Texte intégral
France 2 - Jeudi 5 septembre 1996
France 2 : A. Juppé présentera ce soir la baisse de l’impôt sur le revenu, 25 milliards l’an prochain, 75 milliards sur cinq ans, après – il faut le dire – une hausse des prélèvements de 120 milliards l’an dernier. Est-ce que ça sera suffisant pour relancer l’activité, l’emploi, et pour en finir avec le climat de morosité qui prédomine aujourd’hui ?
P. Clément : Commençons par la fin, le climat de morosité est incontestable. Il était donc important pour le Gouvernement de faire un acte fort et dans cette direction. Nous le demandions au Parti républicain, à l’UDF. Vous le savez, l’année dernière nous l’avons demandé tout au long du budget, nous voulions une baisse du déficit budgétaire et une baisse des impôts. Merci au Gouvernement, à A. Juppé d’aller dans cette direction, c’est effectivement la seule direction possible qui soit de nature à rendre confiance aux Français. Et pour qu’elle soit de nature à rendre confiance aux Français, il faut que cette baisse s’inscrive, et je crois que c’est ce qu’il annonce ce soir, sur cinq ans. Autrement dit, non pas un petit clin d’œil électoral pour 18 mois ou deux ans avant les élections, mais une volonté durable de baisser les impôts. Cette certitude fiscale devrait permettre de rendre aux consommateurs l’envie de consommer.
France 2 : 25 milliards l’an prochain, 75 sur cinq ans, c’est suffisant ? Est-ce une bonne idée de faire peser cette baisse des prélèvements uniquement sur l’impôt sur le revenu que la moitié des Français ne paye pas alors que la TVA est beaucoup plus injuste socialement ?
P. Clément : Je crois qu’il faut les deux. Effectivement, le Gouvernement a commencé par l’impôt sur le revenu. Vous savez qu’en France, on est très peu de Français, effectivement, à payer d’impôt, ce n’est pas sous ce rapport un impôt moderne et les autres pays ne le font pas. Je crois qu’il faut commencer à baisser l’impôt sur le revenu et relativement fortement. Le taux marginal, c’est-à-dire le taux le plus élevé, en moyenne en Europe, est en dessous de 50 %. Je crois qu’il va falloir se fixer à la moyenne européenne. Sur la TVA, le Gouvernement l’avait dit quand il l’a augmentée, il faut revenir très vite à la TVA initiale.
France 2 : A. Madelin, qui était reçu hier par A Juppé, a répété que la France était en déflation. D’ailleurs, les derniers chiffres de l’INSEE pourraient lui donner raison puisqu’il y a une baisse de 0,4 % du PIB au deuxième trimestre. Est-ce que vous partagez ce pessimisme ?
P. Clément : Je crois qu’il ne faut jamais analyser un chiffre sur un trimestre. On a déjà deux trimestres derrière nous, on n’est pas en déflation. Disons que la croissance est faible, elle est autour d’1,3-1,7 % pour l’année.
France 2 : Et baisser les impôts, ça va suffire pour relancer l’activité ?
P. Clément : Qu’est-ce que cela veut dire baisser les impôts ? Que les Français n’auront pas devant eux la perspective d’une augmentation fiscale. Or, depuis quelques mois et même quelques années, ils voient des augmentations régulières. Ça a été la CSG, les impôts, la TVA, donc, tout le monde se recroqueville et se dit : « on ne peut plus consommer parce que demain, il va y avoir une augmentation ». Donc, il faut stabiliser la fiscalité en France et c’est pour cela que la loi quinquennale me paraît une bonne chose, ou l’engagement quinquennal. Je le répète, l’objectif, c’est la moyenne des pays européen. Nous sommes très au-dessus en matière de fiscalité.
France 2 : L’université d’été de l’UDF s’ouvre à La Baule aujourd’hui. On a vu, ces derniers temps, certains signes d’impatience, des états d’âme, des inquiétudes chez les élus de la majorité. C’est justifié ?
