Texte intégral
Entretien avec la presse française (New York, 23 septembre 1996)
Mesdames, Messieurs, bonjour.
On se retrouve comme chaque année. Nous avons pris un an de plus mais vous ne les faites pas ! Alors, nous voilà donc partis pour cette semaine traditionnelle de l’ouverture de l’assemblée générale de l’ONU.
Cette année n'est pas marquée par des grands débats, des grandes discussions. Pourtant, elle sera importante, ne serait-ce que parce qu'il y aura l'ouverture des signatures du CTBT demain matin. La France sera la troisième, je crois, signature apposée au bas de ce traité pour lequel, vous savez, nous avons fait beaucoup d'efforts.
Je vous rappelle que, l'année dernière à pareille époque, nous étions un peu sur la sellette à cause de la reprise momentanée de nos essais nucléaires. Je ne cessais d'ailleurs de répéter à toute occasion, je l'ai certainement fait devant vous, qu'en réalité la communauté internationale ne mesurait pas que nous avions annoncé, en même temps, deux décisions : seule l'une retenait l'attention alors qu'en réalité celle qui était fondamentale, c'était l'autre. L'autre, c'est-à-dire la décision française de fermer le site de Mururoa et d'arrêter tous les essais définitivement.
Depuis le printemps dernier, on s'aperçoit que la décision française a été suivie d'effet. Qu'elle a été très importante, qu'elle a placé la France dans le peloton de tête de cette négociation, où nous avons beaucoup pesé. Je vous rappelle que nous sommes aujourd'hui la seule puissance nucléaire à avoir fermé son centre d'essais. La seule. Car, si les Cinq ont bien signé, nous sommes les seuls à avoir annoncé la fermeture de notre centre, ayant en quelque sorte coupé les voies de la retraite. Nous avons pris la décision d'aller jusqu'au bout de notre position et de notre engagement, marquant ainsi notre détermination plus ferme que toute autre.
Deuxièmement, comme vous le savez, c'est à la France que l'on doit la proposition de ce qu'il est convenu d'appeler l'option zéro. C'est-à-dire la proposition d'interdire tous les essais nucléaires. Cette proposition a été clarificatrice quand elle est arrivée, je crois que c'était le 10 août 1995.
L'option zéro a une très grande importance parce qu'elle signifie que les puissances nucléaires ne pourront plus désormais faire autre chose que de maintenir et de garantir la fiabilité de leurs armes grâce aux moyens de la simulation. Mais il leur sera difficile, pour ne pas dire impossible, de développer de nouveaux systèmes d'armes. C'est donc un coup d'arrêt majeur à la course aux armements nucléaires. De ce point de vue, c'est un événement historique, probablement une des décisions et un des traites en matière de désarmement les plus importants, pas le seul, mais l'un des plus importants.
La France a joué un rôle très important, très actif à toutes les étapes, et notamment dans la négociation, c'est pourquoi j'ai souhaité que notre ambassadeur, Mme Bourgois, qui a poursuivi cette négociation soit ici pour qu'elle puisse, le cas échéant, répondre à toutes vos questions techniques.
Le monde actuel est marqué par des préoccupations nouvelles et l'ONU devient plus que jamais le grand centre où s'expriment les préoccupations, les ambitions, les inquiétudes, les démarches de la communauté internationale.
Nous sommes dans un monde nouveau. Le monde de l'affrontement Est-Ouest qui a marqué notre histoire des quarante ou cinquante dernières années est terminé. Il est définitivement terminé. Et du coup, dans ce monde nouveau où se développent et émergent des nouvelles puissances, où la Chine a désormais l’ambition de prendre toute sa place dans la communauté internationale, dans ce monde-là, dans ce monde nouveau, le rôle de l'ONU plus que jamais devient décisif pour le progrès de la communauté internationale. C'est dire que la France attache une grande importance à l'ONU, qu'elle considère que c'est un lieu central de la diplomatie internationale et, pour la diplomatie française, un des enjeux majeurs. C'est ici même que nous souhaitons marquer plus que dans tout autre endroit la présence, la dynamique, la vitalité de notre pays.
Il y a des grands débats d’aujourd’hui auxquels nous sommes naturellement présents et actifs. Aujourd'hui, je vous présente les préoccupations qui sont les miennes en arrivant à New York – nous nous reverrons chaque jour si vous voulez bien pour faire un point de l'actualité immédiate sur ce qui s'est passé dans la journée, ce qu'il y a de neuf. Mais je voudrais vous livrer maintenant ce que, en ce début de session, je ressens : pour cela, je vous ai parlé du CTBT, événement très important et majeur de cette semaine, et pour cela aussi que je voudrais vous livrer mes propres réflexions sur l'ONU, la place de la France et l'importance de la communauté internationale à nos yeux.
Cette communauté internationale est confrontée, me semble-t-il, à deux grandes interpellations.
La première d'entre elles concerne les nouveaux défis, la lutte contre la drogue, drame de notre temps. Nous ressentons comme un impérieux devoir de la mener sur les deux fronts, c'est-à-dire du côté de la production et du côté de la consommation. Il ne s'agit pas d'imputer aux uns la totalité de la responsabilité pour en décharger les autres. Cela nous concerne tous : les pays où il y a une production souvent clandestine, dont les efforts sont indispensables, avec notre appui, et, hélas, nos pays, victimes parce que consommateurs et où la réglementation et la détermination des États doit être sans faille. Nous ne sommes pas favorables aux concepts des drogues douces. Nous l'avons montré dans les débats européens avec une certaine fermeté.
C'est vrai pour la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité. Vous savez que, après les travaux menés avec succès par le Canada à la présidence du G7 l'année dernière, nous avons à Lyon, sous la présidence et à l'initiative de la France, proposé 25 mesures pratiques pour lutter contre le terrorisme. Nous allons travaillé pendant cette semaine et pendant la période qui vient, pour convaincre le maximum de pays de rejoindre l'effort engagé par les membres du G7, ouverts naturellement à toutes propositions, mais désireux que la communauté internationale démontre sa cohésion et sa détermination pratique.
