Interviews de Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi, à RMC le 5 et "Le Journal du dimanche" le 7 juillet 1996, sur le rapport coût efficacité des aides à l'emploi.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Publication du rapport du CSERC " L'allègement des charges sociales sur les bas salaires", juin 1996

Média : Emission Forum RMC FR3 - Le Journal du Dimanche - RMC

Texte intégral

RMC : vendredi 5 juillet 1996

RMC : Les chômeurs sont plus nombreux qu'ils ne l'ont jamais été en France – on annonce en plus des plans de restructuration, y compris dans les entreprises publiques – cela fait beaucoup pour un gouvernement qui avait fait de la lutte pour l'emploi la priorité des priorités ?

A.-M. Couderc : Et je dois dire que cette priorité est toujours la nôtre, bien sûr. Et encore plus quand on est face aux résultats que nous avons. C'est vrai que les chiffres du chômage ne sont pas bons, ça n'est pas, malheureusement, une surprise puisque nous avons connu, à partir de la fin du deuxième trimestre 1995, un arrêt de la croissance et que la fin de l'année 1995 n'a pas été bonne sur le plan économique, comme vous vous en souvenez. Donc, il n'y a pas, malheureusement, de surprise. Ce que je voudrais dire, c'est que la politique que nous avons engagée maintenant depuis un an, en revanche, doit produire ses effets à moyen terme.

RMC : C'est quoi moyen terme ? C'est combien de temps ?

A.-M. Couderc : Je ne suis pas devin, et je pense que la politique que nous avons mise en oeuvre est une politique qui doit produire des effets parce qu'elle en a déjà produit pour partie. La croissance, aujourd'hui, quelle qu'elle soit, porte plus de créations d'emplois que par le passé. Quand on est dans le contexte actuel, ça ne se voit pas, mais c'est la réalité. Nous avons créé, dans l'année qui vient de s'écouler, plus d'emplois qu'il n'en avait jamais été créé précédemment, 200 000 par an. Cela veut dire que la politique de fond, la politique structurelle qui est menée en termes d'emplois porte ses fruits. C'est notamment l'allégement de charges qui, d'ailleurs, n'est dans son ensemble pas critiquée aujourd'hui, alors qu'elle l'avait été il y a quelques mois, notamment sur les bas salaires.

RMC : Mais les gens se posent une seule question : quand les entreprises, en France, embaucheront-elles plus qu'elles ne débauchent ?

A.-M. Couderc : Bien sûr. Il est évident que nous devons, et c'est notre devoir, au sein du gouvernement, assainir la situation générale et je crois que c'est ce à quoi nous nous attachons depuis maintenant un an. Parce que, pour établir une politique d'emploi, il faut, bien évidemment, mettre de l'ordre dans la maison et c'est, je crois, tout à fait ce que nous faisons depuis un an en luttant contre les déficits publics. C'est notre double défi. C'est relever ce défi de remettre de l'ordre dans la maison France en baissant les déficits publics, avec tous les efforts de réforme de fond que nous avons engagés depuis un an et, c'est par ailleurs mettre en oeuvre une politique d'emploi qui soit une politique d'emploi dynamique. Et bien évidemment, s'ajoute à ça la mobilisation de tout le monde et je pense que ce que nous nous efforçons de faire depuis un an, c'est-à-dire de demander, notamment aux entreprises, de réfléchir aux différents moyens qu'il y a avant de prendre la décision de se séparer de personnels, c'est une des choses sur lesquelles nous insistons et nous voyons bien que tous ceux qui ont recours à une réflexion sur l'aménagement du temps de travail, par exemple, peuvent, dans un certain nombre de cas, passer des périodes de crise.

RMC : Quand les entreprises embaucheront-elles plus qu'elles ne débauchent ?

A.-M. Couderc : Je pense que, d'une part, c'est un problème économique général certes, avec un contexte national mieux établi, mais c'est aussi un problème d'entreprise. Pour qu'une entreprise embauche, il faut qu'elle se situe dans son marché. Les entreprises qui se sont modernisées, qui produisent ce qui est adapté aux aspirations de ceux qui consomment, en général, se portent bien. Ce qu'il faut, c'est que nous ayons des entreprises, en France, qui soient adaptées à la consommation, qui soient adaptées à la concurrence internationale, et je crois que c'est ce à quoi elles s'appliquent les unes et les autres.

RMC : La commission parlementaire a dit que les aides à l'emploi étaient coûteuses et inefficaces ?

A.-M. Couderc : Les aides à l'emploi coûteuses et inefficaces ! C'est un raccourci, c'est quelque chose de rapide. Et je pense que ce rapport parlementaire, qui est une contribution importante du Parlement à la réflexion que nous menons, va nous permettre, dans le courant de l'été, de mieux affiner la réflexion que nous menons.

RMC : Parce que déjà qu'on n'a pas beaucoup d'argent, si ce qu'on fait coûte cher et est inefficace, c'est un problème.