P. Clément : Si vous voulez. À la fin du mois d’août, j’ai fait une tournée de communes dans ma circonscription, les Français me parlaient de deux sujets : le chômage et l’immigration. Il est vrai que les élus répercutent ce qu’ils entendent et moi-même, c’est ce que je viens d’entendre toute la dernière semaine du mois d’août. Je crois que pour rendre confiance aux Français, il faut s’attaquer clairement à ces deux problèmes. Le chômage, c’est la reprise de l’activité et donc la reprise de confiance. Il faut aider les particuliers pour la consommation, c’est le but recherché par la baisse de la fiscalité mais en même temps, il faut aider les entrepreneurs, aider les chômeurs créateurs d’emploi – et là, je souhaite que l’on garde cette aide –, bref, faire en sorte que l’activité reprenne. Sur le problème de l’immigration, permettez-moi un mot : le feuilleton de cet été prouve à l’évidence qu’il faut revenir, et c’est aussi une demande forte du Parti républicain, sur les lois Pasqua qui ne sont pas actuellement parfaitement ajustées au problème. Le problème est que les gens sont déboutés du droit d’asile et qu’il faut les renvoyer chez eux. Mais il y a des cas particuliers qu’il faut savoir ajuster. Nous redemandons qu’il y ait un effort pour clarifier les lois Pasqua.
France 2 : D’une façon générale, qu’est-ce qu’il faut attendre de l’UDF ? Est-ce que c’est l’affirmation de la cohésion de la majorité ou au contraire que l’UDP soit quelque part une aiguillon, une force de proposition pour le Gouvernement ?
P. Clément : L’UDF, c’est une pratique, on a une approche des problèmes qui est un peu différente dans la pratique que le RPR, c’est un autre tempérament. L’UDF, c’est en même temps une loyauté des propositions, une pratique, c’est un style d’homme que l’on retrouve généralement dans cette famille. Ça ne veut pas dire, quand on fait des propositions, que l’on n’est pas d’accord, ça veut dire qu’on pense que l’on peut faire encore mieux. Vous savez, quand on a une majorité aussi importante de plus de 400 députés, ça serait quand même dramatique que tout le monde dise la même chose, aille dans le même sens. On souhaite, parce qu’on le veut, parce que nous sommes dans le même bateau, parce que c’est notre intérêt à tous et c’est l’intérêt du pays : aider ce gouvernement à réussir. Pour autant, nos idées, comme, par exemple, la dernière sur la fiscalité, sont reprises cette année. Nous nous en réjouissons.
France 2 : Justement, on dit qu’il y a un problème de méthode de gouvernement, on l’a vu avec l’affaire des sans-papiers, avec d’autres affaires. S. Veil a dit hier qu’il y avait un manque de continuité et de cohérence. D’autres disent qu’il y a trop d’autoritarisme. Vous le ressentez ?
P. Clément : Je crois qu’on le ressent de moins en moins. Il y a eu un peu ce sentiment-là depuis un an. Maintenant, je crois que la ligne est bien tracée : baisser les déficits, cela a été affirmé dès le début ; baisser les impôts, c’est l’affirmation de cette année. Je crois que l’on va avoir une plus grande cohérence et ça permettra de dire à toute la majorité de se retrouver derrière cette cohérence qui effectivement aujourd’hui est bienvenue.
France 2 : Le rapprochement Madelin-Pasqua, de même que le rapprochement Séguin-Léotard, c’est surprenant ?
P. Clément : C’est surprenant sur un point. C’est qu’effectivement, ils ne sont pas tout à fait du même avis. Mais ça n’est pas surprenant que des hommes s’entendent bien dans des propositions claires pour le succès de la majorité.
RMC - Jeudi 5 septembre 1996
P. Lapousterle : On dit que les Français sont moroses, surtout parmi les gens qui ont voté pour l’actuelle majorité. Est-ce votre sentiment ?
L. Poniatowski : Tout à fait, parce que c’est ce que je ressens très fortement sur le terrain, dans ma circonscription, en Normandie. Et ils l’expriment, du reste, d’une manière qui commence à être un peu agressive. Jusqu’ici, ils étaient découragés et surtout, ils l’expriment sur un sujet non pas sur 36, il faut bien le savoir. Pas sur le chômage ; ils l’expriment sur les impôts et les charges.