De la même façon, évoquerons-nous les questions qui concernent l'exploitation sexuelle des enfants qui, à l'occasion de quelques drames épouvantables, est devenue (à quelque chose malheur est bon) une grande cause mondiale.
Le deuxième défi ou la deuxième préoccupation du monde d'aujourd'hui, c'est la tentation pour les uns, le refus pour les autres, de l'unilatéralisme. Vous savez de quoi je parle. Je parle principalement de la loi Helms-Burton et de la loi d'Amato, mais c'est une démarche générale. Dans le monde actuel plus solidaire, dans le monde plus équilibré, avec l'apparition progressive de puissances dites émergentes dans la communauté internationale, dans ce monde-là, il est particulièrement inacceptable qu'un pays puisse s'arroger le droit de fixer lui-même des règles contraires à celles auxquelles il a souscrit dans le cadre des organisations internationales. Cette contradiction est insupportable lorsqu'elle s'applique à des pays étrangers et à d’autres pays, mais elle n’est guère plus supportable lorsqu’elle s’applique à soi-même puisque ces règles sont valables pour soi comme pour les autres.
Donc nous aurons à parler au cours de la présente session de l'ONU des préoccupations qui sont les nôtres sur ce terrain aussi. L'ONU nous paraît, en effet, l'instance appropriée pour faire vivre la communauté internationale et pour permettre à chaque pays, à chaque peuple de faire valoir ses aspirations et prendre la place qui lui revient.
Bien sûr, c'est l'occasion pour la communauté internationale de progresser dans deux directions, d'une part dans le domaine très important qui est celui des valeurs de la communauté internationale, c'est-à-dire des droits de l'homme, mais aussi dans le domaine du désarmement dans lequel il y aura des discussions, des débats à l'ONU, sur les mines anti-personnel, sur les armements conventionnels, sur l'interdiction de la production de matières nucléaires à usage militaire ou sur des sujets qui sont les progrès de demain dans le domaine du désarmement.
Pour que l'ONU assume pleinement sa mission, dont je vous ai dit combien nous y attachions d'importance, il faut qu'elle ait l'adhésion politique mais aussi financière des États membres de la communauté internationale. C'est pourquoi la France appelle les peuples à prendre pleinement conscience du rôle clé de l'ONU dans la communauté internationale de demain. C'est pourquoi aussi nous souhaitons et nous appelons les pays à régler leurs contributions de manière pleine et entière. Mais s'il y a aujourd'hui des problèmes à l'ONU sur le plan financier, ce n'est pas principalement parce qu'elle dépenserait trop, c'est essentiellement parce que les contributions ont du retard.
Enfin, bien sûr, l'ONU, pour assumer pleinement sa mission doit sans aucun doute poursuivre et, pour ce qui nous concerne nous aimerions pouvoir dire accélérer, le processus de sa propre réforme qui intéresse d'abord les grandes instances, de très nombreuses instances, et qui intéressent aussi le Conseil de sécurité où s'expriment des responsabilités particulières et qu'il convient de maintenir.
Voilà les raisons pour lesquelles la France apporte son soutien à l'ONU et manifeste sa reconnaissance à l'égard du secrétaire général, M. Boutros Boutros-Ghali qui depuis bientôt cinq ans assume sa tâche, avec un très grand talent, beaucoup de détermination, une réelle vision du futur.
Le secrétaire général n'est pas le premier des fonctionnaires de l'ONU. C'est l'une des institutions prévues par la charte des Nations unies, avec des responsabilités spécifiques. Cette charge est lourde. La France considère que M. Boutros Boutros-Ghali assume ses fonctions au mieux.
Voilà mesdames et messieurs quelques considérations que m'inspire le trajet entre Paris et New York...
Q. : Qui allez-vous rencontrer monsieur le ministre lors de votre séjour ?
R. : Des ministres des Affaires étrangères...
Q. : Beaucoup ?
R. : Beaucoup.
Q. : Est-ce que vous avez été sollicité par votre homologue algérien ?
R. : Oui, je le rencontrerai, bien sûr.
Q. : Vous pouvez dire quand ?
Q. : Qu'en est-il de cette histoire de protocole financier ? Il paraît que vous voulez couper les vivres ?
R. : Non. Ce que j'ai vu dans la presse, c'est bien intéressant mais ce sont des informations de presse. Ce ne sont pas des réalités. N'essayez pas, M. Bollaert, c'est déjà assez compliqué.
Q. : Est-ce que vous avez quand même discuté avec les Américains de l'élection de Boutros-Ghali ?
R. : Franchement, je pense que c'est prématuré. Nous avons toujours pensé qu'il serait malheureux de brouiller l'exercice du mandat avant son terme : la question de la désignation du secrétaire général des Nations unies se posera à la fin de l'année, il n'y a pas d'urgence.
Q. : Vous lui manifestez votre reconnaissance et non pas votre confiance ?
R. : La confiance que la France éprouve à l'égard de M. Boutros-Ghali n'est pas un sujet de discussion. Elle est entière. Elle est entière parce que c'est un bon secrétaire général. Il assume très bien les missions qui sont les siennes, avec autorité...
Q. : Vous êtes prêt à aller jusqu'au clash avec les États-Unis ?
R. : Encore une fois, je souhaite surtout que, dans cette période, nous laissions l'ONU fonctionner et le secrétaire général accomplir sa mission. Quand la discussion viendra, elle viendra selon les procédures habituelles et chacun pourra s'exprimer. Je crois personnellement que c'était une erreur de vouloir précipiter le mandat et que battre la semelle des couloirs de l'assemblée de l'ONU dans un océan de critiques ad hominem, en serait une aussi.
Q. : Si M. Christopher vous en parle ?
R. : Je crois vous en avoir dit assez pour aujourd'hui.
Q. : Sur les autres réformes des Nations unies, est-ce que vous êtes favorable à une restructuration et une réduction du nombre de départements ramenés de huit à cinq avec un éventuel « super département » du développement ?