A.-M. Couderc : On ne peut pas dire ça d'une manière aussi caricaturale. C'est vrai que notre effort, depuis maintenant un an, c'est d'évaluer le rapport entre le coût d'une aide et son efficacité. Mais quand on dit aide à l'emploi, on recouvre beaucoup de choses. Par exemple, je parlais tout à l'heure de l'allégement de charges : c'est vrai qu'une exonération de charges sur les bas salaires, ça a un coût, mais ça produit des effets, en termes d'emploi, à moyen terme, et on ne doit pas dire « aide à l'emploi », c'est plus une réforme de fond, c'est une réforme structurelle qui doit faire en sorte que le coût du travail peu qualifié soit moins cher en France. On a d'autres démarches qui sont aussi des démarches qu'on juge intéressantes et je crois que tout le monde en est d'accord. Ce sont des aides qui permettent aux entreprises de jouer un rôle de formateurs sur l'apprentissage, sur la formation en alternance. Là aussi, ce sont des aides qui sont efficaces puisqu'elles permettent la formation qui permet l'accès à l'emploi. Il y a quelques autres types d'aide qui sont, par exemple, des aides structurelles.

RMC : Est-ce que le contrat initiative emploi est coûteux et inefficace, par exemple ?

A.-M. Couderc : Le contrat initiative emploi rentre dans une catégorie d'aides particulières qui sont les aides à la lutte contre l'exclusion. Le contrat initiative emploi a joué, sur l'année qui vient de s'écouler, un rôle important dans la régression du chômage de longue durée. Il est cher, c'est vrai. Les réflexions qui ont été menées depuis un certain temps et qui sont notamment au coeur de ce rapport parlementaire, c'est de se dire : est-ce que le contrat initiative emploi, qui a fait preuve de son efficacité comme instrument de lutte contre l'exclusion, doit être recalibré ?

RMC : Il doit l'être ?

A.-M. Couderc : Nous allons l'examiner ensemble puisque le rapport vient d'être rendu. Nous-mêmes, nous avons maintenant, au terme d'un an, une analyse possible sur les bénéficiaires du contrat initiative emploi et ça peut nous permettre, effectivement, de prendre des décisions consistant à dire : peut-être que nous devons recentrer l'effort financier, qui est important, sur les publics les plus en difficulté. Comme nous avons pris, je vous le rappelle, la décision de l'ouvrir aux jeunes qui sont en très grande difficulté parce que ceux-là, nous savons qu'ils sont des chômeurs potentiels de longue durée.

RMC : Quand le rapport parlementaire préconise que 20 milliards d'aides à l'emploi soient redéployés, est-ce que ça veut dire qu'on va faire des économies sur les aides à l'emploi au bout du compte ou bien, est-ce que ce sera à somme égale, c'est-à-dire que tout ce qui va être économisé va être reversé ailleurs dans l'aide à l'emploi ?

A.-M. Couderc : Je pense qu'il est tout à fait prématuré de le dire et puis les sommes que vous avancez, il faudrait les regarder. Donc, le rapport parlementaire va faire l'objet d'un examen attentif par le gouvernement, je crois qu'il y a des pistes intéressantes, qui recoupent d'ailleurs un certain nombre de nos réflexions, des réflexions aussi des partenaires sociaux parce qu'il faut bien voir que, dans certaines des aides, ce sont des aides qui ont été décidées avec les partenaires sociaux, donc je ne peux pas répondre à votre question de cette manière-là, mais nous avons évidemment un certain nombre de pistes.

RMC : Un dernier point : les jeunes. Les chiffres n'ont pratiquement pas changé, il y a toujours un jeune sur quatre qui est au chômage. Quand est-ce qu'on va en finir avec cette situation qui est vraiment impossible ?

A.-M. Couderc : Nous avons mis en place, vous le savez…

RMC : Je sais bien mais ça n'a pas changé beaucoup de choses.

A.-M. Couderc : On vient de le mettre en place. Le 30 juin, nous avons mis en place, à travers l'ensemble de la France, sur toutes les régions de France, un dispositif pour que les jeunes qui sortent d'école, du circuit scolaire ou universitaire, aient le moyen d'avoir l'information, l'orientation nécessaires et l'aide. Donc, c'est un dispositif d'urgence qui, je pense, fonctionnera bien parce qu'il y a eu la volonté de tous les partenaires qui disposent de moyens pour aider un jeune à accéder à l'emploi, d'agir ensemble. Donc, c'est un dispositif, une fois de plus, d'urgence, qui permet de mieux coordonner toutes les compétences et de faire en sorte que le jeune peut s'adresser à n'importe quelle porte, il aura l'ensemble de l'information. C'est une chose. Le deuxième aspect, c'est qu'il faut qu'on continue et qu'on développe le rapprochement de la formation et de l'accès à l'emploi. On a un enseignement général qui est très bon en France, qui est de temps en temps un peu loin du marché de l'emploi. C'est un effort de fond. Vous savez qu'il y a eu les états généraux de l'université et ça nous permettra, très certainement, d'aller plus loin dans cette démarche, de la même manière que toute notre démarche d'encouragement à l'apprentissage, à l'alternance, doit nous permettre de faciliter aux jeunes l'accès à l'emploi avec une bonne formation à la base.