P. Lapousterle : À ce propos, les mesures fiscales qui seront annoncées ce soir par A. Juppé, environ 25 milliards de francs en moins pour l’impôt sur le revenu l’an prochain et 75 milliards sur 5 ans, est-ce l’électrochoc que vous aviez demandé ?
L. Poniatowski : Je crains que non, pour les Français. Je crains que ce soit tout à fait insuffisant. Il faut, il peut, il doit mieux faire s’il veut que la confiance revienne. Ce n’est pas une critique du Premier ministre, il va dans la bonne direction. Mais j’ai peur que ce soit tout à fait insuffisant, d’autant qu’on annonce, en effet, 75 milliards sur 5 ans. Mais les Français sont des gens de bon sens. Ils disent : « On nous promet, on nous promet des choses qui vont venir plus tard ». J’ai peur que ça ne passe pas. Vous avez, comme moi, reçu votre feuille d’impôt, le troisième tiers provisionnel, que nous avons à payer avant le 15 septembre. Tous les Français l’ont reçu et tous ont aussi reçu les impôts locaux. Les taxes foncières arrivent en ce moment partout avec des dates limites de règlement ces jours-ci ! Que voient les Français ? Qu’ils ont plus d’impôts à payer. C’est le résultat de l’ensemble des décisions de l’année dernière, avec une augmentation de l’ensemble des impôts et charges de 100 milliards. Et on leur annonce qu’il y aura peut-être des diminution d’impôts pour 97 de 20 ou 25 milliards et pendant 5 ans, de 75 milliards. J’ai sincèrement peur que ça ne soit pas suffisant.
P. Lapousterle : Mais vous avez les clés au Parlement !
L. Poniatowski : Ce ne sont pas les clés, mais je vais le dire fort, là, à votre antenne, et je le redirai : je crois qu’il faut aller plus loin, y compris, en prenant peut-être un certain risque économique pour notre pays. Nos indicateurs économiques ne sont pas si mauvais que ça. Nous sommes même en période déflationniste. Je me demande si ça n’est pas le moment. Quand je dis qu’il faut un électrochoc, peut-être faut-il aller jusqu’à une certaine inflation dans notre pays. Peut-être faut-il aller jusqu’à un certain déficit plus important, jusqu’à retarder l’effort que nous faisons pour désendetter notre pays. Mais je crois qu’il faut absolument tout faire pour redonner confiance à nos concitoyens.
P. Lapousterle : Ça s’appelle l’autre politique ?
L. Poniatowski : Quand on parle d’une autre politique en ce moment, c’est une chose à la mode qui consiste à dire qu’il faut se débarrasser du Premier ministre. Non, ce n’est pas ça que je veux. Je demande à notre Premier ministre et à son Gouvernement de prendre conscience de la gravité de la situation. Et le message que j’adresse au Premier ministre est le suivant : c’est maintenant qu’il faut prendre des décisions et non pas à quatre, cinq ou six mois des élections. Il sera trop tard. Et nous nous en rendrons bien compte lors des échéances de 98.
P. Lapousterle : Ce que vous dites ce matin, Madelin, Léotard le pensent, Balladur l’a dit, Pasqua ne cesse de le répéter, Séguin le dit sur tous les tons. Ça inquiète les Français de voir tous ces grands ténors de la majorité demander la même chose et le Gouvernement qui maintient le cap.
L. Poniatowski : Ça prouve que tous ces ténors de la majorité sont aussi des gens de bon sens et des gens de terrain. S’ils l’expriment, ce n’est pas pour le plaisir de critiquer le Premier ministre, mais parce qu’ils sont bien, eux, dans leur région, dans leur département, et que ça ne va pas ! Ils sentent bien que les Français sont terriblement inquiets.
P. Lapousterle : Que pensez-vous de l’attitude de L. Jospin qui attaque durement le Gouvernement. N’y-a-t-il pas un problème politique en France, avec ces voix de la majorité qui sont les vôtres, qui critiquent le Gouvernement et Jospin qui met le turbo ?