R. : Vous savez qu'il y a des propositions qui ont été faites par le G7. Ces propositions ont été élaborées à Lyon sous la présidence française, à partir d'idées françaises. Elles ont été acceptées par l'ensemble de nos partenaires, ce sont donc les positions de la France : simplification, économie, lutte contre les doubles emplois, tout cela est excellent. À une condition : c'est que les économies ainsi faites se dirigent vers le développement.
Q. : Concernant les essais nucléaires, que pensez-vous de la position d'un pays comme l'Inde qui considère que les nouvelles règles du jeu permettront à un club de privilégiés de poursuivre le développement et le maintien en forme de leur armement ?
R. : Comme vous le savez, la principale difficulté dans cette négociation, en effet, est venue des réserves exprimées par le gouvernement indien qu'il faudra essayer de prendre en considération. Mon sentiment, c'est que, arrivé à ce stade, la meilleure solution sera d'aborder les questions de sécurité sous l'angle régional. Autrement dit, la démarche française n'est pas une démarche de compréhension. Notre souhait c'est que les Indiens puissent trouver les réponses appropriées aux questions de sécurité qui les concernent et que ces réponses soient telles qu'ils puissent, le moment venu, rejoindre les signataires de ce traité.
Q. : Monsieur le ministre, sur le plan du terrorisme, comment vous allez aborder cette semaine ?
R. : Comme vous le savez, je l'ai rappelé tout à l'heure, à l'occasion du sommet de Lyon, les chefs d'État et de gouvernement du G7 et de la Russie ont adopté le principe d'un plan d'action. Nous nous sommes réunis ensuite au niveau ministériel avec les ministres des Affaires étrangères et les ministres de la Défense, et avec les ministres de l'Intérieur des huit pays à Paris, le 30 juillet. Nous avons adopté un ensemble de 25 mesures concrètes, et désormais la démarche de la France sera de faire en sorte que le plus grand nombre de pays nous rejoignent dans cet effort. Si en effet les pays du G7 ont une responsabilité particulière qu'ils sont prêts à assumer, ils en ont apporté la preuve, il faut pour autant que la communauté internationale tout entière se mobilise. Nous avons dans ces débats mis l'accent sur deux aspects particuliers que je voudrais évoquer devant vous : d'abord, la question du contrôle des flux financiers qui soutiennent le terrorisme ; ensuite, la question qui relève des moyens modernes de communication et, en particulier, les risques qui sont liés au réseau Internet dans ce domaine. Tous ces efforts doivent maintenant passer aux actes et ces questions sont posées à chacun d'entre nous en particulier, les membres du G7 en particulier. Nous allons poursuivre nos efforts au sein de l'ONU pendant les semaines et les mois qui viennent, avec pour objectif d'entraîner le plus grand nombre de pays à agir dans le sens proposé par les États du G7. Je répète, si un pays a des propositions supplémentaires à faire, je serai évidemment très ouvert. Ce n'est pas une démarche d'imposition, c'est une démarche d'entraînement.
Q. : Sur l'Iraq, monsieur le ministre, la résolution 986 est bloquée pour l'instant, est-ce que vous entendez évoquer cela à la fois avec le secrétaire général et avec M. Christopher ?
R. : Certainement. Pour l'instant, en Iraq, la principale préoccupation consiste à sortir de la crise que nous avons connue récemment. Donc les efforts des uns et des autres doivent tendre à faire baisser la tension et à rétablir une situation dépourvue de menaces. Dans cette perspective, la France maintient avec la même force l'intérêt qu'elle porte à l’application de la résolution 986 qui est d'une très grande importance parce qu'il s'agit de la situation matérielle des populations iraquiennes, dont on persiste à penser qu'elles ne doivent pas subir les conséquences de l'embargo.
Q. : Monsieur le ministre, quels sont nos rapports ou nos problèmes avec l'Algérie ?
R. : Nos rapports sont normaux et les problèmes n'existent pas. Nous n'avons pas de problèmes avec l'Algérie. Comme il se doit avec nos voisins, nous avons des questions dont nous discutons mais nous n'avons pas de problèmes. Il n'y a pas de difficultés franco-algériennes. Non, je le maintiens. Il ne vous a pas échappé que je suis allé en Algérie, précisément pour rétablir des rapports cordiaux et étroits avec l'Algérie.
Q. : Est-ce qu'il y a une rencontre qui est prévue du groupe de contact, avant ce qui est prévu à Paris bien entendu ?
R. : Oui, il y a une réunion du groupe de contact. Voilà mesdames et messieurs.
Entretien avec les radios françaises (New York, 23 septembre 1996)
Q. : 44 pays devraient ratifier, ou sont appelés à ratifier ce traité (CTBT) pour qu'il entre en vigueur. Vous dites que la France est le seul pays qui annonce la fermeture de ses sites, est-ce que cela veut dire que vous souhaiteriez que d'autres en fassent autant ?
R. : Je crois que c’est logique en effet. Dès lors que les cinq puissances nucléaires renoncent à leurs essais. Nous, en tout cas, nous sommes allés jusqu’au bout de cette logique. Nous avons donc annoncé la fermeture du centre d’essais nucléaires de Mururoa, la fermeture définitive, et cela, je crois, a une grande importance. Je pense que cette question sera forcément posée à nos partenaires les uns après les autres.
Q. : Vous souhaitez que les États-Unis annoncent l’arrêt ou la fermeture de certains centres ?
R. : Chaque pays prendra sa décision naturellement librement. Je voudrais quand même attirer votre attention sur ce traité qui a une très grande importance. Parce que désormais les puissances nucléaires ne pourront plus mettre au point, concevoir, développer de nouveaux systèmes d'armes nucléaires. C'est donc vraiment un coup d'arrêt dans la course aux armements nucléaires et c'est donc un événement d'une très grande importance, un événement historique.
Q. : On a parlé après le traité, de coopération étendue entre les États-Unis et la France en matière de simulation, de données, qu'en est-il exactement ?
