Désormais, il existe en France cinq présidents de région dont la seule légitimité repose sur le soutien de Jean-Marie Le Pen. Et ils le savent. Certes, depuis vendredi, ils ne pouvaient ignorer qu'ils devaient leur accession à cette fonction prestigieuse non au suffrage universel mais aux voix des élus d'extrême droite qui s'étaient ajoutées à celles de leurs collègues RPR-UDF pour faire : une majorité de circonstance, parfois dès le premier tour de scrutin.
Certes, déjà savaient-ils que ce concours ne leur avait été accordé que parce que des phrases entières du programme qu'ils avaient défendu devant leur assemblée avaient été minutieuse ment recopiées sur celui du Front national. Ainsi avaient-ils accepté, pour prix de ce renfort, d'accorder un brevet de respectabilité à un parti que chacun s'accorde à décrire comme xénophobe et raciste.
Mais au lendemain de cette « élection » obtenue en accrochant le bras tendu du Front national, l'extrême droite est venue présenter au grand jour les conséquences de l'alliance conclue dans les cinq régions : la réciprocité, première étape d'un contrat général de désistement devant conduire lui-même de proche en proche à un accord de gouvernement. Le verrou a sauté et l'engrenage ne s'arrêtera plus, sauf si ce qui a été noué dans la peur panique du verdict des urnes se dénoue dans la prise de conscience du danger qui menace notre République elle-même.
Hier, les Français sous une forme ou sous une autre ont condamné à l'occasion du second tour du scrutin cantonal non seulement des manœuvres déshonorantes mais une logique politique qui pourrait faire de l'extrême droite le pivot de la recomposition des droites. Des électeurs modérés ont sanctionné par une abstention renforcée, notamment dans les régions concernées, les candidats UDF-RPR et beaucoup de conseillers généraux de gauche doivent à l'évidence leur siège au haut-le-cour provoqué par les comportements dénoncés par tous les partis républicains.
Il faut donc en tirer les leçons. Les Français sont très majoritairement opposés à tout rapprochement entre la droite et l'extrême droite. Le Front national n'est en aucune façon un parti comme les autres. Lui-même d'ailleurs n'a cessé de défendre sa singularité fondée entre autre sur la préférence nationale et l'inégalité des races. Toutes les autorités politiques et morales de ce pays ont, depuis la résurgence de l'extrême droite, tenu bon et refuse de considérer que ce parti qui ne représente que 13 à 15% de l'opinion publique - ce qui est déjà beaucoup trop - structure la vie politique française.
Dès lors, rien de ce qui vient de lui n'est acceptable et surtout pas les suffrages de ses élus. Non que ces électeurs n'aient pas à être écoutés, même si c'est d'abord un râle et même représentés dans les assemblées, c'est la vertu de la démocratie de donner la parole au vice. Mais il ne peut être admissible pour un républicain digne de ce nom de récolter le vent mauvais de l'extrême droite au risque de déclencher la tempête.
Il reste donc à ceux qui se sont lancés dans une aventure qui met en péril, au-delà de l'avenir de cinq régions, la stabilité de nos institutions et l'image de la France dans le monde à être à la hauteur de la fonction qu'ils occupent fortuitement et à présenter au plus vite leur démission pour que le calme revienne dans les esprits et dans la Cité elle-même. Il faut qu'ils partent pour que d'autres n'arrivent pas.
Ce n'est pas la gauche qui le demande. C'est l'ensemble de ceux qui par-delà les clivages naturels et profonds qui les séparent veulent arrêter une dérive, une glissade, un abandon non vers l'inconnu mais vers le trop connu. Notre République vaut bien cinq démissions.