L. Poniatowski : Sur le ton, il met en effet le turbo. Un seul point me gêne sur Jospin, c’est que lui et l’ensemble des dirigeants du PS se réjouissent des mauvais résultats de la France. Et ça revient à une chose simple : ça revient à se réjouir des malheurs des Français, hélas ! Une ou deux interventions lors de la dernière université du PS – je ne pense pas à Jospin mais à d’autres leaders – nous donnaient vraiment l’impression de charognards se réjouissant de l’augmentation du nombre de chômeurs dans notre pays. Je considère que c’est un comportement très irresponsable de l’opposition. Ce n’est pas ça qu’on attend de l’opposition. Le résultat, on le voit dans les petites élections partielles, les cantonales de dimanche dernier. On voit bien qu’il y a une certaine désaffection de nos candidats, mais les voix ne vont pas vers le PS.
P. Lapousterle : 1998, c’est encore jouable pour la majorité ?
L. Poniatowski : Oui bien sûr, sinon je ne serais pas là, je me battrais pas. Et sinon je ne ferais pas tout pour convaincre mon Premier ministre qu’il faut prendre un certain nombre de mesures.
P. Lapousterle : Concernant la rentrée scolaire, F. Bayrou dit que tout s’est bien passé et on assiste quand même à une entente syndicale pour une grève le 30 septembre.
L. Poniatowski : Je trouve que c’est de la provocation à l’égard des 3 millions de chômeurs de notre pays !
P. Lapousterle : Provocation de la part de qui ?
L. Poniatowski : De la part des syndicats d’enseignants. Ce sont des gens qui ont la sécurité de l’emploi. Il faut savoir que les salaires dans la fonction publique sont plus élevés que dans le secteur privé. Donc, ce sont des gens qui ont la sécurité de l’emploi, qui ont un certain confort en matière de vacances, des gens qui ont un salaire tout à fait correct, surtout quand on sait qu’il y a autant de Français qui vivent avec un SMIC et d’autres qui n’ont pas d’emploi.
P. Lapousterle : On a supprimé des emplois. C’est pour cela qu’ils font grève.
L. Poniatowski : Non, non. On va leur en supprimer pour 1997. La rentrée scolaire de 1995 s’était traduite par moins 50 000 élèves. On n’a pas supprimé des postes d’enseignants. Cette rentrée se traduit par moins 60 000 élèves. On ne supprime pas des postes d’enseignants. On va en supprimer sur le budget que nous allons examiner dès octobre pour la rentrée 97. On parle de 2 600 emplois en moins. Rien qu’aux deux dernières rentrées, il y aurait dû y avoir près de 4 000 postes d’enseignants en moins. On les a tous maintenus. En plus, le fait de laisser entendre qu’il y a moins d’enseignants pour cette rentrée est un mensonge. Je trouve ça assez grave. En plus, certains des syndicats d’enseignants mélangent tout. Dans leurs déclarations, ils parlaient de sans-papiers et autres.
P. Lapousterle : Au sujet de l’immigration clandestine, un député de la majorité demande un référendum sur l’immigration en France. Est-ce une bonne idée ?
L. Poniatowski : Ce n’est pas une mauvaise idée du tout. À quoi sert le référendum ? Justement, à demander leur avis aux Français sur des problèmes importants de société. L’immigration, surtout dans la France de 1996 qui a un chômage fort et ce très grave problème de l’immigration clandestine, je trouve ça une très bonne idée. S’il y a un référendum, j’aimerais que ce ne soit pas seulement : « Êtes-vous pour ou contre renvoyer les clandestins chez eux ? ». Cela ça ne doit même pas figurer dans le référendum. Il y a une loi, les immigrés clandestins, eux, doivent être renvoyés chez eux. Mais c’est savoir comment on traite le problème de l’immigration. Je suis même favorable à ce que, dans ce référendum, il y ait une question sur l’instauration d’un système de quotas, comme aux États-Unis. À savoir que, chaque année, on vote sur plus ou moins d’immigrés supplémentaires que nous accepterions dans notre pays. Et certaines années, comme en ce moment, l’augmentation pourrait être de 0 %. Notre économie n’a pas les moyens de supporter toute cette immigration et il serait peut-être bon que nous ayons une sorte de moratoire, pendant un, deux ou trois ans, de refus total de toute immigration pour absorber ceux qui sont sur le territoire et à qui nous ne pouvons pas offrir du travail et que nous ne pouvons pas héberger.