R. : Je crois que ce que vos auditeurs doivent savoir, c'est qu'en effet ce qui restera techniquement possible après le traité, c'est non pas les essais nucléaires, mais l'exercice de simulation qui demande un haut degré de capacités technologiques et qui aura pour objet et d'ailleurs pour seul effet de permettre de garantir et de maintenir la fiabilité des armes. Dans cet effort, la perspective de coopération entre les pays concernés est ouverte et n'est pas pour l'instant à l'ordre du jour.
Q. : Monsieur le ministre, les Américains se sont prononcés la semaine dernière très clairement contre le renouvellement de M. Boutros-Ghali au poste de secrétaire général des Nations unies, quelle est aujourd'hui la position de la France à ce sujet ?
R. : La France se garde de toute prise de position péremptoire. Vous savez que nous apprécions le travail très remarquable qu'accomplit M. Boutros Boutros-Ghali dans ses fonctions de secrétaire général des Nations unies depuis cinq ans. À la fin de l'année, il faudra désigner le secrétaire général qui aura ces fonctions à assumer pour les cinq années à venir. Je crois que plus tard on engagera ce débat et moins il y aura d'oukases, d'où qu'ils viennent, et plus la communauté internationale pourra se retrouver et poursuivre son action dans les domaines qui sont le maintien de la paix, le développement des droits de l'homme, le règlement des conflits... C'est le métier de l'ONU. C'est la responsabilité du secrétaire général. Entourons-le de notre considération. La France, en tout cas, appuie et soutient l'action de M. Boutros-Ghali.
Entretien avec les radios françaises (New York, 24 septembre 1996)
Q. : Monsieur le ministre, quelle est aujourd'hui selon vous la situation en Iraq ?
R. : Je crois que la situation s'est détendue. Le climat est meilleur, l'atmosphère de tension que nous avons connue au cours de ces dernières semaines me paraît aujourd'hui en voie de résorption.
Q. : Qu'est-ce que la France fait ou qu'est-ce qu'elle compte faire par rapport à cette situation ?
R. : Dans ces conditions, je pense que le moment est venu d'appliquer la résolution 986, votée par le Conseil de sécurité qui, comme vous le savez, permet aux Iraquiens de vendre certaines quantités de pétrole, à condition que l'argent serve à acheter de la nourriture, des médicaments et des biens de première urgence pour la population. Or, nous pensons vraiment que la situation de la population iraquienne est très grave, dramatique, et qu'il est aussi de la responsabilité de la communauté internationale, je ne méconnais pas bien sûr la responsabilité des Iraquiens, de faire tout ce que nous pouvons pour porter secours à ces populations. C'est la raison pour laquelle la France insiste maintenant pour que la résolution 986 soit appliquée.
Q. : Mais quels sont les obstacles ?
R. : Cela fait neuf mois que l'on discute puisque, pendant longtemps, les Iraquiens refusaient l'application de cette résolution qu'ils jugeaient contraire à leur souveraineté. Depuis le début de l'année, ils ont levé leurs objections, depuis neuf mois les experts des Nations unies discutent avec les autorités iraquiennes sur les modalités pratiques de mise en œuvre. Comment acheminer la nourriture, dans le nord de l'Iraq par exemple, auprès de la partie kurde ? Comment et sous quelles conditions vendre le pétrole ? Enfin, tous ces procédés techniques sont encore en cours de discussion, mais je crois que maintenant ces discussions techniques sont terminées. On est arrivés au bout et donc il faut prendre la décision et c'est le rôle des Nations unies et précisément du secrétaire général que la résolution puisse entrer en œuvre. Je répète, c'est urgent.
Q. : Et la France demanderait aux Iraquiens d'assurer de faire tout ce qu'ils peuvent pour que les personnels sur le terrain puissent travailler de manière sûre ?
R. : Chacun doit le faire, cela relève des Iraquiens. Mais la meilleure façon c'est que, du côté de l'ONU, on avance. Je ferai, auprès des autorités iraquiennes, des démarches pour que l'on assure la sécurité mais tout cela est déjà traité, déjà réglé et il faut donc maintenant cesser tous les matins de soulever des problèmes nouveaux. La situation des populations en Iraq est dramatique.
Q. : On a l'impression que vous sentez des blocages, lesquels ?
R. : Il y a eu dans cette période des enthousiasmes variables. Nous, nous étions, comme dirait M. Toubon, « pushing »...
Q. : Monsieur le ministre, demain M. Netanyahu est à Paris. Alors la France a un rôle dans le processus de paix, elle le pousse, elle souhaite qu'il continue, on avait parlé de cette fameuse commission, notamment entre autres cette commission de surveillance au sud-Liban, est-ce que tout cela avance, est-ce qu'il y a des progrès ?
R. : Le processus de paix au Proche-Orient connaît, vous le savez, depuis plusieurs mois de sérieuses difficultés, que ce soit à l'égard des Palestiniens qui sont en grande difficulté, ou que ce soit avec les Syriens, les Libanais. Dans tous les cas, il est vrai que le nouveau gouvernement israélien a montré beaucoup de réserves, beaucoup plus de réticence. Je crois que l’entretien qui aura lieu demain entre le président de la République et le Premier ministre israélien sera l’occasion pour nous de faire un nouveau tour d’horizon et certainement d’exprimer la préoccupation de la France pour que ce processus de paix reprenne et aille à son terme.
Q. : Mais vous êtes allé là-bas après Canaa, vous connaissez bien la région, vous allez y retourner, est-ce qu'il va y avoir une poursuite des initiatives qui ont été prises ?
R. : Mais la France n'arrête pas d'être très présente et très active. Nous préparons, comme vous le savez, le voyage du président de la République dans cette partie du monde dans les semaines à venir. Nous sommes, croyez-moi, en contact permanent. J'ai reçu, au cours des dernières semaines, les dirigeants de tous les pays de cette région avec lesquels je me suis entretenu. Nous sommes sur le pont, mais il est vrai que les difficultés subsistent et nous travaillons à essayer de les surmonter et de les résoudre en liaison naturellement avec nos partenaires américains.