RMC : Courage, Mme Couderc, merci d'avoir été avec nous ce matin, mais c'est dur pour tous ceux qui n'ont pas d'emploi, alors allez vite.

A.-M. Couderc : J'ai du courage et je crois que beaucoup en ont avec moi.


Le Journal du Dimanche : 7 juillet 1996

Le Journal du Dimanche : Il y a un peu plus d'un an, Jacques Chirac était élu sur le thème de la « fracture sociale » en donnant un espoir. Aujourd'hui, le chômage atteint presque des chiffres records.

Anne-Marie Couderc : La lutte contre le chômage est et demeure toujours notre priorité. Incontestablement, nous avons subi un tassement de la croissance à partir de la fin du premier trimestre 1995 avec, malheureusement, des effets néfastes sur l'emploi.

Pourtant, certains signes nous montrent que la politique que nous menons commence à porter ses fruits : à taux de croissance égal, nous créons plus d'emplois, 200 000 contre 80 000 en moyenne lors des années précédentes. Avant, il fallait une croissance d'au moins 2,3 % pour maintenir l'emploi, aujourd'hui, nous démontrons que 1,5 % suffit. C'est le résultat d'une politique déterminée d'allégement des charges sur les bas salaires : ainsi, pour un Smic, nous avons 1 200 francs d'économie de charges sociales. Nous avons connu une époque où l'on contestait ce type de démarche. Ce n'est plus le cas semble-t-il.

Cette amélioration provient aussi de l'évolution des comportements en matière d'aménagement du temps de travail. C'est un fait : les entreprises, qui ont modifié leur organisation et réduit le temps de travail, pour sauvegarder des emplois, en créent de nouveaux quand leur situation s'améliore. Parallèlement, nous avons essayé d'encourager les particuliers à embaucher grâce au chèque emploi-service qui a permis de régulariser les situations mais aussi de créer des emplois.

Le Journal du Dimanche : Le chômage augmente et vous envisagez de supprimer des aides à l'emploi. Paradoxal ?

Anne-Marie Couderc : Pour améliorer l'emploi, il faut faire plusieurs choses : libérer les initiatives en simplifiant les procédures d'embauche, notamment pour les PME et PMI, comme l'a répété Jacques Chirac pendant sa campagne, fédérer les énergies des chefs d'entreprise et des élus et encourager l'innovation : il faut aussi assainir la situation économique et pour cela veiller à l'efficacité de la dépense publique.

Il faut donc se poser la question des 120 milliards que l'on consacre aux aides à l'emploi. Certains disent : c'est trop. Deux observations : nous devons distinguer entre familles d'aides et nous devons nous interroger aussi sur le rapport coût-efficacité.

Avec Jacques Barrot, nous avons procédé à un classement de ces aides à l'emploi : il y a des aides structurelles, conjoncturelles et ponctuelles, mais aussi une politique comme l'exclusion. Mettons à part les allégements de charges qui sont des réformes de fond. Nous avons des aides qui visent à permettre aux entreprises de remplir un rôle de formateur : ce sont des aides efficaces qui conduisent 85 % des candidats à l'emploi : d'autres sont destinées à soutenir les entreprises en difficulté. Enfin, il y a les aides spécifiques comme l'aide au premier emploi des jeunes, l'exonération des charges pour le premier salarié, etc. En ce qui concerne la lutte contre l'exclusion, on sait que le CIE est cher mais il a rempli son rôle en bloquant le chômage de longue durée.

Les contrats emploi-solidarité conduisent-ils à l'emploi ? Faut-il, au-delà de la lutte contre l'exclusion, être plus exigeant sur la formation ? Les aides à l'emploi sont-elles efficaces ? Doit-on les prolonger, les aménager, les supprimer ?

Le travail des parlementaires va nous aider à répondre à ces questions. Il complète les études commandées par le gouvernement. Chacun a son approche mais nous convergeons dans l'analyse qui privilégie l'accès le plus rapide à l'emploi sur le traitement social qui demeure indispensable.

L'intention du gouvernement n'est pas de tailler à la hache dans les aides à l'emploi pour des motifs budgétaires. C'est en revanche de simplifier ces mesures, les rendre d'accès plus aisé aux entreprises et aux salariés et les rendre plus efficaces en termes d'insertion professionnelle. Il s'agit également de basculer franchement vers une politique active de l'emploi.

Le Journal du Dimanche : Quand le gouvernement va-t-il trancher ?

Anne-Marie Couderc : Ce seront nos travaux d'été.

Le Journal du Dimanche : Après la volée de plans sociaux qui vient d'être annoncée, ne croyez-vous pas que la reprise par le PS de l'autorisation administrative de licenciement est une mesure populaire ?

Anne-Marie Couderc : Pour moi, ce n'est pas une bonne idée. On a vu en 1981-82 ce que donnait la politique socialiste. L'autorisation administrative de licenciement n'a jamais protégé un emploi. En revanche, un plan social doit avoir un contenu. L'État peut avoir des exigences : il impose la prise en compte de la dimension humaine et sociale de la situation, en contrepartie d'une aide financière qui soutient l'entreprise dans une période difficile.