Q. : Le travail à la frontière sud-Liban continue pour établir cette commission ?
R. : Vous parlez du groupe de surveillance du sud-Liban. Ce groupe de surveillance coprésidé par les Français et par les Américains est en place et il y a eu des incidents au cours de la dernière période, des incidents sérieux et dont le groupe est saisi. J'espère qu'il parviendra à trouver des solutions.
Q. : Monsieur le ministre, sur un autre plan, il semble qu'il y ait des hésitations sur la date d'application de la levée des sanctions contre la Serbie, quelle est la position de la France ?
R. : La position de la France est qu'il faut appliquer strictement et complètement les accords de Paris et de Dayton. Or ces accords prévoient que les sanctions soient levées dans un délai assez bref, après les élections. Par conséquent, dès lors que ces élections ont eu lieu, qu'elles auront été constatées de façon officielle par l'OSCE qui avait la charge de les contrôler, nous estimons que les sanctions devront être levées.
Q. : Concrètement, cela peut se faire dans quel délai ?
R. : Dans un délai assez rapide maintenant.
Entretien avec la presse française (New York, 24 septembre 1996)
Je suis content de vous voir et de faire le point avec vous.
Nous avons eu le grand plaisir ce matin de signer le CTBT (TICE). Je ne vais peut-être pas y revenir puisque je vous en ai déjà parlé si ce n'est pour vous confirmer que c'est un événement de grande importance. La signature des cinq puissances nucléaires, c'est vraiment formidable. Il me semble que l'on ne mesure pas bien à quel point on tourne la page d'un demi-siècle pendant lequel un certain nombre de pays ont consacré un énorme effort financier, technologique et humain, une partie importante de l'effort de la recherche, quelques-uns de leurs meilleurs scientifiques, pour se doter de l'arme nucléaire, et dans une période, notamment où les deux super puissances de l'époque ont concentré leurs efforts sur la course aux armements nucléaires. Ils avaient atteint, d'ailleurs, des niveaux invraisemblables. Si nous avions une stratégie simple, nous l'avons toujours d'ailleurs, de la dissuasion, les deux grandes puissances de la guerre froide se sont équipées de milliers de têtes nucléaires. On n'en voyait pas très bien l'usage : témoignage de la folie des hommes, et ce jour du mois de septembre 1996 est quand même un jour bienvenu, c'est un jour de sagesse, de raison retrouvée. On met un terme à la course folle aux armements nucléaires et je crois que l'on ouvre la voie à une meilleure maîtrise de la prolifération et sans doute à de nouvelles étapes dans la réduction des armements nucléaires. Donc c'est vraiment un moment extrêmement important et un jour tout à fait positif.
L'assemblée générale de l'ONU a commencé. Les discours des différents ministres des Affaires étrangères, du Président Clinton ont également commencé et je trouve que c'est assez intéressant d'écouter les interventions des uns et des autres, même si à longueur de journée, cela peut paraître, sur le moment, un peu fastidieux, j'en conviens. On voit quand même apparaître un certain nombre de lignes de force, de convergences, d'axes qui dominent la plupart de ces discours.
On constate que tous les intervenants expriment la force des changements du monde. Il n'y a plus de guerre froide. Il y a tous ces pays émergents qui s'expriment avec une volonté politique de plus en plus forte. Je recevais à l'instant – c'est pour cela que je vous ai fait attendre quelques minutes – le ministre des Affaires étrangères du Mexique qui fait partie de ces pays qui maintenant existent économiquement – le Mexique est en train de sortir de la crise financière qu'il a connue – et qui émergent aussi politiquement, des puissances qui ont des choses à dire et qui veulent les dire, qui veulent exister pleinement sur la scène internationale. Ces changements comportent des évolutions positives et font apparaître aussi de nouveaux dangers, de nouvelles menaces.
Du côté des évolutions positives, naturellement il y a la signature du TICE. Je crois que le mouvement de réduction des arsenaux d'armes de destruction massive se poursuivra. Je crois que l'on peut mettre aussi du côté positif les processus de paix, même s'il y a des difficultés ; et si nous essayons de prendre un peu de hauteur par rapport au processus de paix en Bosnie en cette fin 1996. Nous aurons l'occasion de reparler de la Bosnie dans les jours qui viennent. Le processus de paix avance, avec sa part d'éléments positifs et d'éléments inquiétants. Positif aussi, le processus de paix au Moyen-Orient – pourvu qu'il se poursuive. Enfin, il marque la détermination et la volonté de la communauté internationale d'intervenir pour essayer de séparer les adversaires et de créer de nouvelles situations locales. Sans doute aussi parmi les évolutions positives, le processus de réforme de l'ONU. Il est loin d'être arrivé au bout du compte, il connaît beaucoup d'obstacles, il connaît beaucoup de freins. Il dure déjà depuis plusieurs années et je ne vous en annonce pas la clôture bienfaisante dans quelques semaines, mais il marque aussi la prise de conscience, malgré tout, au sein de l'ONU que les instances doivent être réformées pour s'adapter à ces changements du monde. Donc, il y a des évolutions qui sont positives, en tout cas, nous parlons de cela. Mais on parle aussi des menaces nouvelles. Ces menaces nouvelles, telles que je les entends dans tous ces discours, telles que, peut-être, j'en parlerai moi-même d'ailleurs demain, c'est la drogue, danger majeur pour les sociétés d'aujourd'hui, c'est le terrorisme, c'est la grande criminalité, c'est le sort tragique des enfants victimes de ces trafics épouvantables. Bref, ce sont des dangers qui touchent les sociétés et qui deviennent maintenant des sujets majeurs de la vie internationale et des discussions des travaux conduits au sein de l'ONU.
J'observe néanmoins que le débat est ouvert et qu'à travers les interventions des différents pays à la tribune des Nations unies, il y a des appréciations différentes sur la nature de ces menaces et sur les moyens d'y faire face, la façon d'y répondre. Et il y a là les éléments d'un débat politique mondial, je crois d'une grande ampleur, et qui pose de vraies questions.
Par exemple : le débat s'amorce sur la question de savoir qui est responsable du terrorisme, qui est responsable du danger de la drogue. Comme vous le savez, sur la drogue, le débat a longtemps porté – et il porte encore un peu, mais il me semble que les choses s'améliorent – sur le point de savoir s'il fallait accuser les pays producteurs ou s'il fallait mettre en cause les pays consommateurs. Est-ce qu'il fallait prendre un bout de la file ou l'autre bout ? Est-ce qu'il fallait exiger, avec des moyens de pression, des pays producteurs qu'ils règlent leurs problèmes ou fallait-il imputer cette situation au fait que dans les pays consommateurs on n'était pas capable de maîtriser la consommation de la drogue ? En fait, il était de bon sens que la coopération des uns et des autres était nécessaire, qu'il n'était pas utile, dans la plupart des cas, de montrer du doigt les uns ou les autres. Il fallait essayer de mobiliser la communauté internationale, qu'il s'agisse des pays producteurs, dont la coopération est nécessaire, ou des pays consommateurs qui doivent avoir une attitude claire et énergique, et vous savez que cette question va venir à l'assemblée générale dans les jours qui viennent, avec une session spéciale consacrée à ce sujet majeur.
Quand on parle du terrorisme, nous ne sommes pas favorables, vous le savez bien, à la diabolisation des États parce que nous ne croyons pas que ce soit une bonne méthode. Naturellement, nous ne sommes pas des naïfs, nous croyons être aussi bien informés que les autres. Mais nous pensons aussi que le terrorisme est désormais en train de changer de nature et que s'il y a eu dans le passé un terrorisme d'État, il y a désormais de plus en plus de réseaux qui sont capables de monter les opérations terroristes à très faible coût, ou à un assez faible coût, avec des moyens rustiques. Utilisant, par contre, tous les mécanismes très modernes de la communication, pour échanger des informations, pour travailler, en quelque sorte. Il faut se préoccuper aussi des flux financiers de la grande criminalité et du terrorisme. Cette question des flux financiers était tout à fait importante dans un système dans lequel, comme vous le savez, la vitesse de circulation de l'argent est aussi rapide que celle des idées, hélas ! Nous pensons que tout cela, ce sont les effets pervers de la mondialisation qui pour l'essentiel est un phénomène globalement positif mais qui comprend des effets pervers d'une très grande importance.
De même, quand il s'agit des solutions que l'on peut apporter, la solution ne peut pas se trouver dans la plupart des cas, sauf exception avérée, elle ne peut pas se trouver dans une stratégie qui consiste à mettre à l'index de la vie internationale tel ou tel pays. Nous pensons que les mesures de coopération, des mesures pratiques, des mesures concrètes de coopération policière, dans les pays qui sont les victimes de ces actions terroristes, sont, dans la plupart des cas, des mesures plus efficaces. D'ailleurs, l'expérience prouve que personne n'est vraiment à l'abri de sa part de responsabilité.
Quand le réseau Internet est dévié de son objectif à des fins contraires à la lutte contre les fléaux dont je viens de vous parler, on ne peut pas accuser un pays tiers. Il faut que nous nous interrogions les uns et les autres sur la part de responsabilité qui nous incombe pour régler ces problèmes. Lorsque les réseaux financiers peuvent utiliser des comptes clandestins, des filières financières, il faut que nous nous interrogions les uns et les autres sur la façon de les réprimer, d'y faire face. Et c'est ce débat qui commence à prendre une certaine ampleur dans le monde. Je crois que c'est tout à fait positif. Il arrive, il est vrai, nous n'y sommes pas hostiles du tout, que l'on soit conduit, vis-à-vis d'un pays, à un moment donné à exercer des pressions et il peut arriver que l'on doive exercer des sanctions. Les sanctions sont un instrument très délicat, qui constitue, en quelque sorte, l'arme diplomatique ultime, celle que l'on utilise lorsque les autres ont échoué. Il faut donc s'en servir avec grande prudence. Et selon la doctrine française, ces sanctions doivent avoir une durée limitée, au risque, sinon de perdre progressivement leur légitimité et, parfois, d'être détournées de leur objet. On constate d'ailleurs souvent, on a vu cela très clairement en Iraq, que cette politique de sanctions se retourne contre les populations civiles et qu'elles soulèvent des problèmes réels.
Voilà quelques réflexions que je voulais vous livrer, que j'évoquerai d'ailleurs demain sur le nouveau monde dans lequel nous sommes, dans lequel les conflits d'hier prennent sans doute moins d'importance. Naturellement, il en subsiste encore, j'évoquais tout à l'heure le cas du Moyen-Orient. Ce qui rappelle, au passage, que ceux qui expliquaient, à l'époque, que c'était la guerre froide qui était à l'origine des conflits régionaux ne détenaient pas toute la vérité. La guerre froide étant terminée, certains conflits régionaux subsistent, et ont éclaté dans l'après-guerre froide, là où d'autres menaces surviennent, qui posent à la collectivité internationale des problèmes nouveaux, pour lesquels elle n'est sans doute pas bien préparée et qui provoquent par conséquent, sur la scène internationale, à la tribune de l'ONU, des prises de position, des débats qui sont de très grande importance. J'ai essayé de vous dire quelle était la position française. La position française, j'espère que vous l'aurez bien ressenti, est très ferme, très déterminée, sur les objectifs, c'est-à-dire sur la lutte contre le terrorisme, la drogue, la grande criminalité et l'exploitation des enfants, vis-à-vis desquels nous pensons que la plus grande énergie est nécessaire. Nous avons une façon de lutter que j'ai exprimée devant vous et dont je sais bien qu'elle peut faire objet de débat.
J'en profite pour vous dire quelques mots sur la situation en Iraq. L'impression qui domine est que la situation est moins tendue depuis quelques jours. C'est un élément positif. Nous avons, comme vous le savez, fait beaucoup d'efforts, avec d'autres d'ailleurs, notamment avec les Russes, pour calmer le jeu. Nous avons multiplié les contacts avec nos partenaires et amis américains. J'ai eu moi-même M. Christopher au téléphone. M. Millon a rencontré M. Perry à plusieurs occasions et a gardé un contact étroit avec lui. Je vous rappelle aussi que nous avons fait un certain nombre de pressions sur les autorités iraquiennes pour leur demander de retirer leurs troupes du nord de l'lraq le plus vite possible, ce qu'ils ont fait, et nous avons appelé de façon instante leur attention sur la situation des personnes dans le Kurdistan iraquien. Nous leur avons demandé aussi de mettre un terme aux menaces avancées aux avions de l'opération « Provide Comfort » et « Southern Watch ». Nous avons eu aussi des contacts avec les parties kurdes et nous avons entretenu, dans toute cette période, un dialogue très étroit avec le Koweït, l'État le plus concerné, mais aussi, avec l'Arabie saoudite et les États du Golfe. Je les ai tenus informés très étroitement – y compris en écrivant aux ministres des Affaires étrangères – de toutes les initiatives que nous avons été amenés à prendre.
Quoi qu’il en soit, la situation me paraît moins tendue et le climat donne des signes de détente que nous approuvons. Désormais, il nous paraît urgent que la résolution 986 soit mise en œuvre. Il y a de nombreux mois que la France se préoccupe de l'application de cette résolution. J'ai reçu à Paris M. Tareq Aziz au mois de décembre dernier pour lui faire part de notre préoccupation s'agissant des populations civiles, y compris kurdes, qui sont dans un état alarmant. Cette situation n'est certainement pas imputable à la responsabilité de la communauté internationale, mais celle-ci ne peut pas rester indifférente, de glace, devant cette situation. C'est très précisément l'objet de la résolution 986. Depuis le début de l'année, les choses se sont éclaircies, les autorités iraquiennes se sont montrées ouvertes à l'application de cette résolution, ce qui n'était pas le cas auparavant, et à l'issue des travaux menés par le secrétaire général, dont c'était la responsabilité aux termes mêmes de la résolution 986. Le dispositif légal et réglementaire est en place et maintenant il faut passer à l'acte. J'ai écrit au secrétaire général de l'ONU dans ce sens pour lui demander qu'il informe le Conseil de sécurité de la mise en place complète du dispositif. J'ai insisté pour que l'on veille à la sécurité des personnels de l'ONU et des ONG qui seront appelées à contribuer, y compris dans le nord de l'Iraq, à la mise en œuvre pratique de cette résolution. Je vais intervenir naturellement auprès des Iraquiens pour qu'ils apportent leur contribution maximum. Cela fait bientôt neuf mois que l'on discute de ce sujet après plusieurs années où il ne s'était rien passé. On discute pratiquement de ce sujet. Les obstacles techniques et juridiques ont été levés, donc maintenant il faut franchir le dernier pas et c'est évidemment le plus important. L'application de la résolution 986 constituerait une novation importante dans la situation de l'Iraq, donc un progrès auquel nous sommes particulièrement attachés.
Voilà mesdames et messieurs les considérations diverses...
Q. : Cette lettre que vous avez envoyée à M. Boutros-Ghali sur l'Iraq, c'était quand ?
R. : Ce matin.
Q. : Donc il va informer le Conseil...
R. : Attendez, d'abord il va la recevoir, incessamment, ensuite il va la lire et ensuite il assumera ses responsabilités. Si vous voulez lui demander ce qu'il en fera, il faut s'adresser à lui.
Q. : Est-ce que vous avez parlé de cette lettre aux Américains, aux Anglais ?
R. : Non.
Q. : Ce n'était pas utile ?
R. : La France prend des initiatives de son propre chef mais, naturellement, nous les informerons de cette initiative française.
Q. : M. Boutros-Ghali était-il inquiet sur la question de sécurité justement du personnel ?
R. : Oui.
Q. : Donc, il n’y a plus d'inquiétudes ?
R. : Si, j'en ai parlé avec lui. Il m'a dit que c'était un problème dont il se préoccupait. C'est pour cela que je vous en ai parlé. C'est parce que lui-même m'en a parlé. C'est un des sujets qui le préoccupent. C'est une démarche à faire avec les autorités iraquiennes, pour que cette question de la sécurité des personnes soit assurée.
Q. : Vous pensez que les conditions maintenant sont remplies pour l'application de cette résolution ?
R. : Oui.
Q. : Dans un délai très rapide ?
R. : Je vois bien que, depuis des mois, quand on a résolu un problème, il y a toujours quelqu'un pour essayer d'en soulever un autre. Si j'agis ainsi c'est parce que je pense qu'il faut presser le mouvement.
Q. : (Sur un lien entre l'élection américaine et la 986)
R. : Je ne sais pas pourquoi vous avez parlé du 6 novembre...
Q. : Et dans votre esprit, cela pourrait entrer en vigueur quand ? Être en application quand ? Vous avez une idée ?
R. : Maintenant en fait puisque les problèmes sont résolus, elle peut entrer en application dans des délais courts.
Q. : La semaine prochaine ?
R. : Le plus tôt serait le mieux.
Q. : Dans le comité de sanctions la semaine dernière, les Américains avaient encore des problèmes sur les transactions, ça a été réglé aussi ?
R. : Non, il y a un problème qui si, j'ai bien compris, demeure quant à l'aspect financier. Mais cela n'empêcherait pas, selon nous, le secrétaire général de saisir le Conseil de sécurité en constatant qu'il a achevé la mise en place des dispositions réglementaires, légales, pratiques. Il y aura toujours des petits problèmes à régler, à supposer que la résolution ait pris effet, c'est-à-dire que vous ayez le commencement de ventes de pétrole, le commencement de la mise en place de produits divers sur le terrain. Il y aura des problèmes à régler tout au long de la mise en œuvre. Je ne dis pas qu'il y en ait, mais on ne peut pas tirer constamment prétexte pour ne pas avancer, c'est cela que je veux dire.
Q. : Au stade technique et juridique, les questions militaires, tout cela, y a-t-il des questions à régler ?
R. : Pas que j'aperçoive ou que l'on m'ait signalé.
Q. : Saddam Hussein est quand même un chef d'État un peu imprévisible, qu'est-ce qui vous fait penser que demain il sera plus sage ?
R. : Mais je n'ai pas dit cela. Quand on a voté la résolution 986, tout le monde connaissait cela et avait conscience que, néanmoins, il fallait prendre des dispositions permettant de secourir les populations dont l'état est, je le répète, alarmant. Voilà, je continue à penser qu'il faut le faire.
Q. : Dans vos contacts avec les Américains, vous avez l'impression qu'ils veulent vraiment cette résolution, on n'est jamais sûrs s'ils veulent vraiment la 986 ?
R. : Vous auriez pu me poser la question différemment, vous auriez pu me demander : « est-ce que vous êtes sûr que les États-Unis veulent vraiment la résolution 986 ? »...
Q. : On peut poser la question pour les deux parties.
R. : Voilà ! je ne sais pas, nous proposons que l'on presse le pas.
Q. : Est-ce que vous devez rencontrer votre homologue iraquien. Apparemment ici, à New York, vous allez pouvoir voir le vice-ministre iraquien je crois ?
R. : Oui, peut-être. Si je le vois je vous le dirai. De toute façon, en plus, il n'y a pas de mystère, c'est transparent ici, vous le savez. L'ONU est vraiment une maison de verre...
Q. : En parlant des Américains, comment réagissez-vous aux propos de M. Clinton, ce matin, contre l'Iraq, l'Iran et la Libye ?
R. : Si vous me permettez, je ne vais pas réagir parce que je trouve que c'est inconvenant, c'est le Président des États-Unis. Je vous ai exposé ma thèse. En fait, elle est un peu différente, ça ne vous aura pas échappé. Je vais vous dire, madame, le Président Clinton a une bonne formule que j'ai bien appréciée sur la tolérance zéro contre le terrorisme, c'est vrai, je ne vous ai pas dit autre chose.
Q. : Vous savez bien ce qu'ils disent à travers cette formule ?
R. : Je vous ai expliqué tout à l'heure. Au fond, cela veut dire quoi ? Il y a un accord sur l'objectif, il y a des débats sur les programmes et je vous ai précisément dit que la tribune de l'assemblée est très intéressante par ce que l'on entend dans les discours des uns et des autres. Ce qui ressort finalement de ces débats, ce sont les changements du monde avec les menaces d'hier et les menaces d'aujourd'hui. On voit très bien que cela transparaît comme la ligne de force, la dominante de l'intervention et, je le répète, il y a des débats, c'est normal. C'est bien que cela se passe à la tribune des Nations unies, cela démontre à quel point les Nations unies ont un rôle central à jouer dans le monde d'aujourd'hui, plus grand que jamais et je trouve finalement assez normal, assez sain qu'il y ait des débats (inaudible).
Q. : Et sur la 986, quelle est la procédure ? Boutros-Ghali reçoit votre lettre ensuite, il saisit le Conseil de sécurité.
R. : Attendez, je suis libre d'écrire, il n'est pas obligé de suivre. La procédure est que le secrétaire général doit saisir le Conseil de sécurité pour constater qu'il a accompli les travaux dont il avait la charge, que la résolution 986 lui avait précisément confié. Il l'a fait et à partir de ce moment-là, je ne sais pas s'il faut un vote du Conseil de sécurité... c'est au président, voilà, ça met en route, ça marque le début...
Q. : Cela, il avait l'intention de le faire plus ou moins lui-même alors ?
R. : Je ne sais pas s'il avait l'intention de le faire, je vous répète, il est secrétaire général des Nations unies, je suis le ministre des Affaires étrangères français, je vous dis ce que je fais. Il faudra lui demander quelles sont ses intentions.
Q. : (inaudible)
R. : Je considère en effet que l'ensemble des travaux ont été conduits à bonne fin et que, par conséquent, le moment est venu.
Q. : En fait, vous essayez de vous mettre encore un peu plus en porte-à-faux avec les États-Unis ?
R. : Vous êtes un esprit trop subtil...
Q. : À propos du terrorisme, une méthode consiste à isoler les pays comme l'Iran par exemple. Est-ce que justement le dialogue des Européens avec l'Iran a porté ses fruits, en d'autres termes est-ce que l'on est arrivé à un accord sur le (inaudible) politique ?
R. : Non. Comme vous le savez bien, ce sont des sujets sur lesquels les discussions se poursuivent depuis de longs mois. Est-ce que le dialogue critique est utile ? J'en ai fait les démonstrations personnellement au Proche-Orient au printemps dernier. J'ai d'ailleurs été frappé de constater, après la remise de corps, par l'entremise des Allemands, des Israéliens ; les autorités iraniennes m'ont remercié, les autorités iraniennes. Tout cela prouve qu'en effet il y a de l'espace pour le dialogue critique, et je crois plus que jamais qu'il ne faut pas changer de ligne.
Q. : Est-ce que vous considérez que l'État de la République islamique, effectivement, ne fera plus impliquer la fatwa sur Rushdie selon un texte publié ce matin dans la presse à Téhéran ?
R. : Nous n'avons pas sur ce sujet d'éléments qui permettent de porter une appréciation.
Q. : Monsieur le ministre, un des grands sujets de la journée d'aujourd'hui c'est la nouvelle alarmante sur la santé de Boris Eltsine. Vous avez des nouvelles ?
R. : Non.
Q. : La levée des sanctions contre la Serbie, c'est pour cette semaine ?
R. : La France considère que, s'agissant de cette affaire des sanctions, il faut s'en tenir très exactement aux accords négociés à l'automne, signés à Paris.
Q. : Donc c'est-à-dire cette semaine ? C'était dix jours après les élections ?
R. : Oui, il y a le problème de date à partir de laquelle on considère que ce délai peut courir. Il y a aussi celui de la certification des élections... On peut discuter, mais en effet il paraît bien normal que ceux qui avaient la charge de contrôler ces élections aient aussi la responsabilité, à un moment donné, de dire « ces élections ont eu lieu et se sont déroulées conformément ». Enfin, c'est un point de détail. Mais je voudrais dire que la position française est qu'il faut appliquer les accords et ne pas soumettre la levée des sanctions à des conditions nouvelles. Je m'en tiendrai là pour aujourd'